• Aucun résultat trouvé

La centralisation du pouvoir : l’exemple originel de l’Empire du Ghana (11 ème siècle)

MODALITES DE REGULATION POLITIQUE AU MALI ET AU NIGER

1) La centralisation du pouvoir : l’exemple originel de l’Empire du Ghana (11 ème siècle)

L’Empire du Ghana a été créé par les Soninké (ou Sarakollé) aux environs du VIIème siècle et a atteint son apogée sous la dynastie des Kaya Maghan (ou Magnan qui signifie Maître

de l’or) entre le IXème et le XIème siècle, s’étendant sur l’ensemble de la zone sahélienne du

Moyen Sénégal à Tombouctou, et sur une partie du Soudan nigérien.

212 MILL J. S., System of Logic: Ratiocinative and Inductive, 1843. Cité par RAGING C., The Comparative Method:

Moving Beyond Qualitative and Quantitative Strategies, Berkeley, University of California Press, 1989, p. 36.

Il s’agit du premier royaume africain dont l’histoire nous soit partiellement connue214, notamment comme modèle « originel » de centralisation administrative. Cet Etat n’était au départ qu’une confédération de « tribus » exerçant une autorité traditionnelle ; c’est la centralisation de la domination qui parvint à conférer au clan des Soninké une puissance hégémonique sur l’ensemble du pays215.

S’assurant un monopole de l’or et de son commerce, l’Empire attirait la plupart des grandes caravanes d’Afrique du Nord. Ibn Hauqal, le premier voyageur arabe qui visita le royaume, écrit ainsi que « le roi du Ghana est le roi le plus riche de la terre à cause des richesses et des provisions d’or se trouvant auprès de lui, qui ont été acquises depuis des temps anciens par ses prédécesseurs et lui-même216 ». Au plan administratif, l’Empire du Ghana se divisait en plusieurs provinces et royaumes, découpés en cantons et villages. Comme dans la plupart des Empires, les territoires se partageaient entre une « possession » royale, domaine propre du souverain, et plusieurs « provinces » relevant de vassaux. Le régime administratif de ces territoires pouvait par conséquent varier. Certains royaumes vaincus étaient par exemple parvenus à conserver leurs structures traditionnelles d’autorité, en échange de quoi ils s’engageaient à verser régulièrement un tribut au Ghana et à lui fournir des contingents de soldats. A l’inverse, il y avait aussi des territoires où le monarque décidait de placer directement des gouverneurs (faren) qui pouvaient quelquefois être des membres de sa propre famille. Ils étaient dans ce cas directement rattachés au roi, en exécutaient les ordres, levaient des taxes pour lui et rendaient justice en son nom. L’ensemble des rois vassaux et des gouverneurs pouvaient aussi assumer

214 Voir par exemple EL-BEKRI, Description de l’Afrique septentrionale, Traduction De Slane, Paris, Ed. Jourdan, 1913, http://gallica.bnf.fr.

215 La carte est empruntée à STAMM, Histoire de l’Afrique précoloniale, Paris, PUF, 1997, p. 28.

216 Ibn Hauqal, cité par NIANE D. T., Le Soudan Occidental au temps des grands Empires : XIème -XVIème siècle, Paris, Présence Africaine, 1975, p. 32.

auprès du roi des fonctions de conseillers, et/ou de ministres. Pour s’assurer leur loyauté, un système relativement élaboré d’« alliances » était supposé lier les différentes parties. Le système des mariages par exemple pouvait « attacher » le fils ou la fille d’un roi vassal à un membre de la famille royale. Plus original, mais tout aussi répandu, le souverain prenait également soin d’« accueillir » à sa cour les fils des rois vaincus. En tant que sujets royaux, ils assistaient le roi lors des audiences, participaient aux efforts militaires et pouvaient, le cas échéant, être mariés à des princesses de la cour. En sus de ces personnalités, d’autres dignitaires claniques pouvaient aussi entourer le noyau royal central. Essentiellement composée de guerriers, cette classe formait l’essentiel de l’aristocratie impériale. C’est en leur sein que se recrutait l’ensemble des hauts fonctionnaires et des principaux dignitaires de la cour qui étaient chargés d’assister et de conseiller le souverain dans ses différentes affaires. D’autres fonctions, telles l’administration du Trésor impérial, du Palais, des étrangers etc., revenaient à des personnalités qui pouvaient être choisies parmi les esclaves, les étrangers musulmans ou les Princes de sang217. Parmi elles, certaines étaient aussi appelées à siéger dans le grand conseil de l’Empire, que Virginie Baudais décrit comme rassemblant « des hauts fonctionnaires, des anciens respectés pour leur âge et leur expérience et les fils des rois vassaux, otages à la cour218 ». Mais, à côté de cette institution consultative, quelques sources indiquent aussi que cet empire disposait également d’une fonction de Premier ministre, même si peu de détails nous sont donnés quant à son « locataire » et ses prérogatives. Pour nous résumer, l’Empire du Ghana était un « royaume esclavagiste très structuré avec, au sommet, une aristocratie militaire bien étoffée et une société où la division du travail était très poussée puisque composée des clans de forgerons, de tisserands, de cordonniers et de teinturiers219 ».

Le fait le plus saillant de l’histoire impériale ghanéenne concerne bien évidemment la manière dont cet Etat était administré au niveau central. Sorte d’équivalent gouvernemental, le grand conseil du monarque constituait une véritable institution politique de gouvernance. Si sa composition dépendait toujours du souverain, qui disposait généralement aussi du dernier mot, il semble cependant qu’il était le lieu de débats contradictoires sur la plupart des grandes questions. Ainsi, malgré des prérogatives comparables aux « monarchies individuelles », le monarque était alors lié par les différents avis exprimés, mais aussi par un ensemble de règles informelles (coutumes et traditions), du respect desquelles sa légitimité dépendait. La description d’El-Bekri confirme d’ailleurs ces observations ; lors des séances de doléance par exemple, le souverain n’était jamais seul pour répondre à ses sujets, mais toujours entouré par ses conseillers. Le déroulement de ces séances renseigne aussi la nature même du pouvoir ghanéen. Le roi, dit

217 Voir EL-BEKRI, op. cit., 1913, pp. 324-331. http://gallica.bnf.fr, le 21 août 2008.

218 BAUDAIS V., op. cit., 2006, p. 69.

Bekri, écoute les plaintes de ses sujets, et leur rend justice. Nous retrouverons d’ailleurs un peu plus tard des formules similaires d’organisation ; contentons nous simplement de signaler qu’elles recouvrent, dans notre esprit, des finalités identiques aux mécanismes « institutionnels » des otages royaux ou des mariages politiques. En d’autres termes, il semble que ce type particulier de gouvernance témoigne finalement une pleine conscience précoloniale des potentialités conflictuelles inhérentes aux organisations politiques plurales. La domination par un centre lointain de populations unies par le hasard d’une défaite, la capitation administrée, le prélèvement de cohortes valides, etc. constituaient autant de sources de tensions que les souverains « centraux » se devaient de connaître et de prévenir. Ainsi, l’ensemble des pratiques institutionnelles d’inclusion (des royaumes vassaux), d’écoute (des populations éloignées des fastes de la cour) et d’association (des chefs militaires) étaient toutes orientées vers l’encadrement de forces sociales centrifuges. Si, en sus de recouvrir quelques propriétés prophylactiques, ces mécanismes tendaient aussi à encadrer les dérives autocratiques du monarque, leur compréhension peut assurément servir aujourd’hui la connaissance de la gestion des conflits politiques contemporains.

Au plan géopolitique, l’Empire du Ghana eut à gérer (et, finalement, à subir) les ambitions des Almoravides (Sahara occidental) qui contestaient l’hégémonie de leurs voisins du Nord (Maroc) et du Sud (Ghana). Ibn Yasin, chef des Almoravides et réformateur de l’Islam, déclencha ce qui devait rester comme la première Guerre sainte du Soudan220. Ses troupes firent chuter le Maroc au début du XIème siècle, et le Ghana en 1076. Le dernier Empereur ghanéen dut ainsi payer un tribut à Yasin, et embrasser la religion musulmane221. Les Almoravides contrôlèrent la presque totalité des grands axes commerciaux de la bande sahélo-saharienne, pour ne laisser « subsister » que quelques petits royaumes indépendants. La puissance des Almoravides dans la zone Soudanaise ne résista cependant pas à la mort de leur plus charismatique chef, Abou Bekr, dix ans seulement après la chute du Ghana.

Premier Etat véritablement centralisé du Soudan, l’Empire du Ghana inaugura dans la zone, le processus de « détribalisation » et de centralisation qui était appelé à se « répandre » dans l’ensemble du pays. Par un mouvement lent de cristallisation, les Etats et Empires Haoussa, Peul, Kanembou, Bornouan, etc. eurent ainsi à imposer tour à tour leur domination à d’autres ensembles, moins bien organisés qu’eux.

220 Voir STAMM A., Histoire de l’Afrique précoloniale, Paris, PUF, 1997, p. 32.

221 De cet épisode historique, Ibn Khaldoun écrit : « les almoravides « étendirent leur domination sur les nègres (du Ghana), dévastèrent leur territoire et pillèrent leurs biens. Les ayant soumis à la capitation, il leur imposèrent un tribut, et en contraignirent un grand nombre à se faire musulmans », in IBN KHALDOUN, Histoire des Berbères et

des dynasties musulmanes d’Afrique du Nord, trad. De Slane, Paris, Geuthner, 1925-1956, II, p. 115,

http://books.google.fr. Voir aussi DIETERLEN G., SYLLA D., SOUMARE M., L’Empire du Ghana : Le Wagadou