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La politisation des champs soudanais et nigériens

MODALITES DE REGULATION POLITIQUE AU MALI ET AU NIGER

B. Sociogenèse du « renversement » du pouvoir colonial au Soudan occidental

1) La politisation des champs soudanais et nigériens

Dépourvus de tout moyen d’expression politique, les « Africains » allaient, dès le début du XXème siècle, trouver dans les doctrines anticolonialistes les bases de leur résistance future. Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale pourtant, ces mouvements allaient peiner à s’affirmer politiquement, les puissances européennes ayant tôt fait d’a-politiser les sociétés placées dans leurs sphères d’influence : l’ensemble des colonies françaises ne comptaient jusqu’en 1945 qu’un seul député au Parlement français, élu par les seules communes de plein exercice de Gorée, Rufisque, Saint-Louis et Dakar363. La remise en cause d’un ordre hiérarchique des civilisations au sortir de la première Guerre mondiale, allait cependant contraindre les pays européens à mettre en œuvre une série de réformes institutionnelles. La création de conseils généraux, d’assemblées territoriales et de conseils de circonscription (au rôle purement consultatif) fut ainsi pensée de sorte à étouffer les revendications croissantes des premiers nationalismes.

362 OLORUNTIMEHIN B. O., « Le nationalisme africain et le colonialisme, 1919-1935 », in ADU BOAHEN A. (dir.), op. cit., 1989, p. 384.

363 Voir FREMIGACCI J., « L’Etat colonial français, du discours mythique aux réalités (1880-1940) », Matériaux

a) Les aménagements du pouvoir colonial : l’Union française contre la contestation nationaliste

Du 30 janvier au 8 février 1944 s’ouvrait à Brazzaville, capitale des colonies équatoriales françaises, le congrès qui devait déterminer le train des réformes de la nouvelle politique coloniale. Le Ministère des colonies avait préalablement, et catégoriquement, rejeté toute « constitution éventuelle, même lointaine, de « self-governments » dans les colonies364 ». Les recommandations privilégiaient une meilleure intégration des territoires coloniaux, ainsi qu’une plus forte représentation de leurs intérêts politiques au niveau de la métropole. La nouvelle Constitution de 1946 organisait alors le passage de l’empire métropolitain à une union de territoires, dotés chacun d’une représentation politique : l’Union française était « composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité. Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires365 ». Cette Union regroupait la République française, les départements et territoires d’outre-mer, et des territoires et Etats associés. Ses organes en étaient la Présidence, le Haut conseil (qui regroupait une délégation du gouvernement et de représentants de chaque Etats) et l’Assemblée de l’Union (composée paritairement de représentants français et de représentants des DOM, TOM et Etats associés).

L’ouverture politique « concédée » par la France accordait ainsi l’introduction d’une dose représentative, que le « double-collège » (ordonnance du 22 août 1945) venait consacrer366. Désormais, sur les 586 sièges de l’Assemblée, 64 revenaient aux Territoires d’outre-mer, dont 10 pour l’Afrique occidentale française. Chaque territoire avait été préalablement découpé en circonscriptions électorales qui devaient élire un nombre donné de représentants (pour l’AOF : Sénégal-Mauritanie, Soudan-Niger, Côte d’Ivoire et Dahomey-Togo). Après le rejet du premier projet de Constitution et l’invalidation des élections à l’assemblée constituante du 21 octobre 1945, une nouvelle consultation fut organisée le 2 juin 1946. Pour le Soudan-Niger, c’est Fily Dabo Sissoko, un instituteur de Bafoulabé (région malienne de Kayes), qui fut élu au titre du

364 Conférence Africaine Française de Brazzaville, Paris, Ministère des colonies ; cité in DE BENOIST J.-R.,

L’Afrique occidentale française de 1944 à 1960, Dakar, Les Nouvelles Editions Africaines, 1982, p. 25.

365 Préambule de la Constitution de 1946, in RIALS S., Textes constitutionnels français, Paris, PUF, 1996, p. 81.

366 Le premier collège comprend l’ensemble des citoyens français, ainsi que ceux des quatre communes sénégalaises ; le deuxième englobe les sujets indigènes de l’Empire colonial. Il y aura ainsi 4 députés pour représenter 21 000 français expatriés, et 6 députés pour 16 millions d’Africains. « Le double collège repose sur une

distinction entre d’une part les citoyens de plein exercice (Français de métropole, les citoyens des quatre communes de plein exercice et les Africains qui ont obtenu la citoyenneté) et de l’autre les citoyens de statut personnel, inscrits sur les listes électorales à certaines conditions », in BAUDAIS V., op. cit., 2006, note 65, p. 187.

deuxième collège. Après l’adoption définitive du texte fondamental, les premières élections législatives de l’Union française étaient organisées le 10 novembre 1946 :

(i) au Niger, c’est Diori Hamani (le futur Président de la République) qui était appelé à représenter son territoire à Paris, sous l’étiquette de son parti, le Parti progressiste nigérien (PPN) ;

(ii) au Soudan, Mamadou Konaté (Union soudanaise), Fily Dabo Sissoko et Jean Sylvandre (Parti progressiste soudanais, PPS) devaient le rejoindre367.

Au plan local, des conseils généraux avaient été créés sur le modèle des assemblées départementales françaises. Les élections se déroulaient suivant le principe du double-collège électoral, le premier (essentiellement composé d’européens) désignant 10 conseillers dans deux circonscriptions, le second 20 représentants dans huit circonscriptions.

La question de la citoyenneté, volontairement imprécise dans le texte constitutionnel, allait ressurgir au niveau de l’Assemblée nationale et ouvrir la voie à de nouveaux aménagements pour l’administration des territoires associés. Le 25 avril 1946, le député du Sénégal, Lamine Gueye, faisait adopter une loi, soutenu en cela par le groupe de la SFIO, qui accordait à tous les habitants de l’Union la citoyenneté française. Cette loi devait à terme être amenée à étendre le suffrage universel à l’ensemble des territoires français et à effacer des disparités de traitement entre les ensembles. Sur notre zone, cela conduisit par exemple à la remise en cause radicale du régime de l’indigénat et à la suppression des juridictions pénales africaines (30 avril 1946), à l’instauration de la liberté de presse (27 septembre et 21 novembre 1946), de la liberté de réunion (11 avril 1946) et d’association (13 mars et 16 avril 1946) et enfin, à l’initiative de Félix Houphouët-Boigny, à l’abolition définitive du travail forcé (5 avril 1946). Désormais, une vie politique était en mesure d’émerger dans l’ensemble des territoires d’outre-mer de l’Union. La France refusa pourtant toujours d’accorder les mêmes droits politiques aux français de métropole et aux « indigènes », devenus entre temps des « autochtones »368.

367 Mamadou Konaté (1897-1956) était instituteur. Il a créé le syndicat des instituteurs de l’Afrique occidentale française en 1937 et a fondé, avec Modibo Keïta, le Bloc soudanais en 1945, devenu en 1946, l’US-RDA. Leader du PSP, il a été élu pour la première fois député en 1946. En 1956, il devint vice-président de l’Assemblée nationale. Fili Dabo Sissoko, écrivain, a été membre de la première et de la deuxième Assemblée nationale constituante (Soudan). Il a été élu député du Soudan de 1946 à 1958. Il a occupé les fonctions de sous-secrétaire d’Etat à l’industrie et au commerce (5-11 septembre 1948). D’origine martiniquaise, Jean Sylvandre (1896-1960), receveur des douanes et du timbre, a été affecté au Soudan dès 1922. Il a été élu adjoint au maire de Dakar en 1945 et a été élu à la deuxième Assemblée constituante (SFIO) en 1946, avant de fonder le Parti progressiste soudanais. Il a notamment exercé les fonctions de Secrétaire de l’Assemblée de 1946 à 1948, avant de démissionner du groupe socialiste. Partisan de l’Union française, il est élu à l’Assemblée en 1951.

368 « Dès la constitution des premiers conseils de gouvernement, il apparut que les Assemblées territoriales ne se contenteraient

pas d’émettre des vœux que les gouverneurs resteraient libres de satisfaire, pas plus que les conseils de gouvernement ne se borneraient à gérer les administrations dont la direction leur était confiée. La première année d’existence des institutions territoriales démontra combien les préoccupations politiques [l’emportaient] chez les Africains sur les soucis de gestion administrative (…) l’Afrique noire organisa sa démocratie dans le cadre d’une législation d’origine métropolitaine », in

GUILLEMIN P., « La structure des premiers gouvernements locaux en Afrique noire », Revue française de science

En septembre 1946, l’ensemble des députés élus d’Afrique occidentale française devait ainsi tâcher de s’organiser afin de constituer une force politique unique en dehors des organisations métropolitaines existantes. Du 19 au 21 octobre 1946, quelques 800 délégués, représentant la plupart des formations partisanes africaines (parti progressiste soudanais, bloc soudanais, parti démocratique soudanais, parti progressiste nigérien, etc.), se retrouvaient à Bamako. Il s’agissait de discuter les conditions générales de leur représentation (double collège) et de fonder une structure commune à même de porter leur revendication émancipatrice. La création du Rassemblement démocratique africain (RDA) était ainsi pensée de manière à collectiviser les intérêts politiques des territoires et de présenter un front panafricain uni à l’occupant métropolitain. En nombre trop peu suffisant pour créer leur propre groupe parlementaire, les députés du RDA s’alliaient au parti communiste français, qui fut d’ailleurs la seule organisation française représentée lors du rassemblement de Bamako. C’est Félix Houphouët-Boigny qui en devint le Président. Le RDA s’organisait de façon à être présent dans l’ensemble des territoires à travers des sections locales. Au Niger, le Parti progressiste (PPN) devint, sous la conduite conjointe de Diori Hamani et Boubou Hama, le PPN-RDA. Au Mali aussi, l’Union soudanaise fut transformée en une « simple » antenne locale, pour devenir l’US-RDA, avec à sa tête Mamadou Konaté et Modibo Keïta.

Du côté français, l’imminence des élections de 1951 allait encourager le pouvoir à susciter sur le terrain la création d’organisations concurrentes au RDA, et à délivrer des consignes d’intransigeance à ses représentants locaux369. Les résultats ne se firent pas attendre. Les candidats RDA furent partout battus par des partis rivaux, soutenus et financés par la France. Au Niger, le PPN-RDA ne disposait plus d’aucun représentant élu. Il avait dû affronter la concurrence de l’Union indépendante des nigériens et sympathisants (UINS, créée le 31 mai 1948), qui avait su s’attacher les fidélités des chefs traditionnels, et recruter massivement dans l’est du pays, totalement délaissé par le PPN. Au niveau du RDA, l’isolement du parti allait contraindre le comité directeur à décider son apparentement au petit groupe de l’Union démocratique et socialiste de la résistance (UDSR). Cette nouvelle stratégie allait permettre le retour du RDA à l’Assemblée lors des élections de 1952, totalisant sept sièges au Parlement. Néanmoins, le parti n’agrégeait plus la somme des intérêts politiques des territoires d’Outre-mer. De nouveaux groupes se firent jour, notamment les Indépendants d’Outre-mer (IOM) avec

369 « L’administration coloniale s’est employée à faire pression sur les sections locales, suscitant notamment la création

d’organisations rivales, persécutant et faisant arrêter les membres du parti, destituant les fonctionnaires membres du RDA, chefs de quartiers, etc. », in BAUDAIS V., op. cit., 2006, note 65, p. 190. Pour Benoist, « l’intervention administrative pouvait difficilement être niée : les listes électorales avaient été curieusement gonflées dans les circonscriptions où le RDA était moins bien implanté, la distribution des cartes électorales avait été faite de façon arbitraire, des fonctionnaires d’autorité avaient pris part à la campagne. Malgré les efforts déployés à l’Assemblée nationale par Mamadou Konaté, les élections furent néanmoins validées », in DE BENOIST J.-R., op. cit., 1982, p. 190

Senghor pour Président, afin de défendre l’« originalité » culturelle du continent, popularisée peu avant sous le terme de « négritude ». Ce parti militait pour une meilleure représentation des intérêts africains et pour l’instauration d’une République fédérale d’Afrique, l’appartenance à l’Union française restant toutefois pour le moment le cadre privilégié. Progressivement ainsi, les territoires d’Outre-mer s’enrichissaient de nouvelles formations politiques, chaque leader souhaitant voir ses convictions personnelles l’emporter sur toute autre considération d’appareil. Lamine Gueye devait par exemple créer en 1957 le Mouvement socialiste africain (MSA), et Djibo Bakary le Parti socialiste nigérien. Lors des élections territoriales qui se déroulèrent la même année, trois mouvements africains étaient ainsi parvenus à se structurer, chacun rassemblant sous son étiquette plusieurs formations politiques locales. Outre le RDA d’Houphouët-Boigny et le MSA de Gueye, la Convention Africaine (CA) avait elle aussi réussi à présenter des candidats communs à l’Union nigérienne des indépendants et sympathisants (UNIS) de Mamadou Dia et aux Indépendants d’outre-mer de Senghor.

Ces élections marquaient le grand retour du RDA sur la scène politique de l’Union. Parallèlement à la multiplication des partis politiques africains370, les aménagements introduits par la IVe République avaient également entraîné l’émergence de plusieurs syndicats. Rattachés d’abord aux organisations de la métropole, la CGT pour les « Travailleurs d’AOF » (CGTA), et la CFTC pour la Confédération africaine des travailleurs croyants (CATC), ces centrales allaient fusionner en 1957 pour former l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (UGTAN), dont Sékou Touré devenait le premier dirigeant.

b) L’inflation partisane au Soudan et au Niger : les « évolués » contre le pouvoir colonial

Les premières scissions politiques nigériennes intervinrent après la décision en 1950 du Président du RDA, Félix Houphouët-Boigny, de ne plus privilégier l’apparentement avec le PCF, ni avec aucune autre formation métropolitaine. Le PPN-RDA se scinda alors entre les partisans d’Houphouët et ceux qui, comme Djibo Bakary, refusaient de modifier la ligne politique de Bamako. L’Union démocratique nigérienne (UDN) fut alors créée afin de maintenir des liens institutionnels avec les partis français. Du côté de l’UINS, « l’apprentissage de la vie politique, les manœuvres de l’administration coloniale et les rivalités personnelles371 » devaient également entraîner des querelles qui allaient amener à deux scissions. En 1953 d’abord, avec la création de l’Union

370 Création du Parti du regroupement soudanais et du Parti du regroupement africain en 1958 par exemples.

progressiste nigérienne (UPN) et en 1956, avec la naissance du Bloc nigérien d’action (BNA), le premier parti composé exclusivement de « notables ». Ayant dès lors perdu une grande partie de ses soutiens, l’UINS se rapprocha de la Convention Africaine (CA, qui regroupait aussi le RDA), créée pour les élections territoriales de 1957, et devint ainsi le Parti des forces démocratiques (PFD), section CA. Face au rapprochement des deux partis politiques originels, le PPN-RDA et l’UINS, les formations nées des scissions décidèrent elles aussi de s’allier. L’UDN (branche RDA) et le BNA (branche UINS) fusionnèrent en 1956, pour prendre le nom de Sawaba. Comme l’avaient fait quelques années auparavant le RDA et l’UINS, le nouveau parti chercha rapidement une inscription plus globale et s’associa à d’autres organisations de dimension régionale, comme le Mouvement socialiste africain (MSA en 1957), le Parti du regroupement africain (PRA, 1958) et finalement, en 1959, le Parti de la fédération africaine (PFA). Jusqu’à l’indépendance du Niger en 1960, le champ politique demeura quasiment en l’état.

Au Soudan, c’est Modibo Keïta qui créa le premier mouvement de l’Union soudanaise (US) en 1946. Rapidement, le parti s’associa à l’organisation régionale du Rassemblement démocratique africain, pour en devenir, la même année, la section locale. Parallèlement, le Parti progressiste soudanais de Daba Sissoko et Silvandre fut créé avec le soutien de l’administration coloniale. Comme dans la circonscription nigérienne, il s’imposa rapidement comme le parti des chefs coutumiers et des couches rurales, lorsque l’US-RDA revendiquait le soutien des intellectuels et des cadres formés à l’école coloniale. En 1952, le PPS connut sa première fracture. Tidiani Traoré372 quittait le parti, pour créer l’Action progressiste indépendante de défense des intérêts du Soudan (APIDIS). Cette formation allait se rallier, quatre années plus tard, à un autre mouvement politique dissident, emmené par Sylvandre, le Mouvement socialiste de défense des intérêts du Soudan (MSDIS). Ces deux partis fusionnèrent peu de temps après en un Bloc démocratique soudanais (BDS). D’autres formations plus marginales furent aussi créées comme l’Union Marka, la communauté du Yatenga ou l’Union dogon en 1946. A résonance communautaire plus marquée, ces formations constituèrent dans le temps politique soudanais (puis malien) des exceptions, le pays n’ayant que très rarement privilégié des regroupements de ce type. Ce sera d’ailleurs une différence politique majeure entre les champs malien et nigérien sur laquelle nous reviendrons dans le fil de nos développements. La libéralisation politique qui fit suite à la Constitution de 1946 amena aussi d’autres formations à se constituer, comme le Bloc soudanais (BS, 1946) ou le Parti démocratique soudanais (1945). Ces partis décidèrent toutefois de renforcer les rangs de la section locale du RDA lors du congrès fondateur de Bamako en 1946. Ainsi, pendant une décennie, PPS et RDA allaient se disputer la représentation du Soudan dans

372 Tidiani Traoré a notamment occupé les fonctions de ministre de l’Information et de la sécurité dans le gouvernement de la Fédération du Mali en 1959.

les différentes assemblées de l’Union française. La section soudanaise du RDA n’allait définitivement supplanter le parti de Sissoko qu’au moment des élections du 2 janvier 1956, où il obtint 49,5%, contre 36% pour le PSP373. Les consultations électorales qui eurent lieu une année plus tard confirmèrent cette tendance, le PPS ne remportant que deux sièges à l’assemblée territoriale, contre 64 pour l’US-RDA. Malgré ces victoires, l’US-RDA connut plusieurs scissions internes. En 1957, plusieurs personnalités décidèrent de quitter le parti pour fonder, l’une à Kayes, le Rassemblement démocratique soudanais, et l’autre à Bamako, le Front populaire soudanais.

L’affirmation progressive d’un parti véritablement africain, comme le RDA, marquait le très net recul de l’influence française dans ses colonies, et la baisse conséquente des moyens financiers qu’elle était désormais disposée à leur accorder. Aux alliances conservatrices coloniales succédaient désormais plusieurs fronts unis révolutionnaires, dont les principaux leaders allaient parvenir à s’imposer une fois l’indépendance acquise. Les réformes engagées dans les territoires d’outre-mer, après la fin de la deuxième guerre mondiale, emportèrent ainsi des conséquences majeures, dont les plus importantes amenèrent un changement dans les rapports des autorités coutumières avec la nouvelle catégorie éduquée des « évolués374 ». Formés à l’école coloniale ou dans les centres européens, ils profitèrent de l’affaiblissement des autorités traditionnelles pour s’émanciper politiquement. Ce fut l’ouverture du suffrage et l’introduction d’un principe de représentation qui amena finalement ces deux catégories à s’opposer. Lorsque, appuyés par l’autorité coloniale, certains chefs traditionnels tentèrent de faire muter leur légitimité « de coopération » en une légitimité « de représentation », ils se heurtèrent aux intérêts naissants des nouveaux partis, emmenés par la première classe d’hommes politiques du Soudan. La libéralisation politique commandée par les autorités coloniales a ainsi conduit à une nouvelle configuration institutionnelle des rapports entre les acteurs du champ. Aux doubles coalitions « arbitraires » (ou « monocratiques375 ») du pouvoir colonial (C) avec les chefs traditionnels (T) ou les « otages évolués » (E), a succédé une seconde génération, caractérisée cette fois par un changement de prépondérance entre les participants. Aux seuls regroupements CT ou CE – avec T et E en position d’« acteurs subordonnables376 » – les aménagements politiques coloniaux

373 Voir YATTARA E., DIALLO B. S., « Une histoire du Mali », www.histoire-afrique.org, le 21 novembre 2008.

374 Sur cette catégorie et ses rapports avec la population et les autorités traditionnelles, voir par exemple le travail de COULIBALY T., Elites « évoluées » et populations « indigènes » en Côte d’Ivoire pendant la colonisation

(1946-1960) : Les valeurs paradoxales d’une mobilisation politique, Paris, Thèse de doctorat, 1997.

375 Voir les trois types de coalitions présentés par Panebianco (oligarchique, polyarchique et monocratique), in PANEBIANCO A., Political Parties : Organization and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, 318 p.

amenèrent l’introduction de nouveaux « jeux », mettant désormais aux prises les « évolués », seuls ou en coalition, avec l’administration, seule ou en coalition. Les premières élections au Niger et au Soudan amenèrent ainsi deux configurations triadiques nouvelles : « E vs CT » et « ET vs C ». Dans les deux cas, les « évolués » s’opposaient maintenant au pouvoir colonial ; la position variable des chefs traditionnels s’expliquait quant à elle, par la valeur (fluctuante) qu’elle recouvrait pour les deux autres parties. Si elle constituait toujours un élément indispensable pour permettre à l’autorité coloniale de se légitimer et de prévenir une remise en cause du modèle général, son importance pour les « évolués » dépendait en revanche d’un ensemble plus complexe de facteurs. Suivant leur degré de collaboration avec les puissances européennes et le seuil (variable) de tolérance des populations vis-à-vis de ce pouvoir dual (ou mixte), leur importance stratégique à l’égard de E pouvait varier. En d’autres termes, dans les cas où les chefs traditionnels n’avaient pas été trop directement assimilés au « pouvoir blanc », ils conservaient leur influence (politique) auprès des populations, et devenaient alors un « acteur-pivot377 » (i.e. incontournable à la constitution d’une coalition minimale victorieuse378). Dans le cas contraire, ils conservaient leur importance pour le pouvoir colonial, mais devenaient un « élément superflu » pour la victoire des « évolués ».

Nul doute alors que les divergences relatives à l’appréciation collectivement valorisée ou non des chefs traditionnels, amenèrent après les Indépendances des différences de comportements entre les Etats reconnaissant officiellement le rôle des chefferies (Niger) et les autres (Mali). La