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Les révolutions religieuses au début du XIXème siècle

MODALITES DE REGULATION POLITIQUE AU MALI ET AU NIGER

3) Les révolutions religieuses au début du XIXème siècle

Après une période relativement longue de diffusion de l’Islam, par l’enseignement et le commerce, l’ensemble du territoire soudanais connut, à partir du XIXème siècle, une série de mouvements religieux réformateurs qui imposèrent de nouvelles organisations institutionnelles314. Encouragés par l’émiettement des empires, les mouvements djihadistes visaient à placer la religion musulmane au centre des « cadres idéologiques, juridiques et intellectuels de

312 « Les imam, les kadi, le mainin kinendi (conseiller religieux et juridique du maï), le talba (chef de la police et de la

magistrature), le khazin (trésorier) et le wazir (vizir) sont les grands ‘ulama’ qui aident le maï à gouverner selon les préceptes islamiques. Leurs charges sont héréditaires et réservées à quelques grandes familles de lettrés », in KI-ZERBO J., NIANE

D. T. (dirs.), op. cit., 1985, p. 349.

313 La notion de para-souveraineté renvoie à la fonction d’intermédiarité remplie par les big men politiques locaux, entre leur communauté d’origine et l’état central dont ils contestent l’autorité. Voir KLUTE G., « L’ethnographie théorique des conflits ethniques violents », non publié, 5 p.

314 « Les réformateurs commencèrent par prêcher contre le syncrétisme religieux, et contre les actes d’oppression et la

corruption des dirigeants, leurs abus de pouvoir, leur matérialisme et les impôts dont ils écrasaient leurs sujets ; face à cette subversion qui menaçait de ruiner leur autorité, les autorités réagirent en tentant d’étouffer la révolution dans l’œuf, mais les réformateurs considérèrent ces tentatives comme des actes d’impiété et déclarèrent que les territoires des souverains devenaient « pays de guerre » qu’il fallait conquérir et annexer à la communauté musulmane », in ADE AJAYI J. F. (dir.), Histoire

générale de l’Afrique, Tome VI, « L’Afrique au XIXème siècle jusque vers les années 1880 », Paris, Présence

construction de l’Etat315 ». En s’appuyant sur des groupes hétérogènes, composés pour partie d’exilés, les révolutions théocratiques constituaient de véritables mouvements sociaux dont la portée dépassait le cadre des frontières étatiques316. A l’origine de ces projets religieux, on retrouve cependant une composante majoritaire d’éleveurs peuls nomades islamisés, disséminés sur une large bande de la zone sahélienne317. A l’origine des bouleversements culturels parmi les plus importants du Soudan, les Peuls sont parvenus, entre le XIVème et le XIXème siècle, à constituer de puissants ensembles étatiques et à établir une hégémonie politique, seulement perturbée par l’invasion coloniale. Ils furent ainsi politiquement présents dès le XIIème siècle en pays Haoussa, avant de constituer plusieurs théocraties réformistes, comme chez les Djolof (XIVème) ou, plus tard, au Fouta-Toro et au Fouta-Djalon en pays Ashanti (XVIIIème), ainsi qu’au Macina

(XVIIIème)318.

Dans chacune de leurs entreprises, les guerres saintes constituèrent un mode privilégié de renversement des structures existantes et d’établissement d’ordres politiques nouveaux319.

315 M’BOKOLO E., Afrique noire : Histoire et civilisation, Tome II, Paris, Hatier, 2004, p. 45.

316 Pour Coquery-Vidrovitch, ces mouvements ont cristallisé « autour d’une revendication religieuse, les mécontentements

sociaux », in COQUERY-VIDROVITCH C., L’Afrique noire de 1800 à nos jours, Paris, PUF, 2005, p. 14.

317 Voir BAUDAIS V., op. cit., 2006, p. 115.

Puissamment organisés autour d’une aristocratie guerrière et d’une classe de lettrés, les peuls allaient ainsi initier la dernière vague des grandes révolutions institutionnelles avant l’arrivée des troupes coloniales. C’est sur le territoire sénégambien, au Fouta-Toro exactement, que ces conquérants allaient faire débuter, sous le commandement du prédicateur Abdelkader Torodo, le mouvement qui s’étendrait plus tard aux régions enclavées du Soudan. Quatre chefs religieux allaient ainsi prendre la suite de ce réformateur et partager l’espace soudanais en autant de zones d’influence : Ousman Dan Fodio pour toute la partie centrale, Cheikou Amadou dans la partie occidentale, El Hadj Omar Tall en zone mandingue et Samory Touré sur le territoire guinéen actuel.

a) La religion comme modalité de gestion de la pluralité sociétale : le califat de Sokoto

A la fin du XVIIIème siècle, il n’était pas encore question de renverser les cités-Etats, ni les souverains bornouans, mais seulement de former des communautés musulmanes autonomes. Originaire du Gobir, Dan Fodio devait ainsi créer sa propre communauté, à Goudou, d’où il n’allait pas tarder à rallier l’ensemble des éléments en rupture de ban. Il fut sacré Commandeur des Croyants, le même titre dont avait été investi, trois siècles auparavant, l’Askia Mohamed au Songhay. Ce mouvement d’exclusion ou de retrait volontaire de la cité n’est pas récent ; l’hégire mahométane fournissait à ces futurs combattants un précédent glorieux et qui semblait promettre son initiateur aux meilleures destinées. Plus prosaïquement, l’isolement du reste de la cité constituait aussi un préalable indispensable à l’entraînement des troupes djihadistes et à leur concentration en des points décentralisés, clairement identifiés par les différentes « armées » musulmanes. Le reste ne fut qu’une succession d’affrontements qui allaient conduire, de 1804 à 1808, à la soumission progressive de l’ensemble des cités haoussa. La chute de Gassoro, capitale du royaume du Kanem-Bornou et la fuite de la dynastie Sefuwa, devaient parachever l’inexorable avancée des troupes de Dan Fodio au Soudan. La création de Sokoto marquait de son côté l’émergence d’un pouvoir « exclusivement » musulman et le début des premières théocraties islamistes. L’ensemble du monde haoussa fut ainsi entièrement unifié sous le régime califal du Cheik Dan Fodio, l’Umma commandant maintenant tous les aspects de la vie des populations. En lieu et place des anciennes cités haoussa, des émirats, qui reconnaissaient l’autorité du nouvel

319 Pour M’Bokolo, les djihads soudanais ont été « initiés par des éléments peuls qui, au nom de leur devoir religieux,

allaient retourner leur condition sociale et s’imposer comme les maîtres du pays. L’islam de ce fait, apparaissait comme une source féconde de mobilisation et comme un puissant facteur d’intégration, au détriment des religions anciennes liées à un espace et à des groupes limités », in M’BOKOLO E., op. cit., 2004, p. 46.

homme fort, firent leur apparition. Les anciennes élites furent remplacées par des lettrés peuls, dont la charge consistait à veiller à l’application coordonnée de la Charia sur le territoire. Au faîte de sa gloire et auréolé de nombreuses victoires, Dan Fodio choisit pourtant d’abandonner rapidement les charges politiques à son fils et à son frère. Il fit investir son fils, Muhammed Bello, à la tête de Sokoto, avec pour fonction d’administrer toute la partie orientale de ce qui était, jusqu’à peu de temps encore, le territoire haoussa. Quant à son frère, Abdullah, il devint le nouvel émir du Gando et fut chargé de la partie occidentale de la zone. Dan Fodio lègua ainsi un vaste Empire, administrativement divisé en deux régions, auxquelles se rattachaient plusieurs émirats, tributaires de l’une ou l’autre des capitales. Vers les années 1850, date à laquelle la plupart des historiens s’accordent à faire remonter l’apogée de l’Empire, le territoire couvrait une grande partie des Etats actuels du Niger et du Cameroun. Si l’Empereur nommait l’ensemble des émirs, le pouvoir demeurait très largement décentralisé320 (cf. carte infra).

Outre le remplacement des souverains haoussas par des émirs peuls, le rapport à l’autorité exécutive connut de profonds bouleversements. Considéré auparavant comme une personnalité sacrée, le souverain musulman n’apparaissait plus désormais que comme le détenteur temporel d’une autorité conférée par Allah. Fondé sur la pratique constitutionnelle de la religion musulmane, le pouvoir du Calife était supposé transcender l’ensemble des spécificités locales (ethniques, culturelles, etc.) qui divisaient le monde haoussa. Aux échelons inférieurs, les émirs étaient tenus de répondre de leurs actes devant la communauté des croyants, seule juge (ou presque) de leurs actions. Ils étaient ainsi de « simples » primus inter pares, nommés pour leurs qualités religieuses, et sommés de partager le pouvoir avec leurs compagnons d’armes.

L’administration du califat s’organisait autour de plusieurs groupes principaux :

(i) les émirs, qui avaient pour tâche de superviser la perception des recettes. Ils étaient assistés par des « fonctionnaires » nommés par le Khalife, qui étaient chargés d’éviter toute concentration du pouvoir par les « souverains » locaux ;

(ii) les compagnons djihadiste du Khalife, qui pouvaient être amenés à le représenter dans les territoires de l’empire et contrôler l’émancipation des émirats ;

320 « L’unification est toutefois imparfaite du fait des problèmes de communication sur de très longues distances et de la faiblesse

de la coercition militaire. Il n’existe pas d’armée permanente du Califat mais chaque émirat envoie des contingents en cas de besoin. Sokoto détient ainsi l’autorité morale mais la réalité du pouvoir est exercée par les émirs. Les relations entre les émirs sont relativement égalitaires jusqu’au milieu du XIXème siècle, tous étant d’anciens condisciples, mais ils vont ensuite chercher à acquérir davantage d’autonomie et à consolider leurs assises territoriales. Le califat est tributaire des impôts que doivent lui verser les émirats », in BAUDAIS V., op. cit., 2006, p. 118, note 298.

(iii) la famille du fondateur de l’Empire, décédé en 1816, dont les membres pouvaient être désignés à de hautes charges à Sokoto ;

(iv) les chefs des différents clans peuls, et la classe des lettrés, qui occupaient certaines fonctions territoriales dans le califat et conseillaient le souverain. Pourtant, alors qu’ils reprochaient à leurs prédécesseurs leur manque de « pureté » religieuse, « en matière de gouvernement, des conceptions plus proches des valeurs traditionnelles hawsa, de l’exercice du pouvoir et de l’attitude envers l’autorité s’intégrèrent progressivement au système politique321 ».

Parmi les « aménagements » édictés par Dan Fodio, tous étaient pensés de façon à marquer la suprématie de l’ordre religieux sur le pouvoir politique. Au plus haut niveau de l’architecture institutionnelle, Mohammad Bello eut ainsi à partager l’Empire paternel avec son oncle, en lui abandonnant le contrôle de toute la partie occidentale. Ensuite, l’absence de tout décorum entourant le pouvoir exécutif était également investi de lourdes charges symboliques, supposées appuyer encore davantage sur la « temporalité » limitée des souverains. A Sokoto, comme à Birnin-Kebbi – la capitale occidentale de l’Empire –, le souverain ne disposait pas du même pouvoir que ses prédécesseurs haoussa ; la classe des lettrés se chargeait d’édicter et/ou de faire appliquer les règles, le calife n’étant qu’un trait d’union symbolique entre les membres de la communauté islamique. Par ailleurs, la forte décentralisation politique, résultant du découpage territorial de l’empire, accentuait un peu plus le partage de souveraineté entre des zones d’inégale importance. Enfin, le recrutement des différents hauts fonctionnaires à l’intérieur de cinq groupes de l’empire finissait de parachever l’« émiettement » de la structure centrale en micro centres distincts, aux intérêts quelquefois contradictoires. L’Empire de Sokoto réalisait ainsi la cohabitation institutionnelle entre un pouvoir politique « terrestre » et un ordre religieux supérieur, duquel les détenteurs de l’autorité tiraient leur légitimité. L’Islam a alors contribué à remplir la place occupée ailleurs par les conseils, limitant le pouvoir du Prince et soumettant l’ensemble de ses actions au respect d’un dogme idéologique tout-puissant.

A l’intérieur de l’espace soudanais, l’Empire de Sokoto, et avant lui, les Etats du Fouta-Toro et du Fouta-Djalon, contribuèrent à la diffusion des idées révolutionnaires islamiques, dont les peuls du Macina s’inspirèrent pour bouleverser la domination des bambaras

321 ADE AJAYI J. F. (dir.), op. cit., 1997, p. 307. Pour Coquery-Vidrovitch aussi, « l’ordre nouveau va progressivement

s’imprégner de culture Haoussa ; une couche dirigeante, largement peule, mais haoussisée et dont le lien majeur est l’islam, reprend la fiscalité, les prestiges et les signes de celle qu’elle a remplacée ; des ressorts du jihad subsiste pleinement l’orthodoxie, beaucoup moins les thèmes de justice sociale qu’elle nourrissait contre les Princes Haoussa », in

b) Pouvoir temporel et contre-pouvoir religieux : l’Empire peul du Macina

Tributaire du Mali jusqu’en 1494, le Macina fut ensuite placé sous domination songhay, avant que la conquête marocaine ne lui impose l’autorité des pachas de Tombouctou. Enfin, de 1670 à 1818, le « pays » paya un tribut aux bambaras de Ségou.

Jusqu’au XIXème siècle, le Macina était « contrôlé » par la dynastie peule des Dialloubé, qui « persécutaient les musulmans, et pratiquaient couramment le pillage et l’exaction322 ». Constituées de pasteurs nomades, les communautés peules avaient conservé une organisation sociale assez traditionnelle, rendue opérationnelle par un style de vie mouvant. L’unité de base était le clan, même si « la cellule fondamentale de la société ne dépassait guère dix personnes et regroupait en règle générale deux ménages monogames323 ». Pourtant, les pasteurs peuls étaient parvenus à mettre au point une puissante organisation politique, appuyés en cela par une véritable aristocratie guerrière. Au Macina, cette mutation fut précédée par une conversion massive à la religion musulmane. L’islam fut en effet à même de fournir à ces populations des règles nouvelles d’organisation et un heureux prétexte pour secouer la domination Bambara, désormais catégorisée peuple Infidèle. C’est un marabout, Hamadou Bari (devenu, plus tard, Cheikou Amadou), qui fut à l’origine des premiers bouleversements. Il commença d’abord par s’allier au leader réformateur de Sokoto dans sa lutte contre les cités-Etats Haoussas, avant de vaincre les troupes envoyées par Da Koulibaly, le roi bambara de Ségou, en 1810. Après cette victoire, Amadou se fit décerner par Dan Fodio le titre de Cheik en 1818, ainsi qu’une « fatwa324 » l’autorisant à soumettre l’ensemble des populations animistes de la zone. Auto-proclamé indépendant, le Macina se donna un nouveau centre politique, Hamdallaye (qui signifie « Louange à Dieu »), une ancienne cité située au nord-est de Djenné, sur la rive droite du Bani. Après un siège d’une année, la ville de Djenné, pourtant déjà partiellement convertie, finit par rejoindre le giron de Macina en 1819. En 1826, ce fut au tour de Tombouctou, capitale des Pachas marocains et centre militaire du pouvoir Arma, de tomber entre les mains peules. Tour à tour chef religieux et grand « général », Cheikou Amadou s’avéra aussi un bon organisateur politique. Il sût de différentes communautés éparses constituer l’un des royaumes les plus puissants du Soudan occidental.

D’une nature profondément théocratique, l’Etat du Macina s’organisait suivant un modèle centralisé, permettant une application surveillée de la loi islamique. Pour bien marquer son enracinement religieux, ce royaume prit le nom de Dina, signifiant littéralement « foi à l’islam »,

322 LABOURET H., op. cit., 1959, p. 91.

323 KAKE I. B., op. cit., 1977, p. 31.

324 BA A. H., DAGET J., L’Empire Peul du Macina (1818-1853), Abidjan, Les nouvelles éditions africaines, 1984, pp.40-41.

et c’est Cheikou Amadou qui en prit le commandement suprême jusqu’à sa mort en 1844. Aux plans politique et administratif, le Macina s’organisait au niveau central autour de la personne d’Amadou, « Commandeurs des croyants ». Pourtant, le souverain s’entourait aussi d’un organe institutionnel de quarante membres qui était chargé de l’assister et d’élaborer les « projets de gouvernement » : il choisit les quarante membres « qui lui avaient paru les plus objectifs et les plus sages et leur donna pouvoir absolu. Leur assemblée porta le nom de batu mawdo, grand conseil ou madjilis consultatif ». En cas de décès de l’un des quarante membres, son successeur était toujours désigné parmi soixante marabouts, qui composaient les « arbitres spirituels » du Macina. Cette « armée de réserve » bénéficiait de droits comparables aux grands conseillers ; ils étaient entretenus et pouvaient prendre part à certaines discussions juridiques relatives au dogme. Au plan local, le Macina était divisé en cinq régions administratives, dirigées chacune par un gouverneur militaire (cadis), désigné par le « Commandeur des croyants ». Dans l’ensemble du royaume, des cadis étaient chargés de l’application des principes religieux325.

Nous retrouvons ainsi dans ce royaume un système institutionnel élaboré, qui permettait au souverain de garder le contrôle sur la plupart des décisions, mais qui autorisait aussi le contrôle de tout absolutisme. Au niveau de la capitale, Cheikou Amadou semblait suffisamment méfiant à l’égard du pouvoir « temporel » pour s’entourer de dignitaires dont il respectait les avis326. Outre la variable religieuse, le pouvoir était aussi limité par la coexistence des personnalités représentatives des cinq régions du pays. Le souverain « ne pouvait prendre aucune décision sans en avoir référé au grand conseil et sans avoir obtenu l’assentiment de ce dernier327 ». La Dina du Macina était ainsi organisée en plusieurs structures, formelles et informelles (« arbitres »), placées sous l’autorité d’un Commandeur unique, garant du respect du dogme et de la stabilité institutionnelle. Aucune décision ne pouvait être prise sans lui, et il ne pouvait en prendre aucune sans l’assentiment des quarante conseillers désignés par le corps des « arbitres ». Avec la mort de Cheikou Amadou, cette instance parvint à conserver auprès de son fils, Amadou Cheikou, la même influence. Dans les cinq régions du territoire, le haut représentant d’Hamdallaye ne disposait pas non plus de pouvoirs politiques illimités ; si lui seul disposait du pouvoir de représenter le Cheik sur place, les conseils religieux et judiciaires bénéficiaient d’une certaine

325 Le souverain du Macina était parvenu à s’appuyer « sur des forces qui [dépendaient] entièrement de lui et qui [étaient]

directement placées sous son autorité. Il n’[avait] pas seulement le monopole de la peine capitale ; c’est lui qui [nommait] les cadis chargés de rendre la justice dans le pays, et il leur [assurait] le soutien de ses troupes. Il [désignait] tous les détenteurs d’offices et [administrait] directement les villes en se passant des conseils locaux. Il [tranchait] personnellement les querelles villageoises », in AUBIN C., « Croissance économique et violence dans la zone soudanienne, du XVIème au XIXème

siècle », in BAZIN J., TERRAY E. (dirs), Guerres de lignages et guerres d’Etat en Afrique, Paris, Ed. des archives contemporaines, 1982, pp. 470-471.

326 « Cheikou Amadou semble avoir été avant tout un mystique, redoutant les responsabilités du pouvoir. Toutes les décisions

étaient prises par le grand conseil. [Il] n’avait qu’une voix consultative, mais évidemment prépondérante. Il se plaçait d’ailleurs toujours sur le plan spirituel et religieux et veillait à ce qu’aucune décision ne soit prise qui ne fut pas en accord avec la loi musulmane», in BA A. H., DAGET J., op. cit., 1984, note 2, p. 59.

autonomie d’action. Ils pouvaient court-circuiter librement le gouverneur pour s’adresser directement au grand madjilis et prendre position contre lui. Ce principe de fonctionnement permettait au royaume de limiter les risques d’émancipation de l’une ou l’autre des cinq régions, et au pouvoir central de s’assurer que les règles étaient unanimement respectées. Les gouverneurs savaient ainsi devoir compter avec des dignitaires qu’ils n’avaient pas choisis et qui pouvaient, à tout moment, les dénoncer.

De 1853 à l’arrivée des troupes françaises du Colonel Archinard en 1893, le pays connût de profonds bouleversements, qui contribuèrent à le fragiliser et à susciter de nombreuses oppositions. En voulant par exemple renouveler à sa convenance l’ensemble du personnel religieux, le successeur d’Ahmadou Cheikou, Amadou Amadou, allait s’attirer l’ire des plus anciens, qui devaient alors rallier El Hadj Omar lors de sa prise de Djenné en 1862. A partir de cette date, le Macina passa sous domination Toucouleur, Tidjani, le neveu de Tall, en prenant la direction effective.

c) Un djihad de domination contourné par les particularismes soudanais : la confédération toucouleur d’El Hadj Omar Tall

Omar Saïdou Tall est un Toucouleur né en 1797 dans le Fouta-Toro, une région du Nord Sénégal qui bordait la rive gauche du fleuve. Devenu El Hadj après un pèlerinage à la Mecque, il laissa, à sa mort en 1864, un vaste empire, s’étendant sur toute la vallée du Niger, et débordant même en pays Haoussa.

Né dans une famille musulmane, El Hadj Omar rejette rapidement les enseignements de la Kadiriyya, pourtant l’une des plus anciennes confréries d’Afrique noire, pour adhérer au mouvement Tijanique concurrent328. Elevé à la dignité de Khalife de l’Ordre pour l’Afrique noire, El Hadj Omar fut reçu à Sokoto par Mohammad Bello (fils d’Usman Dan Fodio) qui lui donna sa fille en mariage. Il fit ensuite le trajet jusqu’au Macina où le Cheik Amadou lui réserva un accueil chaleureux. Ce fut finalement à Ségou qu’E. H. Omar reçut les premiers signes d’une hostilité qu’il aurait plus tard à combattre. Méfiant à l’endroit d’un prédicateur aussi zélé, le souverain ségovien le fit prisonnier, avant de le relâcher et le sommer de quitter son royaume. El