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Situation des personnes déficientes auditives

STATUS QUAESTIONIS

B. Situation des personnes déficientes auditives

Qu’en était-il de la surdité ? Dès les textes cunéiformes de Sumer, la surdité est associée au mutisme. Le vocabulaire sumérien donnait pour synonyme de « sourd » les mots « bouché », « hébété », « inculte », « stupide ».121 Cependant, à cause de l'invisibilité de leurs différences, les personnes sourdes ont moins souffert d'exclusion sociale au Moyen Âge car elles pouvaient travailler et gagner leur vie. Les auteurs chrétiens médiévaux développèrent le thème de la surdité délibérée : « faire le sourd » constituant une faute morale. Mais la distinction est faite avec le « vrai sourd » auquel il est possible de donner une instruction religieuse depuis saint Jérôme et de permettre un accès progressif aux sacrements. Le développement de l'usage et l'apprentissage de l'écrit a permis d'envisager plus facilement l'instruction des personnes sourdes.122

À partir du XVIIIème siècle, l'image que les élites se faisaient des personnes sourdes a changé. Elles se les imaginaient comme des animaux, comme des sauvages ou comme des arriérés puisque, n'ayant pas de langage, les sourds étaient présumés ne pas pouvoir accéder à la culture. Les personnes sourdes, effectuant des gestes et s'agitant pour s'exprimer, étaient alors suspectées de possession démoniaque. De plus, les penseurs chrétiens de l'époque (les abbés Deschamps ou Buffon par exemple) partaient du principe que, ces personnes ne connaissant et ne pouvant exprimer que des choses concrètes, elles n'avaient pas accès à la dimension métaphysique. Elles ne

120 Cf. Notice sur la Maison des Sœurs aveugles de Saint-Paul, Montmartre, Imprimerie Pilloy,1860, 8 p. Disponible sur :

http://books.google.fr/books/about/Notice_sur_la_maison_des_soeurs_aveugles.html?id=a0 7fVcAOV70C&redir_esc=y Consulté le 18/03/2012.

121 Cf. Aude DE SAINT-LOUP, « Sourds en quête d'identification : traces médiévales », in Henri-Jacques STIKER, Monique VIAL, Catherine BARRAL (dirs.), Handicap et inadaptation.

Fragments pour une histoire : notions et acteurs, Alter, 1996, p. 81. Aude de Saint-Loup est

historienne.

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pouvaient se faire d’idée de Dieu, c'était donc des animaux ou des personnes demi-humaines.123 C'est pourtant à la même époque que les abbés Deschamps, de l'Épée et Sicard ont tant œuvré pour les personnes sourdes, développant un langage des signes.

Le congrès de Milan, qui s'est tenu du 6 au 11 septembre 1880, rassembla 255 délégués : quatre-vingt-douze Italiens, huit Britanniques, cinq Américains, cinquante-six Français. Parmi les Français siégeaient le représentant du ministre de l'Intérieur et de l'Instruction Publique, et des Frères de saint Gabriel, congrégation religieuse qui s'occupait des personnes sourdes. Seules deux personnes sourdes étaient présentes. Le congrès imposa une norme mondiale : les personnes sourdes seraient désormais contraintes de s'exprimer oralement, pour des raisons médicales et religieuses. Au point de vue médical, l’oralisme était censé éviter la tuberculose pulmonaire. Au point de vue religieux, la langue des signes était suspectée d'être « chargée de péché et de gestes suspects, de plaisirs coupables ». L’oralisation obligatoire pour une personne sourde constituait une véritable torture, bien qu’elle permît le développement de l'orthophonie qui est aujourd’hui utilisée pour bien d’autres troubles que ceux liés à la surdité.124

Malgré ce qui paraît aujourd’hui comme des imperfections, le travail conjoint de l’État et des congrégations religieuses après la Révolution française a permis le développement d’activités sociales et a promu l’éducation des personnes aveugles et des personnes sourdes. Elles ne furent plus considérées comme des personnes déficientes mentales, mais reconnues comme éducables et capables de gagner leur vie grâce à un métier. Ces personnes trouvèrent ainsi peu à peu une place dans la société.125 Elles

123 Cf. Jean-René PRESNEAU, « Images du sourd au XVIIIème siècle », in Henri-Jacques STIKER, Monique VIAL, Catherine BARRAL (dirs.), Handicap et inadaptation. Fragments

pour une histoire : notions et acteurs, Alter, 1996, p. 90-100. Jean-René Presneau est

psychologue au Centre Hospitalier Universitaire de Clermont-Ferrand.

124 Jean-Christophe PARISOT, Le handicap, une chance pour l'école, Paris, DDB, (Desclée de Brouwer), 2008, p.147-148.

125 Cf. François BUTON, « Infirmités, indigence et âge. L’éducation des sourds et des aveugles (1789-1815), in André GUESLIN, Henri-Jacques STIKER (dirs.), Handicaps, pauvreté et

exclusion dans la France du XIXème siècle, Paris, Éditions de l'Atelier, 2003, p. 89-90.

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n’étaient plus condamnées à la mendicité et n’étaient plus l'objet par excellence de l'assistance charitable, organisée par l'Église dans un premier temps, puis par la société civile.126

V.L’ÉGLISE FACE A LA MALADIE MENTALE

Enfin, quelles étaient les attitudes de l’Église envers les personnes qualifiées de « folles », « insensées », « crétines », « arriérées », selon le vocabulaire utilisé au fil des époques ? Jusqu’à ce que le concept d’aliénation mentale ne devienne complètement médical, et bien que dès l’Antiquité, des médecins reconnaissent l’existence de véritables pathologies mentales cliniques et proposent des traitements127, celui-ci était lié entre autre aux croyances religieuses et aux valeurs morales : ceux qui en déviaient étaient considérés comme fous. Ces conceptions subsistent encore dans les mentalités malgré le développement de la médecine psychiatrique.128

Au Moyen Âge, le fou était à la fois admis partout et rejeté des villes et des églises. Tant qu’il ne troublait pas l’ordre public, il pouvait circuler librement. « La famille ou la communauté d’habitants (étaient) responsables moralement et juridiquement de leurs fous (…) les fous (étaient) pris en charge tant par charité que par sécurité ».129 Le simple d’esprit était parfois le fétiche du village, explique Philippe Caspar.130 Mais la méfiance restait de rigueur car la folie demeurait une notion qui renvoyait au péché, folie commise à l’encontre de Dieu. D’un point de vue juridique, le droit civil et le droit canonique restreignaient les droits et les devoirs des personnes en distinguant toutefois aliénation mentale, faiblesse d’esprit et fureur.131

126 Cf. NicolasVEYSSET, « Le mendiant infirme au XIXème siècle », in André GUESLIN, Henri-Jacques STIKER (dirs.), Handicaps, pauvreté et exclusion dans la France du XIXème siècle,

Paris, Éditions de l'Atelier, 2003, p. 36, 46. Nicolas Veysset est membre du Centre de Recherches Historiques à l'EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales).

127 Cf. Michel COLLEE, Claude QUETEL, Histoire des maladies mentales, Coll. Que sais-je ? Paris, Presses Universitaires de France, 1987, p. 9-24. Michel Collée est psychanalyste et historien français. Claude Quétel est historien français.

128 Cf. Id., p. 6.

129 Id.,p. 30.

130 Cf. Philippe CASPAR, Le peuple des silencieux. Une histoire de la déficience mentale, op.

cit., p. 73.

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Au XVème siècle, la lèpre disparut progressivement et la folie devint le Mal que la société devait conjurer. C’est à cette époque que se développa la persécution des sorcières. Qui étaient-elles ? Essentiellement des femmes plutôt vieilles et veuves, de villages pauvres, présentant l’un ou l’autre caractère d’étrangeté, connues et craintes des habitants.132 Parfois, des communautés religieuses féminines étaient accusées de sorcellerie.133 Ces femmes, souvent fragilisées psychologiquement par une époque très violente marquée par guerres et famines, devenaient boucs émissaires de la communauté, accusées de causer les malheurs et catastrophes locales. Elles étaient soupçonnées de possession démoniaque, de pactiser avec le Diable. Les mentalités de l’époque, du XVème au XVIIème siècle, étaient très marquées par la hantise du Diable et les superstitions. À terme, un tel climat de peur s’était installé que chacun pouvait être accusé de sorcellerie par une rumeur, un ragot, une lettre anonyme.134 Néanmoins, quelques médecins du XVIème siècle comme Jean Wier135 ou Pompanazzi défendirent les sorcières, plaidant en faveur d’une reconnaissance pathologique de leurs comportements. Un diagnostic de folie posé chez une personne soupçonnée de sorcellerie suffisait à lever la procédure judiciaire engagée à son encontre. Malheureusement, un tel diagnostic était rare. 136 Aujourd’hui, Jean Palou, historien des procès de sorcellerie, estime que, pour ce qui concerne les accusations de sorcellerie dans les couvents, « … cette concentration de personnes souvent fort jeunes aboutit à la création en vase clos de phantasme d’ordre pseudo-mystique ou vraiment démonopathique. Ici, le délire onirique, l’hystérie et une certaine

132 Cf. Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société aux XVIème et XVIIème siècles, Paris,

Imago, 1987, p. 114-115. Robert Muchembled est un professeur d’histoire moderne de l’Université de Paris XIII.

133 Ce fut le cas, pour le Nord de la France, chez les Brigittines de Lille, et dans de nombreux couvents de cisterciennes : à Oisy-le-Verger, à Vivier (près d’Arras), à Sin-le-Noble, à Blendecques. Cf. Alain LOTTIN, « Sorcellerie, possessions diaboliques et crise conventuelle. La « déplorable tragédie » de l’Abbaye du Verger en Artois (1613-1619) », in Histoire des

faits de sorcellerie, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1985, p. 111-116. Alain Lottin

est professeur d’histoire moderne à l’Université de Lille III. Il y eût aussi l’affaire des Ursulines de Loudun accusées avec leur curé Urbain Grandier, par le Cardinal de Richelieu.

134 Cf. Pierre VILLETTE, La sorcellerie et sa répression dans le Nord de la France, Paris, La pensée universelle, 1976, p. 115-156. Pierre Villette était prêtre, enseignant en histoire au Collège Notre-Dame de Grâce à Cambrai.

135 Cf. K. BASCHWITZ, Procès de sorcellerie, coll. Signes des Temps n°21, Paris, Arthaud, 1973, p. 101-105. K. Baschwitz était journaliste et sociologue néerlandais.

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intelligence à attirer sur soi l’intérêt d’autrui ont joué le plus grand rôle ».137

L’abbé Pierre Villette est plus nuancé : il estime qu’il n’est pas possible d’affirmer que les sorcières étaient des névrosées, même si psychologiquement, cela est possible ; il est impossible de le prouver historiquement. Il est toutefois possible de formuler des hypothèses médicales en analysant les écrits des procès de sorcellerie qui nous sont parvenus. Il en ressort que dans un certain nombre de cas, les accusées avaient un profil de malades nerveuses.138

Les théologiens développèrent la démonologie139, se fondant sur des croyances païennes germaniques140. Ils établirent des critères cliniques qui, selon eux, permettaient d’établir de façon certaine un diagnostic de sorcellerie. Selon Roland Villeneuve « … une sorte d’ostracisme (…) s’exerça ainsi à l’égard des débiles mentaux, des dégénérés, des déments ; tous ceux que leur hérédité morbide, leur laideur naturelle, rapprochaient de l’univers fantastique et tératologique volontairement exhibé dans l’Art médiéval. Tous les malheureux marqués par une malformation crânienne, une asymétrie faciale, un infantilisme, un déséquilibre psycho-sexuel ou d’autres stigmates de dégénérescence, avaient de fortes chances de passer pour des amis du Diable ».141 Dans quelle mesure l’Église fut-elle partie prenante de la persécution des sorcières ? Selon P. Séjourné, « les condamnations énergiques de l’Église ne sont pas aussi précises qu’on le désirerait ».142

Néanmoins, il retrace l’évolution historique de la condamnation de la sorcellerie par l’Église au fil des siècles à travers les textes conciliaires, en remontant au Concile d’Elvire (305) jusqu’au XIVème siècle. Unanimement, ces textes reconnaissaient un rôle du démon plus ou moins important dans ces

137 Jean PALOU, La sorcellerie, coll. Que sais-je ? Paris, Presses Universitaires de France, 1960, p. 73. Jean Palou était un historien français.

138 Cf. Pierre VILLETTE, op. cit., p. 250-261.

139 Cf. Robert MUCHEMBLED, Les derniers bûchers. Un village en Flandre et ses sorcières

sous Louis XIV, coll. Histoire, Paris, Ramsay, 1981, p. 12.

140 P. SEJOURNE, article « sorcellerie », in E. AMANN (dir.), Dictionnaire de théologie

catholique, T. 14, 2ème partie, Paris VI, Librairie Letouzey et Ané, 1941, col. 2412.

141 Roland VILLENEUVE, Les procès de sorcellerie, Coll. Bibliothèque historique, Paris, Payot, 1979, p. 23. Roland Villeneuve était essayiste et parapsychologue français, spécialisé dans la démonologie et l'ésotérisme.

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phénomènes dits de sorcellerie et visaient à modérer l’attitude des fidèles par rapport à ces croyances.

Le Corpus Iuris canonici143 excommuniait les magiciens mais cela restait une affaire interne à l’Église.144 À partir du XIVème siècle, des papes promulguèrent des Bulles sur le sujet qui, sans donner de définition dogmatique de la sorcellerie, en faisaient un crime équivalent à l’hérésie, que les inquisiteurs étaient chargés désormais de poursuivre. Le Pape Jean XXII fut l’auteur de Super Illius Specula, puis au XVème siècle Innocent VIII et Sixte V promulguèrent respectivement Summis desiderantes affectibus

(1484) puis Caeli et terrae (5 janvier 1586)145 Le 20 mars 1623, le Pape Grégoire XV dans la Bulle Omnipotentis Dei, condamnait à mort les personnes ayant provoqué la mort d’autrui par voie de magie noire et de maléfice diabolique. S’il n’y avait pas eu mort d’homme, la personne était condamnée à la prison à vie.146 La radicalisation du discours de l’Église catholique147 entraîna le pouvoir étatique dans les dérives meurtrières des procès civils de sorcellerie qui envoyèrent de nombreuses personnes innocentes au bûcher : le délit et sa sanction relevaient désormais du droit canonique et du droit séculier. Toutefois, selon P. Séjourné, les juges ecclésiastiques se montrèrent plus indulgents que les juges séculiers : ils ne recoururent jamais à la torture ni à la peine de mort.148 Néanmoins, Le

marteau des sorcières, (Malleus maleficarum),149 ouvrage rédigé en 1486 suite à la Bulle d’Innocent VIII par deux dominicains inquisiteurs, Henri Institoris et Jacques Sprenger et qui fut largement propagé dans toute la chrétienté, décrit avec beaucoup de précision la procédure inquisitoriale à

143 Décret de Gratien II, XVI, q. V, ch. 12 et Corpus Iuris Canonici C. 26 q. 5 C.6-9.

144 Cf. F. MERZBACHER, article « witchcraft », in New catholic encyclopedia, vol. 14, 1967, New-York, Mc Graw-Hill Book Compagny, p. 978.

145 Cf. Pierre VILLETTE, op. cit., p. 161-165. P. SEJOURNE, op. cit., col. 2404-2405.

146 Cf. F. MERZBACHER, op. cit., p.979.

147 Et de la même manière virulente chez les protestants, inspirés de l’opinion de Luther sur la sorcellerie, qu’il condamnait lui aussi comme hérésie. Cf. Jeffrey Burton RUSSELL, article « witchcraft », in The Encyclopedia of religion, Vol. 15, Mircea Eliade Editor chief, New-York, Mac Millan Publishing Company, 1987, p. 419. Russell est Professeur d’histoire religieuse médiévale, en Californie. Cf. P. SEJOURNE, op. cit., col. 2412.

148 Cf. Id., col. 2413.

149 Cf. Henry INSTITORIS, Jacques SPRENGER, Armand DANET (trad.), Le marteau des

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l’usage des juges laïques, qui furent alors les exécutants des prescriptions inquisitoriales.

Au XVIIème siècle, la société enferma systématiquement ceux qui étaient considérés comme fous : les personnes déficientes mentales, psychiques, les libertins, les prodigues, les blasphémateurs … même si une catégorisation apparut entre « insensés », « fous », « furieux », « innocents », « imbéciles », « idiots », les lieux d’enfermement étaient parfois les mêmes, et tous faisaient l’objet de la même réprobation et condamnation morale.150 L’Église répondit elle aussi par la création de structures d’enfermement : saint Vincent de Paul fonda la Maison Saint-Lazare pour y soigner les fous et les libertins par la prière de la communauté religieuse ; agir ainsi était se conformer au Christ qui avait vécu entouré de démoniaques, de fous, de possédés, lui-même ayant été pris pour un fou. Le fou est donc à l’image de Dieu, sa dignité était dès lors reconnue.151 Saint Jean de Dieu fonda lui aussi des Maisons152 avec comme principe thérapeutique d’obtenir la guérison en établissant la paix dans le cœur du malade. Pour l’époque, les Frères de saint Jean de Dieu étaient à la pointe de la médecine mentale. Le Docteur Philippe Pinel, médecin aliéniste, précurseur de la psychiatrie, les tenait en grande estime pour cette raison.153 Toutefois, dans les institutions d’enfermement, y compris tenues par des religieux, Michel Foucault précisait que « viennent se mêler, non sans conflits souvent, les vieux privilèges de l’Église dans l’assistance aux pauvres et dans les rites de l’hospitalité, et le souci bourgeois de mettre en ordre le monde de la misère ; le désir d’assister et le besoin de réprimer ; le devoir de charité, et la volonté de châtier ». L’enfermement n’avait pas qu’un sens médical mais aussi politique, social, religieux, moral.154

150 Cf. Maurice CAPUL, op. cit., p. 16-17.

151 Cependant, comme en de nombreux établissements de ce type, des abus furent signalés à Saint-Lazare dès le débit du XVIIIème siècle. Par exemple, à l’Hôpital Général de Paris, une punition pour les infirmes épileptiques ou physiques consistait à les placer avec les fous pour leur faire peur. La folie était utilisée comme instrument de terreur pour les autres. Cf. Maurice CAPUL, op. cit., p. 25-28.

152 Dès 1537, en Espagne. Les Frères de Saint Jean de Dieu s’implantèrent en France, en 1601, grâce à Marie de Médicis.

153 Cf. Jean-Marie ROBERT, « Saint Jean de Dieu et les aliénés », in Présences, n°54, 1er

trimestre 1956, p. 71-74.

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Ces quelques flashs sur l’histoire des relations de l’Église avec les personnes handicapées mettent en évidence qu’en dépit des situations d’exclusion ou de persécutions qui se sont produites au cours des siècles passés, l’Église a mené une œuvre loin d’être négligeable dans la prise en compte des personnes handicapées dans les sociétés de chaque époque, en fonction des connaissances scientifiques et du contexte social. On se fera alors une idée moins simple des normes canoniques. Il serait injuste de tenir rigueur à l’Église de toutes les imperfections qui ont pu émailler l’histoire du handicap en contexte chrétien. Cela reviendrait à juger les réalisations d’autrefois à travers les conceptions actuelles.155 C’est l’Église qui a, seule, durant des siècles, assuré l’accueil et l’assistance des personnes handicapées, jusqu’à ce que les autorités laïques, sous l’impulsion des rois, à partir de François Ier, laïcisent progressivement l’aide et l’assistance aux pauvres, et notamment aux personnes handicapées.156 Au XXème siècle, l’action sociale s’est professionnalisée de façon radicale. Les actions menées par de nombreuses congrégations religieuses et par des laïcs chrétiens engagés a fait l’objet de nombreuses critiques et remises en question au cours de cette période. Progressivement, dans la société civile comme dans l’Église, l’approche du handicap et des personnes concernées se déplace de la bienfaisance, teintée de condescendance, vers l’idée d’alliance, de réciprocité. Mais il s’agit d’un cheminement progressif, loin d’être abouti : lors du synode des évêques sur la vocation et la mission des laïcs en 1987, Mgr. Boyle relevait au sujet de la place des laïcs handicapés : « Notre Église a derrière elle une belle tradition de sollicitude vis des autres, spécialement vis-à-vis des personnes handicapées. Et pourtant peu d’entre nous s’intéressent à leurs droits civiques ou ecclésiaux. Des attitudes culturelles, héritées du passé, nous ont souvent séparés des personnes handicapées à l’exception des

155 Cf. Henri BISSONNIER, « Ghettos, asiles ou foyers de vie ? », in Ombres et lumières, n°105, Mars 1994, p. 21-22. Henri Bissonnier, enseignant en école d’éducateurs puis de psychopathologie catéchétique à l’Institut Supérieur de Pastorale Catéchétique (ISPC) à Paris, fut le pionnier de la catéchèse à destination des personnes handicapées.

156 Claude LOSPIED, « Évolution de la législation concernant les handicapés », in Recherches,

conscience chrétienne et handicap, n°25, 1er trimestre 1981, p. 13. À l’époque, Claude Lospied était rédacteur en chef de la revue Faire face, éditée par l’Association des Paralysés de France.

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soins que nous leur donnons au titre de notre charité ».157 Trente ans après, ce discours reste assez d’actualité.

Toutefois, Marie-Hélène Mathieu analyse que les papes de la deuxième moitié du XXème siècle ont contribué à une nouvelle découverte de la valeur de la personne handicapée : ils ont publié plus de textes fondamentaux sur le sujet que par le passé. Ils abordent des thèmes récurrents : le combat contre la maladie et le handicap sous toutes ses formes ; l’importance essentielle du respect de la personne vulnérable, indice de mesure du degré de civilisation ; l’appel à prendre conscience de la dignité et de la richesse de la personne handicapée ; le soutien à apporter aux parents ; la défense des droits des personnes handicapées ; l’incitation à la prise de responsabilité par la personne handicapée elle-même ; l’appel à prendre sa place dans l’Église. Les papes s’adressent désormais directement aux personnes handicapées grâce aux moyens de communication, et celles-ci, par les transports modernes, se rendent plus facilement à Rome pour rencontrer le Saint-Père. Lui-même les aborde personnellement facilement lors de ses