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La situation des centres et locaux de rétention administrative

l’encadrement des mesures d’isolement et de contention, voté en janvier 2016, de son effectivité

4. La situation des centres et locaux de rétention administrative

Au cours de l’année 2016, les visites du CGLPL dans les locaux abritant des étrangers en situation irrégulière se sont pour l’essentiel concentrées sur deux situations atypiques : le centre et les locaux de rétention administrative et la zone d’attente de Mayotte d’une part, le contrôle des mesures prises par le Gouvernement pour faire face à l’afflux de migrants dans la région de Calais et à Paris d’autre part.

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4.1 À Mayotte, territoire placé sous une forte pression migratoire, la tentation de restreindre les droits des migrants apparaît.

Mayotte subit une pression migratoire très forte, principalement en provenance des Comores et, très marginalement, de Madagascar. La gestion de ces flux se déroule dans un contexte difficile avec des infrastructures et des services insuffisants, notamment en matière de transports et de santé, et le développement important et récent d’une insé-curité médiatisée.

L’activité du centre de rétention administrative est marquée par l’importance de ces flux puisque plus de 18 000 personnes ont été reconduites chaque année – dont près de 25 % de mineurs – et dont les passagers de bateaux interceptés en mer forment la moitié. La durée moyenne de leur séjour au centre est de 17 heures. Le centre doit donc organiser les reconduites de manière quasi industrielle et y parvient, malgré quelques difficultés linguistiques. Les conditions d’hébergement sont dignes, les procédures globalement correctes et se déroulent sous la responsabilité d’un encadrement plutôt attentif et respectueux des personnes concernées.

Le dispositif du centre de rétention est complété, en cas d’afflux important de migrants débordant les capacités du centre de rétention, par l’ouverture de trois locaux de rétention administrative, dont deux offrent des conditions d’accueil particulière-ment précaires – l’un n’étant qu’un espace d’attente à claire-voie dans les installations portuaires. La diversité des autorités gérant et utilisant ces locaux fragilise la régularité des procédures mises en œuvre et le respect des droits des personnes qui y sont retenues.

Les difficultés principales concernent la situation des mineurs et leur rattachement à un adulte, même en l’absence de filiation légalement établie. Dans un univers où les liens de parenté ne sont pas vécus comme en métropole et où les documents administratifs ne sont pas toujours fiables, ni même disponibles, il s’agit d’une opération extrêmement délicate. En pratique, même si la loi prévoit une prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance, la mesure la plus fréquemment adoptée consiste à faire repartir les enfants placés en rétention vers leur domicile d’origine présumé au motif que la pauvreté qui y règne serait préférable au risque de mauvaise prise en charge dans une des rares familles d’accueil à Mayotte.

De façon plus préoccupante, des doutes sérieux subsistent sur le bien-fondé du ratta-chement des enfants à l’adulte avec lequel ils sont reconduits. Quels que soient les efforts déployés par l’association en charge de l’assistance aux familles, la rapidité de l’organi-sation des retours ne permet pas, en pratique, de vérifier la pertinence du rattachement de l’enfant à l’adulte qui en est déclaré responsable. Si les services de la préfecture effec-tuent correctement ces vérifications, ils ne le font que lorsqu’ils sont sollicités or, en pratique, ils ne le sont que dans une proportion faible des cas.

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Postérieurement à sa visite sur place, le CGLPL a observé que le projet de loi relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et écono-mique, adopté par l’Assemblée nationale et dont, à la date de rédaction du présent rapport, l’examen par le Sénat était en cours, comportait une disposition susceptible d’introduire, à Mayotte, une disposition discriminatoire.

En effet, depuis le 1er novembre 2016, conformément aux modifications apportées par la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France, le juge des libertés et de la détention intervient dans un délai de 48 heures qui se substitue au délai anté-rieur de cinq jours. Cette évolution est du reste conforme à une demande ancienne et répétée du CGLPL.

Le projet de loi, tel qu’il a été voté par l’Assemblée nationale, comporte une disposi-tion, paradoxale au regard de l’objectif poursuivi d’égalité réelle, qui consiste à restaurer, pour le seul territoire de Mayotte, un délai de cinq jours pour l’intervention du juge des libertés et de la détention. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a alerté le Sénat sur le caractère inopportun de cette disposition qui introduit une inéga-lité de traitement et ne correspond pas à la situation de l’île de Mayotte où le caractère massif des placements en rétention devrait au contraire imposer un meilleur contrôle par l’autorité judiciaire, plutôt qu’une limitation de son rôle.

Il est nécessaire de préserver sur tout le territoire national, y compris à Mayotte, un délai de 48 heures pour la présentation des personnes placées en rétention administrative au juge des libertés et de la détention.

4.2 Les opérations de « mise à l’abri » de migrants installés dans la région de Calais ou à Paris n’ont pas conduit à une forte augmentation des mesures de privation de liberté.

Le CGLPL a procédé au contrôle de l’ensemble des opérations qui se sont déroulées dans la région de Calais et à Paris, à l’automne 2016, pour faire face à l’afflux de migrants.

Dans la région de Calais, le contrôle effectué par le CGLPL a simultanément concerné des services de la police aux frontières, le centre de rétention administrative de Coquelles et des locaux de police provisoires installés pour le démantèlement des campements de la Lande. Ces opérations, manifestement bien préparées et répondant à une attente partagée par les associations et les personnes migrantes elles-mêmes, se sont globalement déroulées dans le calme.

Très peu de procédures de retenue et de rétention ont été conduites à l’encontre de personnes présentes sur le campement. Les contrôleurs ont cependant constaté une augmentation du nombre d’interpellations et de placements en retenue et en rétention de personnes étrangères dans le Calaisis. Dès lors les locaux de privation de

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liberté de la zone ont été sollicités d’une manière plus intense que la normale, mais dans des conditions qui avaient été correctement anticipées. Les seules observations des contrôleurs ont porté sur le fait qu’à de rares exceptions près les documents remis aux personnes retenues n’étaient pas rédigés dans une langue compréhensible par elles, et sur la saturation des locaux du commissariat de police, certes habituelle, mais excessive. En outre, des avocats ont indiqué au CGLPL que lors de du démantèlement du camp de la Lande, ils n’avaient pas pu pénétrer dans la zone dans laquelle se dérou-laient les opérations, ce qui est susceptible de porter atteinte aux droits des personnes étrangères présentes.

En revanche, le CGLPL a appelé l’attention du Gouvernement sur la prise en charge des mineurs, sélectionnés dans les files d’attente sur le fondement de leur apparence, qualifiée de mineurs à la suite d’un entretien dont la technicité paraît incertaine puis hébergés en très grand nombre (environ 1 500) dans un centre d’accueil provisoire créé à leur intention.

À Paris, des contrôleurs ont assisté à l’opération d’évacuation des campements installés dans les dix-huitième et dix-neuvième arrondissements. Aucun local provisoire de privation de liberté n’a mis en place à cette occasion. Aucun contrôle de l’identité et du droit au séjour des personnes concernées n’a été effectué. Aucune interpellation sur ce fondement n’a eu lieu.

4.3 Le nombre des enfants placés en centre de rétention administrative avec leur famille a connu une croissance inquiétante.

Le CGLPL a interrogé le ministre de l’intérieur sur une recrudescence du nombre des placements de familles accompagnées d’enfants mineurs dans les centres de rétention administrative, singulièrement dans ceux de Metz-Queleu et du Mesnil-Amelot. Il a également noté qu’entre 2014 et 2015, le nombre des mineurs placés en rétention admi-nistrative avec leurs parents était passé de 45 à 105, ce qui représente une augmentation supérieure à 133 %.

Le ministre de l’intérieur, rappelant que ces mesures sont conformes à la loi fran-çaise, elle-même conforme aux exigences européennes qui ne prohibent pas l’accompa-gnement d’un étranger retenu par ses enfants mineurs, mais imposent des conditions spécifiques en pareil cas, a indiqué que le principe retenu par ses services pour orga-niser la reconduite de familles est celui de l’assignation à résidence. Il indique que le placement d’une famille en rétention ne peut être justifié simplement par l’insuffisance de ses garanties de représentation et doit répondre à quatre conditions : l’exigence de motivation particulière de placement, en considération d’un manquement aux prescrip-tions de l’assignation à résidence ou d’une soustraction avérée à l’exécution de la mesure

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d’ éloignement ; des exigences spécifiques d’hébergement adapté ; une durée de place-ment la plus brève possible ; la prise en considération de l’intérêt supérieur du mineur dans tous les cas. Il indique enfin que les services de l’État mettent tout en œuvre afin d’éviter au maximum la présence de mineurs dans les lieux de rétention, tout en poursuivant résolument l’objectif d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, y compris lorsqu’ils composent une famille.

Le CGLPL prend acte de cette réponse mais invite le ministre de l’intérieur à faire procéder de manière systématique au contrôle de la situation des familles placées en rétention avec des enfants mineurs par les services d’inspection ou de contrôle dont il dispose, afin de s’assurer que cette mesure n’a pas pour objet exclusif de satisfaire des besoins d’organisation administrative, c’est-à-dire de faciliter l’exécution de l’éloigne-ment. Il rappelle au ministre de l’intérieur que la voie de l’assignation à résidence préa-lable à l’exécution d’une mesure d’éloignement doit être regardée comme une formule de substitution au placement en rétention et non comme la possibilité de prendre des mesures en plus grand nombre ou de faciliter leur exécution.

Le CGLPL s’inquiète en outre de la possibilité, ouverte par un décret n° 2016-1457 du 28 octobre 2016, de placer des familles avec des enfants mineurs dans des locaux de rétention administrative (LRA) spécialement aménagés.

Les visites réalisées par le CGLPL dans des LRA font ressortir que ces lieux demeurent des espaces précaires dans lesquels l’accès aux droits est insuffisamment garanti (en l’absence notamment de l’assistance juridique existante en CRA) et les conditions d’accueil peu respectueuses de la dignité des personnes. Ces constats ont mené le CGLPL à recommander, dans son rapport d’activité pour 2015, que la situation de chaque LRA soit auditée, et que ceux dont l’existence n’est pas strictement indispen-sable soient fermés.

Le CGLPL craint donc fortement que l’accueil de familles dans ces lieux entraîne de graves atteintes aux droits des personnes et contribue à une plus grande opacité de leur parcours et des procédures qui leur sont imposées.

Le CGLPL maintiendra sa vigilance sur l’ensemble de ces questions, en lien avec le réseau associatif.

Le CGLPL rappelle que toute mesure doit être prise pour éviter absolument l’enfermement d’enfants dans des centres de rétention administrative et a fortiori dans des locaux de rétention administrative.

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