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Le régime juridique des fouilles a été étendu de manière excessive et son application est insuffisamment maîtrisée

ne garantit pas une maintenance suffisante pour conserver des conditions d’hébergement dignes

1.3 Le régime juridique des fouilles a été étendu de manière excessive et son application est insuffisamment maîtrisée

L’année 2016 a été également marquée par une évolution du régime juridique des fouilles intégrales. Depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, « les fouilles doivent être justifiées par la présomption de l’infraction ou par des risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues ».

Le CGLPL a, à de nombreuses reprises, souligné à quel point l’entrée de cette dispo-sition dans les pratiques était difficile. Il a fréquemment dénoncé le maintien d’un caractère systématique des fouilles intégrales, l’insuffisance de la motivation des déci-sions de fouille, le caractère vexatoire ou dégradant des modalités de leur réalisation et l’insuffisance du contrôle directorial sur les pratiques observées dans les établissements.

Il a cependant noté, entre 2009 et 2016, une appropriation progressive et une meilleure compréhension de la réglementation. Elles ne sont pas pour autant générales puisqu’en 2016 encore, dans plusieurs des établissements visités, des pratiques abusives ont été soulignées. Dans l’un d’eux, la direction a reconnu des pratiques abusives dans les fouilles de cellules mais ne semble pas pour autant avoir engagé de procédure discipli-naire vis-à-vis des agents, pourtant identifiés et peu nombreux, qui en sont les auteurs.

Dans un autre établissement, deux agents, également identifiés, persistent dans une pratique archaïque, vexatoire et dégradante des fouilles à corps et dans la réalisation de fouilles de cellules brutales et destructrices. Dans un troisième établissement, enfin, la motivation des fouilles intégrales est si large et la population concernée si nombreuse

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que, dans la pratique, c’est la fouille intégrale qui est le principe et l’application de la règle qui devient l’exception.

Sensible à des préoccupations de sécurité, et notamment au nombre important des téléphones portables trouvés en détention, le Gouvernement a souhaité une extension du régime juridique prévu par la loi de 2009. Il a notamment argué du fait que, dès lors que la fouille des personnes détenues est liée aux comportements individuels, les personnes les plus disciplinées, voire les plus fragiles, ne seront jamais fouillées, ce qui les rend vulnérables en raison de la pression que les plus forts exercent sur elles. C’est pourquoi, il a souhaité étendre, par un amendement en cours de débat 1, les motifs de fouille non seulement à des raisons liées au comportement des personnes mais aussi à des risques collectifs portant sur les établissements. À la fouille « pour motif lié à la personne » s’ajouterait donc un régime de fouille « pour risque collectif ».

Inquiète de cette évolution, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a souhaité alerter le Parlement en s’adressant à chacun des membres de la commission mixte paritaire réunie pour examiner le projet devenu l’article 111 de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Elle leur a notamment rappelé que la Cour européenne des droits de l’homme 2 avait condamné la France à l’unanimité, en raison de fouilles corporelles intégrales réalisées à répétition sur une personne détenue, pour violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauve-garde des droits de l’homme qui dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Elle a en conséquence déploré que, sur le fondement du projet présenté au Parlement, il serait désormais possible de recourir aux fouilles intégrales sans qu’il soit nécessaire d’individualiser cette mesure au regard du comportement ou de la personnalité de la personne détenue mais sur le fondement exclusif du lieu dans lequel elle se trouve. Elle a indiqué que, le recours aux fouilles étant d’ores et déjà pratiqué de manière extensive, la mesure proposée consti-tuait un élargissement disproportionné du régime des fouilles et, en conséquence, un recul important des droits fondamentaux des personnes détenues. Elle a enfin souligné que ni la surpopulation dont les pouvoirs publics sont responsables, ni l’introduction illégale de téléphones qui compensent les difficultés d’accès aux équipements légaux, ne sauraient justifier cette restriction des droits fondamentaux.

Le Parlement, considérant qu’il ne s’agissait pas de revenir sur la prohibition des fouilles intégrales systématiques, que les fouilles autorisées par le projet de loi pouvaient être techniquement moins invasives que la fouille intégrale, et que la nécessité d’une motivation spéciale et le respect de la proportionnalité fournissait un cadre juridique conciliant à la fois les droits des détenus et les impératifs de sécurité publique, a adopté

1. C’est-à-dire sans examen préalable par le Conseil d’État.

2. Arrêt El Shennawy contre France, du 20 janvier 2011.

22 Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté – Rapport d’activité 2016

la mesure proposée. Toutefois, n’excluant pas que des abus surviennent, il compte sur ses propres missions de contrôle et celles du CGLPL pour les prévenir ou les empêcher.

L’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 intègre donc désormais la disposition suivante : « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduc-tion au sein de l’établissement pénitentiaire d’objets ou de substances interdits constituant une menace pour la sécurité des personnes et des biens, le chef d’établissement peut égale-ment ordonner des fouilles dans des lieux et pour une période de temps déterminé, indé-pendamment de la personnalité des personnes détenues. Ces fouilles doivent être strictement nécessaires et proportionnées. Elles sont spécialement motivées et font l’objet d’un rapport circonstancié transmis au procureur de la République territorialement compétent et à la direction de l’administration pénitentiaire ».

Comme on pouvait s’y attendre, cette disposition a fait l’objet dans les établissements pénitentiaires de rumeurs allant très au-delà de ce qu’elle autorise. Il a plusieurs fois été expliqué aux membres du CGLPL que la réforme avait rétabli le caractère systématique des fouilles et, à tout le moins, fait disparaître l’obligation de motivation. On ne peut donc que regretter que l’administration ait laissé de telles rumeurs se répandre en négligeant d’adopter des mesures d’application concomitantes avec le vote de la loi.

Plus de quatre mois se sont en effet écoulés entre le vote de la loi du 3 juin 2016 qui a été abusivement mais largement interprétée comme une suppression de toute garantie et l’adoption d’une circulaire d’application, finalement intervenue le 14 octobre1 et qui précise les conditions d’application des dispositions nouvelles.

Soulignons avant tout que la mesure selon laquelle « les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes », qui résulte de la rédaction initiale de la loi de 2009, est applicable au régime des fouilles « pour risque collectif » instauré en juin 2016 comme au régime initial de la fouille « pour motif lié à la personne ». En conséquence, en toute logique, la circulation des téléphones portables en détention, élément essentiel de motivation du régime nouveau, devrait finalement en être exclue dans la mesure où l’on ne peut sérieusement soutenir que ceux-ci ne peuvent être découverts ni par palpation, ni par des moyens de détection électroniques.

C’est donc très opportunément que la circulaire du 14 octobre 2016 précitée rappelle que « les différentes mesures de fouille pratiquées par les personnels pénitentiaires sur la personne des détenus doivent, en vertu de l’article 57 de la loi pénitentiaire, répondent [sic]

à des critères de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité, qu’elles interviennent de manière isolée ou en complément de moyens de détection techniques. » Ce texte présente également le mérite de rappeler les conditions matérielles dans lesquelles se déroulent les fouilles et d’expliciter la prohibition de leur caractère systématique, ainsi que les

prin-1. Note relative au régime juridique encadrant certaines modalités de contrôle des personnes détenues du 14 octobre 2016.

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cipes de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité qui doivent inspirer la décision de procéder à une fouille.

S’agissant de l’interprétation du deuxième alinéa (nouveau) de l’article 57 de la loi pénitentiaire, l’administration rappelle fort opportunément que la loi ne revient ni sur le principe de l’interdiction des fouilles systématiques ni sur la nécessité de respecter les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité.

Cette circulaire précise également les exigences de formalisme propres aux mesures de fouilles non individualisées :

– la nécessité d’une présomption sérieuse et étayée de commission d’une infraction ou de danger fondés sur des suspicions qui peuvent être caractérisées objectivement (par exemple, la forte augmentation du nombre de découvertes d’objets ou de substances prohibés ou dangereux) ;

– la limitation de la mesure dans l’espace et dans le temps, rendue nécessaire par le principe de proportionnalité ; on doit à cet égard souligner que les exemples donnés ne s’étendent jamais au-delà d’une journée ;

– l’exigence d’un rapport motivé et circonstancié au procureur de la République terri-torialement compétent et à la direction de l’administration pénitentiaire.

Même s’il déplore le caractère tardif de cette circulaire qui a favorisé le développe-ment de rumeurs infondées dans les établissedéveloppe-ments pénitentiaires, le CGLPL considère que les restrictions définies par ce texte permettent, en théorie, d’en limiter les consé-quences fâcheuses. Il souligne cependant la nécessité de poursuivre l’effort encore non abouti d’appropriation des dispositions de 2009 par l’administration pénitentiaire en ce qui concerne la motivation des décisions de fouille individuelle et les modalités de leur exécution et de veiller à une interprétation stricte de dispositions nouvelles.

Il faut garantir le caractère exceptionnel du recours aux fouilles intégrales en assurant une formation et un encadrement efficaces de l’ensemble du personnel de l’administration pénitentiaire sur le respect de la motivation et les conditions d’exécution des fouilles. Il est en outre nécessaire de veiller au respect d’une interprétation stricte de l’article 57 alinéa 2 de la loi pénitentiaire par un contrôle étroit des autorités hiérarchiques, des inspections administratives et des autorités judiciaires.

1.4 Les violences semblent se développer

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