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Sidi M’Hamed Ben Abderrahmane, le saint aux deux tombeaux

CONNAISSANCE DE LA ZAOUÏA SIDI M’HAMED

I. Connaissance historique de la zaouïa Sidi M’Hamed

I.1. Sidi M’Hamed Ben Abderrahmane, le saint aux deux tombeaux

Sidi M’Hamed Ben Abderrahmane a joué un rôle prédominant, au siècle dernier, dans la Régence d’Alger. Il est surtout célèbre comme fondateur de l’ordre religieux qui porte son nom, celui des Rahmanïa.

Il serait né dans la tribu kabyle des Aït-Smâïl, au premier quart du XVIIIe siècle. Après avoir commencé son instruction à la Zaouïa du cheikh Si Seddik-ou-Arab, des Aït-Iraten, il se rendit en Égypte vers l’an 1739-1740 (1152 de l’hégire) où il compléta ses études, à la célèbre mosquée du Caire connue sous le nom d’El-Azhar, et c’est à cela qu’il dut son surnom d’El-Azehari.

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C’est alors qu’il se fit affilier à l’ordre des Kholouatia1, et qu’il devint le disciple de prédilection du cheikh Mohammed-ben-Salem-el-Hafnaoui, grand-maître de l’ordre2. Il parcourut ensuite le Soudan, une partie des Indes, le Hedjaz et la Turquie, propageant partout les doctrines de la tarîqa à laquelle il fut initié et essayant de faire du prosélytisme.3

Il reviendra ensuite dans son pays natal vers 1771 (1183 de l’hégire), précédé par sa réputation de saint, illustre par ses miracles, sa science ésotérique et les vertus mystérieuses qu’on attribuait aux disciples de l’école khelouatïa.4

Ses mérites lui attirèrent les fidèles enthousiastes, et bientôt, son village d’Aït-Smaïl devint l’épicentre d’une nouvelle spiritualité autour de laquelle se groupaient toutes les populations indépendantes du Djurdjura et d’où les frères répandaient les principes du maître spirituel que la providence semblait leur avoir donné.

Après avoir posé les assises de sa doctrine dans son pays natal, Ben Abderrahmane vint professer au Djemaâ du Hamma, près d’Alger, où déjà l’avait précédée sa réputation de savant et de Saint faisant des miracles et partout se propageaient autour de lui des nouvelles marques d’adhésion et de sympathie.

La mort vint le surprendre l’an 1793-1794, (1208 de l’hégire) lors de son retour dans son village natal au moment où la confrérie à laquelle il avait donné son nom était en plein développement.

Son corps fut enterré par les khouans des Aït-Smâïl dans son village natal. Les frères de l’ordre qui habitaient Alger, et qui eux aussi avaient été à même d’apprécier la valeur et les mérites du saint, ne purent admettre de voir sa dépouille mortelle reposant loin d’eux dans les montagnes kabyles et hors de portée de la protection qu’ils attendaient d’un saint si influent auprès de Dieu5.

Ils entreprirent alors l’organisation de l’enlèvement du corps et des personnes furent dépêchées pour participer à cette entreprise. La population des villages des Aït-Smâïl fut informée qu’on avait violé le tombeau du saint et que ses précieux restes avaient été enlevés. Ils mettent de suite en cause les khouans d’Alger de l’objet de cette substitution.

1le nom de l’ordre viendrait de son fondateur, Mohammed-el-Khelouati, surnom que l’on pourrait traduire par : « celui qui fréquente les ermitages.» L’ordre des Khelouatya est un des ordres cardinaux (oussoul) de l’Islam, et l’un des plus vénérés dans tout le monde musulman; car il a donné naissance, dans ces pays, à une foule d’ordres secondaires. En dehors des Rahmania algériens, le plus connu des ordres dérivés directement des Khelouatya est, en Égypte, celui des Hafnaouya.

2 Louis Rinn « Marabouts et Khouans », Edition Adolphe Jourdan, Alger, 1884, P 453.

3 Octave Depont, Xavier Coppolani « Les confréries religieuses musulmanes », Edition Adolphe Jourdan, Alger, 1897, P383.

4 Idem, op.cit.

5 Colonel C.Trumelet « L’Algérie légendaire, en Pèlerinage ça et Là, aux tombeaux des principaux thaumaturges de l’Islam » Edition Adolphe Jourdan, Alger, 1892, P341.

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Les frères se rendirent ensembles au tombeau du saint marabout ; et la terre qui recouvrait son corps fut enlevée et quelle fut la surprise des khouans d’Alger quand ils trouvèrent absolument intact le cadavre de Sidi M’Hamed Ben Abderrahmane.

Des deux côtés, on prétendit posséder le vrai corps du Ben Abderrahmane, et les khouans furent assez habiles pour répandre le bruit que Dieu avait fait un miracle, en permettant que le corps du Saint se dédoublât, pour occuper réellement les deux tombeaux6

C’est à cette circonstance de son dédoublement, de sa bi-corporéité, que Sidi El-Hadj M’Hamed Ben Abderrahmane dut son surnom de Bou Quobrine c’est à-dire « l’homme aux

deux Tombeaux ». Le résultat en est qu’aujourd’hui on s’adresse indifféremment aux tombeaux de Sidi M’Hamed Ben Abderrahmane d’Alger et de Djurdjura.

I.2. La tarîqa El Rahmania : Une confrérie naissante aux portes d’Alger.

A la fin du XVIIIe siècle la relation entre le pouvoir Ottoman et la caste maraboutique de la Grande Kabylie est indispensable pour le maintien de l’ordre dans cette région qui n’a pas capitulé face à l’effort de conquête entrepris par les Beys. Elle va être le théâtre de la seule tentative turque s'inscrivant à l'actif d'une véritable « politique religieuse » : la main-mise sur une confrérie naissante, la Rahmania7.

Si-M’hamed Ben Abderrahman-el-Guechtouli-el- Djerdjeri-el-Ahzari, dans son périple qui le conduisit en orient en quête de savoir et d’érudition adhéra à la tarîqa soufie connue sous le nom d’El Khalouatia. Après une absence d’environ trente années, il revient en Algérie suite aux conseils de son maître lui suggérant de continuer sa mission dans son pays natal8. Il y revint instruit des préceptes de la tarîqa dont il était fervent dévot d’une part et de la mission de sa diffusion en Algérie, d’autre part.

Dans un premier temps, il va s’appliquer à diffuser la tarîqa au sein de sa tribu. Ses cours et ses prêches connaîtront un écho très favorable. Rinn louis nous décrit que « Sa popularité s’accrut rapidement, et bientôt il fut, en Kabylie, le chef d’une véritable église nationale, autour de laquelle se groupaient toutes les populations indépendantes du Djurdjura »9.

Après une période d'hostilité, qui fait état d’une fetoua rendue à son encontre par les oulémas d'Alger qui lui témoignèrent une opposition extrêmement vive et s’insurgeaient contre ce pouvoir religieux rival du leur. Ils dénoncèrent même son enseignement comme non conforme

6Louis Rinn « Marabouts et Khouans », Edition Adolphe Jourdan, Alger, 1884, P 456.

7Pierre Boyer « Contribution à l'étude de la politique religieuse des Turcs dans la Régence d'Alger (XVIe-XIXe siècles) » In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°1, 1966. pp. 11-49.

8Louis Rinn « Marabouts et Khouans », Edition Adolphe Jourdan, Alger, 1884, P 453. 9Idem, Op.cit.

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à la sunna, et l’accusèrent de vouloir créer un schisme10. Ils le firent même comparaitre devant un medjelès, (tribunal religieux) pour avoir à expliquer sa prétendue doctrine. Cette démarche fut largement étayée par les hommes du gouvernement turc qui ne pouvaient être que peu sympathiques à cette congrégation naissante, car elle menaçait de grouper, autour de Sidi M’Hamed Ben Abderrahmane les tribus Kabyles des territoires ou s’arrêtaient les limites de l’autorité du Dey. Mais la nouvelle de la mesure qui avait été prise eut pour résultat de provoquer, dans la montagne, des manifestations non équivoques en faveur du saint. Les Turcs jugèrent alors inutile de s’aliéner les populations du Djurdjura, et le medjelès, sous l’empire de ces considérations politiques, rendit une fetoua en faveur de l’orthodoxie de Ben Abderrahmane.

Sidi M’Hamed Ben Abderrahmane vint s'installer alors à Alger ou il professa sa doctrine dans la région connue aujourd’hui sous le nom d’El Hamma, volontairement ou peut être contraint ou forcé11. Le Dey d’Alger lui procura sa protection l’invitant à se rapprocher de son lieu de résidence où il continuerait à mener ses activités dans la sérénité.

Par la suite à cela Sidi M’Hamed mit en place un ordre nouveau celui de la tarîqa Rahmania qui est dérivée dans ses fondements et principe de la tarîqa el Khalouatiya.

Il semble d'ailleurs que ce séjour fut rapidement bénéfique aux intérêts du beylik : les régions de Kabylie favorables au Rahmania annulèrent toute rébellion contre le pouvoir Ottoman12. Or Sidi M’Hamed meurt, alors qu'il venait de retourner aux Aït Smaïl pour visiter ses fidèles locaux. Un problème se posait. Laisser son corps dans une région aussi éloignée d'Alger et si près d'une telle concentration de tribus indépendantes, c'était accepter de voir l'influence de la jeune confrérie se retourner un jour contre l'autorité turque.13

Si l’on fait fit de la légende du dédoublement du corps du saint, nous pourrons supposer que les Turcs montèrent de toutes pièces l'histoire de l'enlèvement du corps aux Aït Smaïl pour créer un sanctuaire Rahmania aux portes d'Alger, plus facile à contrôler que celui de Kabylie. Cette stratégie du transfert du pôle fédérateur des tribus de Kabylie vers Alger, permettait aux Turques de maitriser la confrérie à travers un centre de pèlerinage confrérique naissant, qui drainait, plusieurs fois par an, des foules immenses vers le tombeau d'un saint vénéré et de là

10Louis Rinn « Marabouts et Khouans », Edition Adolphe Jourdan, Alger, 1884, p 454.

11 Deux versions sont rencontrées lors de nos investigations : la première est développée par Laurent Boyer qui met en exergue le fait que le saint aurait pu être contraint à rejoindre Alger pour être plus prés de la surveillance du Dey et la seconde est celle de Louis Rinn pour qui Sidi M’Hamed serait venu à Alger de son plein gré pour continuer son devoir de prosélytisme.

12 Pierre Boyer « Contribution à l'étude de la politique religieuse des Turcs dans la Régence d'Alger (XVIe-XIXe siècles) » In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°1, 1966. pp. 11-49.

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même une main mise sur la région de la Kabylie. Le Dey régnant, Hassan Pacha, s'empressa de faire construire un magnifique mausolée au saint décédé. La magnificence de l’édifice devait marquer la suprématie de la zaouïa d’Alger sur celle des Ait smail14 et marquer le pole spirituel que représentait désormais la zaouïa d’El Hamma.