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CHAPITRE III

RITES ET RITUELS

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Introduction

Ce troisième chapitre est centré sur la notion de rite que nous aborderons à travers son contenu théorique, mettant en relief les distinctions existantes entre rituel canonique consacré par la norme et celui affecté au culte des saints.

Nous esquisserons d’autre part un classement des différents rites qui se déroulent au sein de la zaouïa au Maghreb et qui traduisent les formes de pratique du mysticisme travers la mise en relation de dimensions multiples, temporelles ou atemporelles, notamment les dimensions cosmiques, qui constituent l’essence de l’objet d’étude.

Notre recherche, loin de vouloir se prétendre exhaustive, n’a pour but que de comprendre et de faire émerger les éléments d’immatérialité liés aux différents usages et nous permettre de mieux cerner pour la suite du travail, la symbolique qui entoure les espaces .

Ces rituels s’expriment de façon individuelle ou collective, de manière informelle ou organisée ; dans le cadre de réunions rituelles d’adeptes d’un saint ou d’une confrérie.

Quelque soient l’aspect ou les acteurs de ces manifestations, elles puiseront toutes leurs essences spirituelles dans le rapport qu’entretiennent les adeptes avec une figure de sainteté (qu’elle soit chef de confrérie ou marabout indépendant) et c’est sous cette approche que nous aborderons ce qui suit.

Dans le chapitre qui précéda on a essayé de dégager les principales croyances relatives aux saints musulmans, dans le suivant nous examinerons l’effet de ces croyances sur la conduite de l’homme à l’égard de ses saints. Nous envisagerons les moyens employés pour utiliser la puissance qui leur est attribuée.

I. Rite essai de définition.

I.1. La notion de rite.

Le mot « rite » peut avoir des sens différents selon les contextes dans lesquels il est utilisé mais, en réalité, tous les emplois de la notion se réfèrent plus ou moins à ce qui désigne un comportement social, collectif.1

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Le rite se présente alors comme objet de l’ethnologie qui en développe les différences interculturelles ensuite de la sociologie qui en tentera l’explication des différentes significations à l’intérieur même des cultures étudiées et en rapport avec leurs systèmes respectifs de valeurs.2

Il se révèlera donc, avec toute sa spécificité, dans les coutumes stéréotypées qui ne se justifient pas entièrement par une détermination limitée au monde naturel et qui font intervenir des rapports entre l'homme et le surnaturel. Le rite inscrit donc le réel dans la dimension du surnaturel et lui confère ainsi le caractère dusacré.

Si le surnaturel peut envoyer des signes voire une révélation, il convient aussi de s’adresser à lui à l’aide de signes ritualisés : paroles, gestes, actions, prières, offrandes sacrifices etc. La relation au surnaturel n’est pas simplement passive, elle est également active que ce soit pour s’en protéger ou pour en obtenir aide et secours : il s’agit ici de l’adoration qui n’est pas une simple vénération mais une adresse dont les modalités peuvent varier : soit accessible à tout fidèle, soit réservée à certains intermédiaires incontournables qui se voient investis ainsi d’un pouvoir sur la communauté dont l’organisation religieuse va alors s’institutionnaliser.

Rites magiques et rites religieux en sont ainsi les exemples les plus éclairants. La sociologie française du rite en désigne ainsi une première fonction, celle d’une répétition collective commémorative du mythe de la religion.

Il s’établit alors un consensus quant à la définition du religieux par la mémoire du passé 3et que le rite qui est en quelque sorte l’outil de mémorisation, répondrait à une motivation collective de préservation de ce passé et des valeurs qui s’y rattachent qui conduisent à participer directement avec le monde sacré,

Ainsi les rites deviennent ils des garants de l’immortalité des religions qui les fondent. Pour cela, ils sont soumis à la règle de la répétition qui, de par leur contenu et leur fondement, les verse dans le monde de la tradition4 même si leur pérennité est largement indépendante de la persistance du contenu ou de l’authenticité des croyances.

La variété des rites est infinie : rites d’intégration, d’initiation de purification, d’invocation etc, et leurs expressions sont tout aussi nombreuses.

2 Noureddine Toualbi « Religions, rites et mutations. Psychologie du sacré en Algérie », ENAL, Alger, 1984, P11. 3R.Bastide « Sociologie des mutations religieuses », PUF, Paris1970 ; cité par N.Toualbi, op.cit.

4 Bastandji Siham « Rites thérapeutiques et bien-être spirituel. Ancrages et résurgences. Pour un projet urbain de tourisme pèlerin », Thèse de doctorat, p135.

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I.2. La notion de rite en Islam.

Le terme usité en Islam pour désigner le rite est ibâda pluriel ibâdât, qui signifie le service de Dieu, expression qu’on on peut traduire aussi par obéissance. Ces termes sont expressifs, ils mettent en exergue le fait qu’il ne s’agit pas seulement de service religieux au sens de la liturgie chrétienne. Ibada est tiré de la racine abd qui désigne la relation de servitude, un esclave se dit abd. Pour traduire exactement ibâda il faut une périphrase qui le désigne comme acte par lequel homme reconnaît le lien de servitude qui le lie à Dieu.5

Pour les musulmans les rites ou du moins les bons rites qui distinguent les croyants des infidèles sont d’institution divine.

L’histoire de l’humanité est celle d’une succession de Prophètes qui d’Adam à Mohomed(QSSL) ont révélé des lois de plus en plus parfaites. Mohomed le sceau des Prophètes(QSSL) a apporté une loi définitive qui vaut pour toute l’humanité et qui prescrit les rites qui s’imposent tous.

Les rites en Islam sont donc des actes prescrits dans la loi divine par lesquels l’homme exprime sa soumission à Dieu. Elles doivent se référer donc à des sources du droit islamique dont les plus importantes sont au nombre de trois6.

Les deux premières qui appartiennent la catégorie des textes (nass pluriel nussûs) ont une valeur contraignante dans toutes les écoles de droit théologique, ce sont :

- le Coran qui consigne la révélation divine.

- les Traditions hadîth qui rapportent travers une chaîne de témoins authentifiés les paroles et les actes exemplaires du Prophète.

Quand ces sources sont muettes ou insuffisamment explicites il faut faire appel au consensus Idjmaa des savants à une époque donnée.

Les rites musulmans s’inscrivent ainsi obligatoirement dans l’orthodoxie, et les plus importants sont les cinq piliers de l’Islam. :

- la shahada dans sa double acception de témoignage de foi et de martyr ; - la prière représentée par l’institution qui la contient, la mosquée ;

- la zakat ou une forme d’offrande prélevée dans les biens matériels des individus ;

- le jeûne réglementaire représenté par Ramadan, mois sacré et occasion rituelle et festive ; - le pèlerinage aux lieux saints de l’Islam polarisé par la Mecque. (fig1)

5 Marc Gaborieau « Le Culte des saints musulmans en tant que rituel : controverses juridiques » In: Archives des sciences sociales des religions. N. 85, 1994. pp. 85-98.

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Figure 1 : sources et expressions des rites canoniques

I.3. Le culte des saints, un rite de liberté.

L’admission officielle du mysticisme a fait accepter aussi bien les rites soufies des confréries que la croyance aux saints, « amis d’Allah » et intercesseurs auprès de lui, la reconnaissance de ces derniers n’est due à aucune autorité ecclésiastique mais se fait par suffrage populaire. Les modalités des actes rituels du musulman à l’égard des saints et les diverses pratiques cultuelles que devraient accomplir vis-à-vis d’eux les fideles isolés ainsi que les confréries organisées, ne sont alors proposées par aucun théologien ni aucune école de juristes et ne sont donc pas pris en charge par une partie officielle.

La conséquence est que contrairement au rituel orthodoxe de l’Islam, fixé dans ses lignes essentielles au IIe et au IIIe siècle de l’hégire, le culte des saints n’a pas été déterminé suivant des règles canoniques élaborées par des docteurs musulmans, règles qui sont pour toute la législation islamique toujours tirées des sources fondamentales : Le Coran et le Hadith. Remarquons encore qu’a la différence de ce qui se passe pour le culte islamique orthodoxe dans lequel, y compris l’oraison salat qui en est le rite principal, tout s’exprime par des actes de soumission, dans le rapport qui s’établie avec les saints, l’acte de soumission du fidèle n’existe guère .Il s’agit de rechercher les faveurs des saints, par des sollicitations qui expriment le désir de faire affluer en soi la puissance qu’on leur prête par une gestuelle appropriée.

Les rites d’un tel culte, sont alors laissés à l’appréciation des fidèles qui ont la liberté de choix des moyens pour faire jouer à leur profit l’influence bienfaisante des saints et leur intercession auprès d’Allah , puisant dans le répertoire traditionnel des usages magico-religieux. A partir de cette constatation, il apparait normal que le peuple ait fait du culte des saints un espace de liberté. Nonobstant aux rites obligés de la norme, la population lorsqu’elle

Rites en islam

Les sources Les expressions

- Le Coran - Le Hadith - Le consensus - La shahada - La prière - zakat - Siam(le jeune) - Le pèlerinage

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se tourne vers les saints, retrouve toutes les formes anciennes de sa propre approche du sacré jusqu’au plus extravagantes.

L’Islam religion universelle ne répond pas toujours au besoin plus immédiat d’appartenir aussi à une communauté humaine restreinte et particulière. Le culte des saints correspondra de ce fait à la reconnaissance des identités et des particularités communautaires.

Le rite devient alors le symbole de la libre expression religieuse et le conservatoire des traditions ancestrales .Si la prière à la mosquée reflète l’unité et l’uniformité du monde musulman, il reflètera pour sa part, toute la diversité des cultures qui le composent.

Le saint en y enseignant, en y accomplissant un miracle, en y mourant, élit un lieu et distingue ses habitants de tous les autres .Il est le ciment d’une communauté qui se reconnait en lui et dont il protège les coutumes.

On aura une idée de la conception des savants modernes en ce qui concerne le sujet des rites consacré aux saints en citant Al Kittani7 dans son ouvrage Salouat el Al Anfas8 « il est bien établi pour les hommes d’intelligence et d’expérience, que le pèlerinage au tombeau des Saints est recherché pour obtenir la Baraka, car la baraka des saints continue après leurs mort comme de leur vivant…. Les tombeaux des saints ne cesseront d’être une source de baraka .ceux qui leur rendent visite et qui s’adressent au saint n’auront que du bien et en rapporteront une récompense .Ils en recevront l’évidente manifestation et l’annonce éclatante. »

Figure 2 : la diversité des sources d’expression de l’Islam.

7Mohammed Ibn Jaafar Ibn Idris al-Kittani, né en 1858 à Fès et mort en 1927 .C’était un savant et théologien marocain du 19ème siècle. Son livre le plus connu est le fameux « Salwa al-Anfas ».

8 « Salaouat el Anfas » Tome.I, Edition de Fès, p15. Cité par A. Bell, « L’Islam mystique »in Revue Africaine, vol.69, Edition Adolphe Jourdan, Alger, 1928, P102.

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