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PARTIE I : LES CONSTRUCTIONS CONCEPTUELLES ET THEORIQUES

Chapitre 3 : Sexe, genre et culture

1. Du sexe au genre

Les notions de sexe et de genre posent en d’autres termes la question du débat entre les notions de nature et de culture. La grande question ici est celle de savoir si l’identité sexuée est une donnée biologique ou une construction sociale ? Si pour Mead (1934) l’identité sexuée est une construction sociale, Héritier (1996) quant à elle ne nie pas l’existence matérielle des deux sexes. Il est question de partir selon Héritier (1996, p. 23) :

« véritablement du biologique pour expliquer comment se sont mis en place aussi bien des institutions sociales que des systèmes de représentation et de pensée, mais en posant en pétition de principe que ce donné biologique, réduit à ses composantes essentielles et irréductibles, ne peut pas avoir une seule et unique traduction, et que toutes les combinaisons logiquement possibles dans les deux sens du terme - mathématiques, pensables -, ont été explorées et réalisées par les hommes ».

49 matériel de l’identité sexuée est admise, c’est bien la construction sociale qui crée les inégalités et non la nature qui les porte en son sein. Pfefferkorn (2012, p.18) va même plus loin, lorsqu’ en reprenant Nicole-Claude Mathieu il énonce que : « les sexes ne sont pas de simples catégories bio sociales, mais des classes (au sens marxien) constituées par et dans le rapport de pouvoir des hommes sur les femmes, qui est l’axe même de la définition du genre (et de sa précédente sur le sexe) : le genre construit le sexe ».

La notion de genre est venue tout d’abord compléter la notion de sexe qui ne désignait seulement que le sexe dans son existence matérielle. Mais très vite le concept de genre va connaître une importante élaboration théorique et une diffusion internationale en fonction des pays, des langues et des disciplines. En sciences humaines et sociales, les analyses en termes de genre se sont très rapidement imposées, particulièrement en sociologie, en anthropologie, en psychologie et en histoire. Il s’est même formé une discipline à part entière sous le nom de « gender studies » très implantés dans les pays anglo-saxons. C’est à Oakley (1972) que nous devons en effet la première définition du concept de genre comme désignant le sexe social. Pour Hurtig et Pichevin (1985), le genre est tout ce qui n’est pas biologique, c’est -à- dire : les attitudes, les comportements, les rôles de sexes, les attributs psychologiques (comme les processus d’attribution causale), mais aussi les caractéristiques prescrites à l’un et l’autre sexe qui sont des indicateurs des rapports de pouvoir.

1.2. Le genre comme rapport de pouvoir.

Pfefferkorn (2012, p.65) définit le genre comme : « un système de signes et de symboles qui inscrivent une relation de pouvoir et de hiérarchie entre les sexes ». Ainsi, la catégorisation puis la hiérarchisation ne saurait s’expliquer en dehors du pouvoir qui est le principe fondateur de la constitution des notions comme le sexe ou la race, qui seront ensuite naturalisées pour justifier ou non la nature de la domination sociale. Il y a ici l’idée selon laquelle les rapports entre les hommes et les femmes sont des rapports de pouvoir et de ce fait permet de penser la hiérarchie sociale entre les hommes et les femmes. À travers deux approches basées sur la division sexuelle du travail et sur la sexualité, Tabet (1998) montre comment la division sexuelle du travail et l’accès différencié des hommes et des femmes aux ressources concourent à la hiérarchisation sociale entre les hommes et les femmes. Cette différenciation a selon Tabet (1998) des conséquences sur les autres aspects du genre comme les attitudes, les vêtements, les inégalités d’accès aux ressources matérielles et mentales etc. À côté de ces aspects du genre, des auteurs (Mosse, 1996 ; Fassin, 2004) soulignent que les

50 rapports de pouvoir s’expriment aussi dans le langage du genre. Une métaphore féminine sera fréquemment utilisée dans le but d’inférioriser un homme, une femme, voire un groupe social ou une nation. En revanche pour marquer la supériorité on aura davantage recours à des métaphores viriles. Lors des débats politiques français de la fin du XIXème siècle, les républicains « féminisaient » le peuple afin de pouvoir l’inférioriser alors que les socialistes le « virilisaient » pour le magnifier (Fassin, 2004).

Les rapports sociaux de sexes se traduisent aussi par une sorte d’asymétrie issue de la catégorisation à laquelle s’ajoute une valence différentielle couplée d’une hiérarchisation. Du point de vue cognitif par exemple, l’appartenance sexuée d’une femme est plus flagrante que l’appartenance sexuée d’un homme (Hurtig & Pichevin, 1986). La description d’une femme commence par l’appartenance au sexe féminin contrairement aux hommes qui sont perçus comme des individus et pas comme appartenant à un groupe. Le sexe masculin dans les perceptions a valeur de référence alors que le sexe féminin est une variante ou une déviance (Hurtig & Pichevin, 1986). Si l’on compare l’homme à la femme, il y a plus de différences entre eux deux que si l’on compare la femme à l’homme. En d’autres termes, la femme a plus de points communs avec l’homme, que l’homme n’en a avec la femme (Gandon, 2010). Des auteurs (Clémence, Lorenzi-Cioldi & Deschamps, 1998 ; Lorenzi-Cioldi, 2009), montrent dans leurs travaux que les dominants sont perçus comme des individus et les dominés comme membres d’un groupe. Les dominés sont des entités interchangeables. Lorenzi-Cioldi (2002) parle de « groupe collection » pour les groupes dominants et de « groupe agrégat » pour les groupes dominés. Le groupe dominant, la « collection », est un ensemble de personnes ayant chacune sa propre spécificité. Les membres de ce groupe se présentent et sont traités comme des exemplaires spécifiques du groupe. Chaque membre du groupe conçoit son appartenance comme volontaire, dérivée et accessoire. Le groupe cumule les caractéristiques de ses membres en les juxtaposant et sa cohérence provient de la complémentarité de ses membres. Le groupe dominé, l’ « agrégat », est un ensemble de personnes plus indifférenciées les unes des autres. Les membres de ce groupe se présentent et sont traités comme des personnes interchangeables. Ici, le groupe entretient une relation d’antériorité avec les personnes et est doté d’une réalité unique en son genre. Le groupe fusionne les caractéristiques de ses membres dans un tout cohérent et homogène. La personnalité d’un membre du groupe apparaît comme une extension des attributs du groupe qui engendre une cohérence par similitude (Lorenzi-Cioldi, 2002). Il y a une asymétrie entre les hommes et les femmes qui se traduisent par une domination des hommes sur les femmes. Il s’agit non seulement d’une domination considérée comme naturelle, mais aussi comme idéologique, et révélatrice des

51 stéréotypes de sexe et de la position des femmes dans la sphère publique.