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PARTIE I : LES CONSTRUCTIONS CONCEPTUELLES ET THEORIQUES

Chapitre 5 : Problématique et hypothèses

1. Problématique

Les données émanant de diverses institutions du système des Nations unies concordent pour établir la faible participation des femmes dans les instances officielles de prise de décisions (Union Interparlementaire –U.I, 2015). Les Nations-Unies vont d’ailleurs faire de la question de la participation des femmes aux instances de décisions un élément important non seulement d’évaluation du niveau de démocratie et de développement des pays, mais aussi un des objectifs du millénaire pour le développement. Autrement dit, les pays développés comme la France sont autant concernés par cette problématique que ceux qui sont en voie de développement comme le Cameroun. D’ailleurs, les statistiques semblent très frappantes quand on compare le taux des femmes dans les différentes instances électives de ces deux pays. Pour la dernière élection législative de 2012 en France, la proportion des femmes élues atteint 26,2% pour un effectif total de 151 femmes élues sur 577 sièges (Union Interparlementaire –U.I, 2015). Au Cameroun, le pourcentage des femmes élues à l’Assemblée Nationale est de 31,1% soit un effectif de 56 députés sur 180 sièges (Union Interparlementaire –U.I, 2014). On peut remarquer en considérant le nombre de siège total disponible pour les deux pays précédemment cités que les différences ne sont pas très grandes.

Pourtant les femmes au Cameroun comme en France sont loin d’être une minorité. Elles représentent une force démographique, politique et économique considérable, mais qui paradoxalement est une force sans pouvoir, située en marge de la politique. Malgré un grand nombre d’action, de décision et de résolution prises tant au niveau national que supranational, le problème semble rester intact. Même si en France par exemple au cours des dernières législatives 2012, le nombre des femmes à l’Assemblée Nationale a augmenté de 48 places, on peut néanmoins constater qu’elles se retrouvent loin derrière des pays comme la Suède ou le Rwanda (Union Interparlementaire, 2012). Dans l’ensemble, les inégalités dans les instances de décisions politique ou publique restent importantes entre hommes et femmes. Or, une démocratie forte et dynamique n’est possible que lorsque le parlement par exemple, reflète totalement la population qu’il représente. Il existe un lien fondamental entre démocratie d’une part et partenariat véritable entre hommes et femmes dans la gestion de la chose publique d’autre part.

73 parlement démocratique reflète les vues et les intérêts de la société dont il est issu, et il s’en inspire pour façonner l’avenir social, économique et politique de la collectivité. Lorsque les femmes sont associées à tous les aspects de la vie politique, y compris en tant que parlementaires, la société est plus équitable et la démocratie s’en trouve renforcée et rehaussée. De plus, comme le souligne Sarnin, Vignet et Chappert (2015), prendre en compte le genre pour analyser un tel problème, permet aux acteurs concernés d’ouvrir le champ des hypothèses possibles, de révéler des dysfonctionnements et de remonter aux causes structurelles. Depuis la première Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes, tenue à Mexico en 1975, la communauté internationale accorde une grande attention à la représentation des femmes dans les instances de décision politique, et à leur impact sur la prise de décision. Toutefois, malgré cet intérêt de la communauté internationale, l’entrée des femmes dans les instances de décisions a été très lente. En 1975, les femmes occupaient 10,9% des sièges parlementaires dans le monde. Après plus de 30 ans, les femmes occupent, en 2013, 21,8% des Assemblées parlementaires dans le monde (Union Interparlementaire, 2014).

L’inclusion des femmes dans la prise de décision politique, n’est pas seulement une question du droit des femmes à l’égalité et à la participation à la chose publique. C’est aussi l’utilisation par les femmes des instruments politiques pour déterminer des priorités politiques et des axes de développement bénéfiques pour la société et la communauté mondiale. En d’autres termes, il ne s’agit pas seulement d’une question de droit, mais aussi de résultats. En parlant justement de droit, plusieurs lois et résolutions ont été votées et mises en place.

Au niveau des Nations Unies on peut citer entre autres:

- La Convention sur 1’é1imination de toutes les formes de discrimination à 1’égard des femmes qui a été adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Elle est entrée en vigueur en tant que traité international le 3 septembre 1981 après avoir été ratifié par 20 pays. Dix ans après son adoption, en 1989, c'est presque une centaine de pays qui se sont engagés à respecter ses clauses ;

- Le troisième OMD (Objectif du Millénaire pour le Développement) a été consacré à la promotion de l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes. Selon l’ONU, l’égalité des sexes, qui est inscrite dans les droits de l’homme, est au cœur de la réalisation des OMD. Sans cette égalité, il sera impossible de vaincre la faim, la pauvreté, la maladie dans plusieurs pays du monde. Donner aux femmes la possibilité d’intervenir dans les décisions des instances les plus élevées de leur gouvernement, c’est leur donner la clef de leur autonomie ;

74 coseil de sécurité en octobre 2000. Le conseil de sécurité à travers cette résolution exhorte les États Membres à accroître la représentation des femmes à tous les niveaux de prise de décision pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits. Il exhorte également le Secrétaire général à nommer plus de femmes en tant que ses représentantes et envoyées spéciaux, et d'élargir le rôle des femmes et leur contribution dans les opérations de l'ONU sur le terrain.

Au plan national, les Etats ont également mis en place des lois qui visent à lutter contre toutes formes de discrimination à l’égard des femmes et accroitre leur participation à la vie publique. Ainsi, en France depuis 1850, un certain nombre de lois ont été mis en place pour favoriser la parité hommes-femmes (Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles – CNIDFF, 2016). C’est le cas par exemple :

- En 1907, les femmes mariées peuvent disposer librement de leur salaire ; - En 1944, les femmes obtiennent le droit de vote et l'éligibilité ;

- En 1946, le préambule de la Constitution pose le principe de l'égalité des droits entre hommes et femmes ;

- En 1972, le principe de l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour les travaux de valeur égale est retenu ;

- Plus récemment, les lois du 6 juin 2000, du 10 juillet 2000, du 11 avril 2003, du 31 janvier 2007 et du 28 février 2008 tendent à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

-La loi de janvier 2014 sur l’égalité professionnelle ;

- la dernière loi sur la parité appliquée en 2015 pour les élections départementales et régionales.

De son côté le Cameroun, en plus des chartes, conventions et résolutions des Nations Unies auxquelles il a adhéré, a pris un certain nombre de décisions notamment juridiques pour favoriser la participation des femmes à la vie publique (Kouam, 2014). Par exemple :

- En 1945 les femmes camerounaises obtiennent le droit de voter et de se faire élire ;

- Le 24 août 1994, le Cameroun ratifie la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Il s’est ainsi engagé à aménager un cadre légal interne qui facilite la pleine et complète jouissance des droits fondamentaux des femmes ;

- Le 29 mai 2009 l’Etat du Cameroun ratifie le protocole additionnel de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits des femmes. Pour le rendre applicable, l’Etat du Cameroun, s’est engagé à entreprendre des actions positives spécifiques. L’une d’entre elles par exemple vise à promouvoir la gouvernance participative et la participation

75 paritaire des femmes dans la vie politique de leurs pays, à travers une action affirmative et une législation nationale et d’autres mesures ;

- La loi de 2012 portant code électoral, prescrit la prise en compte du facteur genre dans le processus électoral.

Cet aperçu des lois, règlementations et résolutions tant au niveau national que supranational montre qu’il existe un grand nombre de textes visant à favoriser la participation des femmes à la vie publique. Cependant, l’observation sur le terrain, montre que les avancées sont très peu sensibles. Comme le dit Kouabenan en parlant de la perception des risques dans le domaine de la circulation routière, et repris par Ngueutsa (2012), la législation est utile, mais n’a que des résultats limités. Il en va de même dans le domaine de la politique où les enjeux et les intérêts sont souvent tellement importants que les lois en matière de parité apparaissent pour un grand nombre d’acteurs politiques comme un luxe. Les mesures incitatives comme on le voit en France, qui consistent à accorder un soutien financier aux partis politiques qui respectent la parité dans les investitures, semblent ne pas avoir l’effet escompté, surtout quand il y a des grandes chances que le parti remporte le ou les sièges en compétitions. D’ailleurs, très souvent les formations politiques prennent le risque de transgresser ces lois et acceptent de subir les sanctions prévues par la réglementation en vigueur. En outre, l’Etat lui-même que ce soit en France ou au Cameroun n’est pas le meilleur exemple en matière d’intégration des femmes dans la vie publique. Même si en France par exemple, le gouvernement de 2012 a vu l’entrée d’un nombre presque égal de femmes et d’hommes au gouvernement. De même, au Cameroun on assiste ces deux dernières années à l’entrée des femmes à la préfectorale par exemple. Ces avancés restent tout de même négligeables, et les postes qui sont occupés n’ont très souvent pas de véritables enjeux ou de pouvoir (Kala-lobe, 2015).

En somme, les lois et autres résolutions sont effectivement importantes pour que les femmes soient associées au développement démocratique, au développement tout court des nations et de l’humanité. Cependant, les résultats jusqu’ici obtenus montrent néanmoins que la réglementation à elle seule ne suffit plus tant que ceux pour qui cette réglementation est mise en vigueur ne seront pas véritablement associés à son élaboration et à sa mise en pratique. Et comme le dit Kouabenan cité par Ngeutsa (2012, P. 92) : « la définition des règles, leur compréhension, leur perception, leur respect, dépendent des représentations, des croyances et des motivations des individus cibles qui sont sensés les appliquer ». Il est question de tenir compte de la perception, de l’explication et de la compréhension que les individus ont de la participation des femmes à des instances de pouvoir politique et public.

76 En d’autres termes, il est important de cerner la perception du leadership politique féminin des français(e)s et camerounais(e)s et de voir son impact sur leurs comportements. Dans cette optique, les attitudes, les comportements véhiculés par les croyances, les stéréotypes et représentations liés à la participation des femmes aux charges publiques ou politiques peuvent être une source d’une grande importance pour mieux cerner les comportements et dans le cadre de notre travail, mieux comprendre les intentions de vote en faveur du leadership politique féminin.

Comme nous le soulignons précédemment, pour Moliner et Tafani (1997) l'attitude envers un objet de représentation est une variable de nature évaluative et se traduit par des variations interindividuelles dans les prises de position. C’est d’ailleurs pour cette raison que les discours sur le rapport entre les femmes et le pouvoir notamment en politique peuvent être fort révélateur de la position des individus face à cette question. A travers les discours sur le pouvoir emprunts de cultures locales et tenus par les sujets, peut émerger la perception que ceux-ci ont de la place des femmes en politique en tant que leader et traduire par exemple leurs représentations culturelles du masculin et du féminin (Rogier & Yzerbyt, 1999). Cette représentation culturelle peut être un bon indicateur des représentations du leadership politique féminin des individus, notamment en ce qui concerne les éléments centraux de cette représentation (Abric, 1984). Si on peut observer un consensus au niveau des représentations du leadership politique féminin, les participants pourraient différer de façon significative dans l’évaluation qu’ils font de la présence des femmes à des positions de leader en politique, à travers leurs attitudes vis-à-vis du leadership politique féminin. Cette évaluation psychologique du leadership politique féminin selon un certain degré de faveur ou de défaveur est susceptible d’orienter de façon significative les intentions de comportement (Fishbein & Ajzen, 1975 ; Eagly & Chaiken, 1993) et dans le cade de ce travail les intentions de vote en faveur du leadership politique féminin. De plus, comme le souligne Harell (2013), des récentes études ont mis non seulement l’accent sur le gap qu’il y a dans la participation électorale des hommes et des femmes, mais ont aussi insisté sur les différences significatives des attitudes des hommes et des femmes vis-à-vis de la politique.

La question du leadership politique féminin pose par ailleurs la problématique des stéréotypes de genre. Celles-ci peuvent comme le disent Amodio et Devine (2006) impacter la perception que les individus ont des membres d’un groupe. Dans ce sens, on note dans la littérature l’idée selon laquelle il existerait des différences stables et importantes entre hommes et femmes (Tajfel, 1978). En réalité, ce n’est pas le fait d’être un homme ou une femme en tant que tel qui est responsable des différences, mais plutôt le fait de décrire le

77 leadership politique en termes de masculins ou de féminins en conformité avec les stéréotypes qui correspondent au groupe des hommes, ou au groupe des femmes. Dans ce contexte, plus les individus adhéreront aux stéréotypes de genre, plus ils auront tendance à se conformer aux représentations portées par leur groupe d’appartenance (Doutre, 2010). Les représentations sont aussi le produit des croyances. Or, les croyances ainsi que le relèvent Fishbein et Ajzen (1985), sont le produit de l’utilisation par des personnes des stéréotypes appris et qui orientent leurs comportements. Ces croyances sont susceptibles d’orienter pas seulement le comportement des hommes, mais aussi et surtout celui des femmes, avec pour conséquence parfois un taux très bas de candidatures féminines à certains postes électifs. La menace des croyances et des stéréotypes a probablement fini par convaincre certaines femmes qu’elles ne sont pas faites pour la chose publique ou politique. La question du leadership des femmes en politique comme nous l’avons relevé plus haut, est en effet un phénomène complexe qui apparait aux yeux de beaucoup de personnes comme un paradoxe, une contradiction qui s’appuie sur de nombreux stéréotypes susceptibles d’orienter de façon significative les intentions de vote en faveur du leadership politique. Même si les attitudes et stéréotypes en lien avec la participation des femmes à des positions de leader en politique sont riches d’informations, une bonne compréhension d’un tel phénomène ne saurait se faire sans prendre en compte le poids des normes sociales implicites, des normes subjectives (Ajzen, 2002) ainsi que celui des croyances et pratiques culturelles fondées sur la répartition sociale des rôles en fonction du genre.

En effet, par le biais des interactions et du partage des expériences, les individus, membres d’un même groupe vont élaborer une vision et une culture commune sur les éléments centraux d’un même phénomène. La question du leadership politique féminin par exemple va se construire autour d’un certain nombre de normes et de croyances. Ces normes et croyances peuvent s’exprimer notamment à travers certaines pratiques culturelles partagées par les membres du groupe et qui fondent les différences entre hommes et femmes. Les individus construisent en fonction des réalités normatives et de certaines croyances et pratiques culturelles de leur milieu, des réalités mentales qui orientent au final leur comportement. La pratique des activités liées aux valeurs culturelles en rapport avec un objet de représentation, participent à la structuration de la représentation (Fraïssé, 1999). Les normes subjectives (Ajzen, 2002) et les croyances culturelles identifiables à travers certaines activités et pratiques culturelles peuvent être non seulement une source d’information sur la structuration de la représentation du leadership politique féminin, mais aussi sur les intentions de vote en faveur du leadership politique féminin. Si par exemple comme nous avons montré

78 dans une précédente recherche (Wassouo, 2009, p.12), les gens croient que, pour une femme, « faire de la politique équivaut à se prostituer du fait de ses multiples sorties publiques », on s’attend logiquement qu’une telle croyance impacte le comportement vis-à-vis du leadership politique féminin. De même, si les gens perçoivent la femme comme celle qui doit s’occuper exclusivement de son mari et de ses enfants, on peut s’attendre à ce qu’une telle représentation du rôle de la femme oriente les comportements vis-à-vis du leadership politique féminin. Cette perception résulte des rôles de genre qui sont eux-mêmes le résultat d’une construction sociale dépendant de l’histoire et des expériences des peuples, de leurs besoins, de leur niveau de développement, et de l’évolution des mentalités et des connaissances. Une forte adhésion aux croyances et valeurs culturelles dans ce contexte, peut être un facteur intéressant susceptible d’expliquer les variations de comportements vis-à-vis du leadership politique féminin.

En effet, la prise en compte des explications que les individus donnent à un phénomène social comme celui de la participation des femmes à des positions de leader en politique peut refléter leurs croyances et représentations. Cette participation est en effet une question complexe, car elle peut être influencée par des déterminants à la fois sociaux, psychologiques, politiques et culturels. De plus, la politique est souvent perçue comme un univers impitoyable où tous les coups sont permis et semble donc être en parfaite contradiction avec l’image de la douceur et de la soumission souvent attribuée aux femmes (William & Best, 1990 ; Desrumeaux, Lemoine, & Mahon, 2004). C’est probablement pour cette raison que le sujet suscite aujourd’hui un intérêt de plus en plus croissant et de nombreux débats, aussi bien chez les politiques, les universitaires que chez monsieur ou madame tout le monde (Bommelaer, 2013). Il y a en réalité comme une contradiction ainsi que nous le mentionnions plus haut entre le fait d’être une femme et l’accès à des positions de pouvoir en général et de pouvoir politique en particulier (Doutre, 2009).

Si on s’accorde à reconnaitre leur force non seulement démographique, mais aussi intellectuelle et même économique, le chemin des femmes vers les positions de pouvoir, semble hautement plus compliqué que celui de leur collègue masculin. Face à la complexité du sujet, et même à un probable inconfort psychologique généré par cette contradiction, les croyances et les représentations vont prendre une place importante, surtout lorsqu’on sait qu’elles tendent à orienter les comportements (Kouabenan, 2007). Elles auront en quelques sortes pour fonction de restaurer l’équilibre ébranlé par la contradiction, de retrouver ainsi un certain confort psychologique et surtout d’économiser cognitivement. Cette économie cognitive est liée à ce que Cadet et Kouabenan (2005) appellent « procédé heuristique ». Il

79 s’agit d’ « un procédé cognitif de jugement qui va permettre d’aboutir à une évaluation sans avoir à mettre en œuvre ni de démarche analytique autour de dimensions, ni de contraintes de quantification ou de traitement. L’évaluation est donc obtenue très rapidement en mobilisant une charge cognitive faible » (Cadet & Kouabenan, 2005, pp. 29-30). En recourant ainsi aux procédés heuristiques, les gens voudraient restaurer leur équilibre psychologique perturbé. Or, en le faisant, ils s’exposent à des erreurs et à des biais sur lesquels seront fondés leurs