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PARTIE I : LES CONSTRUCTIONS CONCEPTUELLES ET THEORIQUES

Chapitre 3 : Sexe, genre et culture

2. Les Femmes dans la sphère publique

La répartition du travail entre hommes et femmes est un véritable indicateur de la place des femmes dans la sphère publique. La division sexuée du travail assigne des métiers et travaux spécifiques aux hommes d’une part et aux femmes d’autre part. Des auteurs (Eagly & Karau, 2002 ; Laufer & Pochic, 2004) montrent que les hommes sont d’emblée assignés à des tâches liées à la production alors que les femmes sont assignées à des tâches liées à la sphère familiale. La nature de la femme (La maternité par exemple est considérée comme naturelle, alors que la paternité est considérée comme sociale) la prédispose au travail domestique, invisible du point de vue économique (Mathieu, 1991 ; Gandon, 2010). Dans un grand nombre de pays, le travail domestique pèse lourdement sur la journée de la femme comme le montre le psychopédagogue Camerounais Sakou repris par Nkolo Foé (2002, p.15), en parlant de la femme camerounaise dans une étude intitulée « Femme comment es-tu ? ». Il dit en effet que dans les villages africains :

« La femme se lève la première, allume le feu, donne le sein au bébé, fait la toilette des enfants et les habille. Elle fait un kilomètre à pied pour aller chercher de l’eau, en fait un autre pour revenir, donne à boire et à manger au bétail, prend son petit-déjeuner, fait la vaisselle, passe le balai dans l’enclos, fait la lessive, donne le sein au bébé, pile le riz, allume le feu, prépare le déjeuner, donne le sein au bébé. Elle fait un kilomètre à pied pour aller porter à manger au mari dans le champ de coton, déjeune, fait un kilomètre à pied pour revenir des champs. Elle fait un kilomètre pour aller à son propre champ, arrache les mauvaises herbes, donne le sein au bébé, ramasse du bois pour le feu sur le chemin du retour, fait un kilomètre pour chercher de l’eau, en fait un autre pour revenir. Elle pile le maïs, fait un kilomètre pour chercher de l’eau, en fait un autre pour revenir, allume le feu, prépare le dîner, donne le sein au bébé, range la maison, et se couche tard. De son côté, l’homme se lève quand le petit-déjeuner est prêt, il prend son petit-déjeuner, fait un kilomètre à pied jusqu’au champ de coton, travaille dans le champ, mange quand sa femme arrive avec le repas, se remet au travail, marche un kilomètre pour rentrer à la maison, mange et va se coucher ».

Malgré le volume du travail effectué par la femme comme décrit ci-dessus, ce travail n’est à proprement pas considéré comme un vrai travail, puisqu’il est dans la continuité du rôle social

52 et culturel attribué à la femme, c’est-à-dire s’occuper des tâches domestiques.

Lorsqu’on observe les répartitions des hommes et des femmes dans les différents métiers, on se rend compte qu’une grande proportion de femmes se retrouve dans les métiers typiques du care (aide-soignante, infirmière, sage-femme, enseignement). Selon les données de l’INSEE en 2008, seul 8 métiers sur 86 sont mixte en France, car malgré une évolution progressive du travail des femmes, ces dernières n'atteignent pas encore le seuil de parité. Même si on recense des hommes « secrétaire » ou « assistants maternels » et des femmes « routiers » ou « pompiers », la répartition des professions par sexe reste globalement cloisonnée de façon assez traditionnelle. Le travail qui est réservé aux hommes est aussi en droite ligne de ce qu’on leur attribue comme compétences naturelles. Les hommes en effet sont dédiés aux gros travaux qui nécessitent une habilité technique et une maîtrise d’outils et d’instruments. On voit bien qu’ici, le travail des hommes va bien au-delà de la simple constitution naturelle du corps pour prendre en considération l’exigence d’une acquisition de compétence, car le travail est avant tout une notion intrinsèquement masculine (Laufer & Pochic, 2004). Et comme le dit Laufer (2003), les femmes ne figurent dans le travail que comme problème à négocier surtout lorsque l’on aborde les professions perçues comme prestigieuses et où la présence des femmes est souvent perçue comme une intrusion. Dans une étude portant sur la question des inégalités professionnelles de genre dans une grande entreprise d’électronique, Doutre (2011) a montré que les stéréotypes de genre étaient préalablement activés dans les écoles d’ingénieurs. Ainsi, plus l’école est très bien placée dans le classement national, plus les étudiants développent un sexisme hostile vis-à-vis des femmes ingénieurs, alors que lorsque l’école est généraliste et mal placée, ce sexisme disparaît au profit d’attitudes de tolérance et d’équité. Il semble qu’il en est de même dans l’espace public.

En effet, l’espace public confère un certain avantage, et un privilège notamment politique que ne donne pas la sphère privée. La sphère publique est tournée vers l’extérieur, elle est extravertie ; tandis que la sphère privée est recroquevillée sur elle-même et introverti (Nkolo Foe, 2002). Dans ce contexte, la grande présence de l’homme dans l’espace politique pourrait donc s’expliquer par le contrôle de l’espace public, mais aussi de l’espace privé puisque c’est lui le chef de famille. Il y a donc une continuité entre l’espace privé et l’espace public et politique. C’est d’ailleurs dans ce sens que Pionchon et Derville (2004) font remarquer qu’en politique, les femmes font bien plus souvent que les hommes l’objet d’interrogation sur leur vie privée. Elles ont le sentiment de devoir rendre des comptes sur cette dimension de leur vie, de devoir faire la preuve de leur féminité à travers le statut

53 d’épouse et de mère. De ce fait, la femme célibataire et/ou sans enfant est souvent exposée à des insinuations, des rumeurs, voire de véritables agressions (Freedman 1997). Dans la même veine, Sourd (2003), note que la plupart des portraits de femmes en politique renvoient à la sphère privée (nom et profession du conjoint, nombre et âge des enfants, etc.) ; tandis que les mêmes informations pour un homme découlent plus généralement d’une instrumentalisation par lui-même de son intimité. Il s’agit donc selon Bourdieu (1998, p.82) d’une dichotomie fondamentale entre « l’univers public masculin, et les mondes privés féminins ». Pour Leroux et Sourd (2005), l’espace politique impose aux femmes des exigences contradictoires auxquelles elles ne pourraient satisfaire : incarner la « féminité » dans un univers défini par des stéréotypes dominants souvent reconnu aux hommes. Dans l’ensemble on peut remarquer que ces contradictions auxquelles sont soumises les femmes s’appuient largement sur les fondements de la « culture » qu’il nous semble important de définir et de mieux cerner.