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A- Sexe, état civil et âge des condamnés

I. Sexe et état civil

La répartition entre les hommes et les femmes poursuivis par les fonctionnaires du tribunal inquisitorial de Valence est la suivante : 53 % pour les hommes et 47 % pour les femmes, avec 1 614 hommes et 1 445 femmes. Si nous prenons comme référence ce qu’écrit Antonio Collantes pour Séville, à l’issue de son étude des recensements fiscaux de la fin du XVe siècle, les hommes représentaient 74 % de la population de la cité contre 26 % pour les femmes351. Nous pensons que cette proportion peut être conservée s’agissant d’autres grandes métropoles du territoire péninsulaire. Cela signifierait que les femmes furent davantage persécutées que les hommes. Précisons qu’en 1485, 130 femmes se présentèrent devant les inquisiteurs contre « seulement » 98 hommes. L’impression d’un traitement plus sévère à l’égard des femmes est renforcée par les chiffres qu’apporte Juan Blázquez Miguel pour la répression en Catalogne où, entre 1487 et 1797, 801 femmes furent condamnées contre 521 hommes « seulement »352.

Le fait que les femmes aient été poursuivies au même titre que les hommes par le Saint-Office s’expliquerait, selon une tradition historiographique bien enracinée mais qu’il conviendrait peut-être de réexaminer, par le rôle de premier plan qu’elles auraient occupé au sein de la religion crypto-juive. À ce propos Stephen Haliczer confirme que les accusations contre les conversos furent équitablement réparties entre les hommes et les femmes. Il rappelle que la religion hébraïque se maintenait vivace grâce aux femmes qui transmettaient les rites au sein des familles. Un cas connu de tous est celui de Brianda Besant de Teruel qui observait assidûment le Sabbath et autres festivités juives. Elle occupait également une place fort respectée au sein de sa communauté353. Les veuves représentent 9,8 % de la population sévillane à la fin du XVe siècle, ce qui correspond aussi aux chiffres de la répression trouvés par Béatrice Pérez. Pour ce qui est de Valence – ou plutôt de la huerta354 de Valence –, Fernando Arroyo Ilera a étudié le cas des femmes qui payaient l’impôt du morabatín parce qu’elles étaient considérées comme des « chefs de famille », à cause de leur veuvage : cette

351 B. Pérez, Inquisition, pouvoir et société, op. cit., p. 392, elle cite Antonio Collantes de Terán Sánchez, Sevilla en la Baja Edad Media. La ciudad y sus hombres, Séville, 1984, p. 150.

352

J. Blázquez Miguel, Inquisición en Cataluña, op. cit. p. 51.

353

S. Haliczer, Inquisición y sociedad en el reino de Valencia, op. cit. p. 335.

proportion varie entre 14 % en 1379 et 10,7 % en 1475, en passant par 13 % en 1421 et 1445355. Les femmes qui en raison de leur statut familial étaient assujetties à l’impôt figuraient, aussi bien dans les sources fiscales que dans les documents inquisitoriaux, sous leur nom de famille dont la terminaison avait été féminisée – Lobregada pour Lobregat par exemple – précédé par le déterminant « Na »356. Parfois elles étaient nommées en fonction de leur lien de parenté avec un homme : « muller de », « mare de », « sogra de », « germana de », etc. Si elle était veuve et héritière : « muller quondam de357. »

Quant à nos propres données, voici les premiers enseignements que nous pouvons en tirer : sur les 3 059 cas que référence notre registre, 1 343 d’entre eux ne nous fournissent pas d’informations sur la situation familiale des personnes ; sur les 1 716 cas restants, la majorité concerne des individus mariés, soit exactement 1 374 d’entre eux (80 %). Les célibataires sont au nombre de 97 (5,7 %). Les femmes célibataires sont plus nombreuses que les hommes. Il est très rare que les inquisiteurs fassent mention d’un « hombre donzel o soltero » ; en revanche cette situation familiale est systématiquement relevée lorsqu’il s’agit de femmes : « donzella », « vive en casa de sus padres », « nunca se casó. » Les veufs – 90 % d’entre eux sont des veuves – sont 220 – soit 12,82 %, ce qui correspond à un pourcentage plus élevé que pour Séville, mais qui est conforme à ce que nous disent les démographes pour les époques immédiatement postérieures – et enfin vingt-cinq femmes disent avoir été mariées à deux

355 F. Arroyo Ilera, « Población y poblamiento en la huerta de Valencia a fines de la Edad Media », art. cit.

p. 146. Ses études se fondent sur l’impôt du morabatín. Le morabatin est la source la plus fréquemment utilisée par les médiévistes. Il s’agit d’un impôt indirect instauré en 1266, collecté tous les sept ans sur une base d’imposition équivalent à 7 sueldos pour un morabatín, payable par chaque foyer fiscal possédant au moins 105

sueldos valenciens ; cette quantité est demeurée inchangée durant les siècles et l’impôt disparut en 1704 avec

l’abolition des Fueros. Plus de 80 % de la population payait cet impôt. Les premiers registres du morabatín conservés datent de 1373, ce qui a permis d’analyser de manière évolutive la population. Les limites de pareils registres sont dues aux fraudes fiscales habituelles, et au fait que comme pour tout impôt, les nobles, l’église, les pauvres en étaient exemptés ainsi que certaines villes. Comme Fernando Arroyo l’explique, un impôt indirect de ce type ne peut pas permettre d’élaborer des statistiques parfaitement exactes, bien que nous soyons obligés de nous en contenter puisque à cette époque, la fin du XVe siècle, nous ne possédons pas de sources plus fiables. Selon Arroyo Ilera, les exemptés pour la huerta de Valence s’élevaient en 1475 à 35,4 % de la population : les exemptés étaient les pauvres (pour 38,5 %), ceux qui déclaraient une double résidence (40 %), ceux qui étaient absents au moment du recensement (« casa cerrada » ou « no están » ), soit 7,5 % d’entre eux, les « desconocidos » o « muertos », 13,5 % et pour finir les « privilegiados », 20,5 %. Un autre cas concernait les personnnes s’étant déjà acquittées de l’impôt (« ya han pagado »), mais il n’y en avait pas pour le recensement de 1475 (Voir le tableau et les explications complémentaires dans Arroyo Ilera, « Población y poblamiento », art. cit. p. 148-150).

356

« Na » étant l’ancien article défini « la » mais aussi la contraction latine de « domina » employé au Moyen Âge en valencien pour s’adresser de façon courtoise et avec une certaine déférence, aux dames. Il est encore employé en majorquin. Voir aussi notre note 258.

357 Voir l’étude de J. Hinojosa Montalvo sur la femme juive dans, Los judíos en tierras valencianas, op. cit.,

reprises (1,45 %). Rappelons pour finir les trois cas de bigamie qui concernent une femme et deux hommes.

La considération de tous ces chiffres nous amène à avancer qu’à première vue, pour ce qui est de la civilité, le tribunal n’opérait pas de discrimination particulière ou n’obéissait pas à des instructions précises visant telle catégorie plutôt que telle autre. Nous verrons qu’il en allait de même pour les autres critères sociaux, ce qui par conséquent conduit à une constatation simple : la répression reproduit en miniature, en quelque sorte, la structure de la population de l’époque358.

Voici à présent, les tableaux et les graphiques que nous avons élaborés à partir de notre registre des victimes du tribunal inquisitorial de Valence, entre 1482 et 1530 et sur lesquels se fondent les observations qui précèdent359 :

Tableau n° 17 : Répartition hommes/femmes par périodes de 4 ans (1482-1530)

Date Nb de Sexe Féminin % Féminin / Période Nb de Sexe Masculin % Masculin / Période Total / Période 1482-1486 183 51 % 173 49 % 356 1487-1490 72 50 % 73 50 % 145 1491-1494 75 48 % 80 52 % 155 1495-1498 78 47 % 87 53 % 165 1499-1502 93 39 % 143 61 % 236 1503-1506 88 47 % 101 53 % 189 1507-1510 104 40 % 154 60 % 258 1511-1514 193 55 % 159 45 % 352 1515-1518 125 50 % 127 50 % 252 1519-1522 114 43 % 151 57 % 265 1523-1526 99 50 % 99 50 % 198 1527-1530 96 46 % 113 54 % 209 Date imprécise 103 42 % 145 58 % 248 Date non précisée 22 71 % 9 29 % 31 Total Général 1 445 47 % 1 614 53 % 3 059

358 B. Pérez apporte la même conclusion pour Séville, Inquisition, pouvoir, société, op. cit., p. 392. 359

Tableau n° 18 : Situation familiale par périodes de 4 ans

Date Célibataire Marié(e) Non précisé Remarié(e) Veuf(ve) Total général

1482-1486 5 230 120 0 2 357 1487-1490 1 71 64 1 8 145 1491-1494 4 76 65 0 11 156 1495-1498 3 89 63 2 8 165 1499-1502 8 93 129 0 7 237 1503-1506 7 90 73 0 18 188 1507-1510 9 98 119 1 32 259 1511-1514 5 159 124 11 54 353 1515-1518 8 117 110 3 15 253 1519-1522 9 108 122 0 24 263 1523-1526 4 89 81 0 25 199 1527-1530 10 73 117 2 5 207 Date imprécise 23 69 140 5 9 246

Date non précisée 1 12 16 2 31

Total général 97 1 374 1 343 25 220 3 059

Nous avons ôté du graphique à secteurs ci-dessous les cas d’état-civil non précisé. Leur nombre est en effet trop important et brouille de ce fait la lecture de l’ensemble. Le graphique ci-dessous est donc réalisé sur une base de 1 716 victimes et non sur le total de 3 059.

Graphique n° 10

État civil des condamnés (1482-1530)

Voici à présent un autre graphique indiquant la situation matrimoniale des accusés, par périodes de dix ans – et non plus de quatre ans comme plus haut, car c’était le découpage qui convenait le mieux à la lecture de ce type de schéma. Il est à noter que l’on a quasi exclusivement des personnes mariées pour la première tranche de dix ans, la répression touchant davantage les autres catégories à mesure que nous avançons dans notre période. Néanmoins, les personnes mariées restent très majoritaires et dans l’ensemble, leur nombre connaît peu de variations en nombre.

Graphique n° 11

État civil des victimes par périodes de dix ans (1482-1530)