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Les problèmes d’implantation que connut le nouveau tribunal du Saint-Office à Valence sont les mêmes pour toute la couronne d’Aragon, et furent même pires dans certains cas, ainsi que nous l’avons exposé dans le premier chapitre de ce travail324

. Comme pour toute la Péninsule, la majorité des conversos y fut pourchassée avant 1530. Les derniers exécutés dans la couronne d’Aragon le seront en 1540 à Barcelone – un converso originaire de Castille, Pedro del Toro, relaxé en personne, et deux en effigie –, et à Saragosse deux ans plus tard en 1542 – deux conversos aragonais. L’objectif du Tribunal sera ensuite tout autre : morale sexuelle, mauvaises pratiques vieilles chrétiennes, protestantisme, autrement dit, la « christianisation », comme on a dit, des vieux-chrétiens et la défense de la réforme catholique jadis appelée Contre-Réforme.

William Monter apporte les chiffres de relaxation suivants pour la couronne d’Aragon entre 1485 et 1492 :

Tableau n° 10 : Chiffres de relaxation pour la couronne d’Aragon (1485 et 1492)

Saragosse Teruel Valence Tortosa

Relaxés en

personne 50 12 [10] 9

Relaxés en

effigie 46 40 [50] 32

324 Nombreux sont les historiens qui se sont consacrés à l’étude de l’Inquisition dans la couronne d’Aragon et

nous renvoyons le lecteur à notre bibliographie. Citons cependant quelques titres intéressants : Jaime Vicens Vives, Ferran II i la ciutat de Barcelona, 1479-1516, 3 vol. Barcelone, Tipografía Emporium, 1936-1937 ; Antonio Floriano, « El Tribunal del Santo Oficio en Aragón: Establecimiento de la Inquisición en Teruel »,

BRAH, 86 (1925), p. 544-605 ; Antonio Ubieto Arteta, « Procesos de la Inquisición de Aragón », Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, 67 (1959), p. 549-599 ; Ramón Ferrer Navarro, « Aspectos económicos de la

Inquisición turolense a fines del siglo XV », Ligarzas, 7 (1975), p. 280-301 ; José Antonio Sesma Muñoz, El

establecimiento de la Inquisición en Aragón (1484-1486). Documentos para su estudio, Zaragoza, Instituto

Tableau n° 11 : Chiffres de relaxation couronne d’Aragon (1493 et 1510)

Saragosse Valence Barcelone Majorque

Relaxés en

personne 68 [75] 28 65

Relaxés en

effigie 56 [250] 445 263

Tableau n° 12 : Chiffres de relaxation couronne d’Aragon (1511 et 1530)

Saragosse Valence Barcelone Majorque Sicile

Relaxés en

personne 12 [140] 6 15 128

Relaxés en

effigie 14 [130] ? 183 212

Il convient de noter que William Monter avoue n’être pas sûr des chiffres qu’il avance pour Valence car il considère que les statistiques produites par Ricardo García Cárcel sont encore incomplètes. Néanmoins, nous sommes surprise par ces chiffres, car ceux que donne l’historien valencien sont largement supérieurs pour les relaxés en personne : 754 contre 225 pour Monter et bien moindres pour les relaxés en effigie : 155 contre 430, l’addition des deux ne correspondant pas non plus : 909 relaxés chez Ricardo García Cárcel et 655 chez Monter, toujours pour la période comprise entre 1478 et 1530325. Quoi qu’il en soit, nous sommes encore bien loin des 1 128 relaxés que nous trouvons dans notre registre remanié.

Nous ne disposons d’aucune étude sur l’activité répressive du tribunal inquisitorial de Saragosse avant 1530 et bien qu’on puisse supposer qu’elle fut importante et très cruelle –

325 William Monter ne fait pas une étude approfondie de ses sources et propose des estimations tirées de

documents peu homogènes et encore moins fiables. Il s’appuie pour Saragosse sur les chiffres donnés par Henry Charles Lea qui les tire à son tour du « Memorial de diversos autos celebrados en Zaragoza, 1482-1502 », acheté par ce dernier et conservé dans le fonds Lea de la bibliothèque de Philadelphie, auto 30, n° 1. Ces données, Monter les rapproche ensuite de celles figurant dans le Libro Verde de Aragón, Editions Isidro de las Cagigas, Madrid, 1929. Pour Valence, il est plus vague, disant qu’il existe un « abecedario de relajaciones » (c’est celui que nous avons étudié), qu’H. C. Lea a également eu en main, ainsi que nous l’avons déjà signalé (page 562 du t. III de son History of the Inquisition). Pour la Sicile enfin, il mentionne l’« abecedario de relajados » de la bibliothèque municipale de Palerme publié par Vito La Mantia, Origine e vicende dell’Inquisizione in Sicilia, Roma, Fratelli Bocca editori, 1886 p. 167-204 et également par N. Giordano, Archivio Storico Siciliano, 3a serie, n° XVIII (1968), p. 259-261. Pour les Baléares, il se réfère au livre de Baruch Braunstein, The Chuetas of

Majorca : Conversos and the Inquisition of Majorca, New York, Columbia University Oriental Series, 1936,

p. 167-178. Pour Barcelone enfin, il compulse les notes de Pere Miquel Carbonell, archivero real de la Couronne d’Aragon (ACA, Reg. 3684, fol. 105-199), publiées dans la Colección de documentos inéditos del

une série de procès contre des judéo-convers conservée à Saragosse tendrait à la montrer–, l’absence de toute donnée chiffrée nous interdit de nous prononcer.

Le tribunal de Barcelone

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Il reste le tribunal de la Catalogne. Les chiffres que William Monter apporte pour Barcelone, se rapprochent de ceux fournis par Juan Blázquez Miguel, avec quelques légères variantes que nous verrons plus loin. Selon Juan Blázquez Miguel, qui étudie l’Inquisition en Catalogne avec le tribunal de Barcelone, le moment de plus forte intensité se situe également entre 1487 et 1530 pour retomber très significativement par la suite327. L’auteur insiste sur le caractère relativement bienveillant du tribunal de Barcelone, mais affirme aussi que si le Tribunal ne persécuta pas intensément les conversos, c’est aussi parce qu’ils n’étaient pas nombreux, la plupart ayant fui l’Inquisition. C’est déjà ce que les Cortes de Catalogne argumentèrent auprès du roi qui leur répondit : « si no hay herejes no hay porque temer a la Inquisición328. » Quant à savoir si les conversos présents en Catalogne étaient plus ou moins des pratiquants de la religion hébraïque, ici comme ailleurs, les avis divergent. Si pour Juan Blázquez Miguel : « Sí, había herejes conversos como los había en todas las tierras de España y Cataluña no podía ser una excepción329. » D’autres semblent douter de cet attachement à l’ancienne religion330

. Mais passons concrètement aux chiffres de la persécution : globalement 1 322 judéo-convers furent poursuivis entre 1487 et 1797 – le chiffre s’élève pour la même période à 5 324 pour l’ensemble des condamnés, le judaïsme représentant 24,3 % des cas. Pour la période qui nous intéresse, les données élaborées par Juan Blázquez Miguel sont loin d’être comparables à celles du tribunal de Valence : sur les

326 Pour l’étude de l’Inquisition en Catalogne, hormis W. Monter et J. Blázquez Miguel que nous avons déjà

cités, signalons les ouvrages spécifiquement consacrés à ce tribunal, tels ceux de E. Fort i Cogul, Catalunya i la

Inquisició, Barcelone, 1973 – ouvrage encore aujourd’hui de référence – ou encore de J. Ventura Subirats, La Inquisición en Cataluña, Université de Barcelone, 1973. Sur l’activité du tribunal à Gérone, nombreux sont aussi

les historiens qui ont écrit, mais citons simplement ici R. García Cárcel dont l’article a le mérite de parfaitement synthétiser la question : « Notas sobre la Inquisición en Gerona, 1487-1505 », Anales del Instituto de Estudios

Gerundenses, 1974-1975, p. 191-202.

327 J. Blázquez, La Inquisición en Cataluña, op. cit. Il dessine un graphique très parlant où le pic se situe en

1500, la courbe chute jusqu’en 1520 pour disparaître quasi complètement jusqu’en 1800 (Ibid. p. 50).

328 Cité par J. Vicens Vives, Ferran II i la ciutat de Barcelona, op. cit., vol. 3, p. 376-377. Voir aussi John

Lynch, Edad Moderna : el auge del imperio, 1474-1598, Barcelona, Crítica, 2005, chapitre II : « La nueva Inquisición », p. 79-110.

329 J. Blázquez Miguel, La Inquisición, op. cit, p. 36.

330 C’est entre autres l’avis de J. Ventura Subirats : La inquisición española y los judíos conversos barceloneses (siglos XV y XVI), Barcelone, Universidad de Barcelona, 1975, qui, à la page 10 de son texte, résumé de sa thèse

1 322 judéo-convers poursuivis, 1 263 le furent avant 1505331. Cet historien considère qu’après 1505, il n’y eut quasiment pas de représailles contre les conversos, le tribunal se tournant vers d’autres victimes. Nous verrons cela plus loin avec le détail des « crimes » châtiés. Cette absence de procès intentés aux judéo-convers après 1505 est également confirmée par les chiffres que nous a fournis William Monter : six relaxés en personne entre 1511 et 1530 et apparemment aucun cas en effigie. De ces 1 263 personnes, 486 étaient des hommes (38,4 %) et 777 des femmes (61,5 %). 609 procès concernèrent des personnes absentes – d’où la réflexion de l’auteur sur le nombre important de personnes défuntes ou ayant fui. Sur ce cas particulier, le chiffre de Monter est inférieur puisqu’il parle de 445 personnes relaxées en effigie entre 1493 et 1510. Cela réduit le nombre de procès intentés à des personnes réellement présentes à 629 personnes, soit 49,8 % : onze furent acquittées et 618 réconciliées. Trente-six personnes furent relaxées au bras séculier soit 2,9 % des cas, chiffres qui sont extrêmement éloignés de ceux que nous connaissons pour d’autres tribunaux de la Péninsule mais aussi des estimations avancées par Llorente, très excessives il est vrai, mais néanmoins longtemps prises pour argent comptant332.

Bien qu’on exécutât moins de conversos à Barcelone qu’ailleurs, les survivants se plaignirent aux autorités en 1510 en arguant qu’ils avaient constitué une communauté florissante « con más de seiscientas familias, de las cuales paso de doscientos lo eran de

331

Le détail des condamnations est le suivant : le 14 décembre 1487 il y eut 51 réconciliés durant le premier autodafé. Le 25 janvier 1488, quatre personnes furent relaxées au bras séculier et douze brûlées en effigie. Le 2 février de la même année, un couple de libraires fut relaxé en personne et fin février il y eut quatre réconciliations. Le 23 mai, trois femmes furent réconciliées et quarante-deux furent brûlées en effigie car elles s’étaient enfui. Le 14 août 1488, trente-cinq hommes et 85 femmes furent réconciliés en masse lors d’un autodafé. D’autres auront lieu régulièrement mais ne terroriseront plus les foules car on ne condamnera qu’en contumace. En effet, l’auteur pense que depuis l’installation de l’Inquisition à Barcelone, deux à trois mille

conversos prirent la fuite. On en poursuivrait certains plus tard par contumace. Le tribunal allait se déplacer à

Tarragone où il réconcilierait neuf personnes le 5 mars 1490, six le douze et encore neuf le 14. Á Barcelone à nouveau, le 23 mars 1490, deux personnes furent relaxées au bras séculier et 155 en effigie le lendemain. En août de la même année, on recense quarante-quatre réconciliations. Le tribunal fuyant la peste dans la capitale déménagera à Gérone d’août 1490 à juin 1491 : le 23 février 1491 il y aura trente-trois relaxations en effigie à Gérone. Le 10 juin, de retour à Barcelone, trois personnes furent relaxées en personne et 138 autres en effigie. Le 28 octobre quarante-neuf personnes furent réconciliées. En 1492 il n’y eut presque pas d’activité et en mai on compte trente-neuf réconciliations. Le 10 juin 1493, six personnes furent brûlées en effigie. L’activité va encore décroître : le 10 avril 1495, on brûle en effigie 71 personnes qui avaient fui la région. Le 23 mars 1496, six réconciliations. En 1497, on assiste à un pic d’activité, comme à Valence, sans toutefois atteindre les mêmes chiffres : quinze réconciliations et 55 relaxations en effigie. La situation va s’éclaircir durant la décennie suivante et on assistera, au contraire, à quelques révisions de procès et quelques acquittements (deux en 1499), mais il y aura aussi en mai 1499 onze réconciliations, une femme relaxée au bras séculier, huit personnes en effigie. Le 5 octobre 1499 un nouvel acquittement. Ainsi, pour conclure sur les dernières années du siècle, on peut avancer que 1 070 personnes furent présentées devant les inquisiteurs dont quatorze furent relaxées au bras séculier, chiffres qui ne peuvent en aucun cas être comparés à la cruauté dont firent montre les autres tribunaux de la Péninsule (J. Blázquez Miguel, La Inquisicion en España, op. cit., p. 34-40).

332 Juan Antonio Llorente, Historia Crítica de la Inquisición en España, 2e éd., Madrid, Hipérion, 1981, vol. I, p.

mercaderes », avant l’implantation de l’Inquisition, et maintenant – en 1510 donc – il ne restait plus que 57 familles ruinées par les confiscations de biens333.