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A- Juifs et judéo-convers : deux dates critiques : 1391-1492

II. Les juifs avant 1391

Comme l’affirme Angelina García, « la historia de los judíos valencianos es la trayectoria de un profundo y oscuro desamor, a lo largo de 750 años de hechos escritos »65. Le sort de la communauté juive de Valence a, en effet, connu bien des vicissitudes, passant de périodes fastes où son intégration ne soulevait aucune difficulté, à des périodes où les juifs n’étaient que tolérés, ou encore à des phases de violence inouïe à leur encontre. Formées à l’époque de l’ancien royaume musulman, les aljamas juives établirent après la conquête chrétienne des liens fructueux avec les nouveaux pouvoirs. Plusieurs de leurs membres étaient intégrés aux cercles gouvernementaux aragonais, gravitant autour de Jacques 1er ou Pierre III. Ils occupaient des postes de conseillers, de secrétaires, de trésoriers, de baillis, de diplomates. Leur connaissance de l’arabe, leurs relations familiales avec les communautés juives d’Afrique du Nord, en firent de précieux auxiliaires de la royauté. Cependant, le climat changea au milieu du XIVe siècle. Les premières mesures discriminatoires furent imposées à la communauté au moment où l’afflux des colons chrétiens modifiait le rapport de forces et permettait au pouvoir de se passer plus facilement de leurs bons offices. Le temps était désormais au durcissement des positions, à l’obscurcissement des esprits, et le réveil des

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J. Hinojosa Montalvo, « La inserción de la minoría hebrea en la formación social valenciana», Revista

d’Histὸria Medieval n°4 (1993), p. 45-64. En contrepartie, il faudrait étudier également les textes juifs qui

édictaient des interdictions de même nature à l’encontre des chrétiens.

64 ARV, Batlía, notamment. 65

inquiétudes religieuses affectait aussi bien les chrétiens que les juifs et renforçait les mesures d’exclusion des deux côtés ; on cherchait avant tout à se préserver d’un contact jugé impur. On vit ainsi naître une véritable aversion face aux symboles de l’autre religion devenue la religion adverse. C’est aux Cortes de Monzón, sous le règne de Jean Ier, que l’on allait poser

le principe de l’habitation séparée des juifs, c’est-à-dire l’établissement des ghettos66

. Le concile de Palencia, en Castille, en présence des Cortes, adopta une mesure identique. On aboutit en 1390, à la fermeture de l’aljama de Valence par l’érection d’un mur assez imposant, preuve s’il en fallait de l’état de tension auquel étaient parvenues les deux communautés. Depuis douze ans, en Castille, les prédications de l’archidiacre de Séville, Fernando Martínez de Écija, dressaient les chrétiens contre les juifs. Cet homme suscita le massacre et la conversion en masse de l’aljama de Séville en juin 1391. Ses partisans se déplacèrent ensuite vers Barcelone et Valence pour y propager les pogroms qui ensanglantèrent toute la Péninsule, épisode fondamental et mainte fois narré dans les chroniques.

Le quartier juif de Valence fut mis à sac le 9 juillet 1391. Une bonne partie des habitants fut assassinée, et ceux qui avaient échappé à la main des bourreaux furent convertis de force67. Jamais la violence contre les Juifs n’avait atteint de tels sommets. José Hinojosa Montalvo parle de 230 juifs tués à Valence et de dix ou douze chrétiens68. De nombreuses familles choisirent de quitter la Péninsule, en direction de l’Afrique du Nord, de Tripoli, de Tunis, d’Alger, d’Oran, de Marrakech. La majorité des hébreux, décidèrent de renoncer à leur foi et se convertirent, spontanément ou sous la menace, pour éviter à leurs familles de nouvelles persécutions69. Nous pouvons citer le cas, entre beaucoup d’autres, d’Isaac Golluf qui se fit baptiser en août 1389 et prit le nom de Juan Sánchez de Calatayud70. Le plus connu des conversos, Salomón ha-Levi, rabbin de Burgos, reçut le baptême en juillet 1390, un an

66 Voir J. Hinojosa Montalvo, « La comunidad hebrea del esplendor a la nada », art. cit., p. 51. Sur les juifs

valenciens avant les pogroms et l’expulsion, voir également son livre, La judería de Valencia en la Edad Media,

op. cit., ou encore l’ouvrage de F. A. Roca Traver, Los judíos valencianos en la Baja Edad Media, op. cit. Ainsi

que les nombreuses études menées par Leopoldo Piles Ros, Riera i Sans, David Romano Ventura, etc., que nous ne pouvons pas toutes citer ici mais dont nous mentionnons une partie dans la bibliographie en annexe.

67 Voir le détail de cette mise à sac, ainsi que les lettres missives expédiées par les Jurats de Valence au roi, et les

réponses du roi avec les châtiments appliqués aux cinq meneurs et le pardon accordé aux autres malfaiteurs dans : Francisco Danvila Collado, « El robo de la judería de Valencia en 1391. Apuntes históricos »,

Boletín de la Real Academia de la Historia, t. VIII, (1886). 68

J. Hinojosa Montalvo, Los judíos en tierras valencianas, op. cit.

69 Joseph Pérez, Historia de una tragedia. La expulsión de los judíos de España, Barcelone, Crítica, 1993,

avance prudemment le chiffre de 100 000 personnes.

70 Yitzhak Baer, Historia de los judíos en la España cristiana, Madrid, Altalena, 1981. Juan Sánchez de

avant les massacres. Il se fit appeler Pablo de Santa María, car il prétendait être descendant de la tribu des Levi et être apparenté à la Vierge Marie. Il fut évêque de Burgos. Yitzhak Baer et Léon Poliakov estiment que ces conversions eurent lieu surtout parmi l’élite sociale et intellectuelle : « La conversión al catolicismo comenzaba a ser cosa de cálculo político para lograr una ‘tarjeta de admisión’ a un mundo todo él laico y para hacer carrera en la burocracia estatal71.»

Bien des rabbins se convertirent au christianisme car ils ne trouvaient pas dans le judaïsme réponse à leurs interrogations religieuses. Mais la très grande majorité des convertis de 1391 obéirent à des élans moins intellectuels : la peur était leur motivation. On dénombre plus de trois cents nouveaux noms chrétiens surgis de la terreur et de l’impuissance face aux conversions massives des principales familles juives de l’aljama. Le déclin juif ne s’inverserait plus. Les noms des convertis ou « nouveaux chrétiens » tels que Soler, Amoroso, Durá, Fuster, Moncada, Valldaura, Castellar, Claramunt, Ferrer, Romaní, March, Bou, etc., resteraient célèbres dans l’histoire de la répression jusqu’après la révolte des Germanías. La Valence bourgeoise des XVe et XVIe siècles serait en grande partie issue de ces nouveaux chrétiens nés pendant l’été de 1391. En juillet de cette année-là, les juifs de Valence, de Xàtiva, d’Alcira et de Gandía s’étaient fait baptiser72. Ces conversos devenus chrétiens n’étaient plus obligés de payer les impôts dus à leur condition de juifs. Ils pouvaient continuer à gérer leurs affaires, jouir de leurs biens, réduire le paiement des impôts dus à la Hacienda Real. Les tout premiers convertis furent au nombre de 108 hommes parmi lesquels figure Francisco Vives, nom qu’adopta un certain Abrahim Abenfaçam, et d’où sera issue la branche paternelle du philosophe humaniste Juan Luis Vives.