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Ces données établies à partir de sources judiciaires nous donnent une image biaisée de la situation des judéo-convers de cette époque, l’image des centaines de conversos qui furent pris dans les mailles du filet, mais laissent dans l’ombre les nombreux autres – combien ? – judéo-convers qui ne furent jamais inquiétés. Nous tâcherons quand cela sera possible de nous reporter à l’étude d’un recensement qui fut mené à bien dans le royaume de Valence en 1501et que les équipes doctorales des historiens médiévistes valenciens Enrique et José María Cruselles sont en train d’analyser242. Ce recensement va nous permettre de connaître le nombre approximatif de judéo-convers présents dans le royaume à cette date, et nous pourrons ainsi dégager un pourcentage indicatif des juifs convertis inquiétés par rapport à ceux qui ne le furent pas.

242 E. Cruselles, J.-M. Cruselles, J. Bordes, « La construcción de la mácula », art. cit. Ce fameux recensement se

trouve à l’Archivo Histórico Nacional : AHN, Inq., leg. 597, n° 8. Il existe également un autre recensement daté de 1510 que tous les historiens spécialistes du royaume de Valence connaissent, mais il ne mentionne pas l’origine des personnes comptabilisées, ce qui ne nous apporte donc aucune aide complémentaire. Ce recensement se situe dans l’Archivo del Reino de Valencia, SM 246. Voir à ce propos l’article de R. García Cárcel, « El censo de 1510 y la población valenciana de la primera mitad del siglo XVI », Saitibi 26, Valence, (1976), p. 49-66. Nous savons tous à quel point ces recensements du début du XVIe siècle manquaient de précision. R. García Cárcel rappelle que pour le XVIe siècle, quatre recensements à la fiabilité plus que douteuse avaient été réalisés (il ne compte pas celui de 1501 qui a été exhumé récemment par J.-M. et E. Cruselles) : 1527-28, 1563, 1565-72, 1585-87 puis deux, au début du XVIIe siècle : 1602 et 1609. Le recensement de 1527- 28 fait l’objet d’une étude d’Adolfo Salvá y Ballester, « Los moriscos valencianos en 1527 y 1528 », Boletín de

la Sociedad Castellonense de Cultura, XVI, Castellon de la Plana, (1935), p. 365-376. Malgré tout, il insiste sur

les informations relativement sérieuses que l’on peut retirer du censo de 1510, après l’avoir comparé à d’autres sources, telles celles du « Morabatín » de 1511. Le décompte ville par ville établi par l’historien est très semblable à celui qui fut donné lors des Cortes de Barcelone de 1519 ; en effet, le recensement de 1510 fait état de 55 631 feux pour l’ensemble du royaume alors que les données communiquées lors des Cortes envisagent un chinffre rond de 50 000 feux. Il est également très proche de ce que communique Enric Guinot, soit 54 737 feux (E. Guinot, « Senyoriu i reialenc al País Valencià a les darreries de l’época medieval », dans Lluís de Santàngel i

el seu temps, Congrès Internacional, Valence, Ayuntamiento de Valencia, 1992, p. 185-204). R. García Cárcel

qui compare ces chiffres à ceux de la Principauté de Catalogne constate que le royaume de Valence était moins peuplé que son voisin qui comptait en 1497 : 60 570 feux et en 1515 : 62 571 feux. La zone de plus forte densité était la Huerta de Valence, ce qui est logique puisqu’elle comprenait la capitale du royaume, avec 13 306 feux soit 23,9 % de la population totale.

Nous nous sommes appliquée à bien distinguer les personnes condamnées après un procès en bonne et due forme, avec témoins à charge et à décharge, des personnes réconciliées collectivement lors des édits de grâce habituels et, nous l’avons signalé dans notre première partie, extrêmement nombreux à l’époque qui nous intéresse. D’où l’importance accordée au legajo 5320 car les listes portent, rappelons-le, le titre suivant : « Rubrica de las personas procesadas reconciliadas u otras que tienen processos243 » ; ou encore « En la present rubrica se contenen les personas que son estades procesades y penitenciades en aquest Sant Ofici…244. »

Ce parti pris nous a logiquement conduite à écarter les legajos répertoriant des listes, de plus de cent personnes parfois, réconciliées lors des édits de grâce.

Pour échapper aux limites de ces sources inquisitoriales, nous pensons que le meilleur moyen est de croiser les données issues des archives de la répression avec d’autres données, fiscales, notariales, qui, elles, nous permettraient de tenir compte d’autres informations telles que la richesse des personnes, la manière dont elles tentaient d’échapper aux confiscations de biens, les litiges familiaux, les alliances, ou d’autres encore. Mais une telle entreprise, proprement titanesque si l’on songe ne serait-ce qu’à l’étendue des sources notariales valenciennes, n’était pas envisageable dans le cadre de notre thèse.

C’est pourquoi nous nous sommes imposé des bornes géographiques et avons néanmoins tâché d’analyser, en dernière partie de cette thèse, les archives fiscales de trois villes valenciennes, à savoir Xàtiva, Gandía et Segorbe, données présentes dans l’Archivo del Reino de Valencia (A.R.V.) qui possède un fond remarquable, notamment en ce qui concerne les livres du Maestre Racional du royaume245.

Une autre difficulté qui surgit, lorsqu’on entreprend une recherche systématique des sources, dans le but de produire une liste de condamnés exhaustive, est justement l’impossible mirage de cette exhaustivité. Les délais nous imposent de marquer des limites et conduisent à un frustrant sentiment d’inachevé. En effet, les archives de l’Inquisition concernant le royaume de Valence sont particulièrement denses, les procès et abécédaires côtoient d’autres listes récapitulatives de sentences, d’édits, etc. Nous pensons notamment à une liste de cent

243 AHN Inq., leg. 5320, n° 9. 244

AHN Inq., leg. 5320, n° 11.

245 J.-M. Cruselles est en train d’entreprendre un travail de classement systématique de tous les legajos

concernant le Maestre Racional. Ce travail facilitera grandement la tâche des chercheurs. Quant à nous, nous avons catalogué ces registres pour Xàtiva, Gandía et Segorbe – voir la rubrique « Sources » à la fin de la thèse ou encore une liste exhaustive de ces legajos en annexe n° 4.

vingt-six personnes qui ont abjuré lors d’autres procès. Nous estimons qu’environ 60 % d’entre elles correspondent à de nouveaux cas qu’il conviendrait d’ajouter à notre liste, ce qui représente approximativement 77 personnes supplémentaires. Le pourcentage est important mais la marge d’erreur sur un registre comptant 3 094 cas est somme toute infime246

.

Notre travail s’est heurté à quelques difficultés d’exploitation proprement dites, la principale étant d’éviter les doublons, voire les triples ou quadruples inscriptions, nombreuses dans nos fichiers : s’agit-il de la même personne condamnée plusieurs fois, s’agit-il d’homonymes – quelquefois la mention des métiers permet de nous le faire penser. Nous reviendrons plus tard sur ces difficultés. Quand nous étions certaine d’avoir affaire à la même personne, répertoriée dans plusieurs sections différentes – par exemple une fois dans la liasse n° 10 des réconciliés et une autre fois dans la liasse n° 12 des relaxés– nous n’avons logiquement créé qu’une seule référence et avons classé la sentence par ordre de gravité : ainsi, une personne réconciliée en 1508 puis relaxée au bras séculier en 1515, sera classée dans les relaxés au bras séculier, même si à côté de la sentence de relaxation nous précisons celle, antérieure, de réconciliation. Nous avons parfois rencontré des cas inverses : une personne relaxée en effigie par contumace et, comparaissant de nouveau quelques années plus tard, condamnée simplement à la réconciliation, alors qu’on se serait attendu à une peine de relaxation en personne. Ces cas sont très minoritaires, mais on peut se demander si cela est dû à la clémence du tribunal, à une erreur d’enregistrement ou encore une fois, à un cas d’homonymie – il ne s’agirait alors pas du même inculpé247

.

Les écarts les plus frappants, entre les deux listes – la nôtre et celle de R. García Cárcel – sont ceux des sentences, et il est très malaisé de parvenir à déterminer qui a trouvé l’information juste ou pas. Par exemple Pau Besant fut relaxé, selon l’historien espagnol, entre 1484 et 1510248. Nous avons pour cet accusé, un procès assez long, qui semble être complet – il contient 81 feuillets – mais qui ne concerne que les années 1485 et 1486, ce procès se termine par une réconciliation et non une relaxation. Pouvons-nous alors supposer qu’il fut effectivement réconcilié en 1486 et relaxé – on ne sait si en personne ou en effigie car Ricardo García Cárcel n’est pas toujours en mesure de le spécifier – beaucoup plus tard en

246 Ce registre fait l’objet d’une analyse détaillée que nous aurons l’occasion de publier dans quelque temps. 247 Voir par exemple nos références n° 1326 et 1947 dans le registre principal en annexe n° 1.

248

Référence n° 2313 de notre registre; dans ce même cas : réf. 3056 de notre registre et AHN, Inq., leg. 543, n° 9. Lors de ce procès, María del Río est condamnée à abjurer en 1487. C’est la fin du procès. Pour R. García Cárcel, elle est relaxée (en personne ou en effigie, ce n’est pas précisé) avec des dates allant de 1484 à 1507. Nous avons laissé la sentence de relaxation, en supposant qu’après son abjuration de 1487, María del Río fut relaxée en 1507.

1510, suite à une reprise de ses activités crypto-judaïques, car l’on sait que les récidivistes pertinaces finissaient, dans le district de Valence, presque toujours sur le bûcher à cette époque249 ?

Quand nous avons été confrontée à ce genre de disparités nous avons fait des choix au cas par cas, soit en privilégiant les procès au détriment de données pour lesquelles nous ne connaissons pas les sources, soit comme dans le cas que nous venons de citer, en décidant de suivre le choix de Ricardo García Cárcel. En toute logique, Pau Besant pouvait fort bien avoir été réconcilié en 1486, preuve du procès à l’appui, mais avoir été relaxé plus tard ainsi que le signale García Cárcel250. Dans tous les cas, si des choix ont été opérés, nous donnons toujours dans le registre, en annexe, la motivation de ce choix.

Quelquefois, un individu est relaxé au bras séculier en personne à une date donnée, et on le retrouve quelques années plus tard réconcilié ; ou bien encore : un homme relaxé en personne deux fois, l’une en 1506, l’autre plus de vingt ans après, en 1529251

. Dans ces cas nous avons en général créé deux références en supposant que nous étions face à des homonymes. En revanche, lorsque la similitude était trop forte ou quand des données annexes venaient nous conforter dans l’idée d’une erreur de registre, nous n’avons retenu qu’une seule référence. Enfin pour terminer sur le sujet des sentences, Ricardo García Cárcel a souvent indiqué « relajado » sans préciser s’il s’agissait de relaxés en personne ou relaxés en effigie. Les abécédaires – legajo 5320 n° 9, 10, 11 et surtout 12 – sont beaucoup plus précis et nous ont permis à de très nombreuses reprises de compléter cette sentence imprécise : on comprend ainsi que bon nombre des relaxés sans spécifier devenaient des relaxés en effigie, ce qui diminue quelque peu la sévérité du tribunal valencien252. Nous donnerons les chiffres exacts, sans opérer de différence entre ce qui fut dit par Ricardo García Cárcel et ce que nous disons aujourd’hui, dans le chapitre statistique consacré aux sentences.

Rares sont les familles qui figurent dans les listes de l’Inquisition que nous utilisons et qui ne figurent pas dans celle de Ricardo García Cárcel. Les différences se trouvent surtout à l’intérieur des familles elles-mêmes : certains membres sont présents dans les archives inquisitoriales, d’autres chez Ricardo García Cárcel. Prenons quelques exemples : le couple Adret, Galcerán et Jerónima. Ricardo García Cárcel les mentionne dans sa liste mais les

249

C’est en tout cas ce que nous avons pu constater à la lecture de la plupart des 403 procès.

250 AHN, Inq., leg. 535, n° 14.

251 Voir par exemple notre réf n° 1988 du registre en annexe n° 1.

252 Pour déterminer les relaxations en effigie pour cause de décès, nous nous sommes référée à la mention

archives de l’Inquisition s’avèrent plus complètes puisqu’elles contiennent le couple, mais aussi leur fils Joanot et leur fille Violant. Autre exemple : Luis Alcañiz, le médecin marié à Leonor Sparça qui figure dans la liste de Ricardo García Cárcel. Dans les sources inquisitoriales nous retrouvons également ses enfants, Jerónima, Aldonça, Ángela, Violant et Francès. Ricardo García Cárcel cite encore Pau Besant, mercader de Teruel dont nous avons déjà évoqué le cas ; dans les abécédaires de l’Archivo Histórico Nacional, Pau Besant n’est pas mentionné, mais ses filles le sont : Violant et Isabel. Et enfin dans un procès, Pau Besant réapparaît253. Les exemples de ce type sont très nombreux. Parfois, nous trouvons un frère dans l’ouvrage de Ricardo García Cárcel et l’autre frère dans les registres de l’Archivo Histórico Nacional, ou bien la femme dans une source et le mari dans une autre. Autre exemple, les Viabrera : Ricardo García Cárcel en répertorie sept. Quatre coïncident avec les listes de l’Archivo Histórico Nacional, qui de leur côté en répertorient trois autres que Ricardo García Cárcel ignore.