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Les juifs et les juiveries du royaume de Valence : quelques mots en guise de

A- Juifs et judéo-convers : deux dates critiques : 1391-1492

I. Les juifs et les juiveries du royaume de Valence : quelques mots en guise de

Le royaume de Valence compte du nord au sud les juiveries de Morella, San Mateo, Castellón, Onda, Vila-Real, Burriana, Sagunto (ou Morvedre), Valencia, Chelva, Alzira, Xàtiva, Elx et Oriola. Celle de Burriana fut très prospère et Jacques II l’autorisa même à posséder un cimetière et une synagogue. Celle de Sagunto était la deuxième en importance après celle de Valence. Elle était située à flanc de coteau, sous le château, très près de l’ancien théâtre romain. Xàtiva, considérée comme la deuxième ville du royaume, abritait également une importante communauté juive. Nous reviendrons sur cette communauté dans la quatrième partie de cette étude. Quant à la juiverie de Valence, elle a fait l’objet de nombreuses recherches de la part d’historiens valenciens42. C’était en effet la première en taille et en

puissance avec ses plus de 600 maisons et, selon l’historien José Hinojosa Montalvo, ses quelque 2 500 ou 3 000 habitants, soit 10 % environ de la population totale de la ville à la fin du XIVe siècle43. Il y avait trois enceintes44. La première créée en 1244, la seconde en 1390-

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Enrique Cruselles, José María Cruselles, José Bordes, « La construcción de la mácula. Genealogías judeoconversas compuestas por la Inquisición valenciana (1505-1507) », dans La pureté de sang en Espagne, du

lignage à la “race”, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2011, p. 163-184 : pour la différence entre converso, et cristiano nuevo: les conversos sont les « cristianos descendientes de judíos convertidos que habían

recibido el bautismo al nacer », alors que les cristianos nuevos sont les « antiguos judíos convertidos al cristianismo ». Ils ajoutent la définition de cristianos « de natura », expression couramment employée dans nos documents : il s’agit des vieux-chrétiens – cristianos viejos.

42

JoséRodrigo Pertegás, La judería de Valencia, Valence, Hijos de Francisco Vives y Mora, 1913 ; Dánvila y Collado, Clausura y delimitación de la Judería de Valencia en 1390, Madrid, Boletín de la Real Academia de la Historia, XVIII, 1891 ; José Hinojosa Montalvo, « La comunidad hebrea en Valencia : del esplendor a la nada (1377-1391) », Saitabi XXXI, Valence (1981), p. 47-72 ; Leopoldo Piles Ros, « La judería de Sagunto. Sus restos actuales », Sefarad XVII, Madrid (1957), p. 352-373 ; Francisco Roca Traver, Los judios valencianos en

la Baja Edad Media, Valence, Ayuntamiento de Valencia, 1998 ; Manuel Sanchis Guarner, La ciutat de València, Sintesis d’història i de geografía urbana, Valence, Ajuntament de València, 1976; Salvador Aldana,

Los judíos de Valencia : un mundo desvanecido, Valence, Carena Editors, 2007 ; Marilda Azulay et Estrella

Israel, La Valencia judía : espacios, límites y vivencias hasta la expulsión, Valence, Consell Valencià de Cultura, 2009.

43

Valence compterait alors, selon le même historien, quelque 5 000 feux ou 30 000 habitants. Il faut prendre avec précaution tous ces chiffres. Voir, par exemple, J. Hinojosa Montalvo, « La comunidad hebrea en Valencia », art. cit., p. 57. Il reprend ces mêmes données dans : « Conversos y judaizantes en Valencia a fines de la Edad Media », Anales Valentinos XXII, n° 44, Valence (1996), p. 250-274, chiffres p. 256. Ricardo García Cárcel, « La comunidad de los judeo-conversos en época de Santàngel », dans Lluis de Santàngel i el seu temps,

1391, la troisième de 1393 à 1492. La juiverie de 1244 était délimitée par deux portes : celle de la Figuera (actuellement calle del Mar - Plaza de la Reina) et celle des Cabrerots ou Plaza dels Valleriola, ou encore porte de Carn i Cols.

Carte n° 1

Périmètre de la première enceinte45

Carte non reproduite par respect du droit d’auteur

La deuxième juiverie fut détruite en 1390 et sur ses ruines, on construisit le Nou Portal de la Juheria. Les premières frontières de la juiverie s’étendirent peu à peu et

congrès international, valencia 5-8 octobre 1987, Valence, 1992, p. 421-431. Il reprend aussi, page 424 de son

article, les données de J. Rodrigo Pertegás, La judería de Valencia, op. cit.

44 Le chroniqueur Marqués de Cruilles donna les noms des rues et des murailles composant ces enceintes mais

confondit bien souvent les murailles chrétiennes, les musulmanes et les juives : Guía Urbana de Valencia

Antigua y Moderna, Imprenta de José Rius, 1876, [copie facsimilée : Librerías París-Valencia, Valence, 1979].

En revanche Rodrigo Pertegás nous fournit des indications bien plus exactes et précises. Nous reproduisons ici ses tracés des différentes enceintes, repris et retravaillés par M. Azulay et E. Israel, La Valencia Judía, Valence,

op. cit. p. 222-223. 45

occupèrent un espace non négligeable à l’intérieur de la paroisse chrétienne de Santo Tomás, grâce à des acquisitions faites progressivement par les juifs : habitations, ateliers, échoppes. Ils s’étendirent jusqu’aux paroisses voisines de San Andrés et San Esteban. Cette lente progression hors des premières limites entraîna, comme on pouvait s’y attendre, des inquiétudes grandissantes chez nombre de chrétiens, d’où une série de décrets votés par le Consell de la Ville pour éviter toute nouvelle extension46.

Carte n° 2

Périmètre de la deuxième enceinte47

Carte non reproduite par respect du droit d’auteur

46 Décret du 16 septembre 1326 du Consell de la Ciutat : aucun juif ne devait vivre ou se trouver hors de la

juiverie. Il ne devait pas non plus fréquenter les maisons des chrétiens. Puis les Cortes del Reino : du 24 septembre 1370 : le roi Pedro IV interdit que les juifs achètent des maisons aux chrétiens, ou leur en louent. En 1389 Juan I fit voter un décret similaire.

47 Selon l’hypothèse de J. Rodrigo y Pertegás, tiré du livre de M. Azulay et E. Israel, La Valencia judía, op. cit.,

La troisième enceinte se réduisit considérablement après les pogroms. Le 25 juin 1393, le roi Jean Ier et sa femme la reine Violante ordonnèrent au Bayle48 de Valence de réserver un quartier de la ville pour construire la nouvelle juiverie, dont les limites furent établies par le roi le 31 décembre de cette même année49.

Carte n° 3

Périmètre de la troisième enceinte50

Carte non reproduite par respect du droit d’auteur

48 Bayle :les bayles locaux étaient sous l’autorité du bayle general, lui-même obéissant directement aux ordres

du monarque et représentant le roi. Ils géraient le patrimoine royal, faisant le lien entre le fisc et les particuliers.

Voir définition complète dans note 640 de la quatrième partie.

49

Voir J. Hinojosa Montalvo, « La comunidad hebrea en Valencia », art. cit., fournit de nombreux détails sur cette nouvelle juiverie, notamment le nom des propriétaires des maisons juives, avec certains conversos déjà connus tels Pedro Dartes, dont le précédent nom était Humer Tauell ou encore Pascasio Maçana, dont le nom juif était Natam Abenmarueç.

50

Selon hypothèse de Rodrigo y Pertegás, tiré du livre de M. Azulay et E. Israel, La Valencia judía, Valence, Consell de Cultura, 2009, p. 243.

De manière générale, la ville de Valence était composée de douze quartiers délimités en paroisses. Ce sont ces paroisses et ces démarcations qui sont toujours utilisées lors des recensements et des différents comptages, c’est donc aussi ce découpage que nous utilisons quand nous posons notre regard sur les quartiers juifs et non juifs de la ville. Ces paroisses sont du nord au sud, celles de Santa Creu, Sant Llorenç, Sant Bartomeu, Sant Salvador, Sant Nicolau, Sant Pere, Santa Caterina, Sant Tomàs, Sant Joan del Mercat, Sant Esteve, Sant Marti et Sant Andreu. Sant Tomàs recueillait, comme nous l’avons vu plus haut, une bonne partie de l’ancienne juiverie et abrita par conséquent plus tard, la majorité des conversos de la ville. Santa Caterina était un quartier de commerçants et d’artisans et pour cette raison, il était également habité par quelques familles conversas. Nous ne nous intéresserons pas ici aux autres paroisses pour ne pas nous éloigner de notre propos51.

Carte n° 4 : Parroquias de Valence52

Carte non reproduite par respect du droit d’auteur

51 J.-M. Cruselles, E. Cruselles, J. Bordes, « La construction de la mácula. L’Inquisition de Valence et

l’élaboration des généalogies judéo-converses (1505-1507) », art. cit., p. 163. Voir la bibliographie pour d’autres ouvrages sur l’organisation de la ville en parroquias.

52

Les aljamas étaient la propriété du monarque et dépendaient directement de lui ; ce dernier leur octroyait, en échange d’importantes sommes d’argent, des privilèges tels que protection, possibilité de s’auto-administrer, ainsi que diverses autres concessions. C’est ainsi que ces communautés juives disposaient de leurs propres institutions53 : conseil, synagogue, école, boucherie, cimetière, hôpital, confréries, œuvres pieuses, marché, etc., et de leurs propres personnages officiels, rabbins ou fonctionnaires, conseillers, secrétaires, trésoriers, collecteurs d’impôts, notaires, juges, greffiers. Jusqu’à la date de leur expulsion en 1492, les juifs réunis en assemblée élisaient chaque année deux représentants : l’alatina et le medin, chefs de la communauté urbaine et leur porte-parole auprès du souverain, de ses représentants, et de la municipalité54. Après les événements de 1391, la communauté juive de Valence disparut et ses survivants s’établirent alors dans les juiveries rescapées. Les postes d’alatina et de medin subsistèrent à Xàtiva, à Murviedro et à Burriana, seuls endroits où ces communautés avaient pu résister aux assauts. Elles étaient néanmoins très peu actives, semblant se limiter à un rôle de simples intermédiaires, prenant en commande des marchandises que leur confiaient artisans et marchands, souvent d’origine conversa55. Les pouvoirs provinciaux, tels la Generalitat, et les pouvoirs municipaux n’exerçaient aucune juridiction sur les minorités qui n’étaient responsables que devant les autorités royales56

: elles dépendaient directement, depuis Jacques I du Justicia civil y criminal s’il s’agissait de litiges entre juifs et chrétiens, et directement du Bayle General – ou local – pour les litiges ne concernant que les juifs entre

53 Jacqueline Guiral, Valencia, Puerto mediterráneo en el siglo XV (1410-1525), Valence, Edicions Alfons el

Magnànim, 1989, p. 510. Voir aussi ce qu’écrit José Ramón Magdalena Nom de Déu, « Judíos valencianos ante el Baile y el Justicia, siglos XIV-XV », Lluís de Santàngel i el seu temps, Congrès internacional, Valence, Ajuntament de València, 1992, p. 451-460 ou encore : David Romano Ventura, « Creencia y prácticas religiosas de los judíos de Valencia (1461-1492). Propuestas metodológicas a base de documentos inquisitoriales», dans

Lluis de Santàngel i el seu temps, Congrès internacional, Valence, Ajuntament de València, 1992, p. 431-449. 54

Voir pour plus de détail sur l’organisation de ces aljamas et en particulier, les cimetières et les confréries, J. Hinojosa Montalvo, Los judíos en tierras valencianas, art. cit., p. 81-87. Ou encore J. R. Magdalena Nom de Deu, La aljama hebrea de Castellón de la Plana en la Baja Edad Media, Livre LVI, Castellon de la Plana, Societat Castellonenca de Cultura, 1978.

55 Quant à la communauté urbaine islamique, elle était dirigée par un magistrat officiel, le Cadi royal, recruté à

vie, durant le XVe et encore au début du XVIe siècle, au sein d’une même famille. Il apparaissait comme l’interlocuteur privilégié auquel s’adressaient les autorités.

56 Les juifs étaient « propiedad de la Casa del Rey » selon les documents administratifs de l’époque ; ils étaient

les sujets personnels des monarques chrétiens qui leur devaient protection. Rappelons ce qu’écrivait Isabelle la catholique dans son testament : « Todos los judíos de mis reinos son míos y están so mi proteccion y amparo y a

mi pertenece de los defender y amparar y mantener en justicia ». De même, le Fuero 1172 de Teruel déclare la

chose suivante : « qual los judíos siervos son del senyor Rey et siempre a la real bolsa son contados », cité par A. García, « Los judíos valencianos del siglo XIV y XV », art. cit. p. 17.

eux57. Le tribunal rabbinique ou bet-din ne résolvait que les litiges en première instance ou de moindre importance58.

Décrire la communauté juive comme un tout uniforme est, nous le répétons, une simplification qui serait abusive59. Il y avait, à l’intérieur des aljamas, des pauvres, des marginaux et des exclus, mais, comme à l’image des communautés chrétiennes, les réseaux d’assistance tendaient à réduire cette pauvreté60

. Comme dans le monde chrétien, on distinguait les « bons » des « mauvais » pauvres : ces derniers ne méritaient pas l’aide de leur groupe parce qu’ils altéraient les formes de cohabitation en ne montrant aucune disposition à s’intégrer, à faire partie de la communauté. Quant aux « bons pauvres », parfaitement intégrés, ils devaient leur nouvelle situation à de mauvais investissements ou à toute autre forme d’adversité, comme les maladies par exemple61

. Parfois cette situation de déchéance les conduisait à se convertir au christianisme, car ils pensaient trouver chez les chrétiens un illusoire réseau social plus accueillant. C’est en effet ce que le pouvoir majoritaire leur promettait s’ils décidaient de quitter l’aljama62

.

La famille juive était comme la chrétienne, une famille de type nucléaire, composée du couple et des enfants principalement, auxquels pouvaient s’ajouter d’autres membres comme les grands-parents, les beaux-parents, et les domestiques pour les familles un peu plus aisées, mais nous ne saurions dire avec précision quel coefficient multiplicateur il conviendrait d’appliquer à ces familles, dont le pouvoir et l’autorité revenaient exclusivement à l’homme.

L’infériorité légale des juifs par rapport aux chrétiens était clairement inscrite dans la législation ecclésiastique et elle se consolida encore à partir du XIIIe siècle ; elle se

57 Cela est clairement établi dans les Furs, Llibre I, Rúbrica III, ou encore Furs, Llibre III, Rúbrica V, Fur

XLVIII.

58 Pour plus de détails sur les types de litiges qui pouvaient opposer les juifs entre eux ou avec les chrétiens, voir

ce qu’écrit J.R. Magdalena Nom de Déu, « Judíos valencianos ante el baile y el Justicia », art. cit. Voir aussi à ce propos, Francisco Roca Traver, El Justicia de Valencia, 1238-1321, Valence, Ayuntamiento, 1971.

59

Jaime Castillo Sanz, « De solidaritats jueves a confraries de conversos: entre la fosilització i la integració de una minoría religiosa », Revista d’Història Medieval, n° 4, Valence, (1994), p. 183-206.

60 Voir J. Hinojosa Montalvo, La judería de Valencia en la Edad Media, Valence, Delegación de Cultura,

Ajuntament de València, 2007, p. 179. On trouve également des informations sur les aumônes distribuées dans les aljamas dans l’ACA. reg. 933, fol. 194 r-v 29-3-1379 cité par Hinojosa, et que nous avons également pu consulter.

61 Nous n’insisterons pas sur ce phénomène de pauvreté et les moyens d’y remédier qu’utilisaient les autorités

juives et chrétiennes, car cela nous éloignerait de notre sujet initial. J. Castillo Sanz, dans son article « De solidaritats jueves a confraries de conversos », art. cit., décrit le rôle des confréries, le système des aumônes, etc., p. 186 et suivantes.

62 Ariel Toaff : Il vino e la carne. Una comunità ebraica nel Medioevo, Bologne, Il Mulino, 1989, p. 132 :

l’auteur montre comment les réseaux chrétiens exerçaient leur prosélytisme en accueillant les candidats à la conversion en leur accordant une aide économique, (cité par J. Castillo, note 3).

manifestait sur quatre points : les juifs ne pouvaient pas être fonctionnaires, ils ne pouvaient pas prétendre à une supériorité juridique ou morale sur les chrétiens, ils ne pouvaient pas être médecins de chrétiens, ils ne pouvaient pas employer de serviteurs chrétiens, ils devaient vivre éloignés des chrétiens. Il est clair qu’entre la théorie et la réalité, il y avait des différences, et la vie quotidienne des juifs et des chrétiens ne fut pas aussi cloisonnée que ne le voulaient les textes63. Si l’on se réfère à la documentation étudiée, nous pouvons déduire que les relations entre juifs et chrétiens furent plus fluides et intenses que ce qu’auraient aimé établir les législateurs : les besoins que les chrétiens avaient des juifs pour plusieurs raisons – économiques, religieuses, etc. – firent que l’équilibre et la « tolérance » relative prévalaient en général sur la violence et le fanatisme, même si, en 1492, ce fut cette violence et ce fanatisme qui l’emportèrent sur la cohabitation pacifique64.