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A- De la liste établie par R García Cárcel aux abécédaires conservés à l’Archivo Histórico

II. Description détaillée

Ce legajo (liasse) est composé de plusieurs dossiers ou pièces – expedientes. Quatre nous intéressent : les pièces numéro 9, 10, 11 et 12225.

a) La pièce n° 9

Le dossier n° 9 est composé de plusieurs listes. La première est une liste de personnes, classées par ordre alphabétique des prénoms de la lettre A à la lettre Z. Elle est précédée d’un titre : « Rubrica de las personas procesadas reconciliadas u otras que tienen processos ». Il s’agit donc des personnes ayant été réconciliées après procès226. Suivent des paragraphes avec les noms et les condamnations détaillés mais malheureusement sans aucune indication de dates. Cette liste porte le titre suivant : « Los azotados que tienen processo o por otros motivos fueron presos y penitenciados227.»

Une troisième liste contient des dates en marge, et son titre est libellé comme suit : « Rubrica de los quemados en persona y relaxados al brazo secular. » Suivent cinq feuillets contenant des listes de noms, sans dates, ayant pour titre : « La siguiente rubrica es de las personas processadas y que tienen quemadas las estatuas y los bienes confiscados y de las personas citadas por ausentes y que tienen procesos. » Puis, deux feuillets de noms, sans date

225 AHN, Inq., leg. 5320, n° 9, 10, 11 et 12. W. Monter dans son ouvrage intitulé La otra Inquisición, op. cit.,

mentionne cet abécédaire en note 36 page 37 : il signale, comme nous qu’il n’est pas complet. De même avant lui, H. C. Lea, History of the Inquisition of Spain, III, New-York, Macmillan, 1906, p. 562 y fait référence [consulté en ligne : http://libro.uca.edu/lea1/1lea.htm].

226 Ce détail est fondamental car notre intention est d’identifier les personnes ayant subi un procès et non des

listes de réconciliés en masse au cours des édits de grâce habituels.

227 Nous avons choisi de respecter la graphie, même aléatoire, telle qu’elle apparaissait dans les documents

avec cette indication : « Los processos viejos del oficinado », suivis d’un nouveau document portant la mention : « La siguiente rúbrica es de las personas difuntas cuyas estatuas son relaxadas y los huesos quemados y de esos cuya memoria y fama sea procedido y es condenada. » Nous trouvons enfin une liste de noms avec très peu de dates.

Ces listes sans dates ne sont pas exploitables en l’état. En revanche, après avoir retranscrit le fichier dans sa totalité, il nous a été possible de reprendre ces données incomplètes et les rapprocher, dans la mesure du possible, des données déjà collectées. Ainsi avons-nous pu créer, à la fin, un fichier assez détaillé.

b) La pièce n° 10

Le dossier n° 10 débute à la page 64 du legajo avec un texte de 1491 en latin, adressé par l’Inquisiteur Joan de Monasterio à Tomás de Torquemada : « El Inquisidor Joan de Monasterio que le representa en el cabildo de la seo y ante el governador y justicia [… ] para el Inquisidor General en el Reyno St Fray Thomas de Torquemada. » Il s’agit d’une lettre de recommandations et de procédures diverses à mettre en place, l’Inquisiteur général souhaitant à partir de cette date resserrer l’équipe de fonctionnaires du tribunal pour en améliorer les résultats228. Dans cette section figure la liste des condamnés à « Reconciliacion » avec des dates précises : nous l’avons reportée in extenso dans notre fichier, sous la référence AHN 5320 n° 10.

Cette liste reprend, comme la précédente, un ensemble de noms, toujours classés par ordre alphabétique des prénoms de la lettre A à la lettre Z. Elle a pour titre, en langue valencienne : « Tots los presos segons que son estades presos per crimen de heretgia y son exides ab condena e de diverses maneres. » Peut-on cependant affirmer que toutes les personnes figurant dans cette section ont été réconciliées ? En effet, elles apparaissent comme telles dans le titre du document, mais la peine n’est plus mentionnée individuellement par la suite. Si l’on compare notre liste à celle de Ricardo García Cárcel, ce dernier attribue des

228 R. García Cárcel, Orígenes de la Inquisición española, op. cit. p. 76-77, nous fournit les précisions suivantes :

Juan de Monasterio est chanoine de la ville de Burgos, il est nommé inquisiteur par Tomás de Torquemada en 1491 en remplacement d’une équipe que l’Inquisiteur Général juge peu efficace car trop clémente (voir la première partie de cette thèse). Il est assisté d’un autre homme d’église, Rodrigo Sans de Mercado, chanoine de Zamora. Joan de Monasterio est expert en droit. A la demande insistante du roi Ferdinand II dont les besoins financiers étaient de plus en plus importants, Joan de Monasterio s’appliqua à remplir les caisses de l’État grâce aux réconciliations accompagnées des inévitables confiscations de biens, utilisant pour cela de nombreux procédés. Pour atteindre cet objectif financier, Torquemada promulga une série de règlements à caractère exclusivement économique, parmi lesquels une instruction, citée par B. Pérez dans L’inquisition, pouvoir et

société, op. cit., p. 56. Nous avons pu également constater l’augmentation des confiscations à partir de 1491 en

peines différentes, telles que la relaxation au bras séculier, à certaines personnes qui, dans notre liste, ne sont que réconciliées. Cette différence entre les peines relevées par Ricardo García Cárcel et celles que nous retrouvons dans nos sources a constitué la principale difficulté à l’heure d’entreprendre une comparaison entre la liste de l’historien espagnol et la nôtre. C’est un point sur lequel nous reviendrons plus loin. Nous pouvons également faire une autre constatation ici : si les noms des villes sont rares jusqu’en 1538, à partir de cette date figurent systématiquement, en marge, les localités où résidaient les personnes jugées. On trouve très souvent la France et le Béarn à partir de 1560. Malheureusement, nous n’exploiterons pas ces données, qui dépassent notre période d’investigation. Nous avons cependant pu constater que, dans les listes qui nous intéressent, le greffier a toujours pris soin d’indiquer le nom de la ville du condamné chaque fois qu’il s’agissait d’un lieu autre que Valence – Xàtiva, Liria, Gandía, Tortosa, Cocentaina, Teruel, par exemple – et par conséquent, lorsque rien n’était indiqué, nous avons supposé que nous avions affaire à des individus résidant dans la capitale du royaume.

c) La pièce n° 11

Le document n° 11 porte la référence AHN 5320 n° 11 dans notre fichier reproduit en annexe. Ce registre est remarquable en ceci qu’il recense les condamnés pour des motifs autres que celui d’hérésie. Il s’agit exclusivement ici de blasphèmes, d’invocations du diable, de bigamie, donc de délits qui vont concerner en priorité les vieux chrétiens229. Or, si l’on en croit les périodisations effectuées par les historiens qui nous ont précédée, et pour ne prendre que la plus fameuse d’entre elles, celle de Jean-Pierre Dedieu, ces victimes-cibles n’apparaissent qu’à partir des années 1525-1530, et vont rester prioritaires jusque vers 1590230. Nous verrons un peu plus loin et notamment dans le chapitre consacré aux types de délits, que, s’il est vrai que ces délits ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan des persécutions contre les judéo-convers ou les morisques, à Valence le tribunal n’attendrait pas 1525 pour corriger les dérives de ses ouailles vieilles chrétiennes. Notons en outre que les

229 Jean-Pierre Dedieu, « Les quatre temps de l’Inquisition », dans Bartolomé Bennassar (dir.), L’Inquisition espagnole, XVe-XIXe siècle, Paris, Hachette, 1979, p. 13-40. J.-P. Dedieu classe ces délits dans le « groupe des

paroles scandaleuses », p. 22.

230 La périodisation établie par J.-P. Dedieu a été contestée par la suite, par d’autres historiens. En outre, si elle

s’applique à peu près convenablement à la Castille, elle est moins pertinente pour la couronne d’Aragon, en raison, principalement, de l’existence de ce qu’on pourrait appeler un « temps morisque », entre les années 1560 et 1620.

documents inquisitoriaux consacrent à ces délits une section complète, celle qui nous occupe ici, ce qui prouve encore une fois leur importance. Ce chapitre a pour titre l’énoncé suivant :

Rubricario de procesados y penitenciados por blasfemo, invocadores del demonio, casados dos veces, casados siendo profesos, falsos testigos y predicaciones escandalosas – Desde el principio de la inquisicion en Valencia hasta 1589.

Suit un énoncé en langue valencienne, reprise du précédent libellé en castillan :

Penitenciats- En la present rubrica se contenen les personas que son estades procesades y penitenciades en aquest Sant Ofici per blasfemos, demonis invocats i casats dues vegades y de casats essent procesos y de falços testimonis y predicant coses escandaloses.

Bien que notre étude concerne les judéo-convers, nous n’avons pas écarté ces délits de notre liste puisqu’ils s’insèrent, pour la majeure partie d’entre eux, dans la première période d’activité inquisitoriale. Bien entendu nous avons indiqué l’objet de l’accusation quand il était précisé. Comme pour les documents précédemment décrits, le titre est suivi d’une liste de noms classés par ordre alphabétique des prénoms.

Les dates nous ont posé davantage de problèmes. Les listes alphabétiques commencent toujours sans aucune mention de date, puis après quelques lignes, une date apparaît en marge, différente en fonction des lettres de l’alphabet. Par exemple, la première date spécifiée pour les prénoms commençant par la lettre A est 1518, pour les prénoms commençant par la lettre G, la première date figurant en marge est 1531231. Nous avons donc considéré que les noms situés avant ces dates, concernaient des procès ayant eu lieu avant. Par exemple, pour la lettre A, la première date de 1518 n’apparaît qu’à la septième ligne, nous avons donc considéré que les six premières lignes faisaient référence à des procès antérieurs à 1518 et nous avons noté « ant. 1518 » dans notre registre. Par chance, les procès conservés, que nous avons consultés ultérieurement, nous ont permis de préciser certaines de ces dates et

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nous avons chaque fois constaté que notre logique de départ était juste. De même, Ricardo García Cárcel a pu apporter parfois quelques dates que nous avons, de la même manière, insérées à la place du trop flou « ant. 1515 » ou « ant. 1518 », etc. Comme pour les autres sections, nous avons arrêté notre décompte à la date de 1530232.

Nous pouvons déjà formuler à l’issue de cette première lecture de la pièce n° 11, les remarques suivantes : la date de 1531 semble dans la plupart des listes marquer une étape importante, mais nous en ignorons la raison ; il n’existe pas de procès pour blasphème entre 1531 et 1564, alors que, rappelons-le une nouvelle fois, nous aurions dû plutôt nous attendre à une recrudescence de ces délits durant cette période. Les derniers procès répertoriés datent en majorité de 1575, bien que pour la lettre S, ils se terminent en 1589, alors que pour les autres sections, les inscriptions vont au-delà, jusqu’en 1592 pour la plus tardive. Enfin, nombreux sont les cas de blasphème qui sont antérieurs à 1518-1519, ce qui une nouvelle fois, vient nuancer la périodisation établie par Jean-Pierre Dedieu pour le tribunal de Tolède essentiellement.

Parmi les quatre-vingt-sept personnes figurant dans la pièce n° 11, vingt-neuf apparaissent également dans la liste établie par Ricardo García Cárcel, et cinquante-huit n’y figurent pas. Parmi les vingt-neuf victimes communes, quinze sont considérées par l’historien espagnol comme des judéo-convers, et quatorze comme des non judéo-convers.

d) La pièce n° 12

Nous allons conclure avec le document n° 12, plus précis que les autres quant aux sentences prononcées puisqu’il ne s’agit ici exclusivement que des sentences de relaxation au bras séculier : ce document débute par le titre suivant : « Relajados. Los relaxats en persona y en estatua, absents o difunts. » Suit une liste de noms avec des dates précises en marge. Les condamnés sont classés selon qu’ils ont été relaxés au bras séculier, en personne, en effigie ou par contumace – des annotations en ce sens sont portées en marge. Dans d’autres cas, les annotations « difunts » ou « absents » ne figurent pas en marge, mais à la suite du nom233.

232 En suivant cette logique, seuls quatre noms n’ont pas pu trouver place dans nos listes car nous n’avons pas pu

déterminer si leurs procès avaient eu lieu durant notre période. Dans le doute, nous avons préféré les écarter étant donné leur petit nombre. Il s’agit de : Cristófol Muñoz, cordonnier, blasphème, avant 1564, Catherina Falcona, invocatrice des démons, avant 1564, Castellana Siscara, invocatrice des démons, avant 1564, et Elvira Taraçona, faux témoin.

233 B. Pérez précise dans son livre, Inquisition, pouvoir, société, op. cit., que « c’est par le terme “absents” ou

“conversos ausentados” que le personnel inquisitorial nommait, de façon elliptique, les judéo-convers qui avaient pris la fuite craignant les poursuites inquisitoriales. La fuite, en tout état de cause, représentait une

Citons, par exemple, le cas d’« Aldonça difunta, mujer de Pere Guima, difunto, seder, 1509 ». Nous avons alors supposé que cette personne avait été relaxée en effigie.

Dans cette rubrique, nous ne trouvons très souvent que le prénom et le nom de l’accusé, la date et la peine, à l’exclusion de toute mention de profession, de lien de parenté ou de lieu de résidence. Nous avons constaté que la majorité des relaxés au bras séculier en personne figuraient déjà dans les listes de la section 9, rubrique 9-1. En revanche, la quasi- totalité des relaxés en effigie ou par contumace ne figuraient pas dans cette rubrique 9-1. Les noms issus de cette section portent la référence : AHN 5320 n° 12. Cette liste n’est malheureusement pas complète, puisqu’elle se termine à la lettre N incluse, mais elle nous a permis de compléter, dans la mesure du possible, les informations que nous avions obtenues pour la majorité des condamnés234.

Cette brève présentation de notre source principale sera cependant suffisante, pensons-nous, pour en pointer l’intérêt et les limites. Son intérêt premier consiste dans son unicité : elle est la seule source directe que nous connaissions permettant d’évaluer l’activité répressive du tribunal à l’époque de son établissement. Ses limites sont évidentes – imprécision dans les datations, caractère non exhaustif, pauvreté des mentions entourant les noms des accusés –, mais ne sont pour autant pas telles qu’on doive la rejeter. Cette source nous paraît au contraire suffisante et, une fois complétée par d’autres, elle constitue, à n’en pas douter, un point de départ très solide pour notre investigation. Parmi ces autres sources permettant de compléter les indications fournies par les listes que nous venons de décrire, il en est une que nous mettrons souvent à contribution dans la suite de ce travail : nous faisons référence aux procès individuels intentés aux judéo-convers, très nombreux en dépit des grandes pertes qu’ont subies les archives du Saint-Office de Valence.

preuve juridique tangible de culpabilité ». Ainsi, rappelle-t-elle : « dans le Dictionnaire des inquisiteurs, publié anonymement à Valence en 1494, à l’article “Fugue”, on peut lire ceci : « La fugue est un aveu. Celui qui s’enfuit avoue par là même son crime », (Ibid, p. 30 note 3).

234 C’est également la conclusion qu’en avait tirée S. Borel dans son article : S. Borel, « Solidarités familiales et