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José María et Enrique Cruselles qui reprennent, par endroits, les chiffres de Ricardo García Cárcel, mais aussi ceux des sources présentes dans l’Archivo Histórico Nacional,

affirment que 1 100 personnes se présentèrent spontanément devant les inquisiteurs entre 1484 et 1488, répondant aux premiers édits de grâce. C’est donc à partir de ce premier matériau qu’allaient être élaborées les premières condamnations et sur cette première série de témoignages aussi qu’allait s’appuyer l’activité du Saint-Office dans la région à ses débuts – nous ne reviendrons pas sur cet aspect des choses car nous l’avons longuement traité dans le chapitre sur les édits de grâce de la première partie de ce travail. Ces convocations durent porter leurs fruits comme semblent le prouver les 228 cas répertoriés pour la seule année 1485 – voir plus loin les tableaux d’activité du tribunal. À partir de 1492, le tribunal allait connaître une période de crise caractérisée par la disparition des édits de grâce en 1491, la diminution du nombre d’inculpés, des conflits internes qui allaient agiter cette institution – accusations de détournement de fonds, changement fréquent d’inquisiteurs et d’employés du tribunal, de trésorier. Tout cela donnait une image d’instabilité qui ne favorisait guère l’activité répressive. Ferdinand II, nous l’avons vu aussi, par ses incessantes prises de position, par ses envois multiples, réitérés et continus de missives au tribunal, n’encouragea pas la transparence de ce dernier. Ferdinand du reste ne se montra pas toujours d’une cohérence absolue, alternant à la fois les demandes d’extrême sévérité à l’égard des conversos et d’octroi de privilèges financiers à cette même communauté (1488, 1491), privilèges qui allaient priver le tribunal des précieuses entrées d’argent que lui procuraient les confiscations de biens270

. La répression allait s’accroître à partir de 1498, coïncidant avec la nomination de Diego de Deza en remplacement de Torquemada à la tête de l’institution. Le tribunal allait devoir chercher d’autres sources de financement et donc élargir l’assiette de ses victimes à des domaines qui affecteraient davantage les vieux-chrétiens : morale, sexualité, rapport à l’argent (usure), sans pour autant cesser de puiser dans le fonds judéo-convers. Ricardo García Cárcel attribue la reprise de l’activité inquisitoriale à la nomination de Deza. Or celui-ci, comme le font remarquer José María et Enrique Cruselles, fut nommé le 1er décembre 1498 pour les royaumes de Castille, Léon et Grenade. Il n’interviendrait en Aragon qu’en vertu d’une deuxième bulle signée par Alexandre VI le 1er décembre 1499 et d’une troisième, expédiée le 26 août 1500271. Les historiens valenciens penchent pour une reprise de l’activité un an avant la mort de Torquemada, soit en 1497 : cette année-là une centaine de personnes furent

270 Voir à propos des rentrées fiscales de l’Inquisition, le travail qu’a conduit Jean-Pierre Dedieu dans sa thèse

sur le tribunal de Tolède, L’administration de la foi. L’inquisition de Tolède et les vieux-chrétiens, op. cit., exemplaire dactylographié : toute sa troisième partie est en effet consacrée aux « moyens financiers ». Nous reviendrons nous-mêmes sur ce point dans notre quatrième et dernière partie.

271 J.-M. Cruselles, E. Cruselles, J. Bordes, « La construction de la mácula », art. cit.. p. 172. Ils citent :

G. Martínez Díez, Bulario de la Inquisición española, hasta la muerte de Fernando el Católico, Madrid, Editorial Complutense, 1998, p. 304-313.

poursuivies, dont soixante-dix-huit furent relaxées en effigie – les chiffres de nos tableaux ci- dessous confirment aussi cette hypothèse à quelques unités près. Toujours d’après leurs chiffres, en 1498, trente-et-une personnes furent condamnées par contumace et en 1499, soixante-six. Par conséquent, entre 1497 et 1499, 82,5 % des personnes poursuivies furent condamnées en effigie, car elles avaient fui le pays. Si ces personnes étaient en fuite à cette date-là nous pouvons supposer qu’elles avaient été inquiétées précédemment, le tribunal, en les condamnant à la relaxation en effigie, souhaitant sans doute liquider ainsi ces procès et surtout obtenir les biens qui avaient été confisqués aux condamnés ainsi qu’à leur famille. C’est donc ce qui expliquerait le pic observé par Ricardo García Cárcel pour cette époque272

. Hormis ces cas particuliers, les historiens observent un ralentissement de l’activité inquisitoriale dans les années 1490. Ainsi que nous l’avons vu plus haut, en 1500, le filon des personnes ayant quitté le royaume s’était tari et il fallait trouver d’autres solutions pour réactiver la machine. Ce fut fait avec la découverte, bien à propos, de « la synagogue des Vives », affaire très scandaleuse que les chroniqueurs eurent soin de monter en épingle. D’autres personnes allaient tomber dans le piège de l’Inquisition : les nouveaux convertis venus d’autres régions de la Péninsule, surtout d’Andalousie où, dès l486, ils faisaient l’objet de mesures d’expulsion, ainsi qu’à Saragosse, à Albarracín et à Teruel, puis de nouveau en Andalousie, à Séville encore et à Cordoue, en 1487.

À partir des années 1500, les inquisiteurs vont se succéder à un rythme assez soutenu : Juan de Monasterio et Rodrigo Sanz de Mercado sont destitués malgré leur succès lors de la découverte de la fameuse synagogue – Ricardo García Cárcel explique cette mesure par des querelles et des jalousies internes. Ils sont remplacés par Juan de Loaysa (le 12 mai 1500) et Justo de San Sebastián (le 2 novembre 1501). En 1505, est incorporé Toribio de Loaysa et en juin 1506, Gaspar Pou remplace Loaysa qui devient son assesseur jusqu’en 1509. En 1509, un nouvel inquisiteur fait son entrée : Gisbert Joan Remolins pour remplacer Saldaña. Pou est maintenu dans ses fonctions. En 1512, Remolins et Pou sont remplacés par Andrés de Palacio et Joan Calvo. En 1520, Joan Calvo est remplacé par Juan de Churruca et en 1527, Andrés de Palacio est remplacé à son tour par Arnau Alberti273. García Cárcel remarque que des vingt inquisiteurs qui dirigèrent l’Inquisition de Valence du début jusqu’en 1530, aucun d’eux n’était valencien ; il y eut cinq dominicains, douze chanoines, deux hommes de loi – Saldaña et Palacios – et un théologien – Pou. Ce qui démontre la montée en puissance du clergé séculier dans la hiérarchie inquisitoriale valencienne et la faiblesse des

272 R. García Cárcel, Orígenes de la Inquisición, op. cit., p. 165-167. 273

dominicains, sans doute parce que ceux-ci étaient trop associés à l’Inquisition médiévale. Nous avons pour notre part trouvé une liste des inquisiteurs de Valence rédigée dans les années 1640, qui complète celle de R. García Cárcel et a le mérite de montrer la continuité entre les fonctionnaires dominicains pontificaux de l’institution médiévale et ceux apparus en 1482, royaux, si l’on peut dire. Voici cette liste :

Hasta el año 1482 se rigio la Inquisicion de Valencia por inquisidores frayres de la orden de Sto Domingo antes y despues de ser nombrado por inquisidor general fray Tomas de Torquemada y de algunos inquisidores postreros de aquel tiempo se tiene noticia que son

- el maestro fray Rafael Garcia que servya el año 1461 - el maestro fray Diego Borrel que servya por el año 1474 - el maestro fray Juan Orts que sirvyo hasta el año 1482

- el maestro fray Juan Cristobal de Galvez que sirvyo hasta el año 1482 El año 1482 se començaron a proveer inquisidores que no fueron frayres y fueron los primeros

- el maestro Martín Eniego, teologo, canonigo de Valencia

- el maestro fray Juan de Epila de Santo Domyngo, que duraron hasta 1487 El año 1487 fueron nombrados tres inquisidores que fueron

- el licenciado Pero Sanz de la Calancha, canónigo de Palencia - el licenciado Juan Lopez de Cigales, teologo, canonigo de Cuenca - el doctor Francisco Soler, jurista, canonigo de Lerida

- El año 1488 fue nombrado el maestro fray Miguel de Monterubio274, dominico, prior de San Pedro de las Dueñas, en lugar del licenciado Cigales, y fue su assessor micer Juan Ardiles

- El año 1489 vino por inquisidor el maestro frai Diego Madaleno, prior de San Ildefonso de Toro, de la orden de Santo Domingo

- El año 1492 vino por inquisidor el licenciado Juan de Monasterio, jurista, canonigo de Burgos

- El año 1498 vino por inquisidor el licenciado Rodrigo Sanz de Mercado, canonigo de Çamora

- El año 1500 vino a Valencia por inquisidor el bachiller Juan de Loaysa, canonigo de Çamora

274 Nous trouvons ce nom avec deux écritures différentes en fonction des documents consultés : Monterrubio ou

- El año 1504 vino por inquisidor el doctor Justo de Sant Sebastian, canonigo de Palencia

- El año 1505 vino por inquisidor el doctor Toribio Saldaña

- Este mesmo año 1505 vino por inquisidor el maestro Gaspar Pou, teologo - El año 1510 vino por inquisidor el doctor Gisbert Juan Remolins, canonigo y paborde de Lerida

- El año 1510 vino por inquisidor el doctor Andres de Palacios y sirvyo de inquisidor hasta el año 1520 que se caso, y despues el año 1521 le hizieron assessor por lo bien que avia servydo y embio el titulo el cardenal Adriano estando en Vitoria

- El año 1514 fue nombrado por inquisidor Juan Calbo, bachiller en utroque [jure], canonigo de Calatayud, moryo en Valencia

- El año 1520 fue nombrado por inquisidor el licenciado Juan de Churruca, chantre de Almeria

- El año 1527 fue inquisidor de Valencia el doctor Arnaldo Alberti, canonigo de Mallorca

- El año 1534 fueron nombrados inquisidores de Valencia fray Anton de Calçena general de la orden de San Francisco en la corona de Aragon y el maestro Antonio Ramyrez de Haro abbad de Arbas por tratar de la instrucion y reformacion de los nuevo convertidos de moros del reyno de Valencia275.

Le nombre de personnes poursuivies déclina en 1502 – vingt-et-une – et encore davantage en 1503 – quinze. En 1504, il n’y eut aucune activité. Avec l’arrivée de Toribio de Saldaña (1505) et Gaspar Pou (1506) on assiste à une recrudescence des cas : 96 personnes en 1505 et quarante-trois en 1506 ; en 1507 le chiffre tombe à sept et il reprend en 1508 avec 61 personnes, chiffre qui va se maintenir entre trente et soixante individus poursuivis entre 1509 et 1513, avec un pic historique en 1514 avec 118 personnes au moins. En majorité, ces accusés sont en réalité décédés et leur procès est instruit « en memoria y fama », pratique qui ne sera constatée à Valence qu’à partir de 1505, bien que les premières instructions

275

AHN, Inq., leg. 502, n° 4 : « lista de los inquysidores que a avido en Valencia desde que se implanto la

inquisicion en tiempo del papa Sixto quarto y Innocencio octavo y fue inquisidor general fray Tomas de Torquemada prior de Sta Cruz de Segobia y confesor del rey catholico don Fernando ». Nous avons reproduit

ici la liste jusqu’à la date de 1534, mais elle se poursuit jusqu’en 1644. Cette liste n’est pas datée mais elle est, compte tenu de la dernière date citée, bien postérieure à la période étudiée.

inquisitoriales y eussent déjà fait clairement allusion en 1484-1485276. En 1505, les procès contre les défunts représentaient 50 % des cas et en 1506, 46,5 %, en 1507 il n’y en eut aucun, alors qu’en 1508 ils atteignirent une très forte proportion – 77 % –, pour décliner progressivement par la suite (29 % entre 1509 et 1513 – 28 % en 1514 et pas plus de 4 % entre 1515 et 1519)277.