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12 CHAPITRE 5 : DISCUSSION

5.2 Les services en toxicomanie

Avant d’aborder les interrelations observées entre les trajectoires d’utilisation de services en toxicomanie et le vécu homosexuel, il nous apparait important de rappeler certaines informations relatives à l’utilisation de ces services, moins abordée dans l’article 2 (chapitre 4.3.1). Rappelons que les informations recueillies par le biais de la ligne du temps (voir annexe 6), lors des entrevues, nous ont permis de situer dans un cadre temporel les moments où les participants considèrent que leur consommation est devenue inquiétante, la première fois qu’un professionnel de la santé les a dirigés vers un service en toxicomanie et la première fois qu’ils ont demandé de l’aide concernant leur consommation de substances

auprès d’un service spécialisé. Précisons que nous distinguons l’orientation effectuée par un professionnel vers un service en toxicomanie, de la demande d’aide effectuée auprès d’un tel service par le participant lui-même, sans l’intervention d’un professionnel. Nous considérons important de différencier ces moments, car l’orientation par un professionnel de la santé implique le plus souvent que celui-ci a détecté une consommation problématique de substances ou qu’il en est préoccupé. Or, tel que nous l’avons vu dans l’article 2 (chapitre 4.3.1), la détection de la consommation problématique représente un défi pour la population à l’étude.

Nous observons que plus de la moitié des participants se sont sentis inquiets de leur consommation pour la première fois, soit au cours des 10 dernières années, soit il y a plus de 10 ans. Néanmoins, seulement près de 1/3 de ceux-ci ont été dirigés par un professionnel de la santé vers un service en toxicomanie, durant cette période. Cependant, il est à noter qu’un peu moins des 2/3 des participants ont effectué une demande d’aide auprès d’un service en toxicomanie de leur propre chef (sans l’intervention d’un professionnel de la santé). Ces résultats contrastent avec ceux de Buffin et al., (2012), lesquels ont observé que seulement 20 % de leur échantillon avait cherché spontanément (sans l’intervention d’un professionnel de la santé) de l’aide auprès d’un service spécialisé en toxicomanie. Buffin et al., (2012) expliquent cette absence de demande d’aide principalement par les sentiments de honte des participants vis-à-vis de leur consommation, le manque de reconnaissance de leur problème de consommation, la peur du rejet en raison de leur orientation sexuelle, ainsi que par le manque d’informations quant aux ressources disponibles. En contraste, nos participants n’ont pas mentionné la peur du rejet en raison de leur orientation sexuelle pour expliquer qu’ils n’aient pas demandé d’aide, mais plutôt le fait ne pas souhaiter diminuer ou arrêter leur consommation de SPA, en dépit des conséquences de celle-ci. Outre l’aspect portant sur la volonté de diminuer ou arrêter sa consommation de SPA, les différences entre nos résultats et ceux de Buffin et al., (2012) peuvent s’expliquer par le fait que notre étude a été menée à Montréal, où l’offre de services en toxicomanie est relativement connue et accessible et où les minorités sexuelles sont relativement bien acceptées, alors que celle de Buffin et al., (2012) a été menée dans tout le Royaume-Uni, incluant des régions où les services étaient

peut-être moins accessibles et où les craintes concernant la discrimination en raison de l’orientation sexuelle pouvaient être plus importantes.

Si la plupart des participants à notre étude avaient déjà effectué une demande d’aide concernant leur problème de consommation de substances, huit d’entre eux ont affirmé ne jamais l’avoir fait. Concernant les participants s’étant déjà sentis inquiets de leur consommation il y a plus de 10 ans ou au cours des 10 dernières années, nous pouvons constater un certain délai avant que ces personnes ne soient en contact avec des services en toxicomanie. En ce sens, nos données corroborent celles obtenues par Cochran et Cauce (2006), et par Jefferson et Tkaczuk (2005), lesquels constatent que les minorités sexuelles en général, dont les hommes gais et bisexuels, tardent à consulter des services spécialisés en toxicomanie. Notons que le délai avant de demander des services spécialisés en toxicomanie est aussi observé chez les consommateurs hétérosexuels (Bertrand et al., 2014). Toutefois, en plus des raisons individuelles qui influencent une demande d’aide tardive auprès d’un service en toxicomanie, les occasions de détection de la problématique de consommation de substances, et le cas échéant, d’orientation vers un service spécialisé sont saisies tardivement par plusieurs de nos participants.

5.2.1 Interrelations des trajectoires de services en toxicomanie et du vécu homosexuel Nos résultats nous permettent de constater que les trajectoires addictives et le vécu homosexuel s’influencent les uns les autres. Tel que mentionné dans l’article 2 (chapitre 4.3.1), l’augmentation de la consommation qui découle des difficultés associées à l’acceptation de son orientation sexuelle, ou de la quête intense de plaisirs sexuels, a mené certains participants à demander de l’aide concernant leur consommation de substances. Néanmoins, les expériences de discrimination (réelles ou perçues) vécues en thérapie peuvent avoir mené certains participants à abandonner leur traitement.

Concernant l’acceptation de leur orientation sexuelle de la part des services en toxicomanie, les participants à notre étude ont mentionné qu’ils apprécient le fait de se sentir compris, non jugés et non discriminés en raison de leur orientation sexuelle dans le cadre de ces services. Cependant, plusieurs ont considéré qu’il n’était pas toujours nécessaire que ce

sujet soit abordé dans ce contexte. Tel que nous l’avons noté dans l’article 2 (chapitre 4.3.1), cette tendance a davantage été observée chez les participants qui avaient eu (ou qui avaient au moment de l’étude) plus de difficultés à accepter leur orientation sexuelle. En ce sens, bien qu’il soit pertinent que l’orientation sexuelle et la sexualité soient abordées dans le cadre des traitements de la toxicomanie, il serait important que les intervenants soient sensibles au niveau d’aisance des personnes vis-à-vis de leur propre orientation sexuelle. Par ailleurs, la persistance d’un malaise relatif à l’acceptation de sa propre orientation sexuelle dénote la nécessité d’un travail en amont, par d’autres services sociaux et de santé, afin que les personnes appartenant à une minorité sexuelle se sentent à l’aise vis-à-vis de leur orientation sexuelle. Cela fait d’ailleurs partie de quelques plans et initiatives gouvernementaux, dont ceux de l’U.S. Department of Health and Human Services (2011), et de recommandations émises par des experts (Audet, 2007).

Bien que l’orientation sexuelle, la sexualité ou le statut sérologique au VIH ne soient pas toujours des thèmes abordés dans le cadre des services en toxicomanie, selon nos participants, ces services ont permis à quelques-uns d’entre eux de mieux accepter leur orientation sexuelle ou leur statut sérologique. En effet, l’introspection que les thérapies peuvent générer aurait été bénéfique au processus d’acceptation de soi de quelques participants. En ce sens, il serait pertinent que les services en toxicomanie offrent des interventions destinées aux hommes gais et bisexuels afin qu’ils acceptent leur orientation sexuelle ou qu’ils puissent avoir une sexualité épanouie sans le recours à la consommation de substances. Pour ce faire, une formation destinée aux intervenants est nécessaire.