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12 CHAPITRE 5 : DISCUSSION

5.4 Milieux de socialisation et sexualité

Les participants se sont exprimés quant à la place qu’occupe la sexualité dans la socialisation gaie et aux différentes interactions qu’elle suscite. Ainsi, ils ont observé des normes sexuelles dans certains espaces très sexualisés, dont les saunas. La sexualité non protégée et la consommation de substances semblent constituer des normes pour les personnes qui fréquentent ces endroits. Ces observations peuvent être comparées aux données présentées par Green (2011), qui a effectué des entrevues en profondeur et de l’observation dans un quartier gai d’une grande ville nord-américaine afin de déceler les interactions qui ont lieu en « terrain sexualisé », comme dans un quartier gai. L’auteur a observé une certaine stratification de l’attirance sexuelle en fonction des critères tels que l’âge, l’origine ethnoculturelle et le statut social. Il soutient également que les personnes peuvent essayer de changer la perception que les autres ont d’eux en modifiant certaines de leurs caractéristiques, afin d’être plus attirantes sexuellement, conformément aux normes du milieu.

On peut comparer les efforts faits par les participants de l’étude de Green (2011) pour correspondre aux standards esthétiques et sexuels d’une communauté avec la consommation de SPA dans le but de faire partie d’un groupe social, d’être accepté dans une clique, ou encore d’atteindre des niveaux élevés de performance sexuelle afin de socialiser davantage dans certains types d’espaces, tels que les saunas. Par exemple, plusieurs des participants à notre étude ont rapporté avoir fait partie de groupes dont les liens se fondaient exclusivement sur la sexualité et la consommation de drogues. Pour plusieurs d’entre eux, cela représentait

leur seul contact avec le milieu gai ou a été le moyen d’y entrer. Ainsi, l’expression de leur sexualité et leurs pratiques sexuelles impliquant presque toujours des SPA sont façonnées par les aléas de la consommation dans le milieu gai. Par ailleurs, tel que nous le mentionnions précédemment, plusieurs participants avaient décidé de déménager dans un centre urbain afin de vivre plus librement leur orientation sexuelle. Or, la solitude que cet éloignement a pu produire les a parfois amenés à socialiser dans certains espaces sexualisés où la consommation de SPA est présente. Certains participants en sont même arrivés à percevoir la consommation de substances comme faisant partie de la sous-culture gaie, voire à ressentir une certaine pression pour en consommer afin de pouvoir intégrer le groupe auquel ils souhaitaient appartenir. Ces situations ont été rapportées par quelques participants à notre étude, témoignages corroborés par plusieurs études (Green et Halkitis, 2006; Jerome et al., 2009; Schilder et al., 2005), lesquelles rapportent des liens entre la consommation de SPA et certains espaces de socialisation, particulièrement les espaces sexualisés, tels que les saunas.

Soulignons que la quête de sensations et de plaisirs à travers la sexualité semble faire partie d’une des sous-cultures du milieu gai (Éribon, 1999), notamment associée à la fréquentation de saunas ou à la recherche en ligne de partenaires (Klein, 2011; Léobon, 2007; Lévy et al., 2007). Cet élément est rapidement abordé dans l’article 1. En effet, rappelons que quelques participants ont rapporté la banalisation, voire l’encouragement, de la consommation de substances sur des sites internet destinés à la rencontre de partenaires. Tout comme les espaces réels de socialisation et de sexualité, ces espaces virtuels ont permis à plusieurs participants un contact privilégié avec leurs pairs. Les observations de nos participants quant à la banalisation de la consommation de substances sur les sites de rencontres sont corroborées par Klein (2011) et Léobon (2007).

De plus, dans les grands centres urbains, parmi les espaces de socialisation gais, se trouvent des lieux tels que des bars ou des endroits favorisant la sexualité sur place. Ainsi, les habitudes et les comportements des personnes qui fréquentent ces espaces varient en fonction des interrelations avec les autres personnes fréquentant ces endroits. Par exemple, nos participants observent des phénomènes de mode à l’intérieur de certains espaces de socialisation, particulièrement des saunas, en ce qui a trait aux substances consommées et

aux modes de consommation. Sur ce dernier point, la consommation de crystal meth (méthamphétamine) semble être un phénomène émergeant chez les hommes gais et bisexuels montréalais, notamment dans un contexte sexuel. Ces observations sont similaires à celles de Lyons et al., (2013) et de Foureur et al., (2013) portant sur la consommation plus importante de crystal meth chez les hommes gais et bisexuels occidentaux, comparativement à la population hétérosexuelle (Buffin et al., 2012).

Tout comme le décrit la littérature ailleurs en Amérique du Nord et en Europe, certains de nos participants s’injectaient le crystal meth, une pratique appelée le slam par les utilisateurs (Foureur et al., 2013; Lyons et al., 2013). Comme le décrivent ces études, la pratique du slam semble s’inscrire dans certains scénarios sexuels au même titre que d’autres pratiques à risque. En ce sens, la consommation de crystal meth par injection est vue comme un moyen privilégié d’augmenter le plaisir sexuel de manière intense, tout comme les relations sexuelles non protégées par exemple. Il s’agirait donc de pratiques communes à certains réseaux socio-sexuels dans le milieu des hommes gais et bisexuels en Occident. Ces nouveaux modes de consommation, en plus d’engendrer des défis en matière de santé publique, notamment l’augmentation du risque de transmission du VIH, du virus de l’hépatite C (VHC) et d’autres ITSS, semblent refléter des tendances propres au milieu gai. En ce sens, il faudrait mieux comprendre cette pratique et examiner comment l’injection s’inscrit dans le parcours de consommation des hommes gais et bisexuels. Par ailleurs, l’injection est reconnue comme un mode de consommation qui augmente les risques de développer une dépendance. Ainsi, la détection de la consommation problématique de substances, le dépistage du VIH, du VHC et d’autres ITSS, ainsi que le traitement et l’accès aux services des personnes qui en ont besoin sont nécessaires.