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Le concept de minority stress associé à l’orientation sexuelle

7 Chapitre 2 : RECENSION DES ÉCRITS

2.2 Les déterminants sociaux de la santé et les minorités sexuelles, et le concept de

2.2.1 Le concept de minority stress associé à l’orientation sexuelle

Outre le concept de déterminants sociaux de la santé, celui du minority stress nous apparaît pertinent pour comprendre les inégalités observées sur le plan de l’état de santé des minorités sexuelles comparativement à la population hétérosexuelle. Le minority stress fait référence au stress chronique causé par le fait d’appartenir à un groupe social minoritaire et stigmatisé. Les conséquences de ce type de stress ont été étudiées par différentes disciplines, notamment la psychologie et la sociologie, et à partir de différentes perspectives théoriques, dont l’interactionnisme symbolique (Meyer, 1995). Pour les minorités sexuelles en particulier, ce concept est fondé sur le fait que dans une société hétérosexiste, définie comme celle où l’homosexualité est dénigrée et où l’on donne davantage de valeur à l’hétérosexualité, y compris au niveau institutionnel, les personnes homosexuelles ont une propension à vivre un stress chronique (Meyer, 1995; Meyer, 2003). Tout d’abord, Meyer (1995) considérait que les éléments stressants associés au fait d’appartenir à une minorité sexuelle étaient : 1) l’homophobie intériorisée, c’est-à-dire, l’intériorisation des perceptions et attitudes sociales négatives envers l’homosexualité; 2) la stigmatisation perçue, laquelle peut mener les individus à être dans un état constant de vigilance; et 3) les expériences actuelles de discrimination et de violence en raison de leur statut minoritaire. Ainsi, ces éléments stressants sont associés à des niveaux élevés de détresse psychologique chez les membres des minorités sexuelles. À son tour, cette détresse psychologique peut être à l’origine de comportements nocifs pour la santé, dont la consommation problématique de substances (Meyer, 1995). Ultérieurement, en se fondant sur des travaux dans différents domaines, Meyer (2003) considère que la question du dévoilement de son orientation sexuelle − en particulier le désir de cacher celle-ci, qui crée un stress continu − peut constituer un autre élément contribuant au minority stress. De plus, Meyer (2003) décrit le minority stress comme un continuum, allant des éléments stressants distaux (événements stressants objectifs) aux éléments proximaux (perceptions personnelles et subjectives des événements stressants). Dans la révision du concept de minority stress appliqué aux minorités sexuelles, Meyer (2003) prend en considération d’autres facteurs pouvant s’influencer les uns les autres et interagir avec le stress d’appartenir à une minorité sexuelle, dont l’origine ethnoculturelle et la classe sociale, par exemple.

Bien que le concept de minority stress ait été développé puis complété par son auteur il y a plusieurs années, il demeure pertinent. En effet, bien que dans plusieurs pays occidentaux les droits des minorités sexuelles aient beaucoup avancé au cours des dernières années, les attitudes homophobes ou hétérosexistes persistent (Tin, 2003). Ainsi, lorsqu’une personne prend conscience qu’elle ressent une attirance pour un individu du même sexe, elle a généralement déjà intégré une série des discours qui rendent son attirance illégitime (Eribon, 1999; Meyer, 1995). Ainsi, même si la personne n’a pas été directement victime de discours homophobes, elle a généralement intégré des discours homophobes très tôt dans sa vie. Cette intégration des discours homophobes contribuerait à la formation, à différents degrés, d’une homophobie intériorisée (Eribon, 1999; Meyer, 1995; Meyer 2003). L’homophobie intériorisée est définie par Tin (2003) comme l’intégration de la stigmatisation, du rejet et des préjugés entourant l’homosexualité, ce qui génère chez les individus de la honte et du rejet vis-à-vis de leur propre orientation sexuelle. Quant à la définition de l’homophobie intériorisée, Herek et al., (2007) font état des différentes façons de nommer ce concept, dont hétérosexisme intériorisé et homonégativité intériorisée, formules parfois utilisées de façon interchangeable. Dans ce document, nous utiliserons les termes employés par les auteurs, tout en étant conscients que ceux-ci veulent souvent exprimer le même concept. Au-delà de ces différences de terminologies, Herek et al., (2007) nous rappellent que les attitudes négatives envers soi-même ont des conséquences sur le bien- être physique et psychologique. En outre, comme nous le verrons plus loin dans la recension des écrits, l’homophobie intériorisée est associée à une plus grande consommation de substances chez les minorités sexuelles (Amadio, 2006; Hequembourg et Dearing, 2013; Weber, 2008).

Meyer (1995) a étudié l’effet du minority stress sur le niveau de détresse psychologique de 741 hommes gais new-yorkais, âgés en moyenne de 38 ans. Ainsi, il a testé l’effet de trois éléments stressants : l’homophobie intériorisée, la stigmatisation perçue, ainsi que les expériences actuelles de discrimination et de violence, sur cinq notions de détresse psychologique : la démoralisation, la culpabilité, les idées et les comportements suicidaires, les perceptions du stress face à la menace que peut représenter le VIH et les problèmes sexuels. Les participants à cette étude constituaient un sous-échantillon d’une étude

longitudinale plus vaste visant à étudier les impacts psychosociaux et comportementaux de l’épidémie du VIH. Le recrutement s’est effectué par le biais d’une centaine d’organismes communautaires et par la technique de boule de neige. Les résultats montrent, une fois les variables confondantes contrôlées, une association entre l’homophobie intériorisée et les cinq notions de détresse psychologique. Quant à la stigmatisation, elle était significativement associée avec quatre des cinq notions de détresse (les problèmes sexuels n’étant pas associés à la stigmatisation). Pour ce qui est des événements stressants, ils étaient aussi associés aux notions de détresse, à l’exception des problèmes sexuels. Enfin, les résultats de cette étude montrent que les hommes présentant les plus hauts niveaux de minority stress sont de deux à trois fois plus enclins à présenter de hauts niveaux de détresse psychologique. Le même auteur a mené en 2003 une méta-analyse ayant pour objectif d’examiner les données concernant les troubles de santé mentale chez les personnes LGB et de les comparer à la population hétérosexuelle. L’auteur a parcouru les bases de données PsycINFO et MEDLINE et a inclus les articles en anglais publiés dans des revues à comité de lecture. Les articles sélectionnés devaient rapporter la prévalence de troubles de santé mentale diagnostiqués selon des critères de diagnostic reconnus et comparant les LGB à la population hétérosexuelle. L’auteur a procédé à des analyses Mantel-Haenszel, afin de comparer les données sur les LGB à celles portant sur la population hétérosexuelle et d’obtenir des rapports de cote sur les variables relatives à la santé mentale. Ces analyses ont permis d’estimer que les gais et lesbiennes ont 2.5 fois plus de risque d’avoir un problème de santé mentale à un moment de leur vie (Meyer, 2003).

Les conséquences du minority stress sur la santé physique des HARSAH ont également été étudiées. En effet, leur santé est influencée, entre autres, par l’assimilation des normes sociales, ce qui peut les induire à avoir des comportements à risque pour leur santé physique, notamment la consommation de substances et les pratiques sexuelles à risque d’ITSS (Hamilton et Mahalik, 2009). Hamilton et Mahalik (2009), ont mené une étude transversale auprès de 315 hommes gais, âgés en moyenne de 46 ans. Ils avaient pour objectif d’examiner l’influence du minority stress, des rôles sociaux de genre et de normes perçues, sur la consommation d’alcool, de tabac, de drogues illicites et sur les pratiques sexuelles à risque d’ITSS. Toutes les variables à l’étude ont été mesurées avec des échelles validées,

dont l’Alcool Use Disorders Identification Test (AUDIT; Saunders et al., 1993) et l’échelle utilisée lors du National Household Survey on Drug Abuse (Substance Abuse and Mental Health Services Administration – SAMHSA-, 2002). Les résultats de cette étude montrent que les hommes gais ayant intériorisé davantage les normes sociales de masculinité sont ceux qui prennent davantage de risques pour leur santé, dont la consommation de substances. De plus, les hommes ayant un plus haut niveau de minority stress ont également plus de comportements à risque pour leur santé (Hamilton et Mahalik, 2009). Pour leur part, Cole et al., (1996) ont observé un état de santé plus précaire et des risques plus importants pour la santé chez un groupe d’hommes gais qui cachaient leur orientation sexuelle. Il s’agissait d’un sous échantillon composé de 222 hommes gais séronégatifs qui participaient à une étude de cohorte prospective se penchant sur les aspects psychosociaux de l’infection au VIH. Les variables à l’étude étaient l’anxiété, la dépression, les stratégies d’ajustement (coping), ainsi que des comportements de santé (consommation de tabac, d’alcool et de drogues, activité physique et troubles du sommeil). Ces variables étaient mesurées avec des instruments validés. Pour ce qui est du niveau de divulgation de l’orientation sexuelle, les auteurs ont utilisé une échelle à cinq niveaux, d’aucune divulgation à divulgation totale de l’orientation sexuelle. Notons cependant que les auteurs ne mentionnent pas s’il s’agit d’une échelle validée. Les chercheurs ont observé que, sur une période de cinq ans, les hommes qui cachaient leur orientation sexuelle présentaient une incidence de cancer et de maladies infectieuses près de trois fois supérieure à celle observée chez ceux qui avaient divulgué leur orientation sexuelle. Ces résultats ne semblent pas s’expliquer par l’âge, l’origine ethnique, le statut socioéconomique, les comportements de santé, l’anxiété ou la dépression.

Selon certains auteurs, bien que la théorie du minority stress (Meyer, 1995) soit pertinente dans les études sur l’état de santé d’un groupe populationnel minoritaire, il est important de tenir compte d’autres facteurs pouvant avoir une influence sur la santé, sur la perception du stress et sur la façon de s’ajuster à ce dernier, notamment le statut d’emploi et l’éducation. Ainsi, Huebner et Davis (2007) ont mené une étude afin de vérifier l’association entre la discrimination perçue et l’état de santé physique de 361 hommes gais et bisexuels, recrutés par le biais d’organismes et d’événements communautaires, ainsi que par la publicité dans des publications ciblant les minorités sexuelles. Les participants avaient la possibilité

de prendre part à l’étude en remplissant un questionnaire auto-administré sur papier, par internet ou par téléphone. Les auteurs ont mesuré la fréquence d’utilisation de médicaments non prescrits, le nombre de visites chez un médecin, ainsi que le nombre de congés de maladie pris au cours de la dernière année. Pour ce qui est de la discrimination perçue, les auteurs ont adapté un instrument désigné pour mesurer la discrimination fondée sur l’origine ethnique. Il n’est pas mentionné dans l’article si ces modifications ont fait l’objet d’une validation ni le niveau de consistance interne de l’instrument à la suite de ces modifications. Les résultats de l’étude montrent que les participants ayant un haut niveau de scolarité et rapportant plus de visites chez un médecin, ainsi que l’utilisation de médicaments non prescrits, présentaient des niveaux de discrimination plus élevés. Ces résultats laissent croire que les niveaux de discrimination peuvent occasionner des difficultés de santé qui mènent les participants à consulter un médecin.

Ainsi, nous avons vu que le minority stress, tout comme les facteurs associés à ce concept, ont une influence sur l’état de santé des minorités sexuelles. Cependant, la perception de ce stress et la façon d’y réagir varient en fonction de chaque personne et des différents contextes. Ainsi, une des réactions aux stress pourrait être la consommation de SPA. C’est ce que nous verrons plus loin.

Nous savons que le minority stress peut être généré par le conflit entre les valeurs d’un groupe social majoritaire et le fait d’appartenir à un groupe minoritaire dont les normes et valeurs sont différentes. En ce sens, à partir d’une perspective interactionniste symbolique (l’approche théorique que nous utilisons), la perception d’un regard négatif sur son orientation sexuelle pourrait générer un regard négatif sur soi-même et donc augmenter le niveau de minority stress chronique. Mais le concept de minority stress présente quelques limites, notamment lorsqu’on s’intéresse à la façon dont le minority stress affecte la trajectoire de santé des minorités sexuelle. En effet, ce concept ne tient pas compte des aspects propres au développement de trajectoires. De plus, notons que l’intériorisation des éléments négatifs associés à l’orientation sexuelle se fait tôt dans la vie, alors que les problèmes causés par le minority stress arrivent plus tard (Hatzenbuehler, Corbin et Fromme, 2011).

2.3 L’aspect syndémique de la santé chez les hommes ayant des relations sexuelles avec