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L’aspect syndémique de la santé chez les hommes ayant des relations sexuelles

7 Chapitre 2 : RECENSION DES ÉCRITS

2.3 L’aspect syndémique de la santé chez les hommes ayant des relations sexuelles

Stall et al., (2008) soutiennent que la santé des HARSAH est modulée par une série de facteurs qui interagissent et s’influencent les uns les autres tout au long de la vie. Ces auteurs se fondent sur les travaux de Singer (1994, 1996), qui a étudié les liens entre la consommation de substances, la pauvreté, la violence et le VIH parmi des femmes urbaines, tout en incluant des éléments du concept de minority stress de Meyer (1995). Comme nous l’avons vu précédemment, les expériences de marginalisation, l’intériorisation de l’homophobie et d’autres normes sociales hétérosexistes, souvent expérimentées par les HARSAH, augmentent le risque de vivre des problèmes psychosociaux, dont la dépression, la consommation de substances, la violence conjugale, entre autres. Or, selon Stall et al., (2008), ces problèmes de santé, qu’ils nomment « épidémies », se renforcent mutuellement, générant ainsi un état de santé général plus précaire chez les HARSAH. Ces auteurs proposent un schéma de la nature syndémique de l’état de santé des HARSAH en tenant compte des aspects socioéconomiques, socioculturels, ethnoculturels, ainsi que des normes sociales de genre et d’orientation sexuelle. Ce schéma est divisé en deux parties : la première concerne l’enfance et l’adolescence, la deuxième l’âge adulte. Durant l’enfance et l’adolescence, les HARSAH intègrent les discours homophobes de la société, ce qui aura une influence sur le développement d’un certain degré d’homophobie intériorisée, sur le développement de leur identité gaie, ainsi que sur le développement de ce qu’ils appellent des habiletés sociales proto-gaies, c’est-à-dire, des habiletés qui vont leur permettre l’initiation et le contact avec la communauté gaie et qui les mènera parfois à migrer vers de grands centres urbains afin de vivre plus librement leur orientation sexuelle. Tous ces facteurs précédemment nommés vont influencer, durant l’âge adulte, le développement de forces (par exemple, sentiment d’appartenance à la communauté) et de faiblesses (par exemple, stress associé au fait d’être gai dans un contexte hétérosexuel) relatives à leur appartenance à un groupe social minoritaire. Le déséquilibre entre le développement de ces forces et faiblesses peut générer des problèmes de santé psychosociaux (dont la consommation de substances), lesquels peuvent s’influencer les uns les autres et créer d’autres problèmes de santé psychosociaux de manière syndémique, ce qui finalement peut causer l’émergence de problèmes de santé physique.

Plusieurs auteurs se sont intéressés aux aspects syndémiques sous-jacents à l’état de santé des HARSAH. Ainsi, Herrick et al., (2013) ont testé, dans une approche de trajectoire de vie, la théorie syndémique auprès d’un échantillon de 1 551 HARSAH participant à une étude de cohorte multicentrique. Les données de cet article ont été obtenues au cours de deux temps de mesure d’une plus large étude. Plus précisément, les auteurs ont étudié l’influence de différents facteurs sur l’occurrence d’un ensemble de problèmes de santé, dont la consommation de stimulants, les symptômes dépressifs, le stress, la compulsion sexuelle et la violence conjugale. Plusieurs variables ont été mesurées à différentes périodes de la vie. Ainsi, les variables relatives à l’enfance et à l’adolescence (avant 18 ans) étaient la satisfaction vis-à-vis de son enfance, l’utilisation de substances par les parents, la violence parentale, l’agression sexuelle durant l’enfance, la victimisation durant l’enfance, la victimisation associée à l’orientation sexuelle, les environnements agressifs, la perception de l’atteinte de la masculinité selon des normes sociales durant la scolarité secondaire et les liens sociaux au secondaire. La variable étudiée lors de la période du coming out était l’homophobie intériorisée. Les variables prises en compte à l’âge adulte étaient l’agression sexuelle, la marginalisation actuelle (dans la dernière année), l’homophobie intériorisée et la satisfaction vis-à-vis de la vie. Les résultats montrent que l’expérience d’événements de vie adverses était significativement associée à un risque accru de problèmes de santé psychosociaux, lesquels s’influençaient les uns les autres, générant ainsi une condition syndémique. En outre, ce sont les évènements de vie adverses vécus précocement, ainsi que ceux vécus durant la dernière année, qui influencent davantage le développement d’une condition de santé syndémique, c’est-à-dire la présence de plusieurs problèmes de santé s’influençant les uns les autres. Les résultats montrent que les répondants rapportant avoir résolu l’homophobie intériorisée qu’ils avaient vécue avaient presque deux fois moins de risque de vivre de la détresse psychologique, du stress et d’avoir des comportements de compulsion sexuelle, comparativement à ceux qui vivaient encore l’homophobie intériorisée. Concernant la consommation de stimulants, les auteurs se disent étonnés qu’elle ne soit pas influencée de manière significative par les différentes variables étudiées. Ils expliquent ce résultat par le fait que les participants de leur étude avaient une moyenne d’âge plus élevée que celle où l’on observe une consommation problématique de stimulants.

Pour leur part, Halkitis et al., (2013) ont cherché à mieux comprendre la nature des liens entre la santé mentale, la consommation de drogues et le sexe non protégé, ainsi qu’à tester la théorie syndémique en ayant recours à des modèles d’équation structurelle, à partir d’un échantillon de 598 jeunes gais et bisexuels, âgés de 18 à 19 ans et habitant la région métropolitaine de New York. Il s’agissait d’une étude de cohorte prospective avec sept temps de mesure à intervalles de six mois. Les participants ont complété des instruments validés visant à mesurer le syndrome de stress post-traumatique, la solitude et la dépression. De plus, deux items ont été ajoutés afin de vérifier les idéations suicidaires et les tentatives de suicide au cours des 12 derniers mois. Quant à la consommation de drogues, les participants devaient mentionner les substances qu’ils avaient consommées et devaient passer un test d’urine. Les relations sexuelles non protégées étaient autorapportées. Les résultats révèlent des liens entre les difficultés relatives à la santé mentale et la consommation de drogues et les comportements sexuels non protégés. Les auteurs suggèrent que les actions de prévention et de traitement du VIH doivent être vues de manière syndémique et en lien avec la consommation de drogues et les problèmes de santé mentale. Des résultats similaires ont été obtenus par Ferlatte et al., (2014), lesquels ont mesuré le degré d’association entre les expériences homophobes vécues par de jeunes hommes gais et bisexuels canadiens et les problèmes psychosociaux, ainsi que la façon dont ces problèmes psychosociaux peuvent avoir un effet sur les risques d’infection au VIH. Les données ont été recueillies par un questionnaire en ligne auprès de 1 470 jeunes gais et bisexuels (nés entre 1980 et 1989), à travers le Canada. Les variables à l’étude étaient les comportements sexuels, la santé sexuelle, la consommation de substances, les connaissances relatives à la santé sexuelle, l’expérience dans l’utilisation d’internet, l’accès à des services en santé mentale et la participation communautaire. Les résultats montrent que 68 % de l’échantillon rapportent au moins une expérience homophobe au cours de la vie. De plus, les personnes ayant expérimenté au moins trois expériences homophobes étaient presque deux fois plus à risque d’avoir des rapports sexuels non protégés au cours des 12 derniers mois. En outre, des associations statistiquement significatives ont été trouvées entre la consommation excessive de substances et les relations sexuelles à risques d’ITSS. Ainsi, les participants rapportant

une consommation excessive de substances avaient 1,5 fois plus de risques de rapporter des relations sexuelles non protégées.

Les récentes études ayant eu recours à la théorie syndémique montrent des résultats intéressants, notamment en ce qui a trait à la confluence des facteurs influençant les comportements à risque en lien avec la transmission du VIH. Notons cependant que la consommation de substances est vue dans ces études comme un des éléments ayant une influence sur les comportements sexuels à risque et n’est donc pas analysée séparément. Ainsi, bien qu’il soit intéressant, l’aspect syndémique de la santé des minorités sexuelles n’était pas, à notre avis, pertinent comme cadre conceptuel de notre étude. En revanche, cet aspect a été pris en compte lors de la discussion de nos résultats.

2.4 La consommation de substances psychoactives (SPA) au Canada et au Québec