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Les services psychosociaux entre leurs hiérarchies locale et centrale

Le droit de l’application des peines

L’ APPLICATION DES PEINES DANS LES ORGANISATIONS

1. En prison : influences locales sur le droit de l’application des peines

1.2. Les services psychosociaux entre leurs hiérarchies locale et centrale

« La société, les délinquants, les décideurs n’ont pas les mêmes attentes et nous, on est toujours le méchant pour quelqu’un, c’est fatigant. » Psychologue, Adumar

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rédaction de rapports pour les décideurs, DGD et TAP. Les SPS se voient mandatés par les directeurs pour réaliser cette évaluation pour pratiquement toutes les demandes et dans tous les dossiers. Ils ont des tâches annexes, qui leur prennent peu de temps : l’accueil des entrants (tous les détenus doivent être vus par un directeur et un AS), la gestion de crise par l’intervention ponctuelle auprès des détenus (risque de suicide), l’orientation vers les services extérieurs (sur demande des détenus, vers les psychologues des communautés, pour la famille, renvoyer vers différents services comme le relais enfant-parent)1.

L’évaluation est effectuée par un AS, ou un binôme AS et psychologue, avec l’intervention possible d’un psychiatre. Une échelle classe les types de rapports en fonction de leur degré d’intervention : le type 1 est un rapport social, le type 2 est un rapport social avec un élargissement psychologique, « le plus commun, on ne fait pas tout, on fait peu de rencontres, deux ou trois et pas tous les tests, sur demande du directeur ou de l’AS » (Psychologue), le type 3 correspond à l’évaluation psychosociale complète avec tous les tests jugés nécessaires (ce type de rapport est obligatoire pour les faits à caractère sexuel) et le type 4 est le rapport avec un avis psychiatrique, qui concerne les cas particulièrement graves (cours d’assises, mœurs, psychose, etc.).

Les SPS dans l’établissement : organisation, hiérarchie locale et mandat des directeurs Les équipes SPS sont constituées d’assistants sociaux (AS), de psychologues et de psychiatres, réparties dans les établissements2. Les psychiatres intervenants sur les dossiers SPS ne sont plus titulaires (le dernier titulaire du pays travaille à Carida) ce qui constitue une réelle difficulté pour les établissements. A Bakura un psychiatre est là deux jours par mois, à Carida deux psychiatres interviennent pour l’équivalent de 8 heures par semaine. Dans le traitement des dossiers, le manque de psychiatres peut ralentir la production des rapports, ou rendre difficile une intervention sur un cas qui le nécessiterait.

« Parfois on rencontre le directeur, pour une intervention du psychiatre par exemple. Comme ici on a un psychiatre détaché deux jours par mois, on doit faire une sélection de dossiers. » AS, Bakura

Dans tous les établissements, un secrétaire SPS gère les aspects techniques des demandes et l’organisation des équipes, transmet les annexes 2 et les rapports, attribue les dossiers des détenus entrants aux AS pour l’accueil et l’évaluation. La répartition des dossiers entre les membres du SPS est généralement alphabétique. Comme pour les directeurs, elle ne tient pas compte de l’activité des dossiers et peut poser problème au sein des équipes : les psychologues et les AS se réunissent régulièrement, séparément et ensemble, pour compter leurs dossiers et essayer de les répartir équitablement. Dans certaines prisons, les directions ont parfois tenté de comptabiliser le temps de travail des SPS, mais la tâche est complexe et les membres s’y sont opposés, sur l’argument qu’un rapport ne vaut pas l’autre : « un rapport de carence ou un

1 Dans le cas d’un établissement mixte comme Adumar (MP, MA et annexe psychiatrique), le temps de travail des

intervenants peut être réparti entre les différentes sections.

2 Le cadre global des SPS locaux représente environ 150 AS et psychologues ; côté francophone, 80 équivalents

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rapport de 30 pages, ça compte un ; si on envoie deux fois le même rapport pour une PS puis un CP, ça compte deux, sans ajouter aucune charge de travail » (Psychologue). Le nombre de dossiers par intervenants est variable selon les prisons et les périodes (cf encadré 5, ci-dessus)1. La hiérarchie des équipes locales du SPS est double : la gestion méthodologique et déontologique est assurée par le SPS central et la gestion des équipes au sein de l’établissement par les directions locales, qui sont aussi leur mandataire.

Dans les établissements, un directeur est responsable de la gestion de l’équipe SPS. Ce directeur SPS organise en général une réunion mensuelle pour aborder des questions techniques, des directives ou des difficultés d’ordre général (les bureaux, le télétravail, etc.). Cette réunion n’a pas pour but de discuter de cas particulier. Selon les établissements le contact entre l’équipe SPS et son directeur est plus ou moins fréquent et touche plus ou moins au contenu du travail, et des cas.

A Bakura par exemple les réunions avec la directrice sont hebdomadaires et servent notamment à remplir les annexes 2 qui concernent leurs dossiers et à parler des cas plus spécifiquement. Ces réunions sont un gain de temps pour la directrice : elles permettent de discuter rapidement des dossiers, de remplir les annexes 2 en concertation avec les AS et les psychologues, de se tenir au courant des cas et de la vie de l’équipe. Des réunions hebdomadaires avaient également lieu à Carida, pendant la période ou un seul directeur s’occupait des dossiers. Elles ont ensuite été abandonnées.

« On n’a plus de réunion avec les directeurs sur les dossiers. Avec l’ancien on se voyait une fois par semaine. Mais la nouvelle a clairement fait comprendre qu’elle ne voulait pas le faire. » Psychologue, Carida

Les relations peuvent être plus distendues voir parfois conflictuelles entre l’équipe et le directeur SPS. Dans une affaire de réorganisation des bureaux à Adumar, par exemple, l’équipe s’est fortement opposée à la directrice SPS, qui a dû faire appel au SPS central pour calmer la situation2.

« On a un service avec des sensibilités et des fonctionnements différents. Il y a un clivage entre les anciennes et les nouvelles, qui sont dans l’évaluation pure et dure. Ce sont des sensibilités différentes. Le problème c’est que je ne peux pas parler à un groupe, à une seule équipe qui ferait bloc et qu’on ne peut pas contester tout le monde. Alors je m’en réfère à la loi, je me retranche derrière les directives pour faire avec les sensibilités différentes. Avec les anciennes je m’y retrouve mieux, parce que j’en suis une. » Directrice SPS, Adumar

Pour les directeurs, la gestion des équipes SPS peut être délicate : les membres des SPS sont nombreux, ils relayent leur difficulté, ils n’ont pas les mêmes attentes que l’administration, ou même entre eux. La fonction de directeur SPS peut être facilitée par la connaissance du travail des équipes qu’ils doivent gérer (la directrice à Bakura est AS et psychologue de formation) ou au contraire compliquée par une trop grande proximité avec celles-ci (la directrice d’Adumar a fait partie des équipes SPS3).

1 Les recommandations du SPF Justice estiment qu’un AS devrait avoir un maximum de 60 dossiers.

2 La mise en place d’un système de doubles bureaux dans le cellulaire et dans la partie administrative, pour des

raisons de place, mettait en jeu, pour les équipes, leur mode de travail et leur place au sein de l’institution.

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Les SPS sont mandatés par les directeurs gestionnaires de dossiers dans leur mission d’évaluation. Si la relation n’est pas strictement hiérarchique, l’activité des SPS dépend des directeurs et du mandat.

« C’est nous qui cochons ce qu’on veut avoir dans le rapport, mais après si quelque chose coince, qu’il y a une question, une demande, le psy peut venir nous voir, ou nous dire que telle chose n’est pas nécessaire. » Directeur, Adumar

« Il y a une vraie carence. Les directeurs sont les grands absents, ils courent partout. On avait l’habitude de faire le point régulièrement sur les dossiers, mais maintenant on travaille dans notre coin et les discussions sont trop rares. » AS, Adumar

Directeurs et SPS travaillent au sein de l’établissement et se croisent régulièrement. La communication légale du mandat passe par le formulaire, mais de nombreux ajustements informels peuvent se faire sur les types de rapport et le travail nécessaire, pendant le temps de sa préparation : les AS peuvent décider qu’il faut l’intervention d’un psychologue, les psychologues que tel ou tel test est nécessaire, les directeurs qu’ils ont besoin d’une précision sur un point. Les interactions sont influencées par l’organisation locale et l’autonomie des directeurs : à Adumar les conférences du personnel peuvent être un lieu utile d’échange entre direction et SPS, à Bakura le contact privilégié avec la directrice SPS est un autre moyen de discuter les dossiers, ailleurs ou avec d’autres directeurs et sans réunion sur le fond des dossiers, la plupart de ces communications sont invisibles. Il arrive parfois qu’une situation particulièrement délicate incite directions et SPS à se réunir formellement, parfois avec un conseiller intermédiaire du SPS central.

Mandater le SPS, c’est en pratique déléguer toute une série d’actions. Quand les directeurs expliquent le travail réalisé en prison sur les dossiers, qu’il s’agisse du contrôle (« on essaye de vérifier l’embauche, de regarder le contrat parce qu’on a souvent des contrats bidons, alors le SPS fait ça autant que possible ») ou de la construction des demandes en réaction aux décisions (« on travaille de façon dynamique avec le décideur : lire avec le détenu les décisions, ou plutôt le faire lire par le SPS et repartir de ça pour faire autre chose qui convient mieux »), c’est en pratique le SPS, par le biais de la production des rapports, des évaluations et des actualisations qui est chargé de ces tâches. Fournir un rapport SPS et les actualisations implique en effet de rencontrer régulièrement le détenu, de travailler sur la construction des dossiers et de répondre aux demandes des décideurs touchant aux aspects objectifs du dossier (le confronter aux faits), aux différents statuts de l’individu (qualifier le risque) et aux projets (les adapter). Les exigences des décideurs et le travail sur les dossiers en fonction des critères d’octroi sont répercutés en pratique sur le travail des SPS.

SPS deviennent directeurs et certains d’entre eux peuvent être mis en charge des équipes dont ils ont fait partie – ce qui ne sera pas sans effets sur les relations entre l’équipe et la direction et sur la gestion des dossiers des détenus. Les directeurs-gestionnaires des dossiers ayant une formation de psychologue et une expérience SPS sont habitués au métier et plus rapides pour détecter quel type de rapport va être nécessaire pour les détenus. Lors d’une journée d’observation à Bakura, les directeurs rient parce qu’une directrice « n’a que des fous » ; ce à quoi elle répond que les autres en ont aussi, mais qu’elle s’en rend compte plus vite « il faut dire que quand le détenu rempli sa cellule d’eau pour pêcher, c’est difficile de ne pas se poser de questions sur son état mental ».

105 Encadrement des équipes locales par le SPS central

Le SPS local est soumis à la hiérarchie du SPS central, au sein de la direction Appui Stratégique de la Direction générale des établissements pénitentiaires (DGEPI)1,constituée d’un directeur, d’une équipe centrale et de cadres intermédiaires. C’est le SPS central qui gère le fond du travail des intervenants, de la formation à la méthodologie, les questions de cadre des équipes et les rapports avec le cabinet du ministre2. Le SPS central est également l’autorité hiérarchique des psychiatres, mais les changements de statut les rendent de plus en plus indépendants.

« Les psychiatres ont un statut d’indépendants, donc pour la hiérarchie… mais il y a un psychiatre coordinateur. Mais ils n’en font qu’à leur tête. Il y a certaines obligations mais on a un manque de moyens d’action sur eux. L’argent joue un rôle, ils sont très bien payés, mais ce n’est pas trop le sens du service public. » SPS central

Les acteurs, tout le long de la chaîne se plaignent de restrictions dans un système où on leur demande toujours plus avec moins. De nombreux intervenants, à toutes les étapes de l’application des peines pointent du doigt les politiques de répartition des budgets entre les différents postes de la détention et en particulier entre les surveillants défendus par des syndicats vigoureux et les équipes locales du SPS.

« On ne renouvelle pas les départs et ils annoncent encore le double d’économie de personnel pour 2014… En pratique ça n’arrange personne, mais au niveau politique, c’est pour les agents de surveillance : on ne peut pas toucher à leur cadre avec les syndicats, alors les économies reposent sur les autres. Ils annoncent que nos contrats à durée déterminée ne seront pas transformés en indéterminés, on a 25 personnes qui ne savent pas si leur contrat sera renouvelé en janvier. Ils suppriment les primes sur compétences, alors on s’inscrit aux formations, on les fait et la prime est supprimée. » SPS central

Le SPS central est relayé par des conseillers intermédiaires, qui sont des interlocuteurs importants des équipes locales : deux conseillers intermédiaires psychologues et deux inspecteurs sociaux se répartissent géographiquement les établissements pénitentiaires wallons3. Ces conseillers ont été AS ou psychologues dans les équipes locales, ils ont une expérience du service. Ils participent au niveau central à l’élaboration de la méthodologie du service et sont chargés de l’encadrement des équipes : le recrutement, la formation et l’évaluation des équipes locales, la répartition de la charge de travail ou les détachements (les femmes enceintes sont écartées du travail au contact avec les détenus). Ils sont chargés du lien entre directives centrales et équipes locales et à ce titre ils ont des contacts réguliers avec les équipes locales sous différentes formes : pendant le stage et la première année en fonction, le conseiller rencontre le nouvel intervenant une fois par mois et relit tous ses rapports ; une réunion a lieu une fois par mois dans les établissements pour les AS, les psychologues et de temps en temps pour les deux et les SPS peuvent également solliciter des conseils et des rendez- vous en cas de problème. Ils rendent compte au SPS central une fois par mois du fonctionnement

1 La direction Appui stratégique se trouve au même niveau hiérarchique que la DGD. Elle comprend un service

Appui Juridique et conceptuel créé en 2005, le SSSP (service des soins de santé prison) et le SPS (voir l’organigramme de la DGEPI en annexe 5).

2 Le SPS central peut par exemple organiser des groupes de travail avec les intervenants sur des thèmes spécifiques,

il travaille en lien avec des universités, des comités d’accompagnement, etc.

3 Ici aussi le cadre n’est pas rempli : il devrait être composé de quatre conseillers par professions, du côté

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des équipes sur le terrain, en relayant par exemple les difficultés et les préoccupations. Ce rapport est communiqué au directeur du SPS central, qui gère ou fait remonter les problématiques.

Les membres du SPS central et intermédiaire sont chargés de la formation des AS et des psychologues, initiale ou continue, proposée ou imposée. La formation initiale permet de présenter le cadre légal et organisationnel dans lequel les intervenants vont exercer, leur rôle et le cadre méthodologique précis de l’évaluation et des rapports1. Une journée est consacrée à la présentation des instances avec lesquelles le SPS est amené à échanger (MJ, SAV) et une journée est consacrée aux décideurs (DGD et TAP), au cours de laquelle des représentants des institutions présentent leur travail et leur attente. En pratique, les intervenants ne reçoivent pas nécessairement cette formation dès leur arrivée, ce qui peut les amener à se retrouver face à un détenu et à devoir rédiger un rapport sans avoir suivi cette formation initiale. Dans les établissements, les nouveaux intervenants ont un maître de stage qui supervise leur travail et prend le temps de parler de leur dossier. Les formations continues proposées par le SPS central portent sur différents aspects du métier2, elles ont un impact sur le travail et sa répartition au niveau local, puisque cette accréditation est nécessaire pour produire une expertise légalement requise dans certains types de dossiers, les psychologues peuvent alors plus ou moins intervenir dans ces dossiers.

Les conseillers intermédiaires organisent des intervisions, en réunissant les AS ou psychologues de différentes prisons sur un thème particulier, la rédaction de la criminogenèse par exemple. Les SPS ont également une dispense de service, 4 heures par mois, pour une supervision qu’ils peuvent faire à l’extérieur avec le professionnel de leur choix. Le but est de pouvoir aborder librement des questions professionnelles (l’exercice en prison, le travail en équipe, dans un cadre imposé) ou personnelles (le contact avec des situations difficiles, des faits violents). Les psychologues ont finalement accès à un parrainage au sein du SPS avec un psychologue expérimenté d’une autre prison (côté néerlandophone, dans la même prison).

Les contacts entre les équipes locales et leurs conseillers portent aussi sur les cas individuels, les difficultés de terrain ou les problèmes de méthodologie, à la demande des équipes ou parfois de la direction. Leur rôle peut consister à conseiller les intervenants sur la méthodologie, sur la façon de gérer les rapports avec le détenu, de cadrer le dossier ou sur la rédaction d’un rapport en réponse à une demande des décideurs. Le conseiller est considéré comme un appui, une personne ressource avec laquelle il est possible d’aborder le fond des situations et de chercher

1 Les thèmes abordés sont la structure de la DGEPI, l’organisation des différents services, les missions, le travail

avec la direction, les différentes tâches du SPS (accueil des entrants, accompagnement psychosocial du détenu dans les processus d’élargissement et en cas de crise) et surtout l’« information professionnelle à l’autorité compétente en vue d’éclairer sa prise de décision » avec le détail des rubriques du rapport. Certains points sont approfondis : la formation comporte une partie juridique, réalisée par le Service juridique qui précise la place du droit en prison (DP, loi de principes, loi de l’internement, TAP).

2 Formation sur l’Islam, la toxicomanie, formation de perfectionnement sur les tests pour les psychologues, etc.

Elles sont dispensées en interne, par les conseillers intermédiaires (par exemple sur les méthodes projectives pour les psychologues), en externe, ou les deux, comme la formation d’accréditation pour les expertises sur les délinquants sexuels qui est prise en charge par le SPS central et l’Unité de psychopathologie légale (UPPL) de Wallonie.

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une solution dans les dossiers problématiques ou bloqués. Les conseillers intermédiaires se rendent régulièrement dans les établissements pour des réunions ou sur demande, avec une fréquence variable selon les types de dossiers et surtout selon la taille de l’établissement, les équipes SPS étant composées de deux intervenants à presque 40.

La communication entre la hiérarchie locale et la hiérarchie centrale passe par des réunions organisées régulièrement (tous les deux ou trois mois) au SPS central avec l’ensemble des directeurs locaux chargés des équipes. Les attentes vis-à-vis des rapports et des équipes ne sont pas nécessairement les mêmes entre les deux hiérarchies et un ajustement est parfois nécessaire. Les contacts portent sur des questions organisationnelles, le cadre, les conditions de travail des équipes dans l’établissement, les conseillers peuvent aussi relayer des directives du SPS central ou des exigences méthodologiques (ne pas intervenir dans les choix de test des psychologues).

« On veille sur le terrain que les équipes aient les outils pour mener leur mission à bien. Ça peut être la possibilité de voir les détenus parce qu’il y a des grèves du personnel à répétition, ou que