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Le processus de l’application des peines en action

L E CADRAGE DES DEMANDES EN PRISON

Le chapitre 3 suit en prison la préparation des demandes faites à la DGD et au TAP. En suivant les différentes situations dans lesquelles les acteurs traitent les demandes, on les voit travailler avec le droit (les délais, la motivation, les contre-indications), activer les demandes et cadrer les cas en fonction de leurs contraintes et du sens partagé de l’application des peines.

Les trois groupes d’acteurs interviennent encore sur le contenu : brièvement d’abord le greffe, qui, en effectuant des tâches techniques déléguées par les directeurs on l’a vu, participe au cadrage des demandes (1.) ; ensuite les intervenants du SPS, assistants sociaux et psychologues qui écrivent les rapports et pour cela travaillent avec les détenus (2.) ; enfin les directeurs, qui rencontrent les détenus, rédigent les avis et relaient les critères de la prison au tribunal et du tribunal à la prison (3.).

1. Informer les détenus de leurs droits

Dans le chapitre précédent, on a vu que les employés du greffe étaient en charge de la sécurité juridique des demandes, du respect des délais et de la transmission des informations, l’ensemble de leur tâche constituant une délégation technique ou juridique. Pourtant on observe avec le greffe le lien entre la réalisation d’une tâche technique et le cadrage des cas : les employés du greffe préviennent les détenus de leur droit. Cette détention des informations et leur communication est importante, des informations passent quotidiennement du greffe aux détenus. Le greffe est maître de l’information qui est transmise, de son adaptation selon l’avancée des procédures, l’état du dossier et de la demande.

Les employés peuvent les prévenir eux-mêmes, en se rendant dans le cellulaire ou en faisant venir le détenu au guichet du greffe, ou ils leur font parvenir les formulaires par l’intermédiaire des surveillants. A Adumar, les employés se déplacent dans le cellulaire pour prévenir les détenus de leur droit de faire des demandes au moment de l’admissibilité. L’information directe a été mise en place par le chef de service, afin de couper les intermédiaires (les chefs de quartier et les surveillants) et de maîtriser l’information qui est répercutée sur le détenu, elle a été systématisée pour toutes les mesures depuis la fin de l’automaticité de la première demande de LC en 2013. Cette façon de faire permet d’être sûr que l’information est passée et d’expliquer en quoi consistent les différentes mesures. Le chef du greffe considère que ce mode de

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fonctionnement a eu un impact sur le nombre de demandes, lequel aurait nettement diminué1 : l’information directe aurait pour effet de filtrer les demandes sans fondement. A Bakura et à Carida, les employés préviennent directement les détenus de leur admissibilité à la LC/LPE et leur font parvenir le formulaire pour l’admissibilité à la SE/DL. A Carida, le greffe prévient également les détenus de leur admissibilité aux CP. La communication ne se limite pas à l’information sur les demandes : une fois que le détenu a effectivement fait une demande, il doit remplir ou signer toutes sortes de documents, le formulaire pour demander une audition ou une conférence du personnel, la notification de l’avis du MP, la convocation à l’audience, etc.

« On fait principalement des auditions. Les conférences du personnel, clairement on n’en fait pas la publicité. Ça nous arrange, parce qu’il y a peu de plus-value. » Directeur, Carida

La tenue systématique des conférences du personnel à Adumar montre l’importance de la transmission des informations, puisque les conférences ne se tiennent qu’à la demande du détenu, pour autant qu’il en ait été informé. Sans déterminer d’où vient le maintien des conférences, il montre le rôle du greffe dans la perpétuation de cette pratique locale : il est le relais de cette politique locale auprès des détenus. Le détenu peut en effet difficilement revendiquer un droit qu’il ne connaît pas. Comme le trop plein de demandes à Carida conduit à une procédure interne de filtrage des demandes de LPE, ici une particularité locale dans la communication des informations entraîne la tenue des conférences du personnel à Adumar. La question de la transmission d’information aux détenus est centrale. Elle détermine non seulement la tenue des conférences du personnel, mais aussi, depuis la fin de l’automaticité de la demande de LC, l’accès des détenus aux différentes mesures. Comme C. Borelle le souligne s’agissant des commissions en charge de statuer sur un certain nombre de droits pour les personnes handicapées, qui font face à une augmentation des demandes : « la saturation du dispositif engendre l’institutionnalisation du non-recours au droit pour le demandeur de défendre son dossier (…) une non-communication intentionnelle sur l’existence du droit pour l’usager de présenter et de défendre son dossier en commission » (Borelle, 2013, 485). L’absence de publicité renvoie pour C. Borelle à la notion de non-recours, définie par P. Warin comme « toute personne qui – en tout état de cause – ne bénéficie pas d’une offre publique, de droits et de services, à laquelle elle pourrait prétendre » (Warin, 2010) et à la catégorie spécifique de « non-recours par non-connaissance ». La définition proposée par P. Warin élargit considérablement l’étude du non-recours aux droits (auparavant limitée aux prestations sociales financières) puisque « la prise en compte de cette question est liée au besoin récurrent de savoir si l’offre atteint bien les populations à qui elle est destinée » : le non-recours concerne des domaines variés, de la santé à la justice, « aux services publics et aux institutions régaliennes, indépendamment de leur caractère obligatoire, alternatif ou contingenté », partout où des droits sont attribués à ceux qui les demandent. La première étape est donc la détention de l’information, communiquée au détenu par les employés du greffe, qui renvoie pour la question des conférences du personnel, à la non-connaissance, « lorsque l’offre n’est pas connue »

1 Impact dont il est impossible de rendre compte, d’autant plus qu’il se combine avec la fin de la demande

automatique de LC. Si le nombre des demandes a bien baissé, c’est peut-être sous l’effet des deux éléments combinés.

165 (Ibid.)1.

En pratique, la transmission d’informations donne lieu à de courtes rencontres entre l’employé et le détenu (parfois non directement, avec des intermédiaires, mais le lien existe partout entre greffe et détenu) qui vont au-delà de la gestion technique des dossiers et qui peuvent avoir des effets sur le contenu sur les demandes. Nous donnons quelques exemples de notifications aux détenus à Adumar, qui illustrent la transmission et le type d’information sur les situations, du greffe aux détenus ; celles-ci se passent dans une petite pièce entre les sections administrative et cellulaire. Les employés (dans ces exemples, du greffe spécialisé application des peines) viennent avec les documents à faire signer ou à remettre aux détenus, qu’ils ont préalablement fait venir.