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Division du travail au sein de la juridiction échevinale

Le droit de l’application des peines

L’ APPLICATION DES PEINES DANS LES ORGANISATIONS

3. Les tribunaux de l’application des peines

3.2. Division du travail au sein de la juridiction échevinale

« Le travail TAP est très régulier : audiences, jugements, relecture, préparation des audiences, suivi de guidance. Un jour l’audience, un jour ou un et demi pour la rédaction des jugements, un jour de préparation, le reste pour les arrestations provisoires. La guidance est confiée aux assesseurs tant que tout va bien, si quelque chose coince, on en parle à trois. » Président, Alcyone

Contrairement à d’autres formes d’échevinage, le statut et le rôle des magistrats, professionnels et non-professionnels dans la loi n’est pas différent au sein du TAP. En dehors de la présidence (et de la police) de l’audience qui revient au président de la chambre, le texte ne différencie pas le temps de travail, les tâches ou les rôles dans la décision, qui doit être prise à la majorité des trois voix. Au sein des juridictions du travail, autre exemple d’échevinage, « les magistrats sociaux sont peu impliqués dans la gestion quotidienne de leur juridiction d’appartenance » (Schoenaers, 2005, 99). De même en France, au tribunal pour enfant, les assesseurs ont une mission « incomplète et frustrante dans la mesure où en amont, l’assesseur a été étranger au

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suivi du dossier et qu’une fois prononcée, l’exécution de la peine lui échappe totalement » (Lorvellec, 2008, 143). Les assesseurs au TAP participent autant (si ce n’est plus) que les présidents à faire marcher le tribunal et participent activement au suivi des décisions.

Les tâches à répartir au TAP sont : la lecture des dossiers, la gestion de l’audience, la rédaction et la relecture des jugements et le suivi des guidances mises en place, ainsi que le contact avec les prisons pour les questions d’organisation (celles qui dépassent la compétence du greffe). En ce qui concerne les demandes qui nous intéresse, les tâches sont organisées autour de l’audience, sur une semaine : avant l’audience il faut lire les dossiers, après il faut rédiger les jugements.

Le nombre de dossier pour une audience est variable : une dizaine ou un peu plus pour les demi- journées, une quinzaine à plus de 25 pour une journée complète. Les magistrats ont une charge variable selon les chambres, qui peut aller jusqu’à une quarantaine de dossiers par semaine.

« Les substituts ont le dossier, ils rendent leur avis, dans les 4 ou 5 jours après celui du directeur. Ils ont un mois pour le faire mais ici ils le font rapidement, dans d’autres TAP, ils prennent leur délai pour le faire. Nous, on n’a aucun arriéré. On ne fixe jamais au-delà des 2 mois, avec ma chambre on est toujours dans les délais. Les autres TAP peuvent avoir un peu retard. » Président 2, Alcyone

Les tribunaux ne sont quasiment pas en retard dans le traitement des demandes (jamais à Alcyone, à Biham parfois de quelques mois), de même que les substituts ne sont pas en retard dans leurs avis. Il faut préciser que le temps est ici à penser dans l’inverse des juridictions de fond. Pour les magistrats le temps de l’application des peines est, ici pour l’instant, celui du respect de la légalité et des dates d’admissibilité (un mauvais calcul est un risque de détention illégale), pour les détenus les délais sont du temps passé en prison qui pourrait l’être dehors.

Les dossiers au TAP

Le personnel administratif et le greffe ont un rôle important dans les contacts avec les autres instances (parquet, MJ, prison) sur les aspects techniques. Comme en prison, ce sont eux qui garantissent en partie la légalité des actes (les délais, les convocations, etc.) et qui tiennent les dossiers.

Les dossiers des tribunaux de l’application des peines

« On ne peut pas imaginer le travail qui est fait sur ces dossiers » Greffier, Biham

Le troisième dossier du processus est celui constitué par le greffe au TAP, à partir de la première demande du détenu. Le dossier existe au tribunal tant que celui-ci est compétent, c’est-à-dire dans le temps de la peine (ce qui peut durer des décennies, en dehors du fait que le TAP n’existe pas depuis aussi longtemps).

Le dossier évolue au fur et à mesure des demandes et des suivis. Ce sont ces dossiers de juges, « enveloppe corporelle » des affaires, décrits par les enquêteurs attentifs aux objets (Latour, 2004, 83), il y en a beaucoup dans les locaux occupés par les TAP, dans les armoires au greffe et sur les bureaux des juges. Il y en a de toutes les épaisseurs (de quelques feuilles à plus de 20 cm), contenant

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différentes chemises qui le (dé)composent à l’intérieur.

Ce dossier est tenu à jour par les agents administratifs et les greffiers du tribunal au fur et à mesure que les pièces sont communiquées par la prison. C’est ce dossier que les trois juges du tribunal lisent avant l’audience, qu’ils apportent à l’audience et que les assesseurs ressortent des placards quand une question se pose durant le suivi. C’est aussi ce dossier qui a été lu au cours de l’enquête de terrain et qu’on considère ici comme le dossier de l’application des peines.

Les dossiers ne sont pas triés dans le même ordre dans les différents tribunaux : à Alcyone les documents sont triés selon les différentes mesures demandées (une pochette LC, SE, etc.), à Bakura ils sont répartis selon les mesures et les documents « transversaux » sont rangés dans une pochette « article 31 / dossier exécution de la peine » (l’article de la loi dans lequel les documents de base des dossiers sont énumérés, jugement, exposé des faits, etc.).

Exemple de dossier à Alcyone :

La première farde orange « SE » contient les sous fardes : Extrait du casier, situation de séjour, affaire pendante ; Copie des jugements et arrêt ; Exposé des faits ; Rapport SPS ; Plan de reclassement ; ESE ; Divers ; Varia convocation ; Décisions.

La seconde farde vert pale, « LC » : Extrait casier, situation de séjour, affaire pendante ; Copie des jugements et arrêts ; Exposé des faits ; Rapport SPS ; Plan de reclassement ; Enquête sociale ; Correspondance convocation.

La farde rose « Avis de la direction et requête condamné » : Décisions précédentes (DGD et TAP)

Farde verte « Suivi » Farde rouge « Victime »

Tous les documents envoyés de la prison au tribunal sont également envoyés au ministère public près le TAP et inversement, pendant le processus de décision et de suivi des mesures. Si bien que, en dehors de ce que le MP ou le TAP y ajoutent eux-mêmes, ils ont les mêmes dossiers.

Encadré 9. Les dossiers des tribunaux de l’application des peines

Au TAP s’empilent dans les dossiers toutes sortes de pièces, les avis des substituts ou les jugements des tribunaux. Toutes les pièces sont communiquées en prison. Les canevas de jugement ont été créés localement par les magistrats qui ont pris les premiers mandats. Ils diffèrent par certains aspects (la motivation est organisée par contre-indication ou non) mais on y retrouve les mêmes points : le condamné, la procédure, l’avis du directeur, l’avis du procureur, la recevabilité de la demande, les fondements de la proposition (le projet), les contre- indications, la décision, les conditions en cas d’octroi (générale, particulière, les congés en cas de SE ou DL, le suivi par l’AJ). On lit dans ces jugements le trajet des demandes vers le tribunal et le retour du jugement vers la prison (les dates d’avis du directeur et du procureur, de l’audience, le renvoi du jugement vers le greffe avec l’exécution de mesures, la remise ou le délai avant de pouvoir réintroduire une demande).

Des répartitions des tâches variables selon les chambres des TAP

« On n’est pas un tribunal ordinaire. On a le même but, de réinsertion, si possible, dans une optique de sécurité pour la société. Le TAP est responsable de la décision, et si on a la même optique, c’est important qu’on ait les mêmes infos. La communication est très différente d’une chambre à l’autre. Dans l’autre chambre, la présidente vient de l’instruction et elle est vraiment allergique au parquet. Nous les infos passent, on a de bonnes relations. C’est important. »

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Substitut, Alcyone

« Le président donne le ton, c’est évident, c’est dans le quotidien. (…) Et le but ce n’est pas de s’entre-tuer, si tu n’es pas content tu changes de crémerie. » Assesseur pénitentiaire, Biham

L’organisation du travail dans les quatre chambres de l’étude diffère assez peu : partout les présidents lisent tous les dossiers, puisqu’ils doivent les connaître pour les présenter aux audiences, les assesseurs lisent tout ou une partie des dossiers, les rédactions de jugements sont réparties entre les assesseurs et le président ou seulement entre les assesseurs, les suivis des guidances sont réalisés exclusivement par les assesseurs.

A Alcyone les deux chambres sont organisées de la même façon pour la lecture des dossiers : en théorie, le président lit tous les dossiers et les assesseurs une moitié. Pour les présidents, il s’agit de connaître les dossiers mais aussi de répartir également la charge de travail entre tous (les assesseurs étant chargées du suivi des guidances) et d’avoir un magistrat sur les trois qui arrive à l’audience sans avoir lu le dossier. Dans les faits, certaines assesseures à Alcyone lisent l’ensemble des dossiers avant l’audience, pour se faire une idée et « parce qu’on a le temps de tout lire », d’autres se concentrent sur les dossiers qui leur sont attribués, « plus les nouveaux ». Les directives et les tentatives d’organisation du travail par les présidents ne sont pas toujours suivies d’effet, ou peuvent être l’objet de discussion. Le partage du travail diffère très peu au sein des deux chambres, mais certaines répartitions ne sont pas les mêmes, la relecture des jugements par exemple. Dans une chambre tous les magistrats relisent tous les jugements, ce qui peut leur prendre un certain temps, tandis que les jugements de l’autre ne sont relus que par l’assesseur pénitentiaire (volontaire, elle a donc nettement plus de travail).

A Biham, les deux chambres siègent deux demi-journées par semaine (l’une à Carida et Bakura). Pour la lecture des dossiers, la première chambre est organisée comme à Alcyone (le président lit tout et les assesseurs la moitié). Dans cette chambre, la rédaction des jugements est divisée entre les deux assesseurs, sauf dans certains cas exceptionnels comme une charge de travail trop forte ou un jugement particulièrement juridique. Le président relit tous les jugements.

« C’est encore entre les deux assesseurs. Il y a des dossiers pour lesquels soit une question juridique se pose, ou on estime que la motivation doit être en béton parce que c’est un rejet, etc. et on a déjà pas mal de dossiers à gérer et pas mal de jugement à rédiger, donc on estime que trop c’est trop et on demande au président d’en faire un ou deux. De temps en temps il a une reconnaissance de victimes à faire, c’est un petit jugement, des petites choses ponctuelles. » Assesseur réinsertion, Biham

Dans l’autre chambre de Biham, les trois lisent tous les dossiers avant l’audience et se répartissent les jugements et leur relecture.

« La lecture des dossiers : tout le monde lit tout. Tout le monde à l’audience a vu tous les dossiers. C’est un choix de la chambre. Quand on a 40 dossiers sur la semaine, on lit tout. » Assesseur réinsertion, Biham

Dans toutes les chambres, à Alcyone et à Biham, ce sont les assesseurs qui sont chargés des guidances mises en place par le tribunal. Pour cela, les assesseurs doivent prendre connaissance des rapports des AJ, réagir à leurs questions, les interpeller en cas de difficultés. Dans cette tâche, en cas de doute ou de difficulté, les assesseurs en discutent ensemble et avec leur président. Dans le cadre du suivi des guidances effectué par les assesseurs, on constate que les

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présidents de chambre peuvent donner des directives sur la façon de faire. Par exemple à Alcyone lors d’un changement d’assesseur, la présidente a décidé qu’il était important de mettre en place un système de calendrier pour introduire plus de régularité dans les guidances (l’autre chambre le faisait déjà). Auparavant, l’assesseur en place était seule titulaire avec des suppléants et n’avait pas de système de suivi régulier. La présidente a profité de la nouvelle nomination pour impulser un changement dans la façon de travailler. Si le président a son mot à dire sur la façon dont le suivi est géré par les assesseurs, cette question dépend quand même de la conception que les assesseurs et le parquet en ont (cf infra).

La chambre néerlandophone donne l’exemple d’une organisation qui diffère : les trois juges se partagent les lectures de dossiers puis se réunissent pour se les présenter avant l’audience (la chambre a quasiment moitié moins de dossiers, les juges ont beaucoup plus de temps pour les préparer). A l’audience c’est celui qui a lu le dossier qui gère les débats. Les trois juges se répartissent les jugements. Le président s’occupe aussi du suivi des guidances (il gère moins de dossiers que les assesseurs). On ne peut pas savoir si cette répartition a une incidence sur le pouvoir du président par rapport à la ligne tenue par la chambre, elle en a tout cas sur la perception qu’ont les assesseurs francophones du fonctionnement de leur chambre.

« Ici il ne faut pas leur demander de faire du suivi, dans les deux chambres le suivi ne les intéresse pas. Mais le suivi fait partie du travail. Ils n’ont aucune vision, si on ne va pas leur poser une question sur un problème dans le cadre d’une guidance, ils n’ont aucune idée de ce qu’il se passe, sauf dans un réquisitoire évidemment qui les oblige à réexaminer le dossier et à voir comment ça se passe. Sinon il n’y a même pas cette curiosité. C’est assez significatif. » Assesseur réinsertion, Biham

Le président est finalement en charge des contacts particuliers avec les partenaires des tribunaux, et notamment les prisons. Au-delà du rythme routinier et des cas individuels, c’est le président qui intervient et contacte la prison quand il faut mettre au point des questions de communication entre prison et tribunal (une difficulté dans les transmissions d’informations), préciser ou recadrer les attentes en ce qui concerne le dossier, les demandes, les audiences. Plutôt rare, ce contact est facilité quand les TAP siègent dans les prisons. A Bakura par exemple, suite à une audience, le président de Biham se réunit avec les directeurs parce que ceux-ci (et le greffe) se plaignent de devoir systématiquement accueillir les détenus des autres prisons avant les audiences. On a ici un cas général et concret de fonctionnement des TAP qui influence la prison : parce que Biham siège à Bakura, la prison doit recevoir les détenus qui comparaissent en général la veille de l’audience, ce qui nécessite d’avoir une cellule à disposition et les directeurs doivent toujours représenter les collègues des autres prisons. Ici le président dialogue avec les directeurs pour essayer de trouver une solution, comme renvoyer une partie de ces demandes aux audiences qui se déroulent à Carida. On retrouve par la suite les effets de la mise au point puisque le président aux audiences suivantes propose la fixation de remise de demandes à Carida plutôt qu’à Bakura.

Le rôle d’avis du représentant du ministère public en partie délégué

Dans le cadre de l’étude, le rôle du représentant du parquet près le TAP est limité aux avis qu’ils émettent sur les demandes par écrit d’abord, puis à l’oral aux audiences. La rédaction des avis

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écrits est réalisée en pratique par une personne qui en est chargée par les substituts, criminologue ou juriste selon les parquets. Cette délégation rend la charge de travail gérable pour les substituts quand il y en a un par chambre. En cas d’absence, les substituts se remplacent l’un l’autre (tous les suivis sont donc gérés par un seul substitut, ce qui représente beaucoup de travail)1.

« C’est moi qui ai mis sur place le fonctionnement pour le ministère public, ils ne pourraient pas rédiger leurs avis, ils ont un criminologue ou un juriste pour les rédiger. Ce n’est pas prévu dans la loi, mais ils n’avaient aucune idée de la charge de travail et ça gonfle. Il y a des dossiers en guidance pendant 10 ans, les gens reviennent tout le temps, comme ils ne sont pas révoqués. La charge de travail dépend, mais c’est normal. Par rapport au parquet ça n’a rien à voir. On est bien organisé, ce n’est pas des dossiers où on a de l’arriéré. » Substitut, Biham

Les criminologues rédigent les avis en s’appuyant sur les dossiers. Certains substituts prennent connaissance des dossiers quand ils arrivent pour la première fois. Tous les substituts lisent rapidement les dossiers avant d’aller aux audiences : ils actualisent les informations qui viennent des parquets, s’informent sur les affaires en cours ou les nouveaux faits. Il y a donc deux lectures du dossier par le parquet : la première par le criminologue, la seconde par le substitut avant (ou parfois pendant) l’audience. L’un ou l’autre s’occupent en partie du « contrôle » des demandes, même si le parquet, autant que le TAP, n’a pas les moyens de mener des enquêtes sur les plans de réinsertion proposés. Les substituts, en cas de doute, peuvent faire quelques vérifications : sur les contrats et les entreprises qui émettent une promesse d’embauche, sur le statut d’un détenu étranger à l’Office des Etrangers, etc. Le parquet, dans la mesure de ses moyens, a un rôle de vérification des pièces (parce que c’est une étape de plus pour le dossier) et de rassemblement d’information (informations rassemblées au TAP, ou dispatchées, par exemple si un dossier pose une question sur une situation familiale qui peut nécessiter d’informer le « parquet jeunesse »). Ce rassemblement d’information peut avoir été fait à la préparation des avis écrits, mais on en retrouvera aux audiences.

« C’est parfois frustrant, surtout parce que le PR n’a pas le pouvoir d’appel, on voit des choses qui passent et qui ne devraient pas. On est limité dans le rôle que la loi nous donne. » Substitut, Biham

Pourtant le rôle du parquet est limité à un avis et il n’a pas de possibilité d’appel des décisions. C’est surtout après la décision que le rôle du parquet est important, puisque les substituts sont chargés de contrôler les guidances dans le cadre des mesures mises en place par les tribunaux. Pour cela, ils reçoivent, en même temps que les assesseurs, les rapports de guidance des AJ. Les rapports sont filtrés par les criminologues du parquet (quand ils ont le temps) qui les communiquent aux substituts quand quelque chose pose problème dans la guidance. En fonction de la gravité des faits (il peut s’agir d’un non-respect des conditions, d’une nouvelle infraction, etc.), ils disposent d’un éventail de réaction : une admonestation par la police (un rappel des conditions à respecter), une demande de révocation de la mesure au TAP (saisie du TAP pour une audience de révocation) ou une arrestation provisoire (suspension immédiate de

1 Siège et parquet travaillent ensemble : les présidents fixent normalement les audiences des deux chambres à des

moments différents pour que les substituts puissent se remplacer en cas d’absence. A Biham un des présidents a un jour décidé de déplacer l’audience au même moment que l’autre chambre, ce qui a eu pour effet de devoir faire appel au piquet (permanence de remplacement) pour les audiences.

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la mesure d’aménagement, sur laquelle le tribunal doit se prononcer dans les sept jours). Pour le contrôle des guidances, les substituts sont en contact régulièrement avec les AJ par le biais