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Revendications nationale et européenne des droits pour les détenus

Le droit de l’application des peines

L’ ÉMERGENCE DU DROIT DE L ’ APPLICATION DES PEINES

1. Problématisations multiples de l’application des peines

1.2. Revendications nationale et européenne des droits pour les détenus

La Belgique connaît dans les années 1970 et 1980 des mouvements de contestation de la politique pénitentiaire, par les détenus à travers les révoltes, mais aussi par les travailleurs pénitentiaires (Mary, 2012, 17 et suivantes). P. Mary, dans son analyse des révoltes de prisonniers des années 1970, souligne que les revendications des détenus, à la prison de Louvain central par exemple1, sont « relatives non seulement aux conditions matérielles de détention (hygiènes, nourriture, salaires, loisir, etc.), mais aussi à la démocratisation (délégation élue de détenus, reconnaissance de droits, self-government, etc.), à la resocialisation (contacts avec l’extérieur, formation, etc.) et à la libération (réforme de la loi sur la libération conditionnelle) » (Mary, 2012, 18). Le remaniement du fonctionnement de la LC fait ainsi partie des revendications des détenus et du personnel2.

Dans le même temps, le contexte européen est propice à la création et l’uniformisation de droits pour les détenus : avec les Règles Pénitentiaires Européenne (RPE) rédigées pour la première fois en 1973, les droits de l’homme entrent en prison3. Les RPE recouvrent tous les aspects de la vie en détention et abordent entre autres l’accès au droit des détenus (par leur avocat) et la fonction de réinsertion que la prison doit endosser (« chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté », règle 6). Les RPE indiquent également qu’« un système de congé pénitentiaire doit faire partie intégrante du régime des détenus condamnés » (règle 103.6), que « les détenus qui le désirent peuvent participer à un programme de justice restauratrice et réparer les infractions qu’ils ont commises » (règle 103.7), qu’un projet d’exécution de la peine doit être élaboré individuellement et actualisé régulièrement (article 103.2 et suivants), et finalement que « ce but (un retour progressif à la vie en milieu libre) peut être atteint grâce à un programme de préparation à la libération, ou à une libération conditionnelle sous contrôle, assortie d’une assistance sociale effective » (règle 107.3). Les RPE, qui vont influencer la législation belge, sont elles-mêmes inspirées par le modèle pénologique du « juste dû », « issu d’une critique du traitement et des sentences indéterminées en Amérique du Nord, ce modèle repose principalement sur deux postulats ; la peine d’emprisonnement est une sanction légale, prononcée contre une personne jugée responsable de son comportement et dont le but est la privation de liberté pour un terme déterminé ; la prison doit considérer les prisonniers comme des êtres responsables et non comme des patients, avec pour conséquence que la resocialisation

1 La révolte de Louvain central a mobilisé quelques 250 détenus pendant trois mois (Mary, 1988).

2 D’autres pays européens connaissent le même type d’événement, comme la France par exemple. Les révoltes qui

se sont déroulées dans de nombreuses prisons dans les années 1970 sont notamment décrites par A. Guérin qui s’appuie sur les récits des acteurs qui ont vécu ces révoltes (Guérin, 2013). La réforme des sorties anticipées et la clarification des octrois de libération conditionnelle font aussi partis des revendications exprimées en France. Le lien entre révoltes carcérales et politique pénitentiaire est analysé par J. Bérard (Bérard, 2014b), pour qui on passe à partir des années 1970 des revendications de droits pour des détenus au statut particulier (prisonnier politique, quartier de haute sécurité), à des revendications de droits pour tous les détenus (Bérard, 2014a).

3 Les RPE de 1973 ont été actualisées en 1987 puis en 2006, elles ont vocations à être appliquées pour toutes les

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doit être volontaire et que l’exécution d’une peine privative de liberté doit être soumise à des critères juridiques précis » (Mary, Bartholeyns, & Béghin, 2006, 397).

Etablies par le Conseil de l’Europe, ces règles ne sont pas contraignantes. Elles influencent néanmoins les contextes locaux, comme en témoigneront la mise en place de lois encadrant les droits des détenus dans plusieurs pays européens et notamment en Belgique, mais aussi leur intégration progressive dans les références de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Dès 1987 par exemple, une décision de la CEDH met en cause une partie de la procédure devant les commissions de libération conditionnelle anglaises : ces commissions permettent certaines garanties (le principe du débat contradictoire) mais ne donnent pas accès au détenu à tous les éléments en possession de la commission, ce qui est qui est une des protections inhérentes à une instance de caractère judiciaire1. L’accès au dossier est ainsi un exemple des droits revendiqués dans les années 1980.

La juridictionnalisation de l’application des peines fait son chemin en Europe, selon les pays et le mode de décision, la mise en pratique est gérée par différentes institutions mais aussi par différents pouvoirs. En France, l’instauration de la fonction de juge de l’application des peines date de 19582. Les compétences d’abord limitées du JAP sont élargies progressivement, en 20003 avec l’introduction du débat contradictoire dans la procédure, puis en 20044 avec l’abandon de la notion de « mesure d’administration judiciaire » qui permet une juridictionnalisation complète. C’est l’ensemble des modalités d’exécution de la peine qui entre dans les compétences du tribunal, y compris les permissions de sortir (qui sont décidées par le JAP mais sans débat contradictoire). L’Italie dispose d’un tribunal et d’un juge de surveillance depuis 1975. La juridiction, à juge unique ou collégiale, peut modifier la peine et prononcer toute mesure de substitution ou alternative à la détention. Ce tribunal est, comme le sera le TAP belge, une juridiction échevinale composée de deux juges professionnels et de deux juges non professionnels, experts en psychologie, sociologie, pédagogie, psychiatrie, etc. (Agoguet, 2013). L’Italie et la France seront cités en exemple au lendemain de l’affaire Dutroux, autant pour leurs investissements dans des juridictions chargées de l’application des peines que pour l’accent porté sur la préparation à la réinsertion sociale (Cartuyvels, 1997, 87).

La problématisation par les détenus porte sur le droit et la transparence de la procédure d’octroi des LC. Si l’influence des RPE est variable et donne lieu à la création de différents organes de décision selon les pays, le mouvement européen tend très nettement vers une juridictionnalisation de l’application des peines et une reconnaissance de droits aux détenus (internes et externes). Le passage de la compétence de l’exécution des peines vers le pouvoir judiciaire est ainsi recommandé par le Conseil de l’Europe (Delbos, 2002, 96) : selon les standards européens et des droits de l’Homme, l’exécution des peines doit être confié à une instance judiciaire, l’accès aux modalités d’exécution de la peine doit être un droit pour les détenus. Les RPE portent aussi les prémisses de deux aspects de l’application des peines : elles

1 CEDH, Affaire Weeks contre Royaume-Uni, 2 mars 1987.

2 Ordonnance n°58-1296 du 23 décembre 1958 inséré dans le code de procédure pénale. 3 Loi n°2000-156 du 15.06.2000.

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lient libération anticipée et préparation de la réinsertion et initient la responsabilisation du détenu (au-delà de la « bonne conduite » de départ) avec l’idée de la justice restauratrice (Christophe Dubois & Vrancken, 2014, 250).