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4.2 Axe 1 : L’expérience de la PDS

4.2.5 S’accompagne de sentiments variés pendant et après le processus

4.2.5.1 Des sentiments émouvants

Les sentiments qu’ont ressentis les participants durant leur expérience de prise de décision substituée variaient selon le type de décision qui a été prise. Nous avons également observé que dans certains cas, le sentiment vécu pouvait être le même durant toute l’expérience. Malgré la difficulté de l’expérience, les participants se sont dit en paix avec les décisions qu’ils ont dû prendre et que si cela était à refaire, ils reprendraient les mêmes décisions.

Deux participantes rapportaient avoir vécu des sentiments de rage et de colère lorsqu’elles se sont retrouvées en présence de situations incongrues. Ainsi, selon les dires d’Aline (P5), elle a indiqué avoir vécu de la rage lorsque sa mère est entrée à l’Urgence et qu’elle a dû refuser que l’on intube sa mère âgée de 104 ans. En effet, c’est ce sentiment qui l’a poussé à agir et à refuser les interventions, l’intubation et l’électrocardiogramme. Pour sa part, Anne (P2) a précisé que pendant toute la durée de l’expérience avec son père, elle a vécu de la colère et de la frustration. Cette colère était encore présente, neuf ans plus tard, ainsi que de l’incompréhension liée à l’attitude de l’infirmière qui lui a annoncé le décès de son père.

Neuf ans après ça n’me rentre comme pas encore dans la tête. Là j’ai cette image-là. J’ne peux pas te dire, c’est qui l’infirmière. J’ne me rappelle pas pantoute de son visage. […] Mais écoute, elle m’a dit [: ‘ Non, il est mort. ‘ et] elle est retournée au comptoir (Anne, P2).

Certains participants ont exprimé avoir vécu de la tristesse suivant une prise de décision. Le sentiment était surtout présent lorsque la décision avait un impact direct sur la fatalité de la situation, c’est-à-dire lorsque la décision précipitait l’arrivée de la mort. En effet, les proches prenaient conscience que la mort de leur être cher approchait. Ainsi, Aline (P5) a souligné que le sentiment ressenti à la suite de la décision d’augmenter la médication pour soulager sa mère « c’était la tristesse de se dire que bon, ben là, elle s’en va ».

Pierre (P7) a souligné la difficulté qu’il avait à partager son « malaise interne » avec son entourage surtout dans les premières années du diagnostic terminal de sa mère. Effectivement, il a précisé avoir « enterré dans l’euphorie » ce malaise qui l’habitait. Ainsi, sa prise de conscience, reliée à ce malaise, est survenue vers la troisième année suivant la fin des traitements actifs.

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t’sais j’étais comme un peu plus tout seul là-dedans. T’sais les gars étant ce [qu’ils sont] t’es comme un peu plus dans ton [malaise]. T’sais j’ne parlais pas de ça à ben, ben de monde. T’sais c’n’était pas toujours évident […] je comprenais tout ce qui se passait – mais j’ne suis pas sûr que je vivais comme il faut en-dedans tout ce qu’y se passait. [À un moment donné, j’ai pris du temps, pour prendre du recul] – pour bien comprendre tout ce qui s’en venait – pis comment que la vie était fragile – pis peut- être que là il faut que j’entrevoie que ma mère ne soit plus là (Pierre, P7).

Pierre (P7) a mentionné que l’élément qu’il a trouvé difficile était d’être proche de sa mère et de la voir passer à travers toutes ses étapes, surtout de constater toute la souffrance qu’engendrait les multiples opérations subies par sa mère. De plus, pour Pierre (P7), les montagnes russes d’émotions, passant de l’espoir – lors des bonnes périodes – à la crainte – lors de rechute, ont apporté une lourdeur à son expérience de prise de décision substituée.

Elle était en chimio et j’me disais : ‘elle va mourir… Ça n’a pas de sens là, t’sais, elle ne passera pas à travers là.’ Pis t’sais trois mois plus tard là elle pétait le feu pis elle était partout là. T’sais j’me disais : ‘ça ne se peut pas là.’ Moi, c’est ça que je trouvais dur, c’étaient toujours des ‘up’ pis des ‘down’ là. […] Mais t’sais c’était comme beaucoup d’émotions pour moi. [On pensait que c’était son dernier Noël] pis là ben oups! Là elle va refaire un autre Noël pis un autre Noël pis un autre Noël […] à un moment donné ça devient comme lourd là […] c’est lourd à vivre (Pierre, P7). Cinq participants ont énoncé ressentir de la culpabilité en référence à la prise de décision substituée. Certains participants ont été capables de clairement nommer ce sentiment qui les habitait. À la suite de l’entrevue de Nathalie (P3), il était évident qu’elle ressentait beaucoup de culpabilité en lien avec les décisions prises pour son père et pour sa mère. Elle a reconnu, comme plusieurs, ce sentiment de culpabilité et elle a été capable de le nommer.

La culpabilité – tu te poses toujours la question : ‘c’es-tu moi, pour me libérer?’ Il faut toujours que tu te ramènes que tu le fais pour lui. J’avais la psychologue qui m’aidait aussi pour que moi, je ne me sente pas coupable là-dedans et que je sois bien. […] Mais tu es tout le temps tiraillé entre les sentiments de culpabilité, la peine, tu as le deuil que tu vis au fur et à mesure qu’eux autres perdent des moyens (Nathalie, P3). Par contre, à certains moments, le sentiment de culpabilité est sous-entendu dans les propos de Nathalie (P3).

quand [l’infirmière,] m’a dit ça, comprends-tu que moi je me mets à pleurer ? Mon Dieu, ça fait combien de temps qu’elle est souffrante, pis moi, j’n’ai pas vu ça. Comment ça j’n’ai pas vu ça? T’sais je mettais ça sur mon dos (Nathalie, P3). Tout comme Nathalie (P3), les propos de Louise (P4) ont également fait ressortir de la culpabilité. En effet, elle nous a dit ressentir de la culpabilité par rapport à l’expérience de

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sa mère puisqu’elle n’a pu être aussi présente, qu’elle l’aurait souhaité, lors de sa fin de vie. Louise (P4) a précisé : « c’est pour ça que dans le fond j’me dis que les décisions qu’on avait prises [pour notre père], je devrais trouver qu’elles étaient bonnes parce que j’me sens moins coupable avec lui, t’sais, qu’avec ma mère ». Les propos d’Anne (P2) ont laissé sous- entendre la présence du sentiment de culpabilité : « ça fait que j’ai pris une décision euh… J’ai envoyé mon père à la mort ».

Trois participants ont stipulé être en paix avec les décisions, mais il n’en demeure pas moins qu’ils précisent devoir se convaincre que leur décision était bonne. En ce sens, ils ont énoncé que le sentiment de culpabilité n’était jamais très loin. En effet, Aline (P5) a précisé qu’elle discutait parfois avec sa sœur et qu’elles expriment avoir « vraiment choisi la bonne chose ». Lorsque l’on a questionné Nathalie (P3), à savoir si elle ressentait encore de la culpabilité en lien avec la prise de décision, par exemple le délai avant le retour sur l’unité de soins palliatifs pour sa mère, elle a souligné : « j’suis en paix. Mais il faut que j’me raisonne t’sais ». Ses filles l’aident, encore à ce jour, à remettre en perspective son expérience pour l’aider à accepter la situation. Louise (P4) nous a spécifié avoir fait les bons choix, le maintien à domicile pour son père, mais une incertitude, une forme de questionnement, nous a semblée présente dans ses propos : « je pense qu’on a fait les bons choix là. J’pense là t’sais. Sauf comme j’te dis… Non, j’suis pas mal sûre avec le recul là, j’suis sûre qu’on a ben fait de le garder jusqu’à la dernière minute à la maison ».

Ces trois mêmes participants ont mentionné que certains sentiments sont accentués par un questionnement qui les hante fréquemment. Ce questionnement s’articulait essentiellement autour d’un même élément, c’est-à-dire si elle faisait la bonne chose, prenait la bonne décision. En ce sens, Nathalie (P3) a indiqué : « j’étais toujours déchirée entre on donnes-tu un p’tit peu plus de médicaments pour la soulager ? Mais elle va être plus amortie ». Les participants ont remis en question leurs décisions en se demandant ce qu’aurait réellement voulu leur être cher et en regardant les bénéfices du traitement. À ce sujet, Nathalie (P3) a souligné : « à un moment donné, tu te dis […] on lui donnes-tu plus de négatif que du positif ? » Ce questionnement est grandement lié au sentiment de culpabilité davantage ressenti par ces trois participants. Louise (P4) a spécifié : « avoir tout le temps peur de ne pas prendre la bonne décision, t’sais ça, c’est comme ben inquiétant là ». Pour ces trois participants, une vision des soins différente de celle des professionnels de la santé ou de

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celle des membres de la famille les a amenés à se remettre en question et a favorisé cette introspection. Tel que stipulé par Aline (P5) : « j’me disais que mon dieu, on n’as-tu bien fait? Peut-être qu’elle aurait vécu encore un peu plus. Mais là j’me disais que non que ses organes lâchaient là et c’aurait été l’horreur ». Les dires de Louise (P4) ont apporté un éclairage particulier sur le sentiment de culpabilité lié au questionnement qui perdure dans le temps.

Moi c’a été […] quand il fallait décider si il aurait fallu qu’on le rentre à l’hôpital ou pas. Ça, j’me suis toujours comme par après posé la question : si on aurait dû comme décider de le faire rentrer à l’hôpital (Louise, P4)?

Est-ce qu’encore aujourd’hui vous vous demandez si c’était la bonne décision (étudiante-chercheuse)?

À l’occasion. Mais pas tant que ça. C’est parce que je me disais : ‘peut-être a-t’il trop eu mettons du mal chez nous? Peut-être qu’il aurait eu moins du mal à l’hôpital? Puis après tout ce que je vis dans les cours que je suis là en géronto, on dirait là que ça m’aide à déculpabiliser ça (Louise, P4)

Un élément peut sans doute expliquer le lien par lequel ces trois participantes (Nathalie, P3; Louise, P2 et Aline, P5) se sont questionnées davantage sur les décisions prises et sur le sentiment de culpabilité qui semble être ressenti plus fréquemment. En effet, ces trois participantes sont celles dont le temps écoulé depuis le décès de leur proche est le plus court parmi les participants. En effet, pour Nathalie (P3), le décès de sa mère est survenu il y a un environ un an et celui de son père un peu plus de 6 mois. Du côté de Louise (P4), la mort de son père remonte à environ 2 ans. Aline (P5), quant à elle, un peu plus de 9 mois se sont écoulés depuis la perte de sa mère. Leur cheminement dans le processus de deuil n’en est que dans ses débuts. Dans le cas d’Anne (P2), la culpabilité semble encore présente malgré les neuf années passées. Peut-on associé se sentiment de culpabilité à son expérience comportant multiples frustrations?

Deux participants ont affirmé avoir ressenti des regrets. Louise (P4) a énoncé avoir « beaucoup de misère à dealer » avec les secrets et les non-dits. En effet, elle a indiqué avoir des regrets face à la non-divulgation de l’état de son père - un cancer terminal - à sa mère. De plus, comme l’état de son père était précaire, Louise (P4), en accord avec son frère et sa sœur, ont décidé de ne pas annoncer la mort de leur mère à leur père. Pierre (P7) a précisé, tout au long de l’entrevue qu’il nous a accordée, ne pas avoir de remords à la suite de son expérience de prise de décision substituée avec sa mère. En effet, il a été très présent pour

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elle, tout au long de l’évolution de son cancer, et elle a pu assister à plusieurs évènements importants de sa vie, entre autres son mariage. Par contre, à la fin de l’entretien, il nous a mentionné qu’après avoir pris du recul, il a eu des remords en lien avec l’influence qu’il a exercée, sur la décision de sa mère, lorsqu’elle souhaitait partir en voyage. Les remords sont d’autant plus présents dû au fait que sa mère a vécu deux autres années à la suite de cette décision.

Ce qui a quand même été plus dur à passer et je l’ai eu comme un peu plus sur le cœur. [Je me dis] que si c’est moi qui l’a trop mal influencé, qui était négatif dans cette idée-là. C’était comme son rêve [d’aller en voyage] (Pierre, P7).

Finalement, outre l’accompagnement de son père en soins palliatifs à domicile, l’expérience de Louise (P4) a été marquée par le décès de sa mère en CH. Sa sœur, son frère et elle auraient souhaité prodiguer, à leur mère, les mêmes soins à domicile que ceux offerts à leur père. Elle a indiqué :

honnêtement le deuil, c’est fait mieux avec mon père qu’on a aidé jusqu’à la fin qu’avec ma mère qu’on n’a pas [eu] l’impression qu’on n’en a [assez fait]. Mais là, […] elle était déjà à l’hôpital et là on était comme pris entre deux feux (Louise, P4). Ainsi, Louise (P4) nous a mentionné avoir eu de la difficulté à partager équitablement le temps passé avec son père et avec sa mère puisque leurs états évoluaient, tous deux, vers la mort. Louise (P4) a souligné que c’est après le décès de ses deux parents qu’elle a « décanté » et qu’elle a eu plus de difficulté à vivre ses émotions.