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Le bon sens vérité

Dans le document Le bon sens dans l’organisation (Page 38-41)

Chapitre 1. Etat de l’art

A. Le bon sens vérité

L’opposé de sens commun est la folie, l’absurde. Aussi, ce qui n’est pas considéré de bon sens est qualifié de déraisonnable, voire de fou. Le sens commun dépend de certains modèles, de certains principes et de certaines valeurs. Il est formé d’évidences et de vérités non démontrées. Il se rapporte à la raison populaire.

Bourdieu (1980) écrit que le sens commun constitue un contrôle normatif qui peut entraîner une perte d’autonomie du jugement pour les membres de l’organisation qui ne remettent pas en question la légitimité des normes admises. A partir du moment où une réalité collective est établie et qu’elle est objectivée dans les faits, elle relève de ce qui est considéré comme normal. Le sens commun n’est pas discuté. Il constitue ce qui est perçu comme étant rationnel. De ce fait, les membres de la communauté peuvent être forcés d’accepter, consciemment ou non, une certaine réalité comme étant habituelle et normale.

Certains théoriciens comme March (1976) présentent le bon sens nécessaire pour établir une rationalité. L’auteur propose qu’il puisse ainsi être assimilé aux traditions ou à la foi, c’est à dire aux vérités indiscutables, « non scientifiques ».

« By placing primary emphasis on rational techniques, we implicitly have rejected – or seriously impaired – two other procedures for choice: (a) the process of intuition by means of which people may do things without fully understanding why; (b) the processes of tradition and faith, through which people do things because that is the way they are done. » (March, 1976 : 255).

Le sens commun constitue donc l’ensemble des choses évidentes qui ne sont pas remises en question. Il est ainsi assimilé à la vérité. Le sens commun est la sagesse populaire (« folk wisdom »), c’est-à-dire ce que tout le monde croit.

Nous allons portant montrer que le bon sens fait l’objet de critiques de la part de théoriciens des sciences de l’organisation. Parfois la critique est modérée, cependant certains auteurs se présentent résolument contre le bon sens. Si Chia et McKay (2013) admettent que le bon sens – sens commun ne soit pas la vérité car il peut être biaisé, pour certains théoriciens comme Alvesson (1987) ou Deetz (2003), il s’agit d’un savoir douteux, faux, voire dangereux pour les organisations.

En considérant que les choses sont évidentes pour les acteurs, le bon sens compris comme vérité ne se soucierait pas des particularités. Cependant, pour agir, il est nécessaire de prendre en compte la richesse du particulier, de l’insignifiant et des « riens » (Chia et McKay, 2013). En focalisant toute l’attention sur ce qui est évident de prime abord, le raisonnement repose sur des données partielles et insuffisantes pour que l’action réponde adéquatement aux exigences d’une situation. Le bon sens peut être biaisé, il n’est pas une vérité universelle. S’il assimile bon sens et vérité, l’acteur prend le risque de considérer une logique causale qui ne s’attache pas à toutes les spécificités de la situation. L’action risque ainsi d’être dirigée uniquement en fonction de certains résultats attendus, sans porter attention à l’ensemble des conséquences de l’action ni aux incertitudes qui subsistent.

Alvesson (1987) ou Deetz (2003) demandent de se méfier du sens commun, qu’ils considèrent contraire à la démarche scientifique, réflexive et critique. Dans cette perspective, le sens commun est placé à l’opposé de la connaissance « savante ». Accepter de croire n’incite pas à mobiliser des ressources intellectuelles variées qui permettraient de questionner la sagesse des conventions, puisque celles-ci sont prises pour acquises. Personne ne s’attache à démontrer que

les évidences sont vraies, ou encore et toujours vraies. Dans cette vue, il est à l’opposé de la connaissance scientifique qui s’accompagne d’une démarche visant à questionner et à prouver. Le sens commun est ici assimilé au savoir naïf et crédule. De ce fait, le bon sens - sens commun est, selon Alvesson et Willmott (2003) par exemple, non seulement faux mais aussi dangereux.

Willmott (2013) explique qu’il ne faut absolument pas assimiler sens commun et vérité. Ce chercheur demande de se prémunir du sens commun qu’il voit comme un moyen de manipuler les individus en leur faisant admettre certaines « vérités », irrationnelles et fausses. Le sens commun peut ainsi être un procédé destiné à renforcer la vulnérabilité de ceux qui croient inconditionnellement dans un système. Il est un outil de propagande qui consiste à faire plier les employés aux demandes du management. Le sens commun est susceptible de cacher des relations de pouvoir en entravant la possibilité de dialoguer, d’envisager d’autres réalités et de reconsidérer les choses (Alvesson et Deetz, 2000; Alvesson et Willmott, 2003).

« In extolling its capacity to expand employee autonomy, the prescriptions of Corporate Culturism Resistance, Gaming, and Subjugation exclude employees’ participation in determining the framework within which their autonomy is supposedly exercised. The nurturing of practical autonomy is conflated with a technocratic cultivation of corporate conformity. The meaning of autonomy is inverted in a process where the conditions of possibility of autonomy are negated through their affirmation. Ostensibly, the individuality of each employee is prized and respected but the meaning of such individuality is carefully (re)constructed through the media of Culture.”(Willmott, 2013: 448)

Ce point de vue est courant parmi les théoriciens. Par exemple, Chikudate (2002) propose le concept de « collective myopia »3 afin d’expliquer certaines pratiques en vigueur dans des

firmes japonaises à la fin des années 1990. L’auteur conclue que le contrôle normatif résiderait plutôt dans les hypothèses prises pour acquises. Pour lui, ce sont en effet les vérités de sens commun qui génèrent la légitimité des normes. Il indique qu’il s’agit d’une façon de contrôler qui n’est pas visible. Elle n’a pas de forme particulière, ni de structure. Son mécanisme est intangible, mais elle existe néanmoins de façon insidieuse. Le sens commun pourrait constituer un réel danger pour les individus et pour les organisations, car il forcerait à croire, même si cela est au détriment de soi-même.

Assimiler le sens commun à la vérité va de pair avec une vision du sens commun comme totalement figé et non réflexif. Il interdit d’autres manières de penser et de voir le monde et il empêche les individus de s’adapter aux contingences de l’environnement. En outre, il peut constituer un moyen de manipulation extrêmement efficace. Le bon sens est ici vivement critiqué par certains théoriciens qui se présentent résolument contre, argumentant qu’il ne repose sur aucune base scientifique. La critique vient du fait qu’il s’agit d’un système normatif fondé sur des hypothèses irrationnelles.

Dans le document Le bon sens dans l’organisation (Page 38-41)