• Aucun résultat trouvé

Le bon sens, pivot de Coopaname

Dans le document Le bon sens dans l’organisation (Page 167-171)

Chapitre 1. Coopaname

F. Le bon sens, pivot de Coopaname

Dès nos premiers pas à Coopaname, nous avons confirmation qu’il s’agit d’une entreprise-communauté de personnes extrêmement diverses qui ne se seraient sans doute jamais rencontrées mais qui souhaitent travailler et gérer de concert une entreprise coopérative. Nous observons que le bon sens joue ici un rôle pivot. En effet, à la différence d’une entreprise classique, les coopanamiens n’ont ni production ni marque commune. Cependant, ils sont tenus ensemble par chacune des dimensions du bon sens que nous avons identifiées. D’un côté, ils partagent un sens commun très fort qu’ils appellent affectio societatis, et d’un autre côté, ils se s’emploient constamment à répondre aux des besoins pratiques opérationnels de chacun des membres de leur communauté. Le bon sens occupe une place centrale ici et joue un rôle de pivot autour duquel le sens commun et le sens pratique s’articulent et interagissent constamment.

Notre enquête nous a confirmé que les coopanamiens partagent un sens commun fort qui fait office de « glue sociale » (Mintzberg, 2008) entre les différents acteurs de l’organisation. Ces personnes partagent des principes et des valeurs qui confèrent à chaque coopérative un caractère universel, adossé à des principes édictés par une charte11 . Celle-ci liste les valeurs coopératives. Elle vaut pour toutes les entreprises de ce type, quels que soient leur objet ou leur secteur d'activité.

Cette affirmation se vérifie de multiples manières. Nous avons par exemple observé qu’une majorité de porteurs de projet choisissent de rester dans l’entreprise alors que leur niveau d’activité leur permettrait d’être des entrepreneurs autonomes. Ils participent ainsi à l’effort de formation et d’accompagnement des autres porteurs de projets, s’engagent plus en acquérant des parts sociales, voire en assumant des mandats de gestion. D’une part cela leur permet de rendre à la communauté ce dont ils ont pu bénéficier, et d’autre part, ils deviennent ainsi en quelque sorte militants. Ils promeuvent cette forme d’organisation en lui permettant d’intégrer toujours plus d’individus, d’être plus solide financièrement, et de prouver ainsi qu’une forme d’entreprise alternative est possible. Des motivations pratiques rejoignent ainsi des motivations éthiques, le sens pratique s’entremêle avec le sens commun.

Ce constat est conforté car nous réalisons que l’entreprise se développe et change en fonction des besoins éprouvés par les différents membres de l’entreprise. Nous voyons que des filiales sont créées, des contrats spécifiques sont inventés, des comptabilités originales sont mises en place pour accompagner les coopérateurs. Ces derniers inventent et expérimentent des formations qui combinent des techniques variées, mêlant par exemple la sophrologie, le coaching et les arts tels que le dessin ou la musique. La créativité est permanente et elle soutient le développement de l’entreprise constamment. L’entreprise advient (Tsoukas et Chia, 2002). Elle émerge de la pratique quotidienne ordinaire et de l’interaction sociale des individus (Weick, 1995). Ainsi apparaissent à la fois de nouvelles pratiques organisationnelles et une nouvelle pratique de l’organisation, qui prennent corps dans ce qui est appelé ici des collectifs, c’est-à-dire des communautés de personnes, toujours diverses et originales.

Les entrepreneurs-salariés (ES) porteurs d’activités et les salariés-permanents (SP) en charge des fonctions mutualisées mènent conjointement une démarche individuelle et une démarche commune. Tous développent en effet à la fois une activité qui leur permet de recevoir un salaire,

et une activité qui n’est pas monétisée, consistant à donner de leur temps et de l’énergie pour la communauté. Les coopérateurs travaillent afin de gagner leur vie et également pour élaborer une entreprise alternative qu’ils veulent plus humaine que les entreprises qu’ils ont connues jusque-là. Les ES vendent des biens et des services et y arrivent grâce à l’accompagnement des SP. Ces derniers s’adaptent continuellement afin de répondre au mieux aux demandes et aux besoins des ES. Tous ensemble, ils sont explicitement guidés par un idéal qui figure sur la page d’accueil du site de l’entreprise et qui est abordé fréquemment dans leurs échanges : changer le rapport au travail. En ceci ils adressent le bien commun. Tout ce qui est fait à l’intérieur de l’entreprise vise à améliorer non seulement la vie des coopérateurs mais aussi à contribuer positivement à l’ensemble de la société (Nonaka et Toyoma, 2007). Aussi, c’est par leur pratique concrète, opérationnelle, de l’entreprise, que les coopanamiens défendent la thèse qu’il est possible de trouver ou retrouver un sens dans le travail. Ils veulent prouver par leur pratique de l’entreprise que celle-ci va de pair avec une éthique qui place l’économie au service de l’individu et non l’inverse. Ici encore, nous observons que le sens pratique par sa dimension opérationnelle, et le sens commun par sa dimension éthique, tissent le bon sens.

Nous vérifions que c’est bien cette imbrication du sens commun et du sens pratique qui fait advenir l’entreprise. Celle-ci est le résultat, métaphoriquement illustré par le tissu, qui se constitue dans le temps et l’espace relativement aux deux fils sens pratique et sens commun, alternativement chaine et trame. A Coopaname il y a un processus collectif dynamique permanent de déconstruction et de reconstruction de sens et de pratique. Les coopanamiens ont un projet commun qui leur permet de forger collectivement un système de normes en fonction duquel ils décident ce qu’ils font. Il s’agit d’une nouvelle forme d’organisation dont les membres revendiquent une autre façon de voir l’entreprise. Ils partagent des critères de jugement qui leur permettent de travailler autrement, c’est-à-dire d’adapter leur manière de faire. Nous pouvons ainsi examiner comment le jugement se constitue, comment se cultive la

réflexivité, et l’articulation de ces processus dans la dynamique du bon sens. Coopaname porte une utopie dont elle tente de se rapprocher. « nous avons une très très grande ambition mais nous avons les pieds dans la glaise » (interview – Membre de la Direction Générale).

Troisième partie L’enquête

Dans le document Le bon sens dans l’organisation (Page 167-171)