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Le bon sens Compréhension

Dans le document Le bon sens dans l’organisation (Page 58-62)

Chapitre 1. Etat de l’art

B. Le bon sens Compréhension

Dans l’organisation, le sens pratique est ce qui permet aux individus de répondre à des besoins spécifiques. Il nécessite d’abord de faire sens d’une situation, de la comprendre (Weick, 1985). Ce théoricien identifie plusieurs étapes qui constituent le processus de création de signification. La première concerne le recueil d’informations. Elle est suivie d’une deuxième étape qui consiste à mettre ensemble ces informations, auxquelles l’acteur va attribuer un sens grâce à des interactions sociales dans une troisième étape. Les deux dernières étapes de ce processus sont la délibération individuelle, faite à partir de toutes les données recueillies, confrontées puis articulées ensemble, et enfin la consolidation de ce que l’acteur a ainsi appris. Lorsqu’une situation n’a pas de sens pour l’acteur, elle lui parait absurde. L’acteur ne peut prédire, même partiellement, les résultats de ces actions. Il est empêché d’agir. Aussi, l’individu doit-il percevoir et interpréter le contexte afin d’agir.

Le sens pratique concerne la perception première, celle des sens. Chacun a cependant une sensibilité différente et un répertoire d’expériences propre. La perception est ici humaine. Elle est différente en fonction de chaque individu. A chaque instant, la perception de l’acteur peut changer, relativement aux informations qu’il perçoit et qu’il articule continuellement avec celles qui précèdent. Aussi, la perception de l’acteur se transforme car celui-ci reconstruit perpétuellement le passé. (Chia, 1999).

“Each outcome, each situation or state, always necessarily incorporates and absorbs the events of its past. Thus, the present is not merely the linear successor of the past but a novel outcome of it.” (Chia, 1999 : 220)

Le sens pratique est un processus subjectif qui ne parait pas compatible avec une mécanique reposant sur la logique causale, voire instrumentale, qui est utilisée pour gérer la vie organisationnelle, et à laquelle on aurait subsumée la logique humaine.

« La pratique repose sur une logique qui n’est pas celle de la logique […] Il faut reconnaitre à la pratique une logique qui n’est pas celle de la logique pour éviter de lui demander plus de logique qu’elle n’en peut donner et de se condamner ainsi soit à lui extorquer des incohérences, soit à lui imposer une cohérence forcée. » (Bourdieu, 1980 : 144)

Selon les théoriciens (voir, outre l’ensemble des travaux de Weick et sans exhaustivité : Chia 1996 ; Chia et King, 1998 ; Tsoukas et Chia, 2002 ; Clegg, Kronberger et Rhodes, 2005), qui mettent en avant la dimension sociale de l’organisation, les organisations ne sont pas composées d’entités spécifiques que l’on peut étudier séparément et lier théoriquement de façon abstraite. Il est nécessaire de prendre en compte le tout relationnel constitué par les pratiques organisationnelles, la logique de la pratique, et puis de réintroduire le bon sens dans l’organisation. La compréhension de ce qui se passe parait fondamentale et elle devrait être placée est au cœur des préoccupations organisationnelles.

Tsoukas (1994) par exemple déplore le manque de place laissée dans les outils de gestion à la subjectivité qui accompagne le bon sens, lorsqu’il s’attache à étudier la situation d’un patient hospitalisé dans un hôpital. L’information recueillie sur cette personne est systématiquement captée, stockée, analysée et partagée au moyen de systèmes d’information. La personne malade est en fin de compte appréhendée comme un pourvoyeur d’informations qui parlent pour elle, la représentent et la décrivent. L’auteur montre que l’information réduit la personne à un objet particulier décontextualisé. De plus, l’information, bien qu’elle soit considérée comme objective, n’est jamais neutre, car elle est toujours interprétée en fonction d’un but précis. L’information n’existe pas indépendamment, elle ne peut être réduite à une forme quantitative

qui est différente de notre perception de bon sens. En outre l’ensemble des relations existantes n’est jamais pris en compte totalement par les systèmes d’informations qui sont utilisés dans les organisations. Dans cet exemple, le patient n’est pas considéré dans sa globalité mais comme une somme d’informations détachées les unes des autres.

Pour Tsoukas et Papoulias (1996), tous les problèmes organisationnels sont largement subjectifs. Ils dépendent des perceptions et interprétations diverses des acteurs qui en font sens.

« Problems are inescapably open-ended, since they depend to some extent on how participants perceive them; and (b) the analyst's perspective is only one amongst others. […] they must try to find out how participants perceive problems and facilitate the process of debate to bring different interpretations forward. In this way, they build creativity into the process of inquiry— they design the process to elicit different points of view, to challenge accepted assumptions, and to reveal hitherto unacknowledged features of a problem situation. » (Tsoukas et Papoulias, 1996 :77)

Le sens pratique requiert de percevoir et d’interpréter les informations sensorielles. Il concerne la compréhension, l’intelligence pratique. Or il est très courant que l’intelligence d’une entreprise soit considérée comme la condition de son succès, c’est pourquoi les organisations sont toujours en quête d’intelligence (March, 2010). Le sens pratique nécessite de percevoir tout ce qui fait la particularité de la situation et d’exploiter l’imprévu. Comprendre ce qui se passe requiert de prendre en compte l’ensemble des spécificités de la situation particulière afin d’agir de façon adéquate.

Il n’existe pas une seule façon de procéder, il n’y a pas de chemin préétabli. C’est le cheminement particulier et unique qui dessine le chemin. La même chose dans des univers de pratique différents peut avoir une logique de pratique différente. Les univers de sens

correspondent à des univers de pratique (Bourdieu, 1980). Le sens pratique est une façon de penser ancrée dans les pratiques humaines, qui consiste à découvrir son chemin tout en cheminant comme proposé par proposé par Chia et Holt (2009) qui font une analogie de ce que vit l’acteur avec la navigation. Il n’y aurait ainsi pas de connaissance préalable à l’application. Seule la pratique permettrait d’attribuer le sens en puisant dans l’expérience vécue. En combinant ce qu’il sait et qu’il ne sait pas, l’individu construit sa compréhension de la situation, la rend cohérente pour lui, et tente de se projeter dans le futur de façon à agir.

Par le concept de « logic of appropriateness », March et Olsen (2004) montrent la limite des règles qui sont édictées afin que les acteurs organisationnels puissent agir de façon appropriée. Ils relativisent l’intérêt prescriptif des règles, et insistent sur l’importance de la compréhension des processus par lesquels les règles sont traduites dans le comportement des acteurs. L’interprétation des règles par l’acteur n’est pas obligatoirement la même que celle qui sera faite par les autres individus. L’action, même strictement encadrée par des règles, n’est pas forcément appropriée.

« Rules prescribe, more or less precisely, what is appropriate action. They also, more or less precisely, tell actors where to look for precedents, who are the authoritative interpreters of different types of rules, and what the key interpretative traditions are. Still, the unambiguous authority of rules can not be taken as given -- it can not be assumed that rules always dictate or guide behavior. Rather, it is necessary to understand the processes through which rules are translated into actual behavior and the factors that may strengthen or weaken the relation between rules and actions. » (March et Olsen, 2004 : 7)

Nous retenons de l’examen du sens pratique comme compréhension qu’il est fondamental afin de comprendre ce qui fait la particularité d’une situation et qui la rend unique. Toute situation requiert d’avoir de l’imagination, de la sensibilité, et d’être capable d’improviser car le sens pratique se déploie (Barrett, 2000). Tout action comporte une part de bricolage afin d’être adaptée (Weick, 1985). Le sens pratique requiert de ressentir, de sélectionner et d’interpréter les sensations perçues afin de comprendre la situation. Il est un savoir humain qui sert à trouver une cohérence afin d’agir. Il englobe tout à la fois le tact, le doigté, la délicatesse, l’adresse, et le savoir-faire. Le sens pratique intègre la réalité temporelle de la pratique en train de se faire, et obéît ainsi à ce que Bourdieu (1980) appelle « la loi immanente des pratiques ».

Dans le document Le bon sens dans l’organisation (Page 58-62)