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Posture du chercheur et méthode d’analyse des « traces »

6.3. Self-ethnography ou le double « je »

Puisque nous nous intéressions aux rapports qu’entretiennent les participants au projet de for- mation avec les données, il nous fallait observer comment les acteurs, humains et non-humains, agissent, interagissent, et font ou plutôt font faire des choses (Alvesson, 2009). Cela signifie, selon Alvesson, d’aller au plus proche des pratiques discussives et sociales de la communauté étudiée (Al-

étions nous-même impliquée, comme des activités interactionnelles et situées (Mondada, 2008), nous avons décidé de nous inscrire dans l’approche développée par Alvesson de self-ethnography (Alvesson, 2009) :

« A self-ethnography is a study and a text in which the reseacher-author describes a cultural setting to which s/he has a “natural access”, is an active participant, more or less on equal terms with other participants. The reseacher then works and/or lives in the setting and then uses the experiences, knowledge and access to empirical material for research purposes ».

(Alvesson, 2009, p. 174) Ainsi la différence entre l’ethnographie conventionnelle et la self-ethnography est une question de distance. La collecte des matériaux nécessaires à la recherche ne nécessite pas trop de déplacements, physiques ou culturels, puisque nous les collectons dans un environnement qui nous est relativement familier. Cette question implique néanmoins une position radicalement différente du chercheur par rapport à l’ethnographie conventionnelle. Si dans le cas de l’ethnographie traditionnelle, le chercheur essaie de s’approcher le plus proche possible de son terrain d’étude et de dépasser les barrières cultu- relles afin d’en avoir une connaissance la plus complète possible, dans le cas de la self-ethnography, le chercheur, au contraire, tente de se « désacculturer » afin d’adopter suffisamment de distance pour pouvoir analyser son terrain et interroger les préconçus ainsi que ce qui est considéré comme acquis. Il faut également opérer une distinction entre la self-ethnography et l’auto-ethnographie. En effet, si nous collectons nos matériaux d’analyse au sein de notre milieu de travail, l’objectif n’est pas de réaliser une introspection, comme c’est le cas pour l’auto-ethnographie (Rondeau, 2011), mais bien d’étudier des pratiques professionnelles du réseau d’acteurs dans lequel nous nous inscrivons. Néan- moins, Alvesson considère que prendre en compte ses propres ressentis, pensées et expériences n’est pas forcément à mettre de côté, au contraire, qu’ils peuvent constituer des matériaux précieux pour l’analyse (Alvesson, 2009).

Alvesson émet l’hypothèse qu’un ethnographe de l’intérieur serait mieux à même de révéler la « vé- ritable histoire », puisque le chercheur a, en théorie, un accès facilité aux documents, aux personnes, à leurs motivations, etc. Ainsi il décrypterait plus aisément les non-dits, les sous-entendus ainsi que le vocabulaire technique utilisé (Alvesson, 2009). Cette connaissance approfondie d’un milieu permet- trait, par la suite, un développement théorique plus solide et plus intéressant car plus profondément ancré dans l’expérience et l’observation (Alvesson, 2009).

impliqué peut octroyer un accès facilité aux matériaux, cela peut aussi signifier une plus grande dif- ficulté pour s’en libérer, pour pouvoir remettre en cause les préconçus qui y sont clôturés en « boîtes noires », et pour avoir l’esprit suffisamment ouvert pour identifier ce qu’il y a d’étonnant, de nouveau, d’intéressant dans le terrain étudié (Alvesson, 2009).

Ainsi, une étude de self-ethnography nécessite avant tout de créer de la distance, c’est-à-dire de

« transformer le connu et l’évident en soi en exotique et explicité »(Alvesson, 2009).

Par conséquent, l’adoption de cette démarche nous a amené à nous détacher progressivement de notre terrain d’étude, notamment en restreignant notre participation et en se déchargeant de cer- taines tâches qui nous avaient été attribuées telles que la mise en forme de données ou la rédaction de comptes-rendus de réunion. Cette restriction de notre participation n’a en rien limité notre accès au terrain, puisque les participants n’ont jamais cessé de nous percevoir comme étant « l’une des leurs ». Néanmoins, la distanciation vis-à-vis du terrain nous a surtout été permise par l’enregistrement sys- tématique des documents, des mails et des réunions auxquels nous avons participé. Cet obsession pour le recueil et la collecte des « traces », nous a permis de construire une seconde « vue », une vue de l’extérieur sur l’ensemble des acteurs pris dans les interactions, nous compris. En effet, étant non pas derrière la caméra mais devant avec les autres acteurs, celle-ci nous a permis de bénéficier d’un autre « regard », de même que l’enregistrement audio constituer une seconde « oreille ». Cet équipe- ment de seconds « sens » nous a également apporté un avantage décisif sur les premiers, c’est qu’ils produisent des enregistrements stockables sous format numérique, nous permettant de ré-écouter, de revoir, de retranscrire plus finement des éléments qui nous auraient échappé lors que nous étions prise dans les interactions. Ils nous permettent aussi de nous regarder comme un autre, comme un individu extérieur à nous-même.

Cette distanciation vis-à-vis du terrain nous a également été permise par les échanges mensuels que nous avons eu avec nos co-directeurs de thèse, Anne Mayère et Pierre Maurel, ainsi que lors des réunions de l’équipe Ecorse de l’UMR CERTOP au cours desquelles nous avons présenté nos réflexions et notre matériau. Ces échanges nous ont permis de pointer ce qui relevait pour nous du « bon sens » et que nous tenions pour acquis et d’identifier des éléments intriguants que notre proximité avec le terrain ne nous permettait pas de percevoir. Ces rencontres ainsi que les discussions que nous avons eu lors des différents colloques, séminaires et ateliers auxquels nous avons participé nous ont également permis d’affiner au cours du temps notre questionnement de recherche, notre inscription sur le terrain et la méthodologie employée pour la collecte et l’analyse du matériau.

chercheuse en devenir qui tente de se construire une posture afin d’observer ce projet et d’interroger les préconçus et les représentations. Tout l’enjeu de l’analyse et de notre réflexion est alors d’arriver à « faire taire » l’ingénieur qui continue de sommeiller en nous, afin que le « nous » employé lors de la rédaction de cette thèse soit réellement celui de la chercheuse que nous ambitionnons de devenir. Bénéficiant de la distance que permet la retranscription de captations audio et/ou vidéo, de la dis- tance temporelle entre le moment du projet (décembre 2015) et l’affinement de notre questionnement (entre juin 2016 et juillet 2017), ainsi que de la distance spatiale que nous avons établi avec l’UMR TE-

TIS et les autres acteurs du projet2, nous nous astreignons à considérer les actions de « notre moi

du passé » comme celles des autres acteurs. Par conséquent, nous sommes amenées à mobiliser un double « je » dans le cadre de la thèse, c’est-à-dire que nous sommes amener à distinguer le « moi actuel », désigné par « nous » et qui narre et développe les analyses et les réflexions proposées dans ce mémoire, du « moi du passé », du « moi ingénieur », celui-ci étant alors désigné à la troisième personne du singulier ou par son acronyme, « AMS ».

2. En effet, depuis la fin septembre 2016 nous avons quitté Montpellier pour emménager à Lille puisque nous avons obtenu un contrat en tant qu’Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER) au sein du département Sta- tistique et Informatique décisionnelle (STID) de l’IUT C de l’Université Lille 2.

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