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Questionner une collaboration inter-organisationnelle qui produit de l’organisation

inter-organisationnels en construction itérative

1.2.1. Questionner une collaboration inter-organisationnelle qui produit de l’organisation

Un des éléments qui nous a intrigué tout au long du suivi du projet était de comprendre comme ce projet « tient »? Comment des individus en responsabilité dans différents organismes, auprès des- quels ils doivent justifier leurs activité et rendre des comptes, ont construit un objet d’intéressement suffisamment fort pour y consacrer autant de temps sur une telle durée? À cela s’ajoute le fait que la justification institutionnelle de leur initiative (ou de ce que les acteurs du projet ont tenté tout du long de construire comme une initiative commune) a été établie « au fil de l’eau ». En effet, le projet et les relations entres les différents acteurs n’ont pas été « formalisés », ils n’ont pas été inscrits dans des « textes institutionnels »; il n’existait ni convention, ni cahier des charges, ni ordre de mission, ni même de ligne budgétaire dans aucune des organisations dont les agents concernés étaient parties prenantes.

Nous considérons que les acteurs du projet ne se réunissent pas uniquement pour le plaisir de se réunir, mais aussi et surtout pour partager et construire un objet en commun. C’est pourquoi nous proposons ici d’interroger les travaux de Matthew Koschmann sur la collaboration inter-organisation- nelle (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2; Lewis et al., 2010, 4; Koschmann & Laster, 2011, 1; Koschmann, 2013) afin d’en tirer des enseignements pour notre analyse.

Les travaux concernant la collaboration inter-organisationnelle s’inscrivent dans un contexte où les organisations entretiennent de plus en plus de relations avec d’autres organisations, considérant que c’est une des clés de leur réussite ou de leur survie (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2), comme le montre la multiplication des formes de coopérations entre les organisations ces dernières années (joint venture, sous-traitance, partenariats public-privé, etc.). Ces relations inter-organisationnelles seraient même nécessaires, selon Eisenberg, pour gérer les incertitudes que rencontrent les organi- sations (Eisenberg, 1995). Dans le secteur non-marchand, elles sont même devenues une des carac- téristiques principales des organisations (Lewis et al., 2010, 4).

Parmi les différents types de relations que les organisations peuvent entretenir entre elles, la colla- boration inter-organisationnelle est une forme particulière (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2) qui implique à la fois : (1) de la coopération, de la coordination et du partage de ressources et de connais- sances et (2) un respect mutuel des intérêts particuliers et/ou communs (Lewis et al., 2010, 4). Ainsi, la collaboration inter-organisationnelle est une forme organisationnelle où les organisations, mais aussi les individus représentant ces organisations, se regroupent autour d’une question particulière,

des objectifs qu’ils n’auraient pu atteindre seuls (Koschmann, 2013). Koschmann insiste d’ailleurs sur le fait que le point fondamental de la collaboration est l’accomplissement d’une action collective (Koschmann, 2013).

Cependant, entretenir des relations entre des organisations en vue d’agir collectivement peut être délicat (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2). En effet, Lawrence et al. considèrent que les collabo- rations impliquent des relations qui sont négociées à travers des processus continus de communi- cation qui ne s’inscrivent pas nécessairement dans des relations marchandes ou hiérarchiques (Law- rence, Hardy & Phillips, 2002). Au contraire, elles s’inscrivent dans un « con-texte » qui se consti- tue au travers de cette collaboration et la performe (Taylor, 1993). Ainsi, les collaborations inter- organisationnelles qui supposent la coordination entre des membres ayant des valeurs, des intérêts et des motivations plus ou moins compatibles, ne peuvent se fonder sur les artefacts matériels, les contraintes structurelles (hiérarchie, chaîne de commande, etc.) ou les formalités légales qui caracté- risent les organisations « normales » et qui participent à l’impression que ces dernières seraient « déjà présentes » (Koschmann, 2013). Au contraire, elles doivent développer des relations profitables à tous les partenaires, organisationnels et individuels, en se fondant seulement sur des relations sociales et des accords de principe (Koschmann, 2013). Un des défis de la collaboration est ainsi de parvenir à agir collectivement par-delà des pratiques, des savoirs, des valeurs différentes, tout en permettant à chacune des parties impliquées dans la collaboration d’atteindre ses objectifs propres au travers de cette action commune.

Il semble commun, voire même presque « banal », de voir des organisations collaborer, même s’il est possible de percevoir que mettre en œuvre des collaborations inter-organisationnelles reste difficile. Cependant, Matthew Koschmann et ses collègues font le constat que ces collaborations res- tent relativement peu étudiées (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2; Koschmann, 2013), surtout en ce qui concerne les processus de communications impliqués, les interactions humaines, ainsi que la question de savoir comment se constituent et se maintiennent ces inter-organisations. Pour pallier à cela, Matthew Koschmann propose de s’inscrire dans une approche de la communication comme constitutive des organisations, où ces dernières ne sont pas « déjà là », mais se constituent par et à travers les différentes négociations et interactions entre des parties prenantes sur un domaine par- ticulier (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2). Pour cela, il étudie les collaborations à travers deux concepts qui participent aux processus organisants : les tensions organisationnelles (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2; Lewis et al., 2010, 4; Koschmann & Laster, 2011, 1) et l’identité collective (Koschmann, 2013).

organisation en train de se constituer au travers d’un double mouvement performatif entre ses mem- bres, individuels et collectifs (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2). D’une part, les acteurs impliqués dans la collaboration doivent participer à cette dernière, puisqu’elle se constitue par et à travers des processus communicationnels. D’autre part, pour que les acteurs y participent, il est nécessaire que l’organisation qui se constitue construise un objet d’intéressement. Ainsi, les membres participent à la constitution de la collaboration inter-organisationnelle en apportant des contributions et en mettant en avant leur engagement, leur inscription dans la collaboration et ses missions. D’un autre côté, l’organisation qui se constitue doit, pour pouvoir s’attacher ses membres et maintenir leur inscription, permettre l’expression des opinions et des idées de chacun et fournir aux membres l’occasion de poursuivre leurs propres intérêts à travers l’accomplissement de ses missions (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2).

Maintenir l’attachement de ces membres en favorisant leur expression ne signifie pas seulement permettre aux personnes de s’exprimer lors des réunions; c’est aussi inclure les partenaires dans la réalisation de certaines tâches et inscrire cette expression dans les différents « textes » (compte- rendus, newsletters, etc.) de la collaboration (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2). Avoir la possi- bilité de contribuer au groupe, en partageant de nouvelles idées et des informations ou en mettant en lumière les paradoxes et les contradictions, permet aux individus de se sentir inclus dans la colla- boration. Dans le cas contraire, Koschmann montrent qu’ils tendent à se désengager (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2).

Pour être intéressé, il faut y trouver un intérêt (Callon, 1984). Les membres s’engagent en ef- fet dans la collaboration s’ils perçoivent les bénéfices individuels, organisationnels ou autres, qu’ils peuvent en tirer (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2).

La collaboration inter-organisationnelle se constitue et atteint ses objectifs au travers des contribu- tions de ses membres, lorsque ces derniers participent aux réunions et partagent des idées et des infor- mations. D’une manière paradoxale, alors que la collaboration doit être « nourrie » continuellement par les contributions de ses membres afin de mener à bien ses tâches et de remplir ses missions, chacun des membres ne peut contribuer en continu de manière pertinente sur chacun des sujets abordés par la collaboration (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2). Enfin, la collaboration inter-organisationnelle pour se maintenir à travers le temps nécessite que ses membres s’y investissent, s’engagent et surtout qu’ils le montrent (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2). En effet, les membres ont des interactions qui se limitent souvent aux réunions, la plupart mensuelles, parfois complétées et prolongées par des échanges de mails. Lorsque les membres individuels retournent à leurs activités quotidiennes, loin

ils sont responsables. Pour Koschmann, savoir que d’autres se sont publiquement engagés dans l’ac- complissement de leurs tâches incite fortement chacun à faire de même (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2).

La perspective de la communication vue comme constitutive des organisations permet de consi- dérer la collaboration inter-organisationnelle comme n’étant pas donnée; ce n’est pas une structure

déjà présentedès l’instant où elle est proposée, une structure où la communication n’aurait d’autre

utilité que de transmettre des messages. Au contraire, cette approche suggère que la collaboration inter-organisationnelle se constitue par et au travers de diverses négociations, compromis et inter- actions entre des parties prenantes, humains, non-humains, individus et collectifs, sur un domaine en cours d’élaboration (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2). De ce fait, les processus qui participent à la constitution de l’organisation sont mis en œuvre aussi par et au travers des tensions organisa-

tionnelles, issues des ambiguïtés, des paradoxes, des incohérences et des contradictions inhérentes

aux négociations et aux interactions humaines (Koschmann & Laster, 2011, 1). Ainsi, plutôt que considérer les tensions comme des obstacles irrationnels et contre-productifs qu’il faudrait absolu- ment résoudre, Koschmann propose d’étudier comment elles contribuent communicationnellement à la constitution et au développement de l’organisation (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2). Les tensions contribuent de façon importante à la construction des normes et de la structure de la col- laboration inter-organisationnelle (Koschmann & Isbell, 2009, 1 and 2) du fait de leur capacité à remettre en cause des préconçus et des manières de faire, et à mettre en lumière et faire coexister des logiques contradictoires et peu compatibles (Koschmann & Laster, 2011, 1). Ces tensions étant la « matière première » des processus organisants, les analyser permettrait de développer une meilleure compréhension de ces derniers (Koschmann & Laster, 2011, 1).

1.2.2. Intéressements et dissidences : comment suivre des processus

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