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publiques en évolution et en tension

4.2. Présentation de l’objet d’étude

4.2.2. Comment clôturer son objet d’étude

L’enrôlement progressif des différents acteurs humains et non humains, la construction d’une forme de « généalogie du projet », ainsi que la présentification au travers des interactions de nombreux ac- tants tels que les normes, les lois, les individus, les « projets », nous amènent à nous questionner sur la « clôture » de notre objet d’étude. Comment définir le début et la fin dans le temps de notre objet d’étude? Comment en déterminer le périmètre, c’est-à-dire quels sont les acteurs et les évènements qui doivent être déployés et suivis? Par exemple, parallèlement à l’élaboration de ce projet de forma- tion se constituait l’Observatoire National de la Consommation des Espaces Agricoles (ONCEA). Cet observatoire, crée par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche (LMAP) et installé le 17 avril 2013, a entamé une réflexion pour définir au niveau national une définition et une mesure des phénomènes liés à la « consommation des espaces agricoles » (Observatoire na- tional de la consommation des espaces agricoles ONCEA, 2014). Les agents de la DRAAF et de l’UMR TETIS ont plusieurs fois présenté leurs travaux issus du projet DRAAF/TETIS/LISAH devant cet observatoire. Ainsi, le projet de formation, par son objectif de faire utiliser les données issues du projet DRAAF/TETIS/LISAH, peut aussi être considéré comme une tentative promouvoir ces défi- nitions et ces méthodes au niveau national; nous amenant à nous poser la question de l’inclusion de

concernant la règlementation ou le périmètre d’autorité des Ministères, et par conséquent de leurs services déconcentrés respectifs, sont intervenus durant le projet de formation. Par exemple, le Mi- nistère en charge de l’aménagement des territoires, sous l’autorité duquel sont placés les DREAL et les DDT, désigné comme le « Ministère du Logement et de l’Égalité des Territoires » depuis le 16 mai 2012 a vu son périmètre d’autorité s’élargir à la « Ruralité » le 26 août 2014. L’ajout de la « Ruralité » dans l’intitulé du Ministère amène ce dernier à être en charge du « développement et de la mise en

valeur des territoires et espaces ruraux » (décret no2014–414 du 16 avril 2014 modifié par le décret

no2014–1034 du 11 septembre 2014). Ainsi, dans le cadre du projet de formation, alors que les agents

de la DRAAF considéraient le développement des espaces ruraux comme relevant de leur domaine d’autorité, la modification de l’intitulé du Ministère amène à une reconfiguration des domaines d’au- torité et donc de légitimité respectifs de la DRAAF et de la DREAL, les agents de cette dernière se voyant chargés de la mise en œuvre et du développement des espaces ruraux.

De plus, il est très difficile d’établir avec certitude le début du projet d’élaboration du module de for- mation. En effet, le projet de formation est défini comme la « continuité » du projet DRAAF/TETIS/LISAH par les agents de la DRAAF et de l’UMR TETIS. Et ce d’autant plus que de nombreuses actions ont eu lieu entre le moment de la diffusion des « données » et les réunions se consacrant à l’élaboration de la formation. En 2011, suite à la « diffusion » de ces « données », l’UMR TETIS, souhaitant savoir quels usages étaient faits de celles-ci et si leurs utilisations avaient occasionné des changements dans les pratiques de l’aménagement territorial, a proposé un stage intitulé « Analyse de l’impact sur la gouvernance territoriale de la mise à disposition de nouveaux contenus informationnels » (Martin- Scholz, 2011). Cette étude a montré que ces objets quantifiant et qualifiant l’artificialisation des terres agricoles « échappaient » à leurs créateurs et étaient utilisées dans des visées différentes que celles qui avaient présidé à leur conception (Martin-Scholz et al., 2013). Puis, en septembre 2012, l’UMR TE- TIS, afin de favoriser une « bonne » utilisation de ces données et d’améliorer leur prise en compte dans les processus d’élaboration de documents d’urbanisme, a proposé un projet tuteuré à des étu- diantes de Master 2 Information, Communication et Médiations Socio-Techniques de l’Université Paul Sabatier — Toulouse III, pour qu’elles conçoivent un « jeu de rôle sur le phénomène d’artifi- cialisation des terres agricoles » (Gonzalez, Martin-Scholz & Souid, 2013). Dans leur rapport de projet, les étudiantes ont remis en question l’idée du jeu de rôle mais ont maintenu la conception d’un module de formation comme média pour propager « une méthode d’utilisation » des données DRAAF/TETIS/LISAH.

2009). En effet, pour elle une intrigue, un récit comprend « des caractères, un contexte, un début. Mais

la fin était seulement la fin du récit »(Czarniawska, 2009). La fin d’un récit s’inscrit dans le présent de

l’énonciation de ce récit tandis que le début est déterminé par le locuteur en fonction de l’intrigue, des évènements qu’il souhaite mettre en avant. Il s’agit alors, afin de déterminer le début du projet, de définir la fin de ce dernier. Cependant, si les actants, observés à un moment donné au travers de notre objet d’étude, ancrent leurs récits dans la situation occurrente, il est néanmoins nécessaire de délimiter l’objet d’étude et de définir une fin à l’intrigue, un arrêt du recueil des différents récits.

Ainsi, définir une fin à l’intrigue revient à poser la question de quand est-ce que nous devons quitter le terrain? Quand arrêter l’observation et le suivi du projet en devenir? Le sens commun arguerait que la fin du projet correspond au moment où ce dernier échoue ou réussit; l’échec ou la réussite du projet correspondant à l’évaluation des « résultats » du projet au regard d’objectifs fixés à l’avance. Loin de nous convenir, cette conception gestionnaire nous amène un lot supplémentaire de ques- tions : Comment définir les « résultats » du projet? Le projet se constituant progressivement, au fil de l’eau, comment déterminer ces « objectifs fixés à l’avance »? Comment évaluer le « respect » de ces objectifs? Nous considérons que pour qu’un projet réussisse, il faut que ce dernier ait associé suf- fisamment d’alliés pour se maintenir (Latour, 1992); son maintien dans le temps et dans l’espace se faisant à travers la production de « textes » (Cooren, 2009). Cette réussite n’est que temporaire et dépend du moment de l’observation (Akrich, 1987). En effet, dans le cadre d’un projet, et a fortiori dans le cadre d’une collaboration inter-organisationnelle, les acteurs participant à la réunion peuvent voir leurs intérêts et leurs préoccupations être un temps dirigés vers d’autres missions et d’autres ac- tions mettant ainsi « en pause » le projet. Cette « pause » peut signifier la fin du projet si le suivi du projet s’arrête à ce moment ce qui ne préjuge pas forcément de la reprise des interactions et du ré- intéressement des acteurs pour le projet. De même, la « cristallisation » des interactions en « textes » ne signifie pas pour autant la réussite définitive du projet. À tout moment, les acteurs peuvent en- trer en dissidence (Callon, 1984) et remettre en question les « textes », et même produire d’autres « textes ». Dans notre cas, suite à l’organisation d’une première session de formation les 30, 31 mars et le 30 avril 2015, les acteurs remettent en question certains éléments de la formation et décident d’en rédiger un « corrigé », qui sera envoyé le 18 décembre 2015 à l’ensemble des participants à la session de formation. Par la suite, de nouvelles discussions auront lieu afin d’organiser une deuxième session de formation.

Dans le cadre de notre étude, nous avons choisi de ne pas nous arrêter à l’organisation de la pre- mière session de formation, mais au moment de l’envoi du « corrigé ». En effet, les « dissidences »

tion, nous amenant ainsi à poursuivre le suivi du projet. Nous avons quitté le terrain lors de l’envoi du « corrigé » et n’avons pas prolongé le suivi du projet aux discussions concernant l’organisation d’une deuxième session de formation, ce pour plusieurs raisons. Lors de l’envoi du « corrigé », l’en- semble des acteurs du projet déclaraient être satisfaits de ce qu’ils avaient construit et considéraient le « corrigé » comme fini et abouti. Si quelques temps plus tard, certains acteurs remettaient en ques- tion ce corrigé, au moment de l’envoi ce « corrigé » constituait un « texte » ayant enrôlé suffisamment d’actants et ayant cristallisé suffisamment d’interactions pour considérer que le projet avait « réussi »

(pour un temps). Par ailleurs, au 1er janvier 2016 est intervenue la fusion des Régions Languedoc-

Roussillon et Midi-Pyrénées pour former la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée. La fusion de ces deux entités administratives a conduit à la fusion des différents services déconcentrés régionaux, amenant à une recomposition du réseau des différents acteurs impliqués dans le projet et supposant un désassemblage et un ré-assemblage de tous les éléments inscrits dans le module de formation tels que les données, les définitions, les éléments de méthode, etc. Par ailleurs, la détermination de la fin du suivi nécessite de prendre en compte la temporalité de la recherche, qui requiert certes de s’immer- ger dans le terrain pour recueillir les traces des interactions mais également d’en sortir, de le mettre à distance pour pouvoir produire des analyses (Alvesson, 2009). C’est pourquoi devant les nombreux ré-arrangements, ré-enrôlements à venir ainsi que la nécessité de finir cette étude et l’atteinte d’une stabilité, temporaire, de l’agencement des réseaux d’acteurs, nous avons décidé de quitter le terrain pour nous consacrer à la retranscription, à l’analyse des traces et à la rédaction de ces analyses.

La date de fin étant déterminée, il nous faut alors définir un début du suivi du projet. De façon non arbitraire, nous pourrions faire remonter le début du projet à la première mention de l’idée de concevoir un module de formation, soit le 15 décembre 2011. Cependant, en tenant compte du moment où nous avons choisi de quitter le terrain, nous observons que les participants du projet ne font remonter l’origine du projet qu’à l’été 2013. Ainsi, si dans le cadre de notre thèse nous tenons compte des éléments antérieurs à cette date dans nos analyses, nous concentrons nos observations et nos questionnements sur la période comprise entre juillet 2013 et décembre 2015.

Ces éléments antérieurs ne sont déployés dans nos analyses que lorsqu’ils sont mobilisés, présen- tifiés, dans le cadre du projet. En effet, afin de ne pas enfermer les acteurs dans une clôture arbitraire et afin de ne pas nous laisser entraîner dans une ouverture successive de boites noires, qui telles des poupées russes, en contiennent toujours d’autres, nous avons choisi en nous inspirant de la proposi- tion de Bruno Latour dans son ouvrage Aramis ou l’amour des techniques de laisser les acteurs clôturer eux-mêmes le projet (Latour, 1992). Ainsi, en reprenant l’exemple de l’ONCEA, nous ne ferons pas

une comparaison des travaux construits au niveau national avec le projet de formation. Nous nous intéressons à l’ONCEA, le cas échéant, lorsque les acteurs du projet le présentifient. Il s’agit alors d’étudier comment cet acteur participe au cours de l’action, comment il est agi et fait agir les partici- pants au projet.

Laisser les acteurs étudiés clôturer eux-mêmes l’objet d’étude nous amène à devoir porter une grande attention aux différentes évènements et interactions afin de pouvoir saisir les acteurs pré- sentifiés. Ainsi, dans un contexte de politiques publiques en tension et renouvelées, qui voit une re- configuration des acteurs de l’aménagement des territoires, le suivi du projet qui s’est déroulé sur un temps long (2,5 ans), qui a enrôlé de nombreux actants de façon progressive, nécessite de bâtir une méthodologie suffisamment solide et souple qui nous permette de collecter les différentes « traces » de l’action des acteurs (Latour, 1992).

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