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La recherche-action : agir sur le « monde » et produire des connaissances sur l’action

Posture du chercheur et méthode d’analyse des « traces »

6.1. Questionner son inscription sur le terrain

6.2.1. La recherche-action : agir sur le « monde » et produire des connaissances sur l’action

La démarche de recherche-action a été proposée dans les années 1940 par Kurt Lewin (Lewin, 1946) afin d’articuler ce qui relevait de « l’homme-acteur » et de « l’homme-chercheur » (Pourtois, Desmet & Humbeeck, 2013, Hors Série). Il s’agit d’une méthode de recherche dans laquelle « il y a une action délibérée de transformation de la réalité; recherche[s] ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations » (Hugon & Seibel, 1988, p. 13; cités par Allard-Poesi & Perret, 2003).

Par la suite, les méthodes de recherche relevant de cette démarche se sont diversifiées. Il existe de nombreuses définitions de cette démarche ainsi que de nombreuses « écoles » s’inscrivant dans cette approche (Catroux, 2002; Allard-Poesi & Perret, 2003; Jouison-Laffitte, 2009). Notre objet n’est pas ici de faire une cartographie des différentes « familles » de méthodes de recherche-action. En effet, il existe plusieurs catégorisations possibles (Jouison-Laffitte, 2009) : selon leurs finalités (Allard-Poesi & Perret, 2003), selon le degré d’implication des acteurs de l’organisation (Whyte, 1991) ou encore selon des aspects épistémologiques et instrumentaux (David, 2001).

De ces différentes définitions, il est néanmoins possible d’en identifier des points communs (Jouison- Laffitte, 2009) :

— La recherche-action est un processus;

— elle vise à apporter une solution à des problèmes « concrets » en situation, elle a une visée applicative;

l’organisation étudiée;

— et son objectif est de « produire des connaissances scientifiques sur les situations étudiées ». La plupart des démarches de recherche-action décrivent ainsi un processus en plusieurs étapes qui peuvent être schématisées comme suit : (1) définition du problème ou d’hypothèses, (2) identification de solutions, (3) application de ces solutions à la situation étudiée, et (4) production de connaissance sur les actions et le processus.

La recherche-action « classique » ou la recherche-action lewinienne se distingue des autres dé- marches par sa visée à reproduire l’expérimentation de laboratoire dans une situation mettant aussi en jeu des rapports sociaux (Jouison-Laffitte, 2009). Les chercheurs s’inscrivant dans cette ap- proche considèrent la « réalité » si ce n’est « objective », tout du moins objectivable. Ainsi, pour en comprendre le fonctionnement, le chercheur, dans cette perspective, doit en varier les paramètres (Allard-Poesi & Perret, 2003). Par conséquent dans cette approche, c’est le chercheur-acteur qui doit définir à la fois le problème et le protocole d’expérimentation afin de pouvoir agir dessus (Jouison- Laffitte, 2009; Pourtois et al., 2013, Hors Série).

Cette vision positiviste selon laquelle seul le chercheur définit le problème et les modalités d’action, sans la participation des acteurs concernés par cette action, a été remise en question notamment par les tenants de la recherche-intervention (Hatchuel, 1994; Maurel, 2012) ou recherche ingénierique (Chanal, Lesca & Martinet, 1997) qui a été développée notamment dans les sciences de gestion (Da- vid, 2001). Les chercheurs revendiquent s’inscrire dans une posture épistémologique constructiviste (Allard-Poesi & Perret, 2003; David, 2001; Maurel, 2012). Selon ces chercheurs, cette posture se justifie par le fait qu’ils considèrent la « réalité » comme « construite dans nos esprits, parce que nous n’en avons que des représentations, construite parce que, en science de gestion, les différents acteurs, y compris le chercheur, la construisent ou aident à la construire » (David, 2001, p. 100).

La recherche-intervention poursuit une visée prescriptive (Allard-Poesi & Perret, 2003). Elle relève en cela de la pensée ingénieur, selon laquelle il s’agit d’améliorer des pratiques en mettant en place des instruments ou des procédures dans les organisations (David, 2001).

« La recherche ingénierique s’apparente par certains côtés à la recherche-action par le fait qu’on s’intéresse principalement à des processus de changement organisationnel et que l’on implique les acteurs affectés par le changement dans la démarche de recherche. Elle s’en distingue cependant en imaginant un nouveau statut de « chercheur ingénieur » qui conçoit l’outil support de sa recherche, le construit, et agit à la fois comme anima- teur et évaluateur de sa mise en œuvre dans les organisations contribuant ce faisant à

(Chanal et al., 1997, p. 41)

Ainsi, si les acteurs participent à la définition de la situation et des actions, le chercheur y contri- bue aussi activement en accompagnant mais également en évaluant le processus. Ce faisant cette dé- marche comprend une forte visée normative puisque cette évaluation se fait au regard de préconçus généralement issus de la pensée ingénieur ou gestionnaire.

Au début de notre inscription dans le projet de formation, nous avons été intéressée par cette ap- proche qui fait écho au système de pensée dans lequel nous avons été formé avant la thèse. En effet, nous avons un parcours académique s’inscrivant plutôt en sciences dites « exactes » et en sciences de l’ingénieur, puisque nous avons été diplômée, par ailleurs, en tant qu’ingénieur agronome spécialisée en « agro-management ». Si nous revendiquons aujourd’hui notre inscription en sciences de l’infor- mation et de la communication, il nous a fallu un certain temps, de nombreuses lectures, le suivi d’un Master 2 en sciences de l’information et de la communication et le développement d’une pensée ré- flexive afin de nous rendre compte qu’il n’existe pas une seule façon de « voir et de penser le monde », et que ce système de pensée ingénieur présenté comme « rationnel » et « objectif » véhicule des pré- jugés et des préconçus. Par conséquent, au début de la thèse nous avons contribué à l’identification du « problème », à savoir la « mauvaise » utilisation des données issues du projet DRAAF/TETIS/LISAH, et nous avons participé avec les autres participants du projet de formation à la détermination d’un outil, la formation, supposé résoudre le problème, tout en véhiculant un ensemble de prescriptions normatives dont nous n’avions pas conscience à ce moment-là.

Cette posture de recherche nous a semblé, au fur et à mesure de l’avancement du projet, de l’af- finement de notre questionnement et de la prise de conscience des préjugés que nous véhiculons, de moins en moins « tenable ». En effet, nous souhaitions nous inscrire dans une approche de la communication comme constitutive des organisations, nous intéressant à ce qui se joue au travers des processus organisants, et cherchant à identifier les acteurs ventriloqués, il nous fallait adopter une posture de tolérance et d’agnosticisme vis-à-vis des différents acteurs, argumentaires et prises de positions (Akrich, Callon & Latour, 1988). Cette posture visant à ne pas prendre parti, à ne pas disqualifier a priori est alors difficilement conciliable avec la posture normative et prescriptive de la recherche ingénierique, qui suppose que nous participions à la « rationalisation » du projet et donc à décider de ce qui « fonctionne » ou pas en fonction de leur « adéquation » à un ensemble de prin- cipes gestionnaires. Ainsi, nous nous retrouvions dans une position où, selon la métaphore proposée par Isabelle Bazet, nous devions à la fois pédaler sur un vélo, tout en étant descendue du vélo pour nous regarder pédaler dans le même temps. Nous avons dû nous inscrire dans une autre posture de

6.2.2. L’émersion du terrain ou pourquoi nous ne faisons pas de

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