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secteur de l’Oulja et le rôle des européens.

Évidemment, le rôle des européens dans le processus de cristallisation du modèle maraîcher dans la région du Sahel des Doukkala était prépondérant. Toutefois, on ne peut pas facilement imputer le développement du maraîchage dans la région, – l’Oulja en particulier – à ce seul facteur. Outre les facteurs naturels favorables, la stabilité et la sécurité progressive qui ont commencé à régner depuis le début du siècle, le développement économique et social, l’extension des marchés et l’accroissement démographique, sont des facteurs à ne pas ignorer.

Des témoignages de la population locale évoquent le rôle joué par quelques colons dans la mise en valeur de la région de l’Oulja dès les années trente. Beaucoup de noms sont cités à ce propos tel Bovard (dit Boufar), Gros (dit Grou), Bonhomme ou Fargeix. Jean Simon (dit Bounkhila), qui détenait selon les registres de la conservation foncière 181 hectares, est considéré comme le pionnier à avoir tenté la culture de tomates, pastèques, melons ou poivrons dans la région de l’Oulja, et utilisé des techniques d’irrigation par pompage. Les registres de la conservation foncière contiennent une information de grande importance sur les conditions de la formation de l’assise foncière coloniale dans la région.

La colonisation a été, sans doute, le principal protagoniste. C’est que l’implantation et l’extension du maraîchage, se sont fait d’abord le plus souvent au sein des exploitations coloniales, pour s’étendre aux exploitations de notabilités locales, parvenues les premières à s’approprier des parcelles de terres dans la région de l’Oulja. C’est par la suite que ce système commence à être imité par les autres exploitations.

La colonisation a entrepris très tôt la transformation et le développement de la région du Sahel des Doukkala, du moins dans sa frange côtière. Ainsi, on osera considérer ces colons comme des « pionniers » étant donné qu’ils étaient les premiers à prendre à le risque de s’aventurer dans la mise en valeur de la région du Sahel, et l’Oulja en particulier, en y adoptant la culture de la tomate. Il est vrai que d’autres cultures y sont associées, permettant de satisfaire les besoins des ménages, mais elles étaient conçues surtout pour parer à tout effondrement éventuel de la culture de la tomate. Il est vrai aussi que ces transformations, n’ont pas touché toute la population, ni tout le territoire du Sahel. Une grande partie de la population et du territoire conserva les traits d’une paysannerie traditionnelle où persistaient encore pratiques et valeurs agro-pastorales traditionnelles et resta à l’écart de ces mutations.

Or, cette marginalité, cette population ne l’assumera pas pour longtemps. Son intégration dans ce nouveau système fut progressivement effective qu’elle ait pu être sa nature. D’ailleurs face à ces changements, la population locale n’a pas tardé à mettre en question son système de production agricole traditionnel. Progressivement cette population a commencé à adopter, elle aussi, les cultures et techniques introduites par les colons européens. Belfakih avance à ce sujet qu’après la deuxième guerre mondiale, quelques familles riches de la région, notamment des Chorfa Khanabibes, font leur entrée dans le domaine de la culture maraîchère, surtout la tomate,

réservée jusqu’alors aux seuls colons. Ces familles seront, par la suite, imitées par d’autres moyennes et petites115

.

Le changement qui s’effectuât alors ne fut pas une simple réorientation du système de production, mais une vraie transformation qui a touché les fondements techniques et sociaux du système de production agricole. D’ailleurs l’adoption de ces innovations par des familles de notables au début concorde avec l’analyse avancée par des chercheurs tel que H. Mendras, qui stipule que le notable participe au mouvement de modernisation de l’agriculture, car il peut se payer le luxe de se comporter différemment, comme il dispose de suffisamment de terres pour prendre le risque d’un échec116

. Hermelin estimait les surfaces de cultures irriguées détenues par les européens en 1948 à 60% des superficies dans la bande côtière Fedala117–Oualidia, alors que les marocains détiennent 89% des cultures maraîchères non irriguées118 .

Concernant l’Oulja de Oualidia, la situation est presque similaire, comme le prouve le tableau suivant. Il en résulte que le rôle commercial des marocains, à l’exportation en particulier est sans commune mesure avec celui des Européens, et que les

115

BELFAKIH, A., 1985. Structures sociales et comportement économique en zone

côtière de Doukkala ; thèse 3° cycle sociologie. Université René Descartes.

Paris. p.94 116

MENDRAS, H., 1983. Le changement social. Édition Armand Colin, Collection U, Paris.

117

Fedala = Mohammedia actuellement à 20 km Nord de Casablanca 118

HERMELIN, P, 1957. « Les cultures maraîchères de la zone côtière marocaine de Fedala à Oualidia ». Cahiers d’outre-mer, 39, pp., 195 – 196.

rendements obtenus par ces derniers sont en général bien supérieurs119.

Tableau: Répartition des cultures maraîchères dans l’Oulja d’après les

rôles du Tertib120 en 1948 (en hectare)

Terres irriguées Terres non irriguées Total

ha % Ha % ha %

Marocains 330 21,79 9116 97,53 9446 86,97

Européens 1184 78,20 230 2,46 1414 13,20

Total 1514 13,94 9346 86,06 10860 100

Source : Hermelin 1957, p, 196.

En définitive, sous le protectorat, des régions du Sahel se sont plus ou moins développés, équipées et structurées. Le processus général de développement et d’organisation s’est réellement instauré depuis cette période.

L’autorité du protectorat à transformé le paysage agraire par la création ou l’amélioration d’un ensemble d’infrastructures dont le but était d’exploiter et faciliter l’écoulement de la production agricole, mais aussi de mieux contrôler les populations, citons en particulier:

 La route côtière reliant El Jadida à Safi passant par Oualidia.

 L’ensemble des routes reliant la frange côtière à la plaine de Doukkala, notamment celles reliant Oualidia à Khemis Zemamra via Tnine El Gharbia, et celle reliant Sidi Moussa à Sidi Smaïl via Had Oulad Aïssa

119

HERMELIN, P., 1957. op cit. p.196. 120

L’intervention de ce dernier facteur au changement n’est pas à prouver. Ce sont alors de vrais changements structuraux qui se sont effectués lors de cette période.

Ce schéma implique alors le passage d’un modèle d’organisation social à un autre. Les diverses évolutions postérieures seront alors la continuité naturelle de ce phénomène déjà entamé, dont la trajectoire est déjà dessinée. Ceci dit, les changements de l’utilisation et de la gestion de l’espace du Sahel, notamment à l’Oulja, n’étaient pas une simple substitution d’une utilisation par une autre, elle instituait à une évolution très complexe qui touchait à la fois le système social, les pratiques, les techniques, les attitudes, les enjeux, les besoins… et en somme tout le système de production. C’est un développement de l’économie rural qui a été concomitant, voire dépendant de l’insertion de l’économie rurale locale dans la sphère de la puissance colonisatrice.

En passant d’un système simple (agro-pastoral transhumant) à un système complexe (associant à la fois un maraîchage intensif, un système agro-pastoral plus ou moins intensif et un système d’élevage extensif), d’un système presque standard à un système très varié, la société rurale locale n’était pas en train d’imiter des pratiques culturales. Son adoption des nouveaux procédés est en réalité une recherche d’équilibre. L’équilibre qu’offrait l’ancien système agro-pastoral transhumant a été pour la première fois rompu.

1.4.

Évolution régressive au secteur du