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Ces auteurs notent que cette attitude concerne aussi les politiques. Ils considèrent le débat politique comme inutile car ils jugent les politiques incapables de prendre les décisions qui s’imposent.

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Quelques célèbres vulgarisateurs – Haroun Tazieff, Jacques-Yves Cousteau- peuvent néanmoins s’exprimer sur le thème du climat et l’environnement mais ne participent pas pour autant à une publicisation du problème climatique.

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Son étude porte sur trois journaux : Le Monde, L’Express, Sud Ouest.

250 Au regarde de cet engagement individuel de certains chercheurs, il serait intéressant d’interroger le rôle joué par les services de communication des instituts de recherche.

0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 1,2 1,4 1,6 1,8 2 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

Schéma III - Journaux français

Le Monde Sud-Ouest L'Express Total Sommet de Rio COP La Haye COP Kyoto AR1 AR3 AR2

retrait des Etats-Unis

Sommet de Toronto PNLCC Plan Climat COP Berlin Canicule Tempêtes Rapport Academie

des Sciences 1er prog. climat Lalonde

ministre création

126 (LMD), Serge Planton (Météo France) ou encore Sylvie Joussaume (LSCE) seront également présents dans les médias. Ils mettent en avant les conclusions du GIEC, insistent sur le fait que les certitudes sur le sujet pèsent plus que les incertitudes et adopte un registre de l’alerte. Ce discours va rencontrer les attentes des journalistes en charge du problème. Ils cherchaient depuis plusieurs années un positionnement clair des scientifiques français sur la question. Au moment où ceux-ci s’engagent médiatiquement, les journalistes peuvent difficilement remettre en cause le discours qu’ils avancent. Par ailleurs, il n’y a pas à ce moment en France de discours contradictoires (sceptique) susceptible de concurrencer cette définition du problème. Le sujet devient alors plus facile à traiter selon les critères journalistiques : il est possible de parler des conséquences et ainsi de rendre le problème plus concret. Deux entretiens conduits avec Hervé Le Treut et Jean Jouzel251, permettent d’éclairer les motivations de ces chercheurs à s’engager dans la médiatisation du problème.

Encadré 2 L’engagement de Jean Jouzel et Hervé Le Treut, dans la publicisation du problème climatique. Pour Hervé Le Treut, le besoin et la demande de vulgarisation et de communication sur le changement climatique, est une caractéristique forte de sa discipline et s'inscrit dans les liens entre ces savoirs scientifiques et les enjeux de société qui les recouvrent. C'est d'ailleurs cela qui motive selon lui les scientifiques à choisir ce champ de recherche.

Les disciplines scientifique mais dans la nôtre peut-être un peu plus parce que bon y'a ce contexte de... d'interrogation sur un certain nombre de choses, sur le changement climatique. Et je dirais que, au départ, la motivation de beaucoup des gens qui ont investi cette discipline, y'a ce contexte là. Moi je sais que quand j'étais élève ici et que je cherchais un peu ce que j'allais faire, le domaine du climat renvoyait à l'époque à la sécheresse au Sahel *…+. Donc y'a toujours eu un contexte de... de préoccupation sociale autour du problème du changement climatique qui est aussi une des raisons pour lesquelles, au lieu de faire de la physique très fondamentale, des gens qui sont dans ces laboratoires ont préféré s'y intéresser.

Hervé Le Treut, entretien réalisé en avril 2007 Cependant, cette communication est difficile et problématique car cacophonique en raison du manque de recul critique de certains journalistes vis à vis des informations scientifiques qu'ils peuvent trouver. Face à cette situation, il estime que le message des scientifiques doit rester cohérent, exact et rigoureux pour résister aux vagues d'informations contradictoires successives et ne pas donner prise aux sceptiques.

Le message que des scientifiques... doit rester cohérent sur des périodes très longues *…+. Un des buts de cette communication à mon avis, c'est de rendre les gens capables de résister aux clignotements de toutes les informations contradictoires qu'ils peuvent avoir. Sinon on voit les gens ballotter, ils disent alors.... y'a le GIEC qui fait sa réunion en janvier et puis y'a des exposés enfin des articles dans les journaux, à la télé, et les gens se disent « ah c'est très important » et puis trois semaines après y'a Claude Allègre qui fait un livre qui dit que c'est pas vrai alors que y'a peut-être aussi... mais sans avoir la capacité de résister à... ces injonctions, donc je crois que ça c'est un enjeu très important

127 Hervé Le Treut, entretien réalisé en avril 2007 Jean Jouzel, reconnu comme le « porte-parole en chef de la communauté scientifique »252, ne s’investit pas uniquement vis-à-vis des journalistes. Il intervient dans de nombreuses autres arènes scolaires, associatives, syndicales, politiques, etc.

Oui des actions de vulgarisation... toute ma vie. Je vais dire quoi ? Par exemple, bon cette semaine j'en fais au moins deux... je suis allé mercredi dans une école en Ile et Vilaine pour parler à des élèves d'un collège et j'étais aux journées Branfere organisées par la fondation Nicolas Hulot, samedi à Branfere qui est à côté de Vannes. Donc vous voyez rien que cette semaine, ensuite j'ai aussi... mercredi ... y'a aussi France3 Bretagne qui profite du fait que je viens dans une école, dans un collège pour... ils voulaient faire un reportage sur nos activités *…+. Qu'est ce que j'ai encore cette semaine ? Ben je suis en train d'écrire [...] un article général pour le journal de la CFDT, alors voilà ça c'est cette semaine *…+. J'ai accepté de m'investir dans... je suis commissaire d'une exposition aux Arts et Métiers, aux musées des Arts et Métiers dans le cadre de l'année polaire internationale.

Jean Jouzel, entretien réalisé en mai 2007 En 2007, ce mouvement allait croissant avec des demandes provenant de nouveaux types d’acteurs253. Jean Jouzel est d’autant plus sollicité qu’il répond la plupart du temps favorablement (« je ne sais pas refuser »). Cet engagement particulièrement important en termes de temps (« on n’arrête pas », «j'arrête plus de travailler») s’articule à la conviction qu’une prise de conscience est nécessaire.

Bon nous ce qui nous intéresse en tant que scientifiques c'est qu'il y ait une prise de conscience du point de vue du changement climatique, qu'il soit bien exposé254 *…+. Je veux dire si le gd public s'approprie pas le phénomène ou n'en prend pas une vraie conscience, il ne se passera rien. C'est clair *…+ Ben pour moi l'essentiel à communiquer sur ce réchauffement climatique ... c'est qu'on a un vrai problème et qu'il faut effectivement le prendre à bras le corps, c'est un peu ça le message.

Jean Jouzel, entretien réalisé en mai 2007 Il estime que cela fait partie de son travail255 et il apprécie de travailler avec les journalistes256. Jean Jouzel est ainsi devenu un bon client pour les journalistes « un interlocuteur à la fois disponible, crédible, conscient des

contraintes de la pratique journalistique et en l’occurrence pédagogique » (Comby 2008). Les journalistes se

tournent volontiers vers lui. C’est a priori l’un des scientifiques le plus présent dans les médias, ce que confirme notre étude de la presse hebdomadaire (cf p.170).

Les chercheurs sortent de leur réserve, ce que ne manquent pas de noter les journalistes dans leurs articles :

«Le dérèglement est en marche, il n'y a aucun doute, on est au début du processus», déclare Hervé Le Treut (Laboratoire de météorologie dynamique du CNRS) à la fin de la canicule de ce

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D’après la journaliste en charge de l’environnement à l’Agence Française de Presse (Comby 2008). 253

« On est sollicité de tous les côtés, ça va des politiques, des industriels, enfin pas que des groupes industriels,

maintenant c'est les grandes banques, les assurances... » Jean Jouzel, entretien réalisé en mai 2007.

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Jean Jouzel s’exprime ici à propos de l’exposition Climax à laquelle il a participé en tant que membre du conseil scientifique.

255 « C'est vrai que...notre recherche n'a de sens que si effectivement elle est communiquée *…+. Je trouve que ça

fait partie de notre travail, oui c'est sûr. » Jean Jouzel, entretien réalisé en mai 2007

256 « Oui, j'aime bien, j'aime bien parler à la radio, aller à la télé tout ça bon, oui, oui, j'aime bien » Jean Jouzel, entretien réalisé en mai 2007

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mois de juillet 2006. Une pareille déclaration apparaît très nouvelle, car jusqu'ici les spécialistes se refusaient à admettre un lien direct de causalité entre tel ou tel événement météorologique particulier et l'évolution générale du climat. Ils vous renvoyaient plutôt aux statistiques, constatant que l'histoire du monde a, de toute façon, toujours été émaillée de tornades, cyclones, canicules, sécheresses ou inondations. Cette réserve n'est donc plus de mise.

« Questions pour une canicule » Fabien Gruhier, Sophie des Deserts & col. Le Nouvel Observateur, 03/08/2006 Enfin, il est possible de mettre en perspective l’émergence du changement climatique (et d’autres questions environnementales) sur la scène médiatique, avec la structuration du journalisme environnemental en France (Comby 2009). Celle-ci intervient plus tardivement que dans d’autres pays. Par comparaison, dans les années 1990, la presse allemande compte déjà de nombreux journalistes spécialisés sur les questions d’environnement au sein de service spécifiques dans les rédactions 257(Dasnoy and Mormont 1995). En France, à la fin des années 1960 et dans les années 1970, émerge une presse environnementale militante qui entretient des liens étroits avec des associations de défense de la nature. L’information est politisée et l’approche contestataire et militante. Même si à partir des années 1980-1990 la spécialité se professionnalise avec une prise de distance par rapport aux approches militantes, elle reste étiquetée comme telle258. Cette situation rend plus difficile la promotion des questions environnementales dans la hiérarchie du traitement de l’actualité. Cependant, au début des années 2000, des services dédiés à l’environnement sont créés dans les rédactions marquant l’institutionnalisation de la spécialité. En parallèle, une nouvelle génération de journalistes prend en charge les questions d’environnement (Comby 2009). Ils sont majoritairement diplômés d’une école de journalisme. Ils sont plus jeunes et plus souvent des femmes. Ils sont entrés dans la spécialité par opportunité après avoir travaillé sur d’autres thèmes. L’environnement constitue une étape dans leur carrière. Par contraste, les journalistes entrés dans la spécialité avant 2000, souvent par conviction, sont plus âgés et moins souvent diplômés d’une école de journalisme et ont moins souvent exercé une autre spécialité. Les journalistes du second groupe tendent à avoir un rapport déconflictualisé aux enjeux environnementaux et appliquent à ces thématiques les approches en vigueur dans les autres spécialités du journalisme259.

Ainsi, « la mise en avant par les médias d’un consensus scientifique sur la question climatique est le

produit de la rencontre entre un état du champ des scientifiques du climat et la structure du sous-univers des journalistes spécialisés dans les enjeux environnementaux » (Comby 2008). La

convergence d’opérateurs de deux arènes, arène scientifique et arène médiatique, qui portent la

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La télévision propose par ailleurs des programmes sur des thématiques environnementales alors qu’en France (ainsi qu’en Belgique) aucune chaine de télévision, pas même publique, n’est parvenue à créer de programme régulier sur ces sujets.

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A titre d’illustration, on peut noter qu’au journal Libération la ‘page terre’ est surnommée « la page des ONG » et qu’Hervé Kempf est connu comme l’ « ayatollah vert » au sein de la rédaction du Monde (Comby 2008). Ce phénomène est plus marqué en presse écrite qu’en télévision où les journalistes expriment moins le sentiment d’être marginalisé.

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Il faut cependant garder à l’esprit que cette classification des journalistes environnementaux en deux groupes ne peut, ni ne prétend, décrire toute la réalité observée sur le terrain. Par exemple, Frédéric Lewino, responsable du service sciences-environnement au Point, ne peut être rattaché à aucun de ces deux groupes. Il a une cinquantaine d’années, n’a pas fait d’étude de journalisme et s’est très tôt spécialisé sur les questions de sciences et d’environnement. Il n’appartient donc pas à la seconde génération. Il se distingue également de la première dont il juge l’approche trop militante : « Contrairement à beaucoup de journalistes d’environnement, je ne suis pas un militant de l’environnement ; il y a beaucoup de journalistes de l’environnement, surtout les vieux de mon âge, moins, les jeunes. » Entretien avec Frédéric Lewino, réalisé par Comby, décembre 2006.

129 même définition du problème, contribue ainsi à faire émerger le problème dans l’espace public sur le mode du consensus et de l’alerte. Les scientifiques vont construire des relations étroites avec des journalistes qui s’investissent beaucoup sur le sujet et dont ils apprécient le travail (par exemple Sylvestre Huet à Libération et Stéphane Foucard au journal Le Monde). Ces alliances entre des journalistes et des scientifiques conduiront entre autres à l’éviction des positions sceptiques (cf p. 202).

b) Apparition du problème dans les arènes politiques et administratives

En parallèle de ce qui se passe dans les arènes scientifiques et médiatiques, la question climatique émerge au niveau politique à la fin des années 1980. A la demande du Ministre de la Recherche et du Secrétaire d’Etat à l’Environnement, l’Académie des Sciences publie en 1990 un rapport présentant une synthèse des connaissances scientifiques sur le sujet260. Cette expertise scientifique est complétée par une expertise politique réalisée par le Groupe Interministériel sur l’Effet de Serre (GIES), devenu en 1992 la Mission Interministérielle sur l’Effet de Serre (MIES), mis en place en 1989 sous le gouvernement Rocard. Sa mission est d’étudier les possibilités de politique publique (efficacité, coûts). Le groupe est composé de hauts-fonctionnaires et est présidé par Yves Martin, ingénieur de Mines ayant occupé plusieurs postes dans la haute-administration en particulier sur les questions énergétiques. Les rapports du GIEC sont d’abord confidentiels et Yves Martin communique personnellement avec le premier ministre, Michel Rocard. On est là dans un modèle typiquement français de l’expertise, dominé par les hauts-fonctionnaires des grand corps d’Etats qui jouent un rôle de conseiller du prince (Aykut 2009). Dans le modèle français, l’Etat et les Grands Corps d’Etat incarnent l’intérêt général. Leurs méthodes (la science) et leur statut (administration) assurent (en principe) leur neutralité. Ainsi c’est l’Etat qui détient le monopole de la capacité d’expertise ((Restier-Melleray 1990) cité par (Aykut 2009))261. Par ailleurs, cette expertise est construite de façon à limiter les points de vue biaisés et les experts engagés, ce qui compte c’est le statut institutionnel des experts (Aykut 2009). L’expertise sur le changement climatique est donc construite en France dans un souci d’excellence scientifique (Académie des Sciences) et de désintéressement au service de l’intérêt général (Grands Corps d’Etat). Cette expertise n’est pas publicisée, on pourrait parler d’expertise cachée ou « d’experts introuvables » (Restier-Melleray 1990). Cette expertise, contrairement à celle du GIEC, participe peu à la publicisation du problème climatique.