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action publique et mobilisation des associations

1. L’action publique en matière de changement climatique

L’objectif de cette partie n’est pas de proposer une analyse détaillée de la mise en place des politiques publiques française en matière de changement climatique. Nous souhaitons plutôt montrer comment elles participent à la construction du problème à travers la définition qu’elles en donnent. Ces politiques publiques font la part belle aux mesures incitatives à destination des individus qui sont invités à adopter des comportements plus économes en énergie. L’incitation est concomitante d’une sensibilisation. Ce volet est pris en charge par l’Agence de l’Environnement de la Maitrise de l’Energie (ADEME) qui orchestre les campagnes nationales de sensibilisation à destination du grand public.

1.1 Favoriser les comportements écologiquement vertueux

Bien qu’un programme français de prévention du changement climatique soit lancé en 1995 sous le gouvernement de Michel Rocard, c’est en 2000 avec Plan National de Lutte contre le Changement Climatique (PNLCC) que se dessinent les politiques publiques sur le problème climatique. Avec le PNLCC, le gouvernement entend montrer qu’il prend note des objectifs fixés par le Protocole de Kyoto (signé en 1997, il entre en vigueur en 2005). On observe alors une prise en charge administrative du problème climatique qui reste cependant, comme l’ensemble des problèmes environnementaux, dévaluée dans la hiérarchie politique des enjeux. Les institutions en charge de l’environnement sont en effet marginalisées262 de longue date et les politiques en la matière sont « des politiques de compromis » (Lascoume 1994). Par ailleurs, la question du changement climatique est affiliée par les administrations en charge du problème aux questions énergétiques. Cela facilite

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Comby donne comme indicateur de cette faible valorisation de l’environnement, en l’occurrence au sein de l’exécutif, le nombre de femmes en charge du ministère : 6 femmes sur 18 ministres depuis 1971. Cela est plus important que pour d’autres ministères.

133 son appréhension en termes économiques en écho au cadrage économique du problème à l’échelle internationale (cf p.113). La problématique climatique se trouve alors requalifiée en problématique économique et fait écho aux politiques en faveur des économies d’énergies lancées après les chocs pétroliers des années 1970 (Comby 2008).

Le Plan Climat du 22 juillet 2004 prolonge le PNLCC en confirmant cette approche, qu’il complète avec des mesures fiscales incitatives de réduction des émissions de GES. Comme pour de nombreuses autres politiques en matière d’environnement il s’agit, après un consensus sur les objectifs (réduire les émissions de GES), de mettre en place des dispositifs incitatifs qui responsabilisent les auteurs de dommages (les émetteurs de GES) dans une logique coûts-bénéfices. Les comportements vertueux sont avantageux par rapport aux comportements pollueurs qui coûtent plus chers dans une logique pollueurs-payeurs (Lascoume 1994). D’autres dispositifs pourraient se baser sur la taxation (taxer les pollutions) ou encore la réglementation (imposer des normes). Dans le cadre du problème climatique, les pollueurs sont identifiés par secteurs d’activité : transformation d'énergie, industrie manufacturière, résidentiel/tertiaire (souvent dénommé bâtiment), transport routier, autres transports, agriculture/sylviculture263. Cette vision sectorialisée imprègne la définition dominante du problème et fonde la construction des politiques publiques. Elle est également reprise par d’autres acteurs du problème climatique. Le Réseau Action Climat (cf p.138) par exemple, propose sur son site web des « analyses thématiques » sur différents sujets parmi lesquels les secteurs d’émissions de GES : transport, bâtiment-habitat, énergie, industrie, agriculture, activité forestière, déchets.

Les pollueurs ciblés par les mesures du plan climat, donc les payeurs, sont essentiellement les individus et non les professionnels des différents secteurs. Il est en effet généralement admis que les ménages français seraient responsables de la moitié des émissions de gaz à effet de serre264. Il paraît donc justifié de leur demander de modifier leurs comportements : trier ses déchets, limiter ses déplacements en voitures, éteindre les lumières quand on quitte une pièce, etc. Les publics sont totalement indifférenciés : on parle des français, des ménages, des consommateurs, des citoyens, naturalisant les visions asociologiques du problème. Les mêmes incitations sont adressées à tous, quelques soient leurs ressources économiques, culturelles, éducatives, etc. Pourtant « plus que le

revenu ou la catégorie socioprofessionnelle pris isolément, c’est une certaine aisance sociale qui rend les ménages plus réceptifs au sens collectif (citoyenneté, solidarité avec les générations futures) contenu dans les gestes environnementaux » (Institut Français de l’Environnement 2007).

Les incitations s’accompagnent d’efforts de sensibilisation et d’information. Il s’agit de faire en sorte que les individus se sentent préoccupés et concernés par le problème climatique et de leur fournir les informations adéquates. Une fois informés de leurs responsabilités et des actions possibles, ils mettront celles-ci en œuvre dans leur quotidien. Ainsi, « les mesures incitatives qui soutiennent

l’action publique de « lutte contre » les changements climatiques en France véhiculent une représentation des « Français » proche de celle d’un « homo-ecologicus » qui agirait rationnellement en situation d’information pure et parfaite » (Comby 2008). L‘individu est réduit à la rationalité de ses

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En France, les émissions de GES sont inventoriées par le Centre Interprofessionnel Technique d’Etudes de la Pollution Atmosphérique, le CITEPA (www.citepa.org). Il procède à un inventaire en considérant six secteurs cité ci-dessus. La méthodologie utilisée par le CITEPA lui est propre.

264 Comby montre que cette statistique est construite et découle d’une lecture sectorielle du problème (Comby 2008).

134 comportements de consommation (d’énergie) qui seraient modifiables par des stimulations adaptées de son environnement (les incitations aux économies d’énergie). Ainsi, le consommateur éclairé aux mœurs disciplinées devient régulateur du problème environnemental (Salles 2005). Pour Comby, ces politiques publiques témoignent d’une vision behavioriste (comportementaliste) des publics importée des schèmes de l’économie libérale et promeuvent un processus de civilisation des mœurs dans le sens donné par Norbert Elias (Comby 2008; Elias [1939] 1973 ). Cette définition du problème consacre une vision dépolitisée et œcuménique du problème. Celle-ci fait consensus et permet de rassembler divers opérateurs dans des opérations de promotion du problème et de sensibilisation (cf p.141).

Par ailleurs, comme en matière de politique internationale (cf p.113), la question de l’adaptation se trouve évacuée au profit de l’atténuation265. Pour les entrepreneurs du problème, parler d’adaptation reviendrait à s’avouer vaincu face au changement climatique devenu inéluctable, sous-entendant que les mesures de réduction des émissions de GES sont inutiles. Ainsi, au niveau national également, adaptation et atténuation sont considérées comme antinomiques. L’adaptation est perçue comme une source de confusion et de démobilisation pour des publics que l’on cherche à sensibiliser au problème. Au niveau international, l’adaptation sera reconnue en 2004, lors de la COP de Buenos Aires. Au niveau national, elle sera intégrée à la version du plan climat266 parue en 2006267. Enfin, notons que le Plan Climat de 2004 renforce le soutien à la recherche et l’innovation dans la perspective déjà évoquée des sciences éclairante et agissante au service d’un développement durable (cf p.116). En 2005, après l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto, des mesures renforceront les efforts de recherche dans quelques domaines jugés stratégiques (voiture hybride, énergie éolienne, pile à combustible) afin de développer l’innovation et l’ingénierie écologique (Urgelli 2009).

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La création de l’ONERC (Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique) en 2001 marque une première prise en considération de l’adaptation. L’observatoire a une mission d’information sur les risques liés au réchauffement climatique ainsi que de recommandation sur la prévention et l’adaptation à ces risques. L’inscription de l’adaptation dans les politiques publiques marquera une seconde étape dans la prise en compte de la question. Une stratégie nationale d’adaptation face aux changements climatiques a été rendue publique en juillet 2007. http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Strategie_Nationale_2-17_Mo-2-2.pdf 266

Les éléments disponibles ne nous permettent pas de conclure sur les effets possibles de la construction du problème au niveau diplomatique sur les politiques nationales concernant l’adaptation. Cependant, au vu du mouvement général de descente du problème de l’échelle internationale vers le niveau national, on peut supposer que la reconnaissance du problème lors de la COP de 2004 a légitimé la question et ainsi favorisé son intégration dans les politiques nationales.

267 Cette version du plan climat introduit de nouvelles mesures par rapport au plan de 2004, relatives entre autres à la fiscalité, l’information et l’étiquetage des produits, les agro-carburants.

135 Pour résumer, dans la perspective du protocole de Kyoto, des politiques de lutte contre le changement climatique sont mises en place au niveau national. Elles reprennent plusieurs éléments de la construction politique du problème au niveau international (approche économique, marginalisation de l’adaptation, valorisation de la recherche et de l’innovation). Elles font la part belle aux mesures incitatives à destination des individus en vue de réduire les émissions de GES. Celles-ci sont couplées à des mesures de sensibilisation.

1.2 Sensibiliser et informer

L’incitation est concomitante de la sensibilisation, de l’information et de l’éducation. Les politiques françaises font écho sur ce point aux actions en faveur du développement durable recommandées par l’Agenda 21 des Nation Unies (cf p. 116). Le Plan Climat de juillet 2004 inscrit les campagnes de sensibilisation comme des instruments privilégiés pour favoriser les changements de comportement. Elles sont mises en place par l’Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME) qui a pour mission de mettre en œuvre les politiques publiques en matière d’environnement, énergie et développement durable268. L’agence est sous tutelle du Ministère en charge de l’environnement et du Ministère de la recherche269. L’information et la sensibilisation sont l’un des ses quatre axes d’actions270.

Pour ces campagnes, l’ADEME fait appel à une agence extérieure et intègre du même coup des schèmes de la communication privée (publicité de marketing)271. Cette logique médiatique contribue à une dépolitisation des actions de l’ADEME qui vient accentuer celle amorcée par les politiques incitatives ciblées sur les individus. La première campagne « Economie d’énergie, faisons vite ça

chauffe » est lancée en mai 2004. Des spots télévisés présentant (sur le mode du micro-trottoir) des

personnes dans la rue donnant des exemples de petits gestes du quotidien (« il faut éteindre les

lumière dès qu’on quitte une pièce », « il vaut mieux prendre des douches et pas des bains »). Le fond

sonore est la chanson de Dalida « Parole, parole », ce qui provoque une certaine ironie. La vidéo se conclue par : « en économisant l’énergie on limite le dérèglement climatique et ça c’est pas que des

mots ». Les concepteurs de la campagne cherchent à faire prendre conscience au public qu’il sait ce

qu’il faut faire (on le répète depuis les années 1970) mais qu’il ne change pas son comportement. L’idée est de faire passer de la parole aux actes sans culpabilisation. Par ailleurs, les registres alarmistes et catastrophistes sont rejetés par les communicants de l’ADEME car ils pourraient faire peur et inhiber les changements de comportement (Comby 2008). Ce refus du catastrophisme et de la culpabilisation se trouve chez d’autres acteurs comme les associations environnementales.

Un discours qui est pas culpabilisant et puis un discours qui est pas catastrophiste non plus. Parce que. ça on s'en aperçoit au fur et à mesure c'est que les gens les gens quand on leur fait peur, ben ils s'en vont en courant, et puis... voilà essayer de leur expliquer que c'est pas perdu quoi. *…+ je

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Ses domaines d’intervention sont : « Energie et climat, Air et bruit, Déchets et sols, Consommation et

production durables, Ville et territoire durables » www2.ademe.fr

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Elle est le résultat de la fusion en 1993 de trois agences : l’agence pour la qualité de l’air, l’agence française pour la maîtrise de l’énergie et l’agence Nationale pour la Récupération et l'élimination des déchets.

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Les autres axes d’action sont le soutien à la recherche et à l’innovation, le conseil aux agents socio-économiques, le financement de divers projets.

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Comby identifie de manière plus générale, une acculturation des fonctionnaires en charge de la communication publique et « un alignement sur les schèmes pratiques et cognitifs de la communication

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veux dire c'est pas perdu quoi, ce qu'on explique, ce qu'on dit c'est qu'il faut agir maintenant aujourd'hui. il nous reste 10 ans en gros pour échanger de changer le cap.

Diane Vandaele, Réseau Action Climat, entretien réalisé en avril 2007 Dans la campagne de l’ADEME, l’alerte lancée face au changement climatique –« faisons vite ça

chauffe »- correspond donc à un registre léger tout en engageant les individus (usage de l’impératif).

La campagne est régulièrement relancée272 en conservant le même registre273.

L’ADEME met en place et participe à de multiples opérations et outils de sensibilisation. Elle développement des partenariats (fortement médiatisés) avec des ONG comme avec la Fondation Nicolas Hulot (cf p.145). Elle se positionne comme agence de moyens et participe au financement de différents projets. Elle est par exemple partenaire institutionnel et financier des plusieurs productions muséales de notre corpus. Elle produit diverses ressources, entre autres pédagogiques, comme des expositions de panneaux à destination des établissements scolaires. Une analyse de ces expositions révèle que l’ADEME a un cadrage de la notion de développement durable réduit à ses domaines de compétences : l’énergie, les déchets et dans une moindre mesure la pollution de l’air et les nuisances sonores. Elle « a donc une approche des thèmes du développement durable, marquée

par les missions qui lui incombent, tout en étant chargée de sensibiliser à une notion, qui est présentée comme étant bien plus large » (Zwang 2010). L’agence procède ainsi à une interprétation

du concept de développement durable dont elle privilégie une approche comportementaliste. Ces campagnes sont articulées à des études quantitatives sur les représentations sociales de l’effet de serre parmi les français274. Campagnes et enquête se légitiment réciproquement : les secondes se posent comme un moyen de rationaliser les premières en établissant un bilan du marché afin d’identifier la demande et d’établir le message adéquat ; en retour, la répétition annuelle de l’enquête donne des éléments pour évaluer l’impact des campagnes et éventuellement en réajuster le message (Comby 2008). Ces enquêtes, de par leur construction, effacent la complexité du social derrière quelques grandes catégories (âge, sexe, profession, etc.) et uniformisent ainsi le réel en même temps qu’elles le quantifient. Elles viennent renforcer la vision indifférenciée des publics déjà présente dans les politiques publiques climatiques et consacre une vision mécaniste de la communication. L’action publique adopte une vision homogénéisante des publics : les mêmes mesures et le même message de sensibilisation sont adressés à tous. Pourtant, comme le montre Comby dans une étude qualitative basée sur des focus groups, les individus inégalement dotés en

272 En 2007 par exemple, l’agence communique non seulement sur les petits gestes mais également sur les équipements et installations énergétiquement performants et promeut le dispositif fiscal de crédit d’impôt. Cette fois-ci c’est une chanson de Charles Aznavour, dont le refrain dit « you are formidable », qui agrémente la mise en scène centrée sur une grenouille qui dispense des conseils calendaires : « quand vient la Saint Fulbert,

c’est l’heure du chauffe-eau solaire. Et à la Saint Sylvain, préfère quand même la douche au bain. »

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Notons que depuis 2006, toutes les entreprises commercialisant de l’énergie, sont obligées d’inclure dans leur message publicitaire le slogan « L’énergie est notre avenir, économisons-la » . On se trouve dans le même registre incitatif que pour les campagnes de l’ADEME.

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Cette étude est réalisée par Daniel Boy, directeur de recherche au Centre de recherches politiques de l’IEP de Paris (Cevipof). Il exerce également en tant que consultant indépendant. C’est à ce titre qu’il réalise le baromètre sur l’effet de serre pour l’ADEME.

137 capitaux économiques, culturels et éducatifs ont des rapports différents à l’incitation aux économies d’énergie275 et plus généralement à l’environnement (Comby 2008).

Pour résumer, nous avons vu que les politiques publiques françaises de lutte contre les changements climatiques font la part belle aux mesures incitatives. Elles s’inscrivent dans un contexte plus global de dérégulation étatique et de renforcement des responsabilités des auteurs de dommages environnementaux. C’est le principe pollueur-payeur qui dans une logique coûts– bénéfices, considère que les comportements pollueurs doivent être coûteux Ce sont les comportements individuels qui sont ciblés par des actions couplées de sensibilisation et d’incitation à des comportements plus vertueux. L’individu est pensé comme un consommateur (citoyen) rationnel qu’il convient d’informer pour qu’en situation de « parfaite information » il adopte les comportements adéquats. Les campagnes de communication de l’ADEME doivent en partie remplir ce rôle. Elles vont être secondées dans cet effort de sensibilisation, par l’action de certaines ONG environnementales.