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problème climatique

2. Emergence du problème aux échelons nationaux

2.1 Les cas américains et britanniques

Après la seconde guerre mondiale et l’utilisation faite de l’arme nucléaire, de nouvelles craintes cataclysmiques apparaissent. Elles ouvrent le champ à la montée d’une sensibilité environnementale en particulier en lien avec le thème des pollutions. La publication de Silent Spring223 en 1962 marque la naissance de l’environnementalisme contemporain qui « se soucie moins de la conservation ou de

la protection d’une nature sauvage que de la destruction de l’environnement près des centres industriels et urbains et des conséquences de celle-ci sur l’état de la santé de l’homme » (Davallon,

Grandmont et al. 1992). Parallèlement la question des ressources et de leur finitude émerge avec, par exemple, le rapport du club de Rome sur Les limites de la croissance. Enfin, les développements technologiques ne sont plus uniquement perçus comme porteurs de progrès et de bien être mais également comme des facteurs de risques. Tous ces problèmes sont perçus comme globaux, ils affectent potentiellement chacun par effet boomerang (Beck [1986] 2001). C’est en partie en écho à

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Avant l’instauration de ce nouveau projet mondial de développement, les approches en éducation relative à l’environnement couvraient déjà un large spectre : Sauvé en recense pas moins d’une quinzaine de courants (Sauvé 2006).

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Ces éléments sur l’éducation à ‘environnement et au développement durable seront mobilisé en conclusion de cette seconde partie de la thèse dans la perspective de l’étude du champ muséal.

119 cette montée des préoccupations environnementales que la médiatisation du changement climatique s’amorce dans les pays anglo-saxons à la fin des années 1980 (Ungar 1992 ; Trumbo 1996)

a) Emergence médiatique du problème et relais du consensus scientifique

Aux Etats-Unis, le problème climatique émerge médiatiquement au cours de l’année 1988 (Trumbo 1996; Boykoff and Roberts 2007; Carvalho 2007 ). Outre la création du GIEC, plusieurs facteurs y ont concouru : le témoignage au sénat de James Hansen, climatologue à la Nasa, une sécheresse importante durant l’été 1988, des feux dans le parc de Yellow Stone. Ces deux derniers évènements font émerger le spectre de la catastrophe naturelle en écho à une conscience environnementale croissante (Ungar 1992; Trumbo 1996). Trumbo y voit le symbole nécessaire pour faire passer le changement climatique, cantonné jusque là aux sphères diplomatiques et scientifiques, dans la lumière médiatique (Trumbo 1996). Le problème climatique prend de l’importance dans le champ politique. Pour preuve G. Bush promettait, lors de la campagne électorale en 1988, « to fight the

greenhouse effect with the White House effect » (Boykoff and Boykoff 2004). On est médiatiquement

dans une phase d’alerte (Trumbo 1996) et le traitement médiatique se focalise sur les conséquences néfastes du changement climatique. La présentation du changement climatique relève essentiellement des sciences du climat, et n’est pas polémique. La question de la responsabilité, la remise en cause des modèles économiques et sociaux, et le rôle des institutions ne sont pas abordés (Carvalho 2007).

Au Royaume-Uni également, l’année 1988 est marquée par le premier pic médiatique consacré au problème. Margaret Thatcher224 s’empare du problème et le porte sur la scène internationale : en novembre 1989, au cours d’un discours aux Nations Unies, elle présente le changement climatique comme une menace pour l’humanité et la planète. Elle lance dans son pays une politique de lutte contre l’effet de serre225. Durant cette période, The Guardian et The Times, deux des principaux quotidiens britanniques, adoptent une présentation consensuelle du problème226. La présentation du réchauffement par effet de serre est consensuelle mais les risques sont globalement sous-estimés et les questions de la responsabilité, des pratiques économiques et du rôle des institutions ne sont pas abordées.

De façon un peu contradictoire, parallèlement à l’alerte, cette époque est marquée par un certain optimisme concernant les solutions pour résoudre le problème (Trumbo 1996). Le nucléaire est en particulier souvent mis en avant. Durant cette première période, les scientifiques sont les principales références citées dans la presse (Trumbo 1996; Carvalho 2007). Ce sont ces acteurs qui parviennent à imposer leurs définitions du problème227. Les résultats des sciences du climat sont présentés comme consensuels et dignes de confiance, la relation entre émission anthropique de gaz à effet de serre et

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Le 27 septembre 1988, M. Thatcher prononce un discours à la Royal Society qui aura un impact majeur sur la couverture médiatique du changement climatique en Angleterre (Carvalho and Burgess 2005) p.1462.

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Cependant, cet intérêt pour la question climatique peut s’interpréter comme une stratégie pour promouvoir l’industrie du nucléaire au détriment de la filière charbon (Carvalho 2005).

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« The Guardian and The Times depicted scientific knowledge on the enhanced greenhouse effect as

consensual and reliable, relying on scientists and mainstream science journals as major sources» (Carvalho and

Burgess 2005).

227 « Scientists were the uncontested central actor and exclusive definers of climate change up to the end of

120 augmentation de la température n’est pas remise en cause228. Au tournant des années 1980 – 1990, le ton change dans la presse en raison d’une complexification et d’une politisation croissante du problème (Trumbo 1996; Boykoff and Boykoff 2004).

b) Le développement d’un contre-mouvement

Aux États-Unis, des mouvements anti-environnementalistes émergent, résultat de l’alliance entre

think tanks229 conservateurs, lobbies pétroliers et scientifiques opposés au consensus sur le climat. Ils réfutent les conclusions du GIEC et déconstruisent la problématique du changement climatique avec une influence très importante sur la presse. Il s’agit là d’un réel contre-mouvement au changement climatique (Mac Cright and Dunlap 2000; Mac Cright and Dunlap 2003) qui destitue les scientifiques du climat comme acteurs principalement représentés dans la presse (Trumbo 1996). Ce contre-mouvement, qualifié de mouvement sceptique, s’est développé en opposition au premier cadrage du problème, dit environnementaliste, par les associations, le GIEC et des instances de gouvernance (en particulier onusiennes), selon lequel « pour la première fois dans l’histoire, l’Homme a perturbé

l’écosystème global d’une façon qui affecte, non seulement la qualité environnementale, mais aussi le bien-être présent et futur de notre espèce » (Mac Cright and Dunlap 2000)230. Ce cadrage se décompose de la façon suivante :

De plus en plus d’évidences scientifiques montrent que le changement climatique est en route. Celui-ci aura un impact négatif sur nos vies.

Les actions nécessaires pour limiter ce phénomène sont également bénéfiques vis-à-vis d’autres problèmes comme les pollutions ou l’épuisement des ressources.

Dans ce contexte, il est nécessaire d’agir immédiatement.

L’opposition à l’approche générale du libéralisme conservateur, américain - liberté individuelle, droit à la propriété privée, non intervention de l’Etat, libre entreprise- est frontale. Plus largement, le cadrage environnementaliste s’oppose aux valeurs traditionnelles que sont la confiance dans les sciences et les technologies, le support à la croissance économique, l’attachement à l’abondance matérielle, la foi dans un avenir prospère ou encore un accès illimité aux ressources231. Dans ce contexte, les préoccupations environnementales comme le changement climatique, en particulier la possibilité d’un traité international sur les émissions de gaz à effet de serre, sont perçues par certains acteurs comme une menace pour l’économie, la souveraineté nationale et le mode de vie américain. Ainsi des opérateurs qui n’étaient pas engagés au départ dans la construction du problème climatique vont par réaction au premier cadrage environnementaliste, œuvrer pour promouvoir une autre définition du problème. Mac Cright et Dunlap identifient au sein d’une littérature variée, produite par divers think tanks, trois groupes d’arguments produits par ces opérateurs : « the

228 On peut citer comme exemple l’article suivant paru dans le New York Times cité par (Boykoff and Boykoff 2004): « Mounting evidence that carbon dioxide from the burning of fossil fuels and other industrial gases are accumulating in the atmosphere, where they trap heat from the sun like a greenhouse. Many scientists predict that the greenhouse effect will cause the earth’s temperature to rise within a century to levels unreached in human experience»

“Common Ground Seen on Warming of Globe’’, New York Times, 26 novembre 1988 229

Institution privée regroupant des experts faisant des propositions dans le domaine des politiques publiques. 230 Des mouvements relatifs à d’autres problèmes environnementaux globaux s’intègrent également à ce cadrage.

231 Ces valeurs sont regroupées dans ce qui a pu être théorisé comme the Dominant Social Paradigm (Dunlap

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evidentiary basis of global warming is weak and even wrong232 ; global warming would be beneficial if it were to occur233 ; global warming policies would do more harm than good234» (Mac Cright and

Dunlap 2000). Ces arguments produits dans les arènes politiques et économiques, seront repris en partie par certains médias marquant le succès des mouvements sceptiques à capter l’attention médiatique.

On observe alors un tournant dans le traitement médiatique du problème par rapport à la première (et courte) phase où les médias relayaient le consensus scientifique. On observe dans la presse américaine, un moindre traitement des causes et conséquences au profit de discussions morales et de présentation des solutions au problème (Trumbo 1996)235. Un changement s’opère parmi les opérateurs236 représentés dans les articles : les politiques et les groupes d’intérêts237 remplacent les scientifiques. Pour Trumbo il y a là un signe du succès croissant des politiques et des groupes d’intérêts à faire valoir leurs définitions du problème (Trumbo 1996). La prédominance initiale puis le déclin des scientifiques pour imposer une définition du problème, sont également mis en évidence dans le cas britannique (Carvalho and Burgess 2005)238. Le discours de Margaret Thatcher sur le sujet, en novembre 1988 à la Royal Society, eut un écho médiatique important et marqua le déclin des scientifiques comme définisseurs principaux du problème. Elle devient alors un acteur majeur du problème et la définition du problème –le changement climatique est une menace sérieuse qui nécessite une action immédiate- qu’elle propose est largement reprise par les médias (Carvalho and Burgess 2005). Cette implication entrainant une politisation accrue du problème, a permis à d’autres acteurs politiques de s’engager sur la question, amplifiant ainsi sa politisation. La politique gouvernementale en apparence assez engagée dans la lutte contre l’effet de serre, cachait des perspectives politiques et économiques particulières. Les objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre s’inscrivait dans une promotion de la filière nucléaire au détriment de la filière charbon (Carvalho 2005). Cela suscite des réactions parmi l’opposition et les organisations environnementales qui demandent des mesures différentes de celles proposées par le gouvernement. Par ailleurs, sur le plan international, la présentation du problème comme une menace globale, permettait à M. Thatcher de plaider pour une implication de tous les pays et non pas des pays industrialisés uniquement, pour supporter le coût de la lutte contre l’effet de serre, dans une perspective néolibérale.

232 The scientific evidence for global warming is highly uncertain. Mainstream climate research is "junk" science. The IPCC intentionally altered its reports to create a "scientific consensus" global warming. Global warming is merely a myth or scare tactic produced and perpetuated by environmentalists and bureaucrats. Global warming is merely a political tool of the Clinton Administration.

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Global warming would improve our quality of life. Global warming would improve our health. Global warming would improve our agriculture.

234 Proposed action would harm the national economy. Proposed action would weaken national security. Proposed action would threaten national sovereignty. Proposed action would actually harm the environment. 235

Trumbo utilise les catégories de la frame analysis proposée par Entman (Entman 1993) : Define problems ; Diagnose causes ; Make moral judgments ; Suggest remedies

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Trumbo utilise le concept de claim-makers défini par Spector et Kitsue (Spector and Kitsuse 1973 ; Spector and Kitsuse 1977) et considère les médias comme un lieu où les claims circulent et peuvent être publicisés, 237

Cette dernière catégorie est assez hétérogène et groupe aussi bien les associations environnementalistes que les think tanks conservateurs

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« [From 1985 to 1990], scientists were the exclusive definers of the issue for the press but their capacity to influence the media agenda—and therefore the public and political agendas—remained very limited.» (Carvalho and Burgess 2005)

122 Selon les journaux, le positionnement par rapport aux positions gouvernementales est différent239.

The Gardian continua à insister sur les risques tout en s’opposant à la promotion du nucléaire.

Certains journalistes de The Independant s’alignèrent sur les positions gouvernementales, d’autres non. Enfin, The Times développa une approche en opposition à la politique de M. Thatcher et aux publications du GIEC. On identifie dans les publications des positions sceptiques et une stratégie rhétorique de délégitimation de certains propos scientifiques et politiques étiquetés comme des environnementalistes porteurs d’un green Stalinism. Durant la période de calme médiatique qui suivit le premier pic de la fin des années 1980, The Times et dans une certaine mesure The

Independant, continuèrent à minimiser les risques liés au changement climatique, avec en toile de

fond des conceptions néolibérales. Cependant, des acteurs de l’arène économique et commerciale, firent la promotion d’un cadrage différent : les compagnies d’assurances au vu des coûts possibles, proposèrent un cadrage en terme financier.

Ainsi, le problème n’est alors plus seulement une question scientifique : des débats sur le plan politico-économique émergent. Alors que les nations se penchent sur l’idée d’un traité international, la véritable complexité du changement climatique apparaît avec ses multiples dimensions économique, sociale, géopolitique, diplomatique. La presse se fait le relais de ces débats et le traitement de la question devient moins consensuel. Les scientifiques qui étaient au départ les sources les plus citées, laissent leur place aux sources gouvernementales officielles et aux groupes d’intérêts (Wilkins 1993; Trumbo 1996; Mac Cright and Dunlap 2000). Aux États-Unis, les incertitudes des résultats scientifiques sont particulièrement mises en avant, justifiant ainsi le slogan « More

research ! » et l’inaction politique (Boykoff and Boykoff 2004).