• Aucun résultat trouvé

Les chapitres 2 et 3 nous ont permis de dresser un panorama des musées et centres de sciences. Dans le chapitre 2 nous avons vu que ces institutions sont héritières d’une épistémologie positiviste qui selon un paradigme de la rupture se focalise sur la transmission de connaissances et de formes de raisonnement. Une muséologie des savoirs s’est substituée à une muséologie d’objets mais la relation avec les publics restent unidirectionnelle et descendante dans la lignée du deficit model. Les visiteurs occupent cependant une place de plus en plus centrale et active dans le processus de médiation. Dans le chapitre 3, nous avons vu comment cette dimension épistémologique s’articule à des aspects relevant de l’institutionnel. Les musées et centres de sciences sont historiquement des institutions scientifiques centrées sur les missions de conservation et de recherche puis d’éducation. Le conservateur, le chercheur et l’éducateur en sont les figures centrales successives. Une nouvelle mission apparait celle d’animation culturelle. L’objectif n’est plus uniquement l’apprentissage d’un savoir scientifique. En parallèle le contexte concurrentiel des industries culturelles conduit les musées et centres de sciences à diversifier leurs offres. Ils mobilisent alors de plus en plus des logiques gestionnaires et de marketing. C’est à partir de tout ce contexte que nous nous sommes interrogés dans ce chapitre sur la façon dont les musées et centres de sciences pouvaient prendre en charge les problèmes socioscientifiques. Dans la littérature en muséologie des sciences, émerge l’idée d’un musée espace public ou forum citoyen où les questions pourraient être questionnées et débattues dans une visée d’émancipation pragmatique et démocratique. Des propos développés dans les chapitres 2, 3 et 4, nous tirons le tableau suivant qui formalise différentes approches en médiations muséales des sciences.

88 Type

muséologique Muséologie d’objets Muséologie de savoirs

Muséologie de points de vue et de réflexion Muséologie d’informations et d’investigation

Objets

centraux Objets (collections) Faits scientifiquement établis Phénomènes Démarche et raisonnement Dernières découvertes

La science telle qu’elle se fait dans son contexte historique, culturel etc. Controverses scientifiques

Controverses sociotechniques Problèmes socioscientifiques

Objectifs

privilégiés Acquérir des savoirs

Acquérir des savoirs par un raisonnement

scientifique

Développer une approche critique des sciences et de

la recherche

Se faire une opinion dans une visée citoyenne émancipatoire

Place du

visiteur Elève ou spectateur Acteur de son propre apprentissage Citoyen participant à un échange Tableau 2 Différents courants en médiation muséale des sciences.

Dans le présent chapitre, nous avons identifié plusieurs difficultés épistémologiques, muséographiques et institutionnelles, quant au traitement des problèmes socioscientifiques par les musées et centres de sciences. Force est de constater que la plupart du temps ceux-ci se trouvent évacués ou édulcorés. Toutefois nous avons identifié plusieurs exemples de traitement muséologique de problèmes socioscientifiques. Ceux-ci offrent plusieurs pistes quant au mode de médiation muséale de ces questions : s’informer, réfléchir, jouer et gérer, s’exprimer et débattre. Au vu des ces exemples, nous proposons de distinguer :

- une muséologie de points de vue et de réflexions qui, en proposant aux visiteurs différentes perspectives sur un problème, l’amène à s’interroger sur ses propres représentations et opinions. La mise à disposition d’informations n’est pas absente mais secondaire.

- une muséologie d’information et d’investigation qui fournit des informations sur un problème sociotechniques dans ses multiples aspects tant scientifiques que politiques, sociaux, économiques etc. et invite le visiteur à explorer ces informations sur le mode du jeu et de la résolution de problème par exemple.

Ces deux approches sont des voies possibles pour une médiation muséales des problèmes socioscientifiques.

89

Conclusion de la première partie

Dans cette première partie, nous avons cherché à brosser à grands traits le paysage dans lequel se trouvent les musées et centres de sciences aujourd’hui dans la perspective du traitement des problèmes socioscientifiques. Pour cela nous avons mobilisé des travaux en épistémologie, histoire, sociologie des sciences, muséologie, médiation des sciences. Dans le premier chapitre, nous avons présenté différentes approches de la médiation des sciences. Le deficit model constituait le point de départ de notre réflexion. Nous nous sommes intéressés aux courants Public Understanding of

Science, Public Understanding of Research et Public Engagement with Science dans la perspective des

travaux sur les sciences menés dans le champ STS et à la façon dont ceux-ci proposaient de dépasser le deficit model. Nous avons constaté une diversité importante dans l’interprétation de ces différents concepts, structurée autour d’une tension entre une approche de la rupture et une approche contextualiste. Dans les chapitres 2, 3 et 4, nous avons ensuite proposé une lecture de travaux en muséologie des sciences à la lumière des éléments exposés dans le chapitre 1 dont nous proposons une synthèse dans le tableau ci-dessous.

Epistémologie Epistémologie rationaliste, paradigme de la rupture Epistémologie constructiviste et relativiste, paradigme de la continuité Courant de médiation des sciences Deficit model Alphabétisation scientifique Alphabétisation scientifique PUR : démarche scientifique PUR : actu brève

PUS contextualiste PUR : la science en train

de se faire PUR : actu investigation

PUS contextualiste PEwS

Type

muséologique Muséologie d’objets Muséologie de savoirs

Muséologie de points de vue et de réflexion Muséologie d’informations et d’investigation

Point focal Objets (collections) Faits scientifiquement établis Phénomènes Démarche et raisonnement Dernières découvertes

La science telle qu’elle se fait son contexte historique, culturel etc.

Controverses sociotechniques Problèmes socioscientifiques

Objectifs

privilégiés Acquérir des savoirs

Acquérir des savoirs par un raisonnement scientifique

Développer une approche critique des sciences et

de la recherche

Se faire une opinion dans une visée citoyenne

émancipatoire

Place du

visiteur Elève ou spectateur Acteur de son propre apprentissage Citoyen participant à un échange Tableau 3 Différents courants en médiation des sciences et médiation muséale des sciences.

Dans le chapitre 2, nous avons montré qu’historiquement les musées et centres de sciences se sont constitués autour d’une approche de la rupture à travers une muséologie d’objets puis une muséologie des savoirs. A travers des démonstrations et expérimentations, le visiteur est invité à découvrir des phénomènes dans une position de spectateur (e.g. les démonstrations du Palais de la découverte) ou d’acteur de son propre apprentissage (e.g. les dispositifs interactifs de l’Exploratorium). Le point focal reste les résultats et les méthodes de la science. Ces modes de médiation muséale relèvent selon nous du courant de l’alphabétisation scientifique. D’autres modes de médiation ont pu être expérimentés dans la lignée d’approches que nous avons qualifiées de contextualistes. Il peut s’agir de montrer la science en train de se faire au sens donné par des travaux du champ STS. L’objectif est alors de replacer l’entreprise scientifique dans son contexte historique, culturel, politique etc., cela dans le but de développer une vision critique des sciences et de la recherche. Cette approche contraste avec les précédentes qui en proposeraient un récit revisité et idéalisé réactivant un mythe de la science pure. Les controverses scientifiques seraient un matériau de choix pour montrer ainsi la science telle qu’elle se fait. Cependant, notre recherche s’intéresse

90 aux controverses qui ont dépassé le strict cadre des débats entre scientifiques pour devenir des controverses sociotechniques ou, selon le terme que nous avons privilégié, des problèmes socioscientifiques.

Notre questionnement de recherche est alors le suivant.

1- Comment les musées et centres de sciences abordent-ils les problèmes socioscientifiques? Les traitent-ils comme des objets de sciences évacuant par là en particulier leurs dimensions extrascientifiques ? Au contraire, les abordent-ils effectivement comme des problèmes socioscientifiques dans toutes leurs dimensions scientifiques, politiques, sociales, économiques, etc. ?

2- Mobilisent-ils des modes de médiation particuliers pour traiter de ces sujets ?

3- Quel sens cela prend-il pour les acteurs du champ muséal ? Quelles en sont les implications au niveau institutionnel ?

Ce qui a été exposé dans cette première partie fournit des pistes de travail pour répondre à ces questions. Nous proposons ainsi de distinguer cinq modes possibles de médiations muséales d’un problème socioscientifique. (1) Une première possibilité pour un musée ou centre de sciences est ne traiter que des aspects scientifiques. Dans ce cas, il peut s’inscrire dans un mode de la rupture et présenter les résultats, méthodes et raisonnements de la recherche scientifique sur le sujet. Il peut également traiter de la dimension scientifique du problème sur un mode contextualiste en montrant la science telle qu’elle se fait dans les multiples contextes où s’insère l’entreprise scientifique. Dans ces deux premier cas, le problème socioscientifique est essentiellement abordé dans sa dimension scientifique. (2) Une seconde possibilité est de ne pas présumer de la primauté des aspects scientifiques sur les éléments politiques, économiques, sociaux, culturels etc. du sujet. Il s’agit alors de traiter effectivement d’un problème socioscientifique. Nous distinguons alors deux modes. Dans un mode informatif, le musée ou centre de sciences propose de faire le point sur le problème dans toutes ses dimensions. Il peut en cela adopter une approche journalistique dans la perspective de traiter d’un problème socioscientifique comme question d’actualité et de société. Par rapport aux médias généralistes d’information (presse, télévision), il peut se distinguer en proposant une démarche active sur le mode de l’investigation. C’est cela qui est développé dans des jeux où le visiteur est invité à répondre à une question, à résoudre un problème ou faire un choix dans une perspective de gestion d’un problème socioscientifique. Nous proposons de qualifier cette approche de mode résolutique. Enfin, le mode réflexif, consiste à proposer différentes représentations d’un problème socioscientifique dans le but d’interpeller le visiteur et provoquer une interrogation de ses propres représentations. Des expositions dites réflexives proposent ainsi une diversité de point de vue et mêlent savoirs, opinion et émotions afin de susciter la réflexion. Dans ces différents modes et principalement les deux derniers, des dispositifs d’expression, d’échange et de débat peuvent être proposé dans une perspective participative et dialogique.

Ces modes nous serviront de canevas pour étudier comment les musées et centres de sciences traitent d’un problème socioscientifique dans leurs productions et comment les professionnels se positionnent vis-à-vis de ce problème dans le contexte de la médiation muséale des sciences. Pour cela nous avons choisi de prendre un problème socioscientifique particulier comme exemple : le changement climatique. Afin d’analyser la façon dont les musées et centres de sciences se saisissent de ce sujet, il nous semble indispensable d’examiner dans le détail la question climatique en tant que problème socioscientifique. C’est ce que nous proposons maintenant de faire dans la seconde partie

91 de cette thèse. Dans la première partie nous avons mobilisé un premier cadre d’étude (des courants en médiation des sciences dans la lignée des STS), nous proposons maintenant d’en adopter un second : les théories sur les problèmes publics et plus spécifiquement la théorie des arènes.

92

Deuxième partie. Le changement climatique, un