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On identifie des convergences, voire des alliances, entre opérateurs de différentes arènes, entre lesquelles les coopérations se révèlent plus structurantes que concurrentes. Plutôt qu'à des luttes pour la définition du problème, on assiste à la structuration d’une communauté d’opérateurs qui se rassemblent autour d’une définition commune et consensuelle du problème. Nous avons vu comment les journalistes environnementaux et les scientifiques du climat avaient collaboré à la publicisation précoce du problème (cf p.123). Dans la seconde moitié des années 2000, on peut identifier d’autres alliances entre ONG, élus, fonctionnaires, médias et scientifiques : implication des ONG dans la réflexion et l’élaboration des politiques publiques, mobilisation de consensus rassemblant individus, ONG, collectivités, médias, écoles (e.g. Le Défi pour la Terre), participation de scientifiques à des comités au sein d’associations, diffusion par les médias (cinéma, télévision, journaux) de produits culturels de sensibilisation, etc. Les ONG apparaissent comme des opérateurs pivots qui parviennent à rassembler des acteurs d’arènes diverses au cours de vastes opérations de communication. Dans un autre registre, l’ADEME participe de manière moins visible mais tout aussi prégnante, à la construction du problème. A ces alliances formalisées au niveau d’organisations (ADEME, ONG, institutions scolaires, etc.) s’ajoute la circulation d’acteurs particuliers comme Jean Jouzel 322 (cf p.126). En passant d’une arène à l’autre, ils contribuent à diffuser la définition dominante du problème et se positionnent comme des nœuds dans ces réseaux d’alliances. Tous les acteurs n’ont pas forcément les mêmes motivations mais cela apparaît moins important que l’impératif de sensibilisation qui les rassemble (Comby 2008).

Le changement climatique et plus globalement l’environnement et le développement durable, émergent alors en tant que cause sans adversaire ou cause innattaquable. Comme l’humanitaire, des maladies telle que le cancer ou la mucovisidose, la lutte contre le racisme, etc., il s’agit de « causes généreuses qui suscitent a priori la sympathie et qu’aucun acteur n’a intérêt à mettre en

cause » (Juhem 2001). Cela ne signifie pas que des oppositions n’existent pas mais aucun acteur ne

dispose des ressources suffisantes pour tenir durablement un discours critique capable de décrédibiliser le cadrage dominant. Celui-ci peut donc « se déployer sans résistance » (Juhem 2001). Nous avons évoqué des oppositions dites sceptiques à la définition du problème incarnée par le GIEC. En France, mis à part Claude Allègre (cf p.198), aucun acteur n’est pour l’instant parvenu à publiciser une telle approche au même niveau que le cadrage dominant. Des critiques existent cependant. Par

148 exemple, des personnalités comme Nicolas Hulot ou Yann Arthus-Bertrand sont accusés d’être des

éco-tartuffes. Ce discours, porté entre autres par des journalistes du journal Décroissance, dénonce

ces chantres d’une écologie moralisatrice.

Qu'est ce qu'un éco-tartuffe ? C'est quelqu'un qui fait le contraire de ce qu'il dit. Il est un hyper-riche qui après avoir participé, par exemple, au Paris-Dakar pendant dix ans (Yann Artus-Bertrand, Albert de Monaco) s'emploie désormais à faire la morale au bon peuple et à lui donner des leçons d'écologie *…+. Récemment j'ai remarqué que le slogan des sportifs de l'UCPA était : ¬´la planète est votre terrain de jeu. Cette formule pourrait très bien être celle des éco-tartuffes car tout allait très bien pour eux jusqu'à la crise écologique. Ces hyper-riches s'alarment aujourd'hui de voir que leur terrain de jeux s'abîme. Ils nous font désormais la leçon en nous demandant de bien vouloir fermer le robinet quand nous nous lavons les dents. Car si les éco-tartuffes veulent que l'on sauve la planète, ils veulent avant tout sauver leurs privilèges et le système qui les a fait riches parmi les riches.

Article « Les tartuffes de l'écologie » par Sophie Divry sur le blog www.netoyens.info La critique des éco-tartuffes pointe en particulier les intérêts financiers des sauveurs de la planète. Il est vrai que si Nicolas Hulot et Yann Arthus-Bertrand donnent de leur personne pour sauver la planète, notamment au travers de fondations à but non lucratif, ils sont aussi à la tête d’entreprises marchandes. Nous avons évoqué la production et diffusion des produits culturels du photographe Yann Arthus-Bertrand (cf p.141). Nicolas Hulot présente Ushuaïa, une émission télévision diffusée sur TF1 depuis 1987, et déclinée en une chaîne à part entière (Ushuaïa TV) et un magazine mensuel323.

Ushuaïa ne rassemble pas seulement des productions médiatiques, c’est également un label apposé

à de nombreux produits dérivés (gels de douche, lunettes, etc.). Nicolas Hulot n’a pas de contrôle sur la déclinaison du label324. Toutefois, il considère que cette stratégie est acceptable du moment qu’il conserve son indépendance éditoriale. Elle permet de générer les fonds nécessaires à la production très coûteuse de son émission pour laquelle il est rémunéré par une société filiale de TF1. Par ailleurs, au sein de sa fondation, il mobilise la participation financière de plusieurs grandes entreprises comme EDF qui peuvent ainsi trouver une caution verte à des activités qui le sont moins. Cependant, ce genre de critique, tout comme celles adressées par les sceptiques, ne parviennent pas à ébranler l’édifice. Le changement climatique, l’environnement, le développement durable tendent à s’instaurer comme des causes inattaquables. La cause climatique, et plus généralement la cause environnementale intégrée au paradigme du développement durable, peut également s’interpréter comme une idéologie du changement nécessaire prônée par les élites (Boltanski 2008). Dans le contexte de la fin des années 2000, des acteurs comme Nicolas Hulot ou Yann Arthus-Bertrand, se présentent comme les agents du changement nécessaires, garant « du bon ordre social, arbitre de la

vie individuelle et collective telle qu’elle doit être, et ce privilège de classe est obtenu au nom d’une capacité déclarée supérieure à concevoir le futur des collectifs humains et non-humains » (Paris

2010).

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Ushuaïa est la capitale de la province argentine du même nom, située en Patagonie et compte environ 40000 habitants.

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Cependant, c’est TF1 -et non pas Nicolas Hulot- qui en est propriétaire. La licence est exploitée par diverses sociétés (e.g. L’Oréal pour les cosmétiques, Atol pour les lunettes, Quo Vadis pour la papeterie) et est soumise au respect d’une charte éditée par TF1 et non visée par un organisme de certification et de contrôle comme Ecocert qui contrôle la certification les produits biologiques et délivre par exemple le label AB (Agriculture biologique) pour les produits alimentaires.

149 D’après Juhem, « les entreprises politiques ne peuvent structurellement pas rencontrer l’engouement

des causes « incritiquables » puisqu’elles se trouvent placées dans une arène concurrentielle fondée sur une logique de critique systématique des programmes, des déclaration et des attitudes des adversaires » (Juhem 2001). Dans le cas du problème climatique, les politiques publiques ne font pas

l’objet de débat intense. Elles subissent tout au plus les critiques des associations de défenses de l’environnement qui ne les jugent pas assez engagées. Consensuelle, la cause climatique l’est aussi dans l’arène politique. Les clivages habituels ne semblent pas s’y appliquer. On peut faire l’hypothèse que du fait de la faiblesse institutionnelle de l’environnement et parce qu’elles font consensus, elles ne menacent sérieusement aucun intérêt particulier y compris ceux des lobbies énergétiques. On n’assiste pas en France à un contre-mouvement environnementaliste comme cela fut le cas aux Etats-Unis à la suite de la mobilisation des lobbies pétroliers (Mac Cright and Dunlap 2000; Mac Cright and Dunlap 2003) . Ceux-ci sont ainsi rassemblés au sein de the Competitive Entreprise

Institute, un think tank libéral fondé en 1984 et basé à Washington et qui affiche en bannière de son

site web : free market and limited government325. Il est considéré par Greenpeace comme une source majeure de « désinformation sur le changement climatique »326. Si en France, ces acteurs ne se mobilisent pas de la sorte, c’est peut-être parce que les politiques publiques mises en place, malgré des discours engagés et de vastes opérations de mobilisation (Grenelle de l’environnement), ne menacent pas réellement leurs intérêts. A contrario, notons qu’en France, l’industrie de l’énergie nucléaire a tout intérêt à promouvoir le problème climatique. Celle-ci est en effet considérée comme faiblement émettrice de GES comparativement aux énergies fossiles.

Sans prétendre analyser dans le détail l’action gouvernementale sur le climat et l’environnement plus généralement, l’actualité récente nous amène à souligner une discordance entre les faits et le monde policé, magnifique, presque transcendant des discours médiatiques et politiques sur le changement climatique327. Sur le plan national, après le lancement tonitruant du Grenelle de l’environnement au lendemain de l’élection du président Sarkozy, celui-ci déclarait lors de sa visite au salon de l’agriculture le 6 mars 2010 :

Je voudrais dire un mot de toutes ces questions d'environnement, parce que là aussi ça commence à bien faire. Je crois à une agriculture durable. D’ailleurs les agriculteurs seraient les premières victimes des pesticides mais il faut que nous changions notre méthode de mise en œuvre des mesures environnementales en agriculture.

A cette occasion, il a demandé aux ministres de l’environnement et de l’agriculture de revoir les mesures de mises en œuvre des propositions du Grenelle concernant l’agriculture afin de ne pas imposer aux agriculteurs français des mesures qui les mettraient en difficulté par rapport à la concurrence des autres pays. Pour les environnementalistes et les Verts, en déclarant que « l’environnement ça commence à bien faire », le président Sarkozy désavoue le Grenelle, pourtant organisé à son initiative, et révèle toute son hypocrisie environnementale à quelques jours des élections régionales (scrutins des 14 et 21 mars 2010)328. Le lendemain de la déclaration du président

325

www.cei.org 326

www.exxonsecrets.org

327 Comme le notent Bergandi et Galangau Quérat à propos des traités internationaux qui institue le paradigme de développement durable (Bergandi and Galangau-Quérat 2008).

328 Voir par exemple les déclarions de Cécile Duflot (secrétaire nationale des Verts), Noël Mamère (député vert) et Sébasten Genest (président de France Nature Environnement)

150 de la République, les journalistes titraient « Sarkozy a-t-il trahi le Grenelle de l'environnement? » (L’Express 7 mars 2010) ou encore « Les défenseurs du Grenelle de l'environnement se sentent trahis par Sarkozy » (Libération 7 mars 2010). Cet épisode n’a qu’une valeur d’illustration mais il rappelle qu’entre les discours constitutifs d’une cause sans adversaire et les positionnements et actions effectives, l’écart peut être important.

Enfin, il faut noter l’absence des partis écologistes dans la construction du problème climatique. Bien que « les données manquent pour instruire rigoureusement ce constat », Comby fait l’hypothèse que « des logiques partisanes internes et externes cumulées à la dimension fédératrice des enjeux

climatiques, contribuent à détourner ces partis des entreprises de publicisation voire de conflictualisation de cette thématique (à l’inverse de celles des OGM ou du nucléaire par exemple) »

(Comby 2008). On peut se demander si, empêtrés dans des revendications anti-nucléaire, les Verts n’auraient pas laissé passer le train du changement climatique, laissant à d’autres le soin d’occuper l’espace politique sur la question.

Au sein du réseau d’alliance qui concourt à la diffusion d’un cadrage dominant consensuel du problème climatique, devenu cause sans adversaire, nous proposons maintenant de nous interroger sur la place occupée par les médias dans le courant des années 2000.

http://www.rtl.fr/fiche/5935382521/selon-nicolas-sarkozy-les-questions-d-environnement-ca-commence-a-bien-faire.html

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Chapitre 7. Le changement climatique dans les médias français.