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problème climatique

2. Emergence du problème aux échelons nationaux

2.2 Le cas Français

En France, le problème climatique émerge sur la scène politique à la fin des années 1980 et ne commence à être réellement médiatisé qu’à partir de 1997, année de la signature du protocole de Kyoto (Aykut 2009)240. Par comparaison avec l’Allemagne, l’Angleterre ou les Etats-Unis, la publicisation du problème climatique est tardive. Dasnoy et Mormont l’associent à plusieurs facteurs : faible structuration de la recherche académique sur le climat et réticences des scientifiques à l’égard des médias, faible professionnalisation du journalisme environnementale, faible implication des associations environnementales sur le sujet (Dasnoy and Mormont 1995). Une convergence d’acteurs du monde de la recherche (des climatologues entre autres engagés dans la modélisation numérique) et d’acteurs du champ médiatique (les journalistes en charge de l’environnement) fait émerger le changement climatique en tant que problème public en France Comby, 2008 #133}.

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Carvalho interpète le traitement différent du problème par The Times et The Guardian et en termes d’idéologie («a system of values, norms and political preferences, linked to a program of action vis-à-vis a given

social and political order.*…+ ideologies are axiological, normative and political»). La première, libérale et

capitaliste, prévaut au Times, journal qui s’oppose au contrôle politique des marchés et développe par ailleurs une vision prométhéenne de la relation de l’Homme à la Nature. Une seconde idéologie, qui influence The

Gardian, promeut une régulation politique des marchés et conçoit l’exploitation de la Nature comme

potentiellement dangereuse. Cette idéologie d’inspiration sociale démocrate, s’attache à une éthique du global et de la responsabilité.

240 A partir de 1987 ; Aykut identifie un signal médiatique de base stable, à savoir plus de deux articles par journal par an pour une période d’au moins deux ans consécutifs, pour Le Monde, Sud-Ouest et L’Express.

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a) Alliance des chercheurs et des journalistes pour faire émerger le problème

Les recherches sur le climat en France dans les années 1990 sont peu organisées241. Par comparaison, la recherche allemande sur le sujet s’organise autour de plusieurs programmes et d’un réseau d’équipe (Dasnoy and Mormont 1995). Sur la question du changement, en France, deux laboratoires structurent les recherches sur la modélisation du climat : le Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD) du CNRS et le centre de recherche de Météo France. Ces deux équipes présentent des cultures institutionnelles et des façons de travailler très différentes (Guillemot 2007)242. Au LMD les chercheurs, de culture académique, travaillent sur l’atmosphère à l’aide de différents outils dans des recherches qui mêlent le fondamental et l’appliqué. Les équipes sont peu hiérarchisées dans un une institution (le CNRS) où l’accent est plutôt mis sur le travail personnel des chercheurs que sur les projets collectifs. A Météo France par contre, l’étude et la modélisation du climat est historiquement suborné à la prévision météorologique. Il s’agit plutôt d’ingénieurs (issus de l’école Polytechnique) dont la culture opérationnelle par projet favorise un travail hiérarchisé en équipe. Les pratiques et les stratégies de développement des modèles sont par conséquent très différentes dans ces deux laboratoires qui partagent cependant des valeurs et motivations communes. Quoiqu’il en soit, au début des années 1990, la recherche française dans le domaine semble très dispersée avec deux modèles numériques du climat. Dans le courant des années 1990, certains essais de rapprochement échouent mais les collaborations existent. C’est également à cette époque qu’est créé l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL) qui rassemble six laboratoires CNRS d’Ile-de-France travaillant sur l’environnement, parmi lequel le LMD243. Malgré des difficultés de coopération entre équipes, le pôle modélisation de l’IPSL finit par se mettre en place permettant le couplage des modèles atmosphérique et océanique. Le changement climatique émerge sur la scène internationale mais jusqu’au milieu voire la fin des années 1990, on n’observe pas d’engagement massif des équipes dans les recherches sur le sujet. Jean Jouzel244 est alors l’un des rares scientifiques français au GIEC. Les climatologues français sont « plutôt réticents vis-à-vis de cette participation et de l’expertise : le

GIEC est soupçonné d’avancer un consensus prématuré, de sous-estimer les incertitudes des modèles, d’occulter les débats et de proposer des simulations fondées sur des scénarios peu pertinents »

241 Nous ferons ici référence à quelques éléments sur la communauté des sciences du climat en France, issus de la thèse d’Hélène Guillemot qui portait sur la modélisation du climat en France depuis les années 1970. On ne prétend donc pas donner une vision complète des recherches sur le climat en France mais simplement énoncer quelques éléments qui ont pu être structurants dans la construction du problème climatique en France. 242

Au LMD les chercheurs, de culture académique, travaillent sur l’atmosphère à l’aide de différents outils dans des recherches qui mêlent le fondamental et l’appliqué. Les équipes sont peu hiérarchisées dans une institution (le CNRS) où l’accent est plutôt mis sur la carrière personnelle des chercheurs que sur les projets collectifs. A Météo France par contre, l’étude et la modélisation du climat est historiquement subornée à la prévision météorologique. Il s’agit plutôt d’ingénieurs (issus de l’école Polytechnique) dont la culture opérationnelle par projet favorise un travail hiérarchisé en équipe. Les pratiques et les stratégies de développement des modèles sont par conséquent très différentes dans ces deux laboratoires qui partagent cependant des valeurs et motivations communes.

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Outre le LMD, l’IPSL regroupe aujourd’hui le Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations spatiales (LATMOS), le Laboratoire Inter-universitaire des Systèmes Atmosphériques (LISA), le Laboratoire d'Océanographie et du Climat : Expérimentation et Approches Numériques (LOCEAN), le Laboratoire de physique moléculaire pour l'atmosphère et l'astrophysique (LPMAA) et le Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE).

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Jean Jouzel est directeur de recherche au CEA et directeur de l’IPSL depuis 2001. Ses travaux de recherche ont portés sur les climats du passé à travers l’étude des glaces polaires. Il a reçu conjointement avec Claude Lorius, la médaille d’or du CNRS en 2002. Il est vice-président du Groupe 1 du GIEC depuis 2001.

124 (Guillemot 2007). Une participation à l’expertise ne leur semble pas présenter un intérêt scientifique suffisant au regard du temps et de l’énergie nécessaire245. Cependant, un spectaculaire revirement s’opère vers 2003-2004 et les équipes françaises s’engagent massivement dans la réalisation de simulation pour le 4ème rapport au GIEC (AR4, qui sera publié en 2007). Les chercheurs semblent avoir été convaincus que l’expertise respectait les normes et valeurs de la recherche et qu’ils pouvaient y trouver un intérêt scientifique pour leurs propres travaux. Ainsi la recherche en vue d’expertise est réinvestie de nouveaux intérêts scientifiques. Tout en cherchant à apporter une « valeur ajoutée aux

questions posées par le politique, les modélisateurs du climat se réapproprient la science du changement climatique, la mettent en accord avec leurs objectifs et de leurs institutions *…+ et participent à la co-construction des problématiques prises en compte dans l’expertise » (Guillemot

2007). Notons que ni les tutelles politiques, ni les organismes de recherche n’ont joué de rôle dans cet engagement des chercheurs dans l’expertise internationale. Il ne s’agissait donc pas d’une demande du politique.

A la fin des années 1990, le problème climatique est bien installé sur la scène internationale. Cependant en France, le problème n’occupe pas (encore) le haut des agendas politiques et médiatiques. Le problème ne décollera dans les médias qu’en 2000 et plus encore en 2003 (Figure 4). Les journalistes qui se sont intéressés au problème sont dans l’ensemble convaincus de son importance et cherchent donc à promouvoir son traitement au sein de leur rédaction. Ils éprouvent cependant de nombreuses difficultés et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les changements climatiques constituent un problème fondamentalement difficile à médiatiser. Les phénomènes sont abstraits, complexes, diffus dans le temps et dans l’espace. Ils ne peuvent pas être appréhendés par l’expérience sensible individuelle. Leur actualité offre peu de scoop et de rebondissement hormis les conférences diplomatiques. L’incertitude y occupe une place centrale. Enfin, c’est d’un problème introduit au niveau international. Pour toutes ces raisons, il s’agit d’un thème difficile à traiter pour les journalistes qui s’attache plutôt habituellement à des faits concrets, présentés synthétiquement en connexion avec des préoccupations nationales et communes. Par ailleurs, les thématiques environnementales généralement sont dévalorisées dans la hiérarchie des sujets d’actualité (tout comme elles le sont dans la hiérarchie des problèmes politiques). Enfin, selon Comby, le faible traitement dans la presse s’explique par l’absence jusqu’en 2001-2002, d’une parole scientifique française forte sur le sujet (Comby 2008). Le manque de structuration du domaine de recherche rend par ailleurs l’identification de sources scientifiques potentielles encore plus difficile (Dasnoy and Mormont 1995)246. Nous avons vu que les scientifiques français, du moins les modélisateurs du climat, sont au départ peu engagés scientifiquement sur le sujet et réticents vis-à-vis du GIEC. Ils sont également très prudents vis-à-vis des médias. Dasnoy et Mormont identifient dans le courant des années 1990, une attitude disqualifiante des scientifiques envers les médias, jugés incompétents

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Par ailleurs, pour les chercheurs du LMD, affilié au CNRS, l’organisation nécessaire pour réaliser des simulations pour le GIEC ne cadre pas avec leur culture institutionnelle. Ils voient dans l’expertise un risque pour le droit du chercheur à travailler sur les sujets qui lui semblent pertinents.

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La situation allemande apparait bien différente : dans plusieurs centres de recherche il est apparu nécessaire de désigner une personne en charge des relations avec la presse ainsi que les associations : « it is

less a question of public relation in this case than of intalling an authorized contact to whom journalists and activists may apply, have their articles checked, and inform themselves of the bearing of any scientific or political event connected with the greenhouse effect » (Dasnoy and Mormont 1995)

125 pour transmettre des informations correctes sur le problème (Dasnoy and Mormont 1995)247. Ils risqueraient leur crédibilité si les médias venait à transformer leurs propos en scénario catastrophe ou solutions toutes faites248. Ainsi les scientifiques auraient plus à perdre qu’à gagner dans la médiatisation ou la politisation du problème. Très peu de chercheurs s’avancent auprès des journalistes, ce qui limite le travail de ces derniers sur le sujet. Ainsi, « sans le soutien d’une parole

scientifique française et reconnue, les entreprises de publicisation de la cause climatique ne possèdent pas de socle suffisamment légitime pour « réussir » » (Comby 2008). Le consensus élaboré

au niveau international avait besoin d’être relayé par des porte-paroles nationaux jouissant d’un capital scientifique important. Durant cette période, les journalistes sont cantonnés à expliquer les bases physico-chimiques du problème (l’effet de serre, les mécanismes climatiques) et à se faire l’écho des négociations internationales.

Figure 4 Evolution de l’attention médiatique portée au changement climatique en France. Fréquence relative des articles parus dans Le Monde, Sud-Ouest et L’Express (Aykut 2009).

Aykut note lui aussi qu’avant 2000, l’actualité du changement climatique semble rythmée par les évènements diplomatiques249 alors qu’après 2000, cela se fait au profit d’une actualité plus nationale comme la mise au point des plans climat (Aykut 2009). Un changement s’opère en effet à partir de 2001-2002: quelques scientifiques-experts, issus en particulier des deux pôles de recherche en science du climat que sont l’IPSL et Météo France et qui jouissent d’un crédit scientifique incontestable, s’engagent dans la médiatisation du sujet250. Jean Jouzel promoteur incontournable du problème climatique en France, sera le plus médiatisé. D’autres chercheurs comme Hervé Le Treut

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Ces auteurs notent que cette attitude concerne aussi les politiques. Ils considèrent le débat politique comme inutile car ils jugent les politiques incapables de prendre les décisions qui s’imposent.

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Quelques célèbres vulgarisateurs – Haroun Tazieff, Jacques-Yves Cousteau- peuvent néanmoins s’exprimer sur le thème du climat et l’environnement mais ne participent pas pour autant à une publicisation du problème climatique.

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Son étude porte sur trois journaux : Le Monde, L’Express, Sud Ouest.

250 Au regarde de cet engagement individuel de certains chercheurs, il serait intéressant d’interroger le rôle joué par les services de communication des instituts de recherche.

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