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Le Corps manifesté

A. Le Corps érotisé

A. 2. La Scène intime

La scène amoureuse est le fait du théâtre intime. Excepté dans La Part de l’eau, dans La

Morte Saison et dans Sven, le personnage lodsien est un homme marié. Seul Sven est dépourvu de

l’évocation de quelque amour. Dans les autres récits, le personnage connaît pour la première fois une passion selon ses plus profonds et quelquefois ses plus primaires désirs. Entendons par

passion, du verbe déponent latin (à la forme passive mais au sens actif) patior, une relation affective

109 Arthur Rimbaud, Poésies, Une Saison en enfer, Illuminations, Paris, Gallimard, 1973. 110 Cf. les divers renvois auxquels invite la note de bas de page n°107, p. 177.

dans laquelle le sujet dominé par ses désirs n’est plus à même de vivre sa vie selon son libre arbitre. L’objet de cette passion n’est jamais son épouse légitime : dans la prose lodsienne, le régime matrimonial ne semble pas pouvoir coïncider avec le plaisir charnel. La conception du mariage s’en trouve alors datée : le choix d’objet imposé par des « contingences » familiales dans le mariage ne permet le mode d’être au désir qu’hors union conjugale. La loi familiale tient lieu de devoir conjugal. Les ambitions du clan soumettent le choix d’objet.

Le désir-plaisir semble davantage se calquer sur le modèle paternel. Celui-ci ouvre la voie au désir pour soi. Cependant le désir présent n’en demeure pas moins le jouet des désirs défendus de l’enfance. Pour ce qui est des descriptions de l’acte charnel, les stéréotypes sont par ailleurs fort nombreux : la première fois qui ne cesse de se répéter, l’harmonie des éléments symbolisée par le couple, les gestes types prenant pour objet les zones érogènes. Le narrateur-personnage fait de la première union charnelle des personnages de la lagune un événement singulatif marqué par la déception, comme l’indique le conditionnel passé du verbe introducteur : « J’aurais dû être satisfait : elle se laissait faire, elle ouvrait toutes les portes ; mais ce n’était pas pour m’accueillir. » (p. 77). Dès le roman inaugural, la possession est placée sous le signe de la passivité de la femme : l’abandon est une désertion. L’union sexuelle n’est pas la seule gestuelle à démontrer la tendresse. Il arrive aux personnages de ne partager que leur sommeil. De date très ancienne, le partage de la couche s’inscrit dans la symbolique nuptiale. Tel est le cas de la première nuit qu’Ivana passe dans la chambre lyonnaise de Romain. Assise dans l’unique fauteuil, elle semble veiller sur lui. Il en est de même de Martin et de Marieka, dans La Morte saison : « Nous montâmes nous coucher de bonne heure, et cette nuit-là je la tins dans mes bras sans faire l’amour avec elle, tandis que le tambour du toit résonnait sous l’averse. » (II, 13, p. 192). L’attitude protectrice du personnage (l’« embrassement » dans l’acception littérale du terme) est complétée de la proposition infinitive introduite par la préposition restrictive sans qui signale une rupture momentanée des « rituels amoureux ». Le non désir ou le non-pouvoir-désirer n’entame en rien l’affection et est tantôt le fait de la femme, tantôt celui de l’homme : Jeanne, « Pardonne-moi, dit-elle, je ne peux pas. »

(p. 136) ; Martin, « Je n’ai pas envie. » (p. 190). On ne peut que remarquer cependant que l’acte charnel est exclusivement perçu du point de vue masculin et fait peu de cas du désir et du plaisir de la femme. Considérons par exemple cet extrait de La Morte Saison, qui est probablement, avec

Quelques Jours à Lyon, le roman lodsien qui explore le plus l’écriture de la passion :

« Toutefois sa phrase avait balayé mes dernières hésitations. Je soufflais la bougie et me déshabillai avec une espèce de rage. Puis je la rejoignis sur le drap. Elle m’accueillit avec un soupir. Tout de suite je fus en elle. » (II, 7, p. 162).

La narration de la première fois des deux amants donne à lire une description behavioriste de l’acte sexuel qui se réduit à une pénétration rapide. En témoignent la dernière phrase lapidaire, le sème de l’immédiateté dans l’indice temporel « tout de suite », le passé simple de premier plan et l’image être en quelqu’un pour désigner l’acte. Par sa pudeur, cette image contraste avec l’exhibition du moyen de contraception naturel (compte des semaines) utilisé par Marieka. Il n’y a aucun préliminaire, au point que, dans la mesure où l’acte survient une fois que sont résolus les questionnements relatifs à la contraception, cette première fois peut sembler, par son évocation, un accouplement hygiénique. La description du plaisir féminin est fort peu envisagée par l’écriture. Il se limite ici à un soupir. Ailleurs, il est en général absent. Dans l’amour lagunaire, Jeanne demeure une sorte de poupée de chiffon : « J’avais l’impression de retrouver Jeanne, comme si les instants où j’avais fait l’amour n’avait été qu’un passage à vide, un creux, une nappe de brouillard qui nous avait séparés. » (p. 79). Remarquons que le rythme ternaire à cadence majeure semble mimer l’acte et témoigne d’un souci prosodique de la part du narrateur-personnage. Plus important nous semble le solipsisme imposé à l’homme dans l’acte par la femme. Le procès à la première personne du singulier « j’avais fait l’amour », dépourvu de l’expansion d’accompagnement introduite par la préposition avec, relève du narcissisme primaire en ce sens qu’il ne suppose aucun objet : l’acte évoqué dans une proposition subordonnée relative de temps, expansion caractérisante du complément circonstanciel « les instants », devient une activité semblable à une autre, et même plus ennuyeuse. Un seul extrait de l’œuvre fait exception

et montre une attention particulière au plaisir féminin. Il trahit une sympathie particulière du narrateur pour le personnage d’Ivana, la Pragoise exilée à Lyon :

« Il arracha le drap qui la recouvrait, s’étendit sur elle. Elle eut tout de suite le visage perdu. Elle faisait l’amour avec d’étranges grognements, des mouvements brutaux suivis de moments où elle restait complètement immobile, les yeux grands ouverts vers le plafond, reprenant des forces, attendant la nouvelle éruption qui la forçait de nouveau à baisser les paupières. » (p. 184).

La narration exhibe l’immédiateté de la cause et de l’effet, de nouveau au moyen du déictique temporel « tout de suite ». L’exhibition à laquelle se prête la narration est-elle sur le point de céder à la vantardise ? Elle se consacre subitement au portrait de la jeune femme en train de jouir. Par une série d’observations, le plaisir féminin se voit placé sous le signe de l’animalité, comme l’indiquent les lexèmes suivants « grognements, mouvements brutaux, reprenant des forces, éruption ». Ce compte rendu de l’acte qui témoigne d’une distanciation et distingue la manière d’Ivana parmi celles d’autres actes sexuels qui, eux, restent hors champ. On ne peut que s’interroger sur la fonction de cette exhibition exclusive de l’autre, de la femme, dans le plaisir intime. Faut-il rappeler que Quelques Jours à Lyon, seul roman qui évoque le plaisir d’un personnage féminin, est également le seul qui est écrit à la troisième personne du singulier.

Le corps amoureux est souvent évoqué en état de symbiose avec la nature environnante.

La Part de l’eau en offre un premier exemple : « Son corps était froid, comme le sable sous elle »

(p. 90) et « femme de sable allongée sur la dune, statue à demi recouverte » (p. 91). La chair du corps de Jeanne se confond avec la matière que présente le sable, matière informe et érosive. Il en est de même des corps des amants dans La Morte saison :

« Dans ce miroir le corps nu de Marieka descendait entre les tiges inversées des sonjes, à peine tremblé par la ride délicate qu’une araignée d’eau tirait depuis la rive, et moi je plongeais dans le bassin transparent, vers cette femme liquide que soulignait le pinceau du soleil à travers une lucarne de feuille. » (II, 9, p. 171).

L’eau est l’élément médiateur entre les deux amants. Les mouvements des corps indiqués par les verbes montrent une descente suggestive : contraire au caractère déhiscent des roseaux, dans le cas de Marieka, donc complémentaire ; complémentaire également la plongée de Martin dans la

mare vers la jeune femme, descente qui figure une pénétration. La description de la scène ne manque pas de recourir à un grand nombre de clichés : le « miroir » de l’eau, « le pinceau du soleil » qui convoque l’image de la Nature peintre (impressionniste), « la lucarne de feuille » qui évoque la maison de verdure, le locus amœnus, constituent autant d’éléments qui se combinent avec la verticalité et l’horizontalité des éléments masculins et féminins. L’ensemble réalise un paysage d’une facture romantique. L’évocation des zones érogènes est également stéréotypée, comme en témoigne le sexe paysage de Jeanne :

« Mes yeux fixèrent les siens, puis mon regard coula le long de son corps, avec une halte plus longue pour les seins et pour ce fond de vallée creusé entre ses cuisses jointes et son torse penché vers moi. » (p. 96 ; nous soulignons).

Le regard descendant rencontre le mouvement descendant du buste de Jeanne, les corps corroborent la rencontre. Le narrateur se plaît à évoquer les différentes parties du corps en recourant au procédé de l’accumulation : « les reins cambrés, les seins tendus vers les mains de cette brise qui se levait » (p. 102). Dans Quelques jours à Lyon, le procédé d’accumulation est probablement le plus abouti. Citons pour exemple :

« Il contemplait ces seins que la position horizontale tassait sur eux-mêmes, cette peau très pâle que bleuissait le réseau des veines, ce ventre plat marqué par l’ovale du nombril, ces hanches qui s’épanouissaient comme un violoncelle, ce triangle acajou et moussu au creux des cuisses. » (p. 208).

Les parties du corps font l’objet de caractérisations grâce à des subordonnées qui les mettent en valeur. Elles deviennent ainsi tout à fait des métonymies du corps désiré et du désir-même. Ceci n’est pas sans rappeler l’esthétique du blason, chère à la littérature érotique, de Clément Marot jusqu’à Bataille en passant pas Sade, et remise au goût du jour avec la célèbre scène du Mépris de Jean-Luc Godard.

Pas plus que l’acte, le texte ne cherche la performance, exhibe presque cette absence de performance. Le corollaire de ces imagos n’est autre que le sentiment de culpabilité, qui, lui, montre une diversité que la passion ne détient pas. Dès la première manifestation du corps de Jeanne, dans La Part de l’eau, il ressortit à la fragilité irréductible du corps féminin qui fait de la femme, objet de jouissance de l’homme, une victime : « Ce corps sans défense, sans signal

d’alarme, sans veilleur de nuit, j’avais l’impression de le cambrioler. » (p. 77). Le rythme ternaire s’associe à l’anaphore de la préposition de restriction sans. Ainsi est-il donné libre cours à l’expression de la pitié. L’insistance transforme ici l’attention en sensiblerie. Le choix du verbe « cambrioler » témoigne du fantasme du viol et dénonce le fait que la possession de la femme relève de la perversion : le narrateur exhibe le pouvoir qu’il pense prendre sur l’autre par l’acte sexuel. La culpabilité peut également expliquer l’insatisfaction récurrente du personnage en raison des corps désertés de ses amantes, la sauvagerie exhibée d’Ivana qui n’est peut-être pas dépourvue d’un certain dégoût ainsi que le regard du narrateur indifférent au désir féminin, et ceci par un transfert de culpabilité : le désir est moins coupable, puisqu’il ne véhicule pas la joie escomptée.

Les stéréotypes dont le corps fait l’objet ne doivent pas cacher la particularité de la passion lodsienne. Le choix de l’objet est toujours réalisé en regard avec la femme désirée dans le passé ou celle qui aurait non seulement dû l’être pour son appartenance familiale mais qui aurait dû aimer en retour. Le désir est placé sous le signe de la nostalgie dans la mesure où il répare le fait de ne pas avoir eu lieu. D’une certaine façon, le sujet regrette (de désirer) ce qu’il n’a jamais eu, n’a jamais perdu. La femme est choisie pour sa capacité à réparer le passé. La loi du désir oppose un passé au présent mais ce qui a eu lieu dans le passé est précisément ce qui n’est jamais arrivé et ce que le personnage s’efforce de re-produire. La relation avec Marieka est éloquente à cet effet :

« Je me disais que ce geste par lequel j’avais attiré Marieka contre moi était la réplique de celui que j’avais saisi entre Eléonore et Patrice, à ce même endroit, alors que le jour tombait, que l’ombre commençait à rouler son tapis sombre sur les montagnes, que les oiseaux chantaient dans la volière des bambous en faisant ployer sous leurs poids les longues flèches souples. » (II, 3, p. 140).

Multiples sont les allusions à la référence que le couple Patrice-Eléonore représente pour Martin. Marieka ne saurait lui rendre son amour d’enfance, quand bien même l’environnement extérieur semblerait concourir à rendre l’illusion opérante. Ainsi la passion amoureuse devient-elle perversité. Il s’agit pour le sujet lodsien de re-produire dans le présent ce qui n’a jamais eu lieu. La

particularité de l’être au désir du sujet lodsien réside dans le fait qu’il reste gouverné par la libido du sujet enfant : l’adulte tente de recouvrer ce qu’enfant il n’aurait su/pu faire avec l’objet désiré mimétiquement dans l’enfance (la mère désirée par le père, Eléonore par Patrice), la mère elle-même (Yann et son amour ambigu pour sa mère Anne-Sylvie), la « fiancée » accordée à un autre plus âgé (Eléonore), leurs avatars (Marieka et Lise). L’exploration du mode d’être au désir masculin est déterminée par des schémas qui, réducteurs, indiquent un complexe de castration non surmonté, et cela tant dans la narration de ces scènes érotiques que dans leur énonciation. Celle-ci, en effet, semble déterminée par les archaïsmes que sont les critères « pur » et « impur », dans la mesure où ses modalités sont tantôt au service de la culpabilité, de la bestialité ou encore du dégoût, tantôt contribuent au dévoilement de performances revanchardes.

B. L’Avalage

Pris, le corps sait également prendre et même se prendre. L’œuvre de Jean Lods décline le motif de l’avalage de nombreuses façons qui ont toutes en commun la réciprocité, l’ambivalence. Le corps dévoré dévore et / ou se dévore. Le corps enfermé enferme. Le corps contaminé contamine. L’être aliéné aliène. Cependant, le passif et le réfléchi offrent plus d’occurrences que l’actif.

B. 1. La Dévoration

La dévoration est rarement le fait du regard. Reprenant l’image morte figée dans des expressions lexicalisées telles que dévorer du regard et embrasser du regard, le narrateur de Mademoiselle associe par deux fois la dévoration et le regard. Le point de vue critique que le fils prête à sa mère sur les propos qu’il tient se manifeste à lui par un regard dévorateur : « Je vois la façon dont tu embrasses du regard la pièce où nous sommes comme pour me dire avec une ironie douloureuse : « C’est ça que tu appelles une lagune ! » (p. 10). De même qu’il rêve éveillé la présence de sa mère

morte, le narrateur hallucine le regard de celle-ci : le songe habité par la présence maternelle, donc aliéné, ne manque pas de s’attarder sur le regard dévorateur. L’hallucination suppose à ce moment du texte une dévoration dans la dévoration. Elle paraît moins placée sous le sceau du désir que celle que le narrateur attribue à son propre regard posé sur la sœur de sa femme, Marie-Claire : « […] je la dévore de mon regard qui semble toujours indifférent et glisser sur elle comme sur les choses. » (p. 84). Tandis que le verbe d’état sembler introduit le thème de l’apparence, de l’extériorité, parfaitement contradictoire ici avec l’être, avec l’intériorité, le verbe « dévore » associe l’oralité à la vue. L’image morte dévorer du regard rejoint l’isotopie surréaliste : l’œil devenu bouche engloutit l’objet convoité. Cependant, le désir se tait, ne s’avoue pas. Il en est de même du regard satisfait de René Toulec sur son foyer : « Son regard quitte Yannou, remonte la colline, s’arrête sur la maison blanche, sur Anne-Sylvie comme sur un enjeu conquis. » (p. 66). Le regard trace sa toile sur son univers.

C’est pourquoi l’oralité du regard dévorateur complète l’oralité dévoratrice dans la mesure où celle-ci se retourne toujours contre elle-même : la bouche s’auto-dévore. La Morte saison en offre la première manifestation avec le personnage de Marieka. A la fin du roman, la jeune femme entre dans le champ du narrateur-personnage qui la fixe ainsi : « Ses yeux ne me quittaient pas, et

ses lèvres étaient si serrées qu’elles en étaient comme mangées. » (III, 1, p. 220). Les lèvres sont

devenues si fines qu’invisibles, elles ne peuvent avoir été que dévorées pour Martin, ainsi que l’indique l’attribut « mangées ». L’invisible de la bouche est englouti. Comme dans un film qui se rembobine, Martin la dévisageait, quelques pages plus haut, comme s’il la voyait pour la première fois : « les lèvres comme avalées et ramenées à une ligne mince et rectiligne » (II, 14, p. 196). Le motif de la dévoration apparaît avec l’épithète « avalées ». Le seuil entre l’intérieur et l’extérieur du sujet, l’ouverture qui peut donner et recevoir la communication verbale et affectueuse se voit réduite à une forme minimale, « une ligne mince et rectiligne ». La bouche se fait alors la métonymie de la personne entière, fermée sur elle-même, murée dans son silence et dévorant ce qu’elle tait. Plus spectaculaire, la bouche arachnéenne de la Veuve Noire qui se cache sous la

résille de sa coiffe : « avec des mots qui ne sortent pas de sa voilette, comme des mouches prisonnières dans un garde-manger. » (p. 115). Le motif de la dévoration est plus explicite : la bouche, « garde-manger », mâche sans fin des mots comparés à des mouches, proies préférées des Araignées. Les mots ne se donnent pas, mais se dévorent sans être avalés. La rancœur est inlassablement ruminée, jamais formulée pour autrui. Le Bleu des vitraux offre le plus grand nombre d’occurrences de ces « paroles volées ». Elles ne sont pas le seul fait de la douairière, mais réunissent sous leur chape la bonne société de Bois-Rouge, avant de se dérober au jeune enfant :

« Yannou, dont les lèvres sont serrées comme pour empêcher la fuite d’un mot qui le trahirait,

serréescomme toutes les lèvres à Bois- Rouge. » (p. 95). Les lèvres de l’enfant se referment sur la

possibilité d’une auto-trahison. Le motif de la dévoration dénonce l’infidélité des mots pour le sujet énonciateur. Le seul espoir d’une parole généreuse a disparu avec le départ d’Anne-Sylvie. Elle était le seul personnage du roman dont les lèvres dispensaient une joie communicative, des sourires et des paroles tendres. Cependant, érotisées comme l’ensemble de son corps de mère, elles exhibaient aussi leur mystère sous les yeux de l’enfant : « ces lèvres entrouvertes comme au bord d’un secret qui n’est pas pour moi. » (p. 59). Presque ouvertes, elles restent muettes, comme tenues au secret. Quelques jours à Lyon donne à lire une variante éclairante de ce motif de la dévoration qui traverse l’œuvre de Jean Lods. A la fin du roman, Romain ne reconnaît plus Ivana métamorphosée. Par la focalisation interne, le narrateur laisse entendre que Romain pense pouvoir réduire grâce aux mots l’étrangeté d’Ivana : « ce beau masque derrière lequel elle se cachait. Il aurait voulu la forcer par ses questions à l’ôter. » (p. 206). Cet extrait met en scène une fonction du langage, ainsi que le lieu-frontière que constituent les lèvres : « Mais les mots