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Le Corps manifesté

A. Le Corps érotisé

A.1. La Descente, l’élévation

La Descente. Le sexe est l’intime de l’autre-dans-son-corps, par excellence. Le contact du sexe de la femme est le fait d’une descente, dès La Part de l’eau. Si le sexe n’est pas décrit ainsi dans les romans suivants, c’est la rencontre charnelle qui semble placée sous le signe de la « chute » : en témoignent l’échec de la revanche du présent sur le passé dans la relation de Martin et de Marieka dans la Morte Saison, la première expérience sexuelle de Yann avec Lise dans

Le Bleu des vitraux, la rencontre qui n’aura jamais lieu entre Emmanuel et Anne dans Sven, l’amour

extraconjugal que vit Romain avec Ivana dans Quelques Jours à Lyon, le désir inaccessible du narrateur de Mademoiselle. La rencontre du sexe de la femme est synonyme de déception quand la femme possédée n’est pas la femme désirée (Marieka pour Eléonore, Sylvie au lieu de sa sœur), de terreur quand le fantasme de la mère-épouse s’immisce dans la réalité romanesque (Lise que Yann s’apprête à prendre dans la chambre de sa mère), de transgression (Ivana, emblème de la blancheur du Grand Nord, parfaite antithèse d’Hélène). D’un roman à l’autre, l’acte charnel est dysphorique. Cette sorte de chute semble annoncée par la représentation-même du sexe féminin. Le narrateur de La Part de l’eau utilise un lexème religieux pour désigner la pénétration de Jeanne : « Je la visitais […] » (p. 77). La célébration du corps de la femme aimée s’achève aussitôt : « comme j’avais visité les maisons abandonnées au creux des collines. ». Le sexe s’ouvre sur un espace plus déserté que vide, ainsi que l’indique la comparaison à des « maisons abandonnées ». Le corps métonymie du personnage de Jeanne n’offre à l’amant qu’une hospitalité refusée. L’image d’Épinal du « creux des collines » se voit dotée ici d’une connotation négative : la nature ne livre refuge qu’à une désertion, de même que Jeanne ne se livre qu’à la condition d’une désertion d’elle-même. Le sexe de Jeanne, comme celui d’Hélène dans Quelques Jours à Lyon, est comparé dans la séquence III de la deuxième partie du roman, à « une éponge ». Ces deux évocations apparaissent dans les trames du roman comme deux souvenirs heureux : visions de la

femme à peine sortie du bain, qui ne sont pas sans évoquer la naissance de Vénus. Le sexe-animal de Jeanne est alors objet d’attraction et de plaisir : « J’aimais son bas-ventre constellé de gouttes, trempé comme une éponge, […] » (p. 98). Le désir n’essuie aucun refus, comme l’indique la proposition relative finale : « où ma main allait chercher une fraîcheur brûlante. ». Le rythme ternaire à cadence majeure scande la complicité et l’équilibre des deux amants, à cet instant, tandis que l’oxymore « fraîcheur brûlante » fait du sexe de Jeanne un lieu ambivalent et singulier. Le sexe d’Hélène apparaît d’abord comme une forme circonscrite sur son corps et suppose une descente du regard : « Le triangle de son bas-ventre » (p. 142). Le sexe est vu sans être touché. Le stéréotype est aussitôt revisité par l’identification qui le compare à l’animal aquatique : « est comme une éponge lourde et noire. ». L’image est brève, comme fugitive, le contexte est différent : le narrateur imagine sa femme, se baignant seule, en un endroit du littoral réunionnais qu’ils avaient l’habitude de fréquenter ensemble. Si l’on reconnaît la symbiose de la femme avec l’élément liquide, l’attraction est absente : l’indifférence d’Hélène à l’égard de tout ce qui l’entoure comme vis-à-vis d’elle-même semble inviter le narrateur au détachement. Ainsi le désir des narrateurs lodsiens dépend-il de la non désertion du corps de l’autre par l’autre. De plus, cette « exigence » du désir confirme que le sexe est représentation métonymique de la personne.

L’érotisation du corps se poursuit avec l’évocation du visage. Il entre également en contact avec le corps de l’autre. Tel est le cas dans une scène œdipienne du Bleu des vitraux. Le visage du fils s’enfouit dans le corps de sa mère : « ce visage qui s’appuie entre ses seins comme… » (p. 76). Le paragraphe suivant aide à compléter l’anacoluthe. « Entre ses seins comme un homme » ? Le discours indirect libre par lequel le narrateur fait intervenir la Veuve Toulec permet de reconnaître en René Toulec, le père de l’enfant, cet homme passé sous silence : « Tu ne crois quand même pas que je vais t’aider à entraîner mon fils dans votre chambre pour lui faire faire toutes les choses dégoûtantes par lesquelles tu le tiens !... ». Le tabou du nom du père s’associe au tabou de la sexualité parentale. Le narrateur devenu adulte prête ce double interdit à sa mère, et à sa grand-mère paternelle dans l’esprit de sa mère. Double interdit qui opèrerait pour

deux figures maternelles et qui laisse vacante la place de l’homme-père. La descente est ici à la fois le fait d’un regressus ad uterum et de l’érotisation transgressive du corps maternel. L’évocation est laissée en suspens par Anne-Sylvie. Elle donne immédiatement lieu à un commentaire méta-narratif qui poursuit le récit en focalisation interne : « La comparaison s’interrompt d’elle-même dans son esprit, elle n’ose la mener à son terme. ». L’érotisation du corps maternel est perçue par Anne-Sylvie, tandis qu’elle semble échapper à l’enfant. L’ambiguïté de la scène retient l’attention du narrateur, de Yann devenu adulte, qui adopte sur la scène le point de vue de sa mère. Il raconte en prenant en charge les résistances qu’il prête à sa mère. Il dénonce en se gardant de juger. Dans le même roman, le visage du Père Buret « rond comme un cul se fend d’un sourire. » (p. 188) fait l’objet d’une érotisation tout aussi régressive. La comparaison dénonce en fait l’obscénité du personnage qui réside dans son hypocrisie quant aux valeurs chrétiennes qu’il est censé représenter. Son visage, seule partie du corps que sa soutane lui permet d’exposer aux autres, prend un caractère anal aux yeux du narrateur. Enfin, le visage saisi dans son environnement peut faire l’objet d’un mouvement descendant. A l’heure de la promenade quotidienne, Sven « s’arrête sous la misère suspendue au plafond » de la véranda. En attendant « le vieux », « il souffle en gonflant les joues », tandis que la plante « se soulève dans l’air s’étale, lui retombe sur le visage comme une résille. » (p. 48). Ainsi « chapeauté » par le voile végétal, le visage du garçon est féminisé.

La confrontation de la réalité du corps de la femme avec la représentation que l’on s’en fait peut obéir à un principe déceptif, jusqu’au sentiment de trahison. La Morte saison en offre une illustration : « Et puis, chose qui me blessa absurdement, et que je ressentis un peu comme une trahison parce qu’elle était inattendue dans l’image que je me faisais d’elle, et qu’elle venait ainsi renforcer l’état d’esprit dans lequel je me trouvais, Marieka était entièrement brune, […]. » (II, 5, p. 151). La jeune fille est brune, alors que sa mère, Eléonore était blonde, de type européen. La fille ne peut être le double de sa mère, et le présent ne peut corriger ce qui, dans le passé, n’a pas eu lieu. Est-ce le corps de la fille qui trahit la filiation par son absence de ressemblance à sa mère ?

N’est-ce pas plutôt la réalité perçue dans le présent qui trahit les désirs inavoués dans le passé, autant qu’elle trahit le désir peu avouable du présent ? Le désir de reproduire ce qui n’a jamais eu lieu : l’amour partagé entre Eléonore et Martin. La déception naît du fait que la jeune fille ne peut être ni le temps retrouvé, ni le temps perdu : le désir d’Eléonore n’a eu d’existence que dans les fantasmes de Martin. Le face-à-face avec le corps de la jeune fille confronte Martin avec la seule réalité de ses désirs d’enfant et d’adolescent qui se sont joués de ses fantasmes d’homme mûr. Si l’image du corps de l’autre est déceptive, le regard peut également opérer une descente, mais d’une autre nature. Le regard baissé est moins signe d’humilité que d’inhibition, dans le cas d’Elisabeth Keller, personnage secondaire de Quelques Jours à Lyon. Ainsi le narrateur décrit-il sa démarche dans la rue à ses côtés : « Elle allait, le regard fixé sur le trottoir, la tête un peu baissée, comme inclinée par le poids du chignon. » (p. 77). Le rythme ternaire scandé par l’allitération labiale mime la pesanteur que la cousine de Simon Rivière ne s’efforce pas de cacher. Ce regard fixant le sol trouve un pendant négatif dans le mouvement descendant du regard hyperactif de Sylvie dans Mademoiselle : « Elle a quelque chose d’une fourmi, d’ailleurs, […] son regard toujours baissé qui semble palper le sol comme avec des antennes. » (p. 89). L’association de la descente du regard et de l’insecte fait du regard de la femme du narrateur un signe de servilité. Ces yeux de femme qui voient sans regarder l’objet sur lequel ils se posent trouvent un corollaire dans le regard du vieux que surprend Sven, lors d’une séance du « jeu des personnages » : « Il a le menton appuyé contre la poitrine, les yeux grands ouverts comme jamais Sven ne les lui a vus. » (p. 100). Le regard posé sur les figurines ne voit plus le jeu, comme l’indique le rire qui « secoue » le vieil homme. L’objet, dont s’empare le regard, ne peut, là encore, être partagé. Il en est de même de ces autres regards, qui demeurent dans l’isolement du non communicable. Emmanuel remarque : « Je devenais comme lui [le vieux gardien du phare], le regard tourné vers le passé. » (p. 218). Le regard devient métaphore de la conscience qui non seulement revisite le passé, mais aussi qui hallucine le présent réunionnais. Ce regard comme « à l’autre bout de soi » est encore celui d’Hélène lorsqu’elle s’apprête à apprendre à Romain Durieux que Simon est son oncle : ayant

laissé sa phrase en suspens, le narrateur la décrit « Les yeux fixes comme sur une vision intérieure » (p. 125). La descente en soi par le regard s’accompagne de silence : « elle avançait sans rien dire, ses fines lèvres serrées […].», comme si l’être entier était absorbé par l’objet vu. Il est rare qu’un regard croise celui de l’autre, dans l’œuvre de Jean Lods, a fortiori d’une manière euphorique. La deuxième séquence de Quelques Jours à Lyon donne à lire la description d’une photographie qui représente Simon et Sonia Rivière. La pause présente l’image d’un couple heureux et complice : « Elle souriait en le fixant, et lui, les yeux baissés vers elle dans un regard amoureux, lui rendait son sourire comme un baiser à distance. » (p. 39). Le regard baissé témoigne ici de la tendresse. L’échange parfaitement équilibré est mimé par la construction en chiasme des propos de la phrase : sourire / regard (qui fixe) / regard (baissé) / sourire.

Les lèvres savent aussi s’ouvrir pour retentir dans le silence de l’univers lodsien. Le narrateur de La Morte Saison résume ainsi la naissance de son échange avec Marieka : « […] quelques phrases isolées pour commencer, maladroites, gardant les traces de cet énorme silence […] et que nos mots traversaient comme une source perlant goutte à goutte à travers les fissures d’une paroi de roc. » (II, 4, p. 142). La solidité du silence (« une paroi de roc ») cède à la puissance des mots qui tombent « goutte à goutte ». Parole du souvenir, l’évocation de l’enfance se fait eau tellurique. Sa résonance dans le silence s’accompagne d’un mouvement aussitôt descendant, sans point de chute, sans trêve ni achèvement. Seul le sens des mots et cette descente comme suspendue retiennent l’attention du narrateur. La métaphore filée de l’eau qui s’écoule de la Terre n’est pas explorée et semble mimer le suspens. Martin s’attarde sur cette parole sur l’enfance qui se refuse au sujet qui la parle. Livrée à l’autre, cette émanation du corps qu’est la voix se fait le signe d’une insoumission de celle-ci au sujet qui l’énonce. Cette infidélité est également observée chez l’interlocuteur à la fin du roman : « elle me dit d’une voix froide, détachée, comme intérieure : […]. » (III, 1, p. 212) et « Sa voix était sans expression, comme éteinte, indifférente. » (III, 3, p. 230). Martin est ici sensible aux inflexions. Dans ces deux notations, leurs caractéristiques sont martelées en un rythme ternaire. L’adjectif « détachée » trouve un écho dans

le complément de manière « sans expression » : la voix est infidèle à celui, à celle qui l’émet. La voix semble sourdre du corps de l’autre pour ne pas en sortir. Dans ces trois extraits, elle signe l’enfermement sans fin de l’être en soi. Le goutte à goutte de la parole tellurique, voire souterraine, s’associe à l’inflexion « froide », « comme intérieure », puis « éteinte » et monocorde d’un dire-crypte. Le locuteur ne cesse d’être absent pour l’autre à qui la parole est destinée et demeure replié dans son secret. Le secret n’est pas étranger à ces autres émissions de voix que sont les éclats de rires d’Anne-Sylvie, dans Le Bleu des vitraux. Ces explosions de joie, de rage de vivre, sont perçues comme une mascarade, l’apanage d’un rôle de théâtre : « les échos de ce rire bouffon » lit-on page 120. « [P]rovoquant et libre », ce rire fait contraste avec les rites et les interdits qui règnent sur le domaine de Salazie. Le narrateur prête à cette exultation sonore le pouvoir de tuer la mort dans le passé comme dans le présent : « […] comme, à l’époque, il avait entraîné l’effondrement de cet autre monument funéraire qu’était la vie dans la famille Toulec », elle « fait exploser les planches » du cercueil d’Anne-Sylvie, dans la rêverie de Yann, durant les obsèques de sa mère. Le choix libre du jeu, dont ce rire n’est que l’un des aspects, a causé la chute de l’univers des Toulec. Dans l’esprit de Yann, la rêverie s’associe au souvenir comme pour les maintenir, là encore, en suspens : « […] j’écoutais rebondir sans fin […] » (p. 119). Là encore, l’émission de voix ne connaît pas d’achèvement et le silence s’associe la résonance pour faire place au secret. Mais ce rire qui tue la mort, « dément » (p. 118), est très vite « étouffé » par les « mots de poussière sèche » de la « douairière noire » (p. 120). La voix de la grand-mère de Yannou est aussi métonymique du personnage que le rire pour Anne-Sylvie. Dès la cinquième séquence du roman, le narrateur rappelle une scène maintes fois répétée, comme l’indique le présent de narration : « Il reste cette voix derrière moi, qui appelle inlassablement « Yannou ! Yannou ! », et qui se rapproche de moi à travers les couloirs de la maison, obsédante et

menaçante comme l’avertissement de la crécelle du lépreux. » (p. 55 ; nous soulignons). La voix

précède l’entrée en scène de la Veuve Noire. Ce mouvement descendant des modulations qui fondent sur l’enfant demeure dans toute son actualité dans le souvenir du narrateur-personnage

devenu adulte, ainsi qu’en témoigne la combinaison de l’allitération et de l’assonance de nasales avec l’allitération de fricatives. Le mouvement descendant est parachevé par l’identification de la voix à la « crécelle du lépreux ». Dès l’antiquité, le malade annonçait son approche aux valides en agitant cet instrument, afin de les préserver de toute contagion et de leur demander l’aumône. La littérature s’est très tôt emparée du personnage du lépreux pour en faire, à l’instar de l’aveugle,

une figure annonciatrice de maux, voire d’une déchéance105. La voix qui appelle l’enfant en

redoublant son prénom « Yannou ! » retentit comme un message maléfique. Dans sa bouche, l’énoncé du prénom, qui désigne celui qui doit répondre, est ressenti comme un danger par l’enfant. Cette voix intervient comme une chute dans les rituels de jeux de l’enfant et introduit dans son univers le mystère de la nomination.

La chevelure est aussi émissaire d’un secret qui s’exhibe et se refuse. Yannou grave en son esprit les « boucles » de Lise. Fasciné, il leur attribue le pouvoir de contaminer de leur noirceur l’espace autour d’eux : « Lise […] aux boucles qui épaississent l’ombre comme un rideau tombé. » (p. 140). L’obscurité épaissie devient tangible, mais l’image du « rideau tombé » rappelle l’inaccessibilité de l’autre, l’enfermement imparable de Lise dans son secret. Cet instantané fait écho aux vers baudelairiens :

« Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse

Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; […] ».106

L’eau noire caractérise également Jeanne de la lagune : « Rejetée en arrière, sa chevelure flottait comme une flamme noire. » (p. 44). L’oxymore de la lumière obscure (« flamme noire ») complète l’antithèse du feu liquide (« flottait, flamme »). La singularité de la chevelure ressortit aussi aux sensations contraires suscitées par le feu et l’eau et que suppose son contact. Elle n’est pas sans conférer un caractère surnaturel au génie des marais. Mais, la limpidité de la chevelure n’apparaît pas, dans cet extrait du Bleu des vitraux, au profit du thème du caché, du voilé introduit par le lexème « rideau ». Il semble que la chevelure aquatique soit réservée, dans l’univers lodsien, à la

105 Evoquons seulement ces exemples empruntés à la littérature française : Tristan et Iseut, de Béroul, Zadig, de Voltaire et Madame Bovary, de Gustave Flaubert, pour illustrer très sommairement le recours au motif à travers les âges. 106 Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « La Chevelure », Paris, Garnier Flammarion, p. 75-76.

blondeur. Elle est l’apanage de la féminité d’Eléonore, dans La Morte Saison. Dès l’incipit du roman, la manifestation de la jeune fille prend un caractère ophélien107 : « Ce matin-là comme tous les autres il y avait une morte dans l’étang. ». Martin poursuit ainsi sa rêverie : « Je saisis la morte par sa longue chevelure blonde qui traînait derrière elle comme une plante d’eau. » (I, 1, p. 13). Cette algue féminine n’est tangible que dans le rêve et dans le fantasme. Elle se donne sinon à un autre : « La chevelure blonde d’Eléonore flottait derrière elle et venait parfois glisser comme une caresse sur les épaules et le dos de Patrice. » (I, 11, p. 73). Alliance de l’air et de l’eau, elle est effleurée autant qu’elle frôle en descendant le long du dos du rival de Martin, du moins est-ce ainsi que ce dernier perçoit de son œil jaloux cette séquence du passé. Souverain, le cheveu blond prend ici un aspect tentaculaire qui exauce ou trahit les désirs de l’être qui les porte. Cette image d’Eléonore semble gravée dans la mémoire du narrateur, car, elle revient le hanter à la fin du roman : « Les boucles d’Eléonore étaient encore plus dorées que d’habitude sous les derniers rayons du soleil, et formaient comme une fumée fragile et floue sur l’épaule de Patrice. » (II, 3, p. 140). Plus aérienne que limpide, la chevelure d’Eléonore reflète le feu solaire déclinant. A l’instar du feu du soleil couchant qui s’estompe, la chevelure a l’air de s’éteindre, puisque seule « une fumée » évanescente atteint Patrice. La chevelure rousse est au contraire dominée, comme l’indique la scène du salon de coiffure de Quelques jours à Lyon : « Il resta ensuite silencieux, les mains sur les cuisses, les coudes écartés, contemplant fixement les mèches qui tombaient l’une après l’autre comme des flocons. » (p. 202). La longue chevelure rousse d’Ivana subit les assauts des ciseaux sous les yeux de Romain qui s’était investi de la mission de façonner à son idée la féminité de la jeune Tchèque. Comme l’indique le terme « mèches », la chevelure a perdu son unité, de même que sa limpidité devient solide en tombant sur le sol (« flocons »). Si le visage s’en trouve dégagé, la laque y dépose « un voile qui accentua leur éclat écureuil ». Ainsi ordonnés, les