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Le savoir d’expérience des enseignants

Dans le document UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE (Page 122-125)

Tâche didactique de l’enseignant

Chapitre 4 Les savoirs de l’enseignant

2. Le savoir d’expérience des enseignants

Pour G. Mialaret, « tout action produit un savoir », ainsi « l’enseignant acquiert ce que l’on appelle de l’expérience ». Expérience qu’il définit comme « ensemble d’informations, et de connaissances, d’attitudes acquises par un individu au cours de son existence par l’observation spontanée de la réalité et de ses pratiques, le tout intégré progressivement à sa personnalité » (Mialaret, 1996, p. 165). C’est le fait que ces éléments soient intériorisés et donc très liés à l’individu qui conduit M. Weiser à se demander si l’on peut encore parler de savoirs « peut-on dans ce cas parler encore de savoirs, s’il est impossible à chaque fois de les disjoindre du praticien qui les a élaborés et adoptés ? Ils ne sont pas le fruit d’une transmission, mais d’une appropriation et d’une production ; ils sont liés à l’acteur professionnel, mais aussi à sa personne » (Weiser, 1998, p. 95). Toutefois, au-delà de cette interrogation, on constate que la notion de « savoir d’expérience » – sous des appellations parfois différentes – est présente dans la plupart des typologies. Pour en préciser les principales caractéristiques nous empruntons largement au travail de synthèse de Tardif et Lessard à ce sujet.

2.1 Les caractéristiques du savoir d’expérience

Le savoir d’expérience est un « savoir ouvragé ». Pour ces deux auteurs, la connaissance professionnelle des enseignants doit se comprendre en relation étroite à leur travail dans l’école et dans la classe. Ils proposent la notion de « connaissance ouvragée » (Working Knowledge) pour qualifier ce type de connaissance. Cette notion permet d’insister sur la relation entre le travailleur et sa situation de travail. Une telle connaissance, est « façonnée par le travailleur », elle prend « son sens et sa pertinence dans et par le travail » (Tardif & Lessard, 1999, p. 366). Pour ces auteurs, cette notion remplit deux fonctions. Elle vise à lier organiquement la connaissance professionnelle à la personne du travailleur et à son travail. Elle signifie que la connaissance professionnelle de l’enseignant porte les marques de son travail, qu’elle n’est pas seulement utilisée comme un moyen dans le travail, mais qu’elle est produite, façonnée dans et par le travail. Dire que le savoir d’expérience est un « savoir ouvragé », signifie que ce type de savoir est intimement lié à l’exercice du métier, qu’il est mobilisé mais aussi construit dans la pratique professionnelle, par un enseignant.

Le savoir d’expérience est un « savoir pratique », « au service de l’action ». Il est utilisé par l’enseignant en fonction de la pertinence que celui-ci lui confère par rapport aux tâches inhérentes à l’exercice de son métier.

C’est également un « savoir interactif », c'est-à-dire mobilisé et façonné dans le cadre d’interactions entre l’enseignant et les autres acteurs (collègues, élèves, corps d’inspection, parents, etc.). Le savoir d’expérience est « en quelque sorte au centre de plusieurs sources de connaissances provenant de la société, de l’institution scolaire, des autres acteurs éducatifs, des universités etc. » (ibid., p. 369). A ce caractère interactif s’ajoute une forte dimension sociale car « les rapports des enseignants à ces connaissances instaurent en même temps des relations sociales aux groupes, aux organisations et acteurs qui les produisent. Pour la profession enseignante, le rapport cognitif au travail se double donc toujours en même temps d’un rapport sociologique : « les enseignants n’utilisent pas la

“ Connaissance en soi ” mais bien des connaissances produites par tel ou tel groupe, provenant de telle ou telle institution, intégrées au travail par tel ou tel mécanismes social (formation, curriculums, outils de travail, etc.) » (ibid., p. 370).

Tardif et Lessard ajoutent que ce savoir est aussi « complexe, pluriel, composite et hétérogène », autant d’attributs qui expriment le fait que ce savoir « met en œuvre, dans l’exercice même du travail, des connaissances et des savoir-faire très divers, provenant de sources variées et dont on peut supposer qu’ils sont aussi de nature différente » (ibid., p.

369). De plus, ces caractéristiques tiennent également à ce qu’il repose « non sur une base de connaissance unifiée, cohérente, mais sur plusieurs connaissances et savoir-faire qui sont mobilisés et utilisés en fonction des contextes variables et contingent de la pratique professionnelle » (ibid., p. 402). Enfin, son hétérogénéité résulte aussi, des « sources diverses, des lieux variés, et, des moments différents » dans lesquels ces connaissances et savoir-faire sont acquis par l’enseignant.

Ainsi, le savoir d’expérience constitue une combinaison d’éléments peu cohérente.

Pour cette raison, Tardif et Lessard le qualifient de savoir syncrétique, pour signifier qu’il

« serait vain de chercher une cohérence théorique, même superficielle, dans cet ensemble de connaissances et de savoir-faire » (ibid., p. 369).

Enfin, le savoir d’expérience est « existentiel, c'est-à-dire lié à l’expérience au travail

aussi un savoir social, construit par le praticien « en interaction avec diverses sources sociales de connaissances, de compétences » (ibid., p. 403).

2.2 L’expérience et la hiérarchisation des connaissances

Le savoir d’expérience se constitue dans et par l’activité professionnelle à partir de sources diverses. Cette diversité des sources de connaissances pose le problème de « leur unification et de leur recomposition par et dans le travail » (ibid., p. 370).

A l’aune de l’activité professionnelle, toutes les connaissances qui constituent le savoir d’expérience ne sont pas nécessairement à égalité. Selon Tardif et Lessard, les enseignants « ont en effet nettement tendance à hiérarchiser leurs connaissances en fonction de leur utilité dans l’enseignement. Moins une connaissance est utilisable dans le travail, moins elle semble avoir de valeur professionnelle. De ce point de vue, les connaissances issues de l’expérience quotidienne du travail semblent les fondements de la pratique du métier et de la compétence professionnelle » (ibid., p. 370). De ce fait, il est possible de considérer que le savoir d’expérience qu’ils définissent « comme un ensemble de connaissances actualisées, acquises et requises dans le cadre de la pratique du métier » (ibid., p. 370), est au cœur de la professionnalité des enseignants.

Pour ces deux auteurs, l’exercice du métier est source d’apprentissages, et donc de savoirs. Le travail au quotidien « apparaît comme un processus d’apprentissage à travers lequel les enseignants retraduisent leur formation antérieure et l’ajustent aux conditions du métier et cela, en éliminant ce qui leur semble inutilement abstrait ou sans rapport à la réalité vécue et en conservant ce qui peut leur servir d’une façon ou d’une autre» (ibid., p.

371). Pour et dans l’activité professionnelle les savoirs « extérieurs » à l’enseignant sont donc « retraduits », transformés ; ils sont soumis à la « jurisprudence privée » construite peu à peu par l’enseignant « au fil des ans et au gré des essais et des erreurs » (Gauthier, Desbiens, Malo, Martineau & Simard, 1997, p. 136).

L’expérience du travail joue donc un rôle fondamental dans l’édification de la connaissance des enseignants, c’est à partir de son expérience professionnelle que l’enseignant « évalue » la pertinence des autres savoirs ; ainsi, « les connaissances issues de l’expérience du métier servent d’assise aux autres connaissances, puisque c’est à partir de l’expérience que ces dernières sont évaluées et utilisées dans le travail » (Tardif et Lessard, 1999, p. 371-372). De ce fait, pour les enseignants, « les relations aux

connaissances ne sont jamais strictement des rapports cognitifs ; elles sont médiatisées par le travail qui leur fournit des principes de hiérarchisation des connaissances utilisables pour affronter et solutionner les situations quotidiennes » (ibid., p. 372).

De par ses caractéristiques, on peut considérer que le savoir d’expérience, offre à chaque enseignant dans l’exercice de son métier, un ensemble de connaissances éprouvées par la pratique professionnelle. Ces connaissances lui permettent d’accomplir de façon efficace, à ses yeux, son métier. Ainsi, le savoir d’expérience serait au cœur de la professionnalité des enseignants. Chercher à en préciser la nature et aussi la façon dont il intervient dans la conception et la mise en œuvre de situations d’enseignement-apprentissage, pour des enseignants polyvalents de l’école primaire, s’inscrit donc dans notre perspective de recherche.

Le savoir d’expérience n’est donc pas un savoir parmi d’autres. Au contraire, il est construit par l’enseignant à partir de tous les autres savoirs, qu’il « retraduit »,

« transforme », dans et par sa pratique professionnelle. C’est une forme de savoir qui résulte « d’une intériorisation de l’extériorité » (Bourdieu, cité par Mialaret, 1996, p. 165).

Si dans la pratique professionnelle, l’ensemble des savoirs fait l’objet de

« transformations » nous portons tout particulièrement notre attention sur ceux qui sont liées au processus d’enseignement-apprentissage de contenus liés aux différentes matières à enseigner à l’école élémentaire.

Dans le document UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE (Page 122-125)