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L’activité professionnelle dans le cadre de l’analyse du travail

Dans le document UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE (Page 63-68)

Chapitre 2 Pratiques enseignantes

1. Penser les pratiques professionnelles

1.3 L’activité professionnelle dans le cadre de l’analyse du travail

L’analyse du travail s’est développée, dans d’autres contextes professionnels que celui de l’enseignement, à partir des apports théoriques et méthodologiques de la psychologie du travail et de l’ergonomie. Ces deux disciplines prennent comme objet de recherche l’activité. C’est à partir de cette « entrée activité » qu’elles abordent le travail.

L’intérêt porté à l’activité ne signifie pas pour autant que seul « celui qui agit » soit objet d’attention. L’analyse du travail prend aussi en compte, d’une part, ce à quoi l’activité répond et, d’autre part, le contexte (matériel et social) dans lequel elle se déroule.

Dans un premier temps nous aborderons la distinction fondamentale, et quasi fondatrice de l’ergonomie, entre la tâche et l’activité. Nous présenterons ensuite les notions de métier, de genre et de style, telles qu’elles ont été construites par Y.Clot et de son équipe dans le cadre du CNAM. Propositions théoriques qui invitent à dépasser la description traditionnelle du travail entre prescrit et réalisé.

Travail, tâche et activité

Partant de l’analyse des situations de travail dans différents champs professionnels et des contraintes qu’elles imposent aux « sujets », l’ergonomie et la psychologie du travail ont formalisé la distinction entre la tâche et l’activité.

Dans la tradition francophone de l’ergonomie et de la psychologie du travail (Leplat

& Hoc, 1983), la tâche est « ce qui doit être fait ». Elle relève de la prescription. L’activité quant à elle correspond à « ce qui se fait ». Selon R. Amigues ce concept d’activité a été élaboré pour « poser la question de l’écart entre le travail prescrit et le travail réel » (Amigues, 2003, p. 8).

A partir des travaux de recherche qu’ils ont menés, Y.Clot et son équipe suggèrent de dépasser cette « définition » de l’activité en proposant d’aller au-delà. Ainsi, la notion d’activité ne se limite plus à « ce qui se fait », dans la mesure où, « ce qui se fait, que l'on peut considérer comme l'activité réalisée, n'est jamais que l'actualisation d'une des activités

Cette approche de l’activité réalisée, pensée comme actualisation dans la situation de travail de différents possibles, à comme conséquence théorique d’élargir la notion de réel de l’activité qui correspond aussi à « ce qui ne se fait pas, ce que l'on cherche à faire sans y parvenir — le drame des échecs — ce que l'on aurait voulu ou pu faire, ce que l'on pense pouvoir faire ailleurs. Il faut y ajouter — paradoxe fréquent — ce que l'on fait pour ne pas faire ce qui est à faire » (ibid., p. 2).

Cette position théorique conduit à préciser le couple travail prescrit / travail réel, en ajoutant la notion de travail réalisé. La notion de travail réel renvoie, dans le cadre d’une situation de travail, à l’ensemble des possibles. La notion de travail réalisé sera utilisée pour désigner l’actualisation, par un sujet, d’un possible dans une situation de travail donnée.

La tradition de l’analyse du travail identifie et pense l’écart entre ce qui relève du prescrit et ce qui relève du réel. Cela pourrait conduire à envisager la tâche et l’activité, comme deux termes séparés, « d’un côté la prescription sociale et de l’autre l’activité réelle ; d’un côté la tâche, de l’autre l’activité » (Clot & Faïta, 2000, p. 7-8). Une prise en compte trop superficielle de cet écart pourrait conduire à porter un regard normatif sur les pratiques professionnelles, à voir dans l’écart « défaut, incompréhension, incompétence, formation insuffisante » (Amigues, 2003, p. 9). Or, la conceptualisation de l’activité proposée en ergonomie et en psychologie du travail permet de voir, non plus un écart mais des « choix, compromis, incertitude, décision, prise de risque et investissement subjectif pour faire au mieux dans la tension entre le prescrit et le réel » (ibid., p. 9) et de fait, d’éviter le regard normatif.

Cette réflexion sur le concept d’activité se trouve prolongée dans le cadre de la conceptualisation du métier proposée par Y.Clot.

Métier, genre et style

Selon Y. Clot, un métier « n’est sûrement pas seulement une « pratique ». Ce n’est pas non plus seulement une activité. Et pas non plus, selon nous, une profession » (Clot, 2007, p. 86). Il propose de définir le métier comme, « une discordance créatrice – ou destructrice – entre les quatre instances en conflit d’une architecture foncièrement sociale.

Le métier au sens nous l’entendons est finalement à la fois irréductiblement personnel, interpersonnel, transpersonnel et impersonnel » (ibid., p. 86).

Clot précise ensuite le sens qu’il donne à ces différentes instances. Les deux premières sont très liées. « Personnel et interpersonnel, il l’est dans chaque situation singulière, d’abord comme activité réelle toujours exposée à l’inattendu. Sans destinataire l’activité perd son sens, c’est pourquoi, action située, adressée et, en un sens, non réitérable » (ibid., p. 86).

Le métier est l’affaire d’un individu confronté à des situations de travail singulières, par exemple l’enseignant dans sa classe. Mais sans « destinataire » l’activité professionnelle n’a pas de sens, l’enseignement sans les élèves de la classe n’a pas de sens.

Clot apporte également l’idée que l’action d’un professionnel, pour nous de l’enseignant dans sa classe, dans la mesure où elle est située et adressée, ne se répète pas à l’identique, elle est « non réitérable ».

Le métier est « transpersonnel puisque traversé par une histoire collective qui a franchi nombre de situations et disposé des sujets de générations différentes à répondre plus ou moins d’elle, d’une situation à l’autre, d’une époque à une autre » (ibid., p. 86).

Tout métier comporte donc une dimension collective, une histoire collective dont chaque

« praticien » est dépositaire, « l’histoire transpersonnelle du métier que chacun porte en soi est l’objet du “ métier au carré ” » (Ibid, p. 86). L’histoire collective est aussi une mémoire dans le sens où elle fournit des ressources pour l’action, elle « dessine la palette des gestes possibles et impossibles, fixe les frontières mouvantes du métier dans une sorte de clavier de sous-entendus sur lequel chacun peut jouer ; non seulement en choisissant tel geste mais aussi en élaguant tel autre » (ibid., p. 86).

Le métier est impersonnel, « cette fois sous l’angle de la tâche ou de la fonction définie. Cette dernière est, dans l’architecture de l’activité d’un travailleur, ce qui est nécessairement le plus décontextualisé. Mais, du coup, elle est justement ce qui tient le métier au-delà de chaque situation particulière, cristallisé dans l’organisation ou l’institution » (ibid., p. 86). Ainsi, la prescription est-elle « vitale » pour le métier, au-delà des partitions individuelles que peuvent jouer les « sujets », c’est la prescription qui assure la permanence du métier, c’est elle qui au-delà de la diversité des situations de travail toujours singulières et contingentes, confère au métier son unité. « Le métier passe donc aussi par la tâche prescrite. C’est elle qui le retient en le codifiant, loin de l’activité effective, comme modèle refroidi à décongeler par chacun et par tous, face au réel, à l’aide des attendus de l’histoire commune » (ibid., p. 86). Toute analyse de situations de travail

Les notions de genre et de style permettent à Clot et Fäita de conceptualiser la prise en charge à la fois collective et individuelle d’un métier.

C’est entre le travail prescrit et le travail réel, que ces auteurs installent le genre : « il y a donc entre le prescrit et le réel un troisième terme décisif que nous désignons comme le genre social du métier, le genre professionnel, c’est-à-dire les « obligations » que partagent ceux qui travaillent pour arriver à travailler, souvent malgré tout, parfois malgré l’organisation prescrite du travail » (Clot & Faïta, 2000, p. 9).

A partir de la notion de « genre » proposée par M. Bakhtine, dans un autre contexte pour penser les activités langagières, Clot et Faïta définissent le « genre profesionnel » comme « la partie sous-entendue de l’activité, ce que les travailleurs d’un milieu donné connaissent et voient, attendent et reconnaissent, apprécient ou redoutent ». Le genre est aussi « ce qui leur est commun et qui les réunit sous des conditions réelles de vie; ce qu’ils savent devoir faire grâce à une communauté d’évaluations présupposées, sans qu’il soit nécessaire de respécifier la tâche chaque fois qu’elle se présente. C’est comme “ un mot de passe ” connu seulement de ceux qui appartiennent au même horizon social et professionnel » et ils ajoutent qu’« on pourrait écrire qu’il est “ l’âme sociale ” de l’activité » (ibid., p. 11). Le genre tel qu’il est défini, est la dimension transpersonnelle du métier.

Pour le praticien, le genre est une mémoire impersonnelle et collective. Dans un milieu de travail donné – l’enseignement dans notre cas – cette mémoire sociale constitue

« un répertoire des actes convenus ou déplacés que l’histoire de ce milieu a retenus » (ibid., p. 12) ; c’est ce qu’il est possible de faire ou ce qu’il n’est pas concevable de faire lorsqu’on est « du métier ». Cette histoire fixe « les attendus du genre », qui « permettent de supporter – à tous les sens du terme – les inattendus du réel » (ibid., p. 13). Le genre est donc, « un stock de “ mises en actes ”, de “ mises en mots ”, mais aussi de conceptualisations pragmatiques, prêts à servir », « un ensemble de conventions d’action pour agir », qui « sont à la fois des contraintes et des ressources » (ibid., p. 13) pour l’individu dans son milieu professionnel.

Le genre joue un rôle clé dans l’exercice d’un métier. Sans l’existence d’un « genre professionnel », alors l’exercice individuel du métier devient difficile, « sans la ressource de ces formes communes de la vie professionnelle, on assiste à un dérèglement de l’action individuelle, à une “ chute ” du pouvoir d’action et de la tension vitale du collectif, à une perte d’efficacité du travail » (ibid., p. 9). De même, la déstabilisation du genre

professionnel complique l’exercice du métier, « l’existence de ces genres, […] , est extrêmement malmenée dans les organisations contemporaines. […]. L’exercice des métiers s’en voit considérablement compliqué, impossible qu’il est alors de s’accorder sur des obligations partagées pour travailler, impossible de “ s’entendre ” » (ibid., p. 13).

Les genres professionnels peuvent être considérés comme une norme dans les milieux professionnels considérés qui fixent le champ des possibles dans l’exercice d’un métier : « Ils marquent l’appartenance à un groupe et orientent l’action en lui offrant, en dehors d’elle, une forme sociale qui la représente, la précède, la préfigure, et, du coup, la signifie. Ils désignent des faisabilités tramées dans des façons de voir et d’agir sur le monde considérées comme justes dans le groupe des pairs à un moment donné » (ibid., p.

14). Ils sont aussi, pour l’individu au travail, ce qui permet de juger de la pertinence de leur action. « C’est à travers lui que les travailleurs s’estiment et se jugent mutuellement, que chacun d’eux évalue sa propre action » (ibid. p. 14).

Le genre professionnel organise les attributions et les obligations d’un groupe professionnel donné à un moment de son histoire au-delà de la subjectivité des individus qui les assument. En cela, il définit, pour un individu engagé dans une activité professionnelle, le champ des possibles ; c’est le « diapason professionnel » selon la formule de Clot et Faïta. Dans cette perspective, on peut se demander si les transformations des contextes professionnels des enseignants du premier degré présentées précédemment ne sont pas à l’origine d’une désorganisation du genre professionnel « enseignant à l’école élémentaire », ce qui mettrait aujourd’hui chaque enseignant face à une situation difficile dans le quotidien de la classe. Comment dans le quotidien de la classe, le métier (dans le sens où le définit Y. Clot) est-il mis en œuvre ?

Pour penser cette dimension subjective du métier, sa mise en œuvre dans le quotidien du travail, Y. Clot et D. Faïta proposent la notion de « style ».

Ainsi, c’est dans le quotidien de l’action professionnelle, dans les tensions entre la tâche et la situation de travail vécue par l’individu que se construit le style. Si le genre professionnel est collectif, le style est l’instance personnelle du métier. Il est constitué de retouches et d’ajustements opérés par un individu pour faire face aux exigences de l’action,

« chaque sujet interpose entre lui et le genre collectif qu’il mobilise ses propres retouches du genre. Le style peut donc être défini comme une métamorphose du genre en cours

Par l’individu, dans la situation de travail, le style donne corps au genre qu’il incarne et qu’il contribue également à forger. Il n’y a donc pas une opposition entre le genre et le style mais au contraire une étroite dépendance et une réélaboration permanente de l’un et de l’autre, de l’un par l’autre, « le style participe du genre auquel il fournit son allure. Les styles sont le retravail des genres en situation, et les genres, du coup, le contraire d’états fixes. Mieux, il sont toujours inachevés. Même si le genre est réitérable dans chaque situation de travail, il ne prend sa forme achevée que dans les traits particuliers, contingents, uniques et non réitérables qui définissent chaque situation vécue » (ibid., p.

15).

Dans cette perspective chaque individu est détenteur de la dimension collective du métier qu’il exerce, c’est le genre professionnel. C’est ce qui fait que l’on pourra dire qu’il est du métier. Dans la situation de travail, le style est la façon dont l’individu interprète le genre. On dira de lui qu’il fait le métier. Puisque les styles sont des variations sur une partition commune, il semble possible à partir de la caractérisation de ces derniers de contribuer à une mise en lumière du genre professionnel pour une activité donnée.

Ces différentes conceptualisations des pratiques professionnelles ont généralement été élaborées dans des champs professionnels autres que celui de l’enseignement.

Toutefois, c’est dans ces conceptualisations que les chercheurs qui prennent pour objet d’étude les pratiques enseignantes puisent bien souvent leurs référents théoriques. Ces emprunts à des horizons différents contribuent à structurer différents courants de recherche qui conduisent à des approches différentes des pratiques enseignantes.

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