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La polyvalence des enseignants du premier degré : une notion polysémique

Dans le document UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE (Page 88-93)

Tâche didactique de l’enseignant

Chapitre 3 La polyvalence des enseignants

1. La polyvalence des enseignants du premier degré : une notion polysémique

Dans le dictionnaire Le Petit Robert, la polyvalence est définie comme étant le

« caractère de ce qui est polyvalent », c’est donc un état qui, toujours selon le même dictionnaire, correspond à une situation dans laquelle un objet ou une personne « a plusieurs fonctions, plusieurs activités différentes ». Dans ce sens le caractère polyvalent s’oppose à la spécialisation professionnelle. Cette signification, dans le champ de l’école primaire pourrait s’appliquer lorsque l’on prend en considération les différentes tâches ou missions que doivent assumer les enseignants aujourd’hui : enseignement, éducation, relations avec les familles, avec les partenaires extérieurs etc.. Cette première approche de la polyvalence, reste toutefois très générale et doit être précisée.

Le dictionnaire de la langue française propose une définition qui se rapporte directement à la situation des enseignants. Dans cet ouvrage, le professeur polyvalent y est défini comme : « un professeur qui enseigne plusieurs disciplines relevant de spécialités différentes » (Dictionnaire de la langue française du XIXe et XXe siècle, t.13, Gallimard

1988, p. 743). A la différence de la définition précédente, il n’est plus fait référence à des activités variées, mais à une situation professionnelle qui conduit un professeur à enseigner plusieurs disciplines. Une telle définition peut tout à la fois désigner un enseignant de lycée professionnel qui a en charge, par exemple, le français, la géographie et l’histoire, comme elle peut tout autant se rapporter à l’enseignant de l’école primaire.

Reprenant la même idée les auteurs du Dictionnaire de Pédagogie (Bordas, 1996) insistent sur le fait que seules quelques catégories d’enseignants peuvent être qualifiées d’enseignants polyvalents : « Seuls les instituteurs, les professeurs des écoles, les professeurs des ex-collèges d’enseignement général (CEG) qui succédaient aux cours complémentaires et certains professeurs de lycées professionnels peuvent être dits être, ou avoir été, polyvalents » (Dictionnaire de Pédagogie, p. 225). Ainsi, si certaines disciplines sont traditionnellement associées dans l’enseignement secondaire, comme par exemple l’histoire et la géographie ou la physique et la chimie, etc., et si leur enseignement est confié à un professeur unique, ces enseignants ne sont pas qualifiés pour autant de polyvalents. Cela prouve que « la notion de polyvalence est associée essentiellement à des structures d’enseignement, et non à des groupements traditionnels ou occasionnels de nécessité » (ibid., p. 226).

Il est également possible d’envisager la polyvalence comme une condition nécessaire aux apprentissages des élèves de l’école primaire. C’est ainsi que l’Inspection générale de l’Education Nationale définit la polyvalence comme, « la maîtrise par un maître unique des procédures d’enseignement et des techniques d’évaluation, telles qu’elles permettent, conformément aux programmes de l’ école primaire, la construction cohérente des compétences disciplinaires et transversales attendues des élèves » (Bouchez, 1997, p. 70).

Si cette définition représente un enrichissement du sens attribué à la notion de polyvalence, elle est, à la différence des définitions précédentes, « saturée de significations relevant de registres différents puisqu’on y trouve tout aussi bien : la question de la maîtrise des contenus et celle des techniques d’apprentissage, le problème de la cohérence de ces apprentissages, ainsi que celui de la transversalité » (Baillat, 2001, p. 94).

Au vu de ces premiers éléments de définition, il convient donc de réserver l’usage du

devoir enseigner plusieurs disciplines. Cette première approche de la définition de la polyvalence reste relativement descriptive. D’autres auteurs proposent de nouvelles significations relatives à cette notion.

Dans l’article : « La polyvalence du maître à l’école primaire, archaïsme ou valeur d’actualité ? » (Deviterne, Prairat, Retornaz & Schmitt, 1999) les auteurs proposent de retenir « cinq sens » qui se rapportent à la notion de polyvalence. Chacun d’entre eux pouvant être considéré comme autant d’approfondissements de cette notion. Le schéma suivant reprend ces « cinq sens ».

Les « cinq sens » de la notion de polyvalence

- La pluridisciplinarité

« Dans son acception la plus commune, la polyvalence est la maîtrise didactisée, professionnelle, de l’ensemble des disciplines ou des domaines à aborder à l’école primaire. C’est la pluridisciplinarité qui caractérise en ce sens le maître du primaire, par opposition à la spécialisation, à l’expertise dans une discipline, dans le secondaire et le supérieur » (Deviterne, Prairat, Retornaz & Schmitt, 1999, p. 92). Ce premier sens est assez proche des définitions proposées jusqu’alors. Cette pluridisciplinarité pourrait être interprétée comme une esquisse de « pluri-spécialisation » ; des enseignants certes

« polyvalents mais pointus » (Dupuis, 2007, p. 30). Une telle approche de la polyvalence pose, pour les enseignants, la question de la maîtrise des différentes matières scolaires à enseigner.

- L’interdisciplinarité

« La polyvalence peut s’entendre comme la maîtrise des connexions à instaurer entre les disciplines.[…] La notion qui émerge est celle d’interdisciplinarité, qui permet de dépasser l’appréhension de la polyvalence comme simple juxtaposition de disciplines.[…].

POLYVALENCE Pluridisciplinarité

Interdisciplinarité

Poly-fonctionnalité Poly-intervention

Transdisciplinarité

Ces liaisons peuvent impliquer une polyvalence “ synchronique ” (“ aptitude à l’articulation des objets d’enseignement dans le cadre d’une même séquence ”) ou

“ diachronique ” (“ capacité à enchaîner de façon signifiante des séquences différentes ”) ; une polyvalence “ réactive ” (“ aptitude à saisir, sans intention préalable, les occasions d’articulations ”), ou “ proactive ” (“ construction préalable et délibérée de séquences interdisciplinaires, par exemple à partir d’un thème, d’une compétence, d’un projet ”) » (Deviterne, Prairat, Retornaz & Schmitt, 1999, p. 92).

Cette seconde signification enrichit fortement la notion de polyvalence en la reliant à la question des liens entre les disciplines. Question d’importance dans la mesure où l’interdisciplinarité est supposée permettre à l’enseignant de dépasser la juxtaposition des disciplines et aux élèves de dépasser les cloisonnements disciplinaires. De ce point de vue la polyvalence serait donc un poste de travail privilégié, qui permettrait à l’enseignant d’établir des « ponts » entre les disciplines. Toutefois, qu’elle soit « synchronique »,

« diachronique », « réactive » ou « proactive » la polyvalence ainsi conçue renvoie, elle aussi, à la maîtrise, à la connaissance, des matières scolaires. Elle requiert, en effet, de la part des maîtres une expertise de haut niveau dans toutes les disciplines condition indispensable à l’élaboration d’articulations entre disciplines.

- La transdisciplinarité

« La polyvalence peut être pensée comme une capacité de proposer des contenus, tâches et activités propres à développer chez l’élève des compétences transversales (compétences méthodologiques, attitudes sociales et intellectuelles, maîtrise des concepts de temps et d’espace)» (ibid., p. 93).

- La poly-fonctionnalité

Le sens que les auteurs donnent alors à la polyvalence est proche de la définition proposée dans Le Petit Robert par exemple, puisque pour eux : « on peut penser la polyvalence dans la perspective de ce que certains nomment la poly-fonctionnalité.

L’enseignant doit certes enseigner, mais il doit aussi éduquer. A côté de cette dualité essentielle des missions de l’école, on peut discerner une multiplicité de fonctions connexes assumées au quotidien par les maîtres » (ibid., p. 93). Ces deux significations, nous éloignent des disciplines à enseigner. Il est toutefois à noter qu’elles se rencontrent

fonctions à assurer en même temps, par exemple instruire et éduquer. La poly-fonctionnalité pourrait être, en quelque sorte, une constante dans les pratiques d’enseignement.

- La poly-intervention

« La polyvalence peut être comprise comme poly-intervention. D’une part, le maître polyvalent peut être appelé à intervenir à tous les niveaux du primaire,[…] ; d’autre part il doit être prêt à exercer dans des situations et auprès de populations ou d’individus fort hétérogènes, d’une école à l’autre, d’une classe à l’autre, ou au sein d’une même classe » (ibid., p. 93). Dans ce sens, il semble que le terme de polyvalence perde alors de sa pertinence.

Ainsi, de ces cinq sens, on peut retenir que les trois premiers renvoient aux pratiques d’enseignement et que les deux derniers relèvent plus de la diversité des activités possibles d’un enseignant au sein d’une école. Plus que de préciser la notion de polyvalence, ces différentes propositions en élargissent le champ d’utilisation. De plus, même si les auteurs font référence à l’école primaire, on peut considérer que les significations qui sont proposées semblent devoir ne pas se limiter aux seuls enseignants du premier degré. Tous les enseignants, qu’ils exercent dans le premier comme dans le second degré, peuvent connaître des conditions d’exercice du métier extrêmement variées : par exemple, un enseignant du second degré peut exercer de la classe de Sixième à celle de Terminale.

L’interdisciplinarité, comme la transdisciplinarité ne sont pas du domaine exclusif de l’enseignant du premier degré. Enfin, l’enseignant du second degré, ainsi que celui du supérieur connaissent aussi, au quotidien, la poly-fonctionnalité.

Au terme de ces réflexions à propos de la signification à donner à la notion de polyvalence, nous retenons que « La polyvalence dans le contexte de l’enseignement désigne un dispositif de travail caractérisé par l’obligation, pour un seul enseignant, d’assumer l’ensemble des disciplines ou matières proposées à un groupe d’élèves » (Baillat, 2001, p. 94). Il nous semble, en effet, que cette définition soit celle qui permette le mieux de spécifier le poste de travail de l’enseignant du premier degré, par rapport à ceux du second degré.

La polyvalence est donc une dimension incontournable du métier d’enseignant à l’école primaire. C’est dans ce cadre que se construit et s’exerce la professionnalité des

enseignants du premier degré. Loin d’être « naturelle », la polyvalence de l’enseignant de l’école primaire est une construction historique et sociale liée à l’évolution de l’école primaire française. Aussi, le « maître polyvalent » d’aujourd’hui, n’est que le lointain héritier de ses devanciers du XIXe siècle.

Dans le document UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE (Page 88-93)