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Chapitre 2. RECENSION DES ÉCRITS

2.2 Significations de la santé

2.2.2 La santé est liée à des facteurs socioculturels, économiques et historiques

2.2.2.1 La santé se construit au sein d'un univers de sens socioculturel

Selon les différentes recherches consultées sur la signification de la santé, nombreuses sont les personnes interrogées et les auteurs qui voient la santé comme étant subjective et reliée à l’expérience vécue plutôt que comme une entité quantifiable, objectivable et uniquement biologique. Comme le souligne Canguilhem (1966), c’est souvent la personne elle-même qui informe le médecin qu’elle a retrouvé la santé, après une évaluation bien personnelle de ses capacités de fonctionnement pour réaliser ses aspirations sociales. Canguilhem (1966) citant Jasper (1933) : « c’est l’appréciation des patients et des idées dominantes du milieu social plus que le jugement des médecins qui détermine ce qu’on appelle ''maladie'' » (p. 97).

Des sociologues et anthropologues, entre autres, voient la santé comme une construction sociale issue d’un cadre culturel et social donné et qui évolue dans le temps. Ainsi, tout comme la maladie, chaque société, génération, groupe socioculturel, individu donne un sens à la santé et en fait l’expérience différemment (Adam et Herzlich, 2007; Illich, 1975; Leininger, 1985). Notamment pour

l’infirmière et anthropologue Leininger (1984), la santé réfère aux croyances, valeurs et patrons qui sont culturellement appris par la personne, homme, femme, ou enfant, pour préserver et maintenir son bien-être et celui de son groupe, ainsi que pour remplir son rôle social. En ce sens, les forces des coutumes et des normes sociales peuvent peser très lourdement chez un individu puisqu’elles lui dictent des conduites ou du moins influencent ses croyances et pratiques liées à la santé.

Selon Antonovsky13, la santé est une façon d’être au monde qui ne se fait pas dans l’isolement des autres. D’après les travaux de ce dernier, la santé est holistique et ne peut se détacher de l’environnement social, il s'agit d’« un état, ou une condition de l’organisme humain avec plusieurs dimensions coexistantes » (Lindström et Eriksson, 2012, p. 10). Par exemple la santé, pour des personnes âgées, peut contribuer à donner un sens à leur vie en leur permettant de se sentir « utiles » et ainsi d’être heureuses et satisfaites de leur vie (Ebrahimi et al., 2012). Une participante à l’étude de Sointu (2006) sur la signification du bien-être et de la santé explique l’importance de l’environnement, des liens sociaux significatifs et du travail dans sa conception personnelle de la santé :

« je pense à la santé en termes de bien-être général. Par cela, ce que je veux dire c’est un bien-être dans ton corps et entre toi et les personnes significatives pour toi. Ainsi que toi et l’environnement dans lequel tu vis, qui inclut ton travail, peu importe quelle est ton occupation, la maison dans laquelle tu vis, le climat » (p. 335).

Aussi, pour certaines personnes, la religion et la spiritualité peuvent constituer des dimensions centrales de la santé. Des personnes âgées des Appalaches aux États-Unis conçoivent la santé comme une bénédiction de Dieu acquise grâce à la prière (Goins et al., 2011). Selon l’étude de Kral et al., (2011) auprès d’Autochtones Inuit du Nunavut, la santé est inséparable de leurs traditions, spiritualité, terre ancestrale, de la communauté, de nourriture traditionnelle et du cycle de la vie qui reposent sur l’interdépendance entre diverses formes de vie. Dieu est aussi identifié comme pouvant garder les personnes en santé comme le témoigne cette femme autochtone :

« je crois que ma foi va me soutenir et que lorsqu’Il sera prêt pour moi, je vais partir… parce que je mets mes mains dans les mains de Dieu et si Tu me veux, Tu me prends, et si Tu ne me veux pas, c’est bien, super! Je resterai un peu plus longtemps » (Canales, 2004, p. 420).

La santé humaine et l'humain lui-même dans la cosmogonie de plusieurs peuples autochtones sont en interrelation constante avec la nature et la « mère-terre » (Kingsley et al., 2013). Ainsi, perdre ses terres ancestrales, c'est perdre une partie de soi pour des Autochtones : cela constitue une attaque à leur intégrité et par le fait même à leur santé (Kingsley et al., 2013). Des dimensions spirituelles

13 Antonosky est décédé avant de publier tous ses travaux sur la salutogénèse. Lindström et Eriksson, 2012 ont

similaires associées à la santé sont soulevées par d'autres dont par des femmes des favelas du Brésil vivant en contexte de grande précarité sociale (Barrere Martin et Angelo, 1998), des femmes africaines américaines de statut socioéconomique défavorisé devant composer avec la pauvreté et l’exclusion sociale (Abrums, 2000), des personnes âgées en perte d’autonomie (Goins et al., 2011, Barrere Martin et Angelo, 1998) et des personnes dites de la « population générale » (Sointu, 2006). Les conditions de vie décentes et l'accès aux soins de santé sont synonymes de santé, notamment pour des femmes et mères des favelas du Brésil (Barrere Martin et Angelo 1998). Pour ces dernières, la santé est tributaire des conditions matérielles essentielles (telles l’eau potable, une alimentation nourrissante, l’accès à un médecin et aux soins de santé) et des moyens financiers ou autres pour accéder à ces conditions (Barrere Martin et Angelo 1998).

2.2.2.2 La santé est associée à des pratiques

Parmi les diverses études recensées, les pratiques individuelles ou collectives les plus couramment associées à la santé sont celles liées à l'alimentation et à l'activité physique et ceci indifféremment des groupes culturels ou des classes sociales (Herzlich, 1969; Bolam et al., 2003; Saltonstall, 1993 Sointu, 2006). Une femme interviewée dans le cadre de l'étude de Bolam et al. (2003) auprès de personnes de statut socioéconomique défavorisé, Joy 57 ans, résume bien les associations courantes entre la santé, l’activité physique et l’alimentation : « je suis en santé, je me garde en forme, et je mange bien » (Bolam et al., 2003, p. 25). Ces pratiques, le souligne Herzlich (1969), laissent transparaître des caractéristiques d'appartenances culturelles et sociales :

« la diversité des conduites individuelles prend alors son sens. Par là, l’hygiène perd son caractère de contrainte, d’imposée, elle devient choisie de commune à tous, individualisée, identifiée au mode de vie, elle se retrouve identifiée à la personne. Elle peut alors jouer son rôle de médiateur entre l’individu et son mode de vie » (p. 136).

Les conduites individuelles, nous dit l’anthropologie, relèvent de ce qui est appris socialement dans un contexte donné et prennent souvent l’allure de règles sociales. Selon Collière (2001), les conduites sociales et les conduites d'hygiène apprises dès l’enfance font partie des représentations sociales de la santé pour les personnes et les collectivités socioculturelles. Ainsi, la santé se traduit en des gestes qui deviennent des habitudes de vie. En outre, les expériences liées au corps ainsi que l’image corporelle sont influencées par des standards sociaux associés au genre, à la classe sociale ou à des dimensions socioculturelles telles que des valeurs prédominantes de la société que sont la performance ou la beauté (Bolam et al., 2003; Roy, 2002; Saltonstall, 1993). Par exemple, selon certaines valeurs occidentales, la minceur est associée à la santé tandis que l'obésité est davantage associée à la maladie. Par ailleurs, dans certaines communautés culturelles, notamment

chez des Autochtones du Québec, la minceur n’est pas nécessairement associée à la santé ni à la beauté, bien au contraire (Roy, 2002).

Il est intéressant de noter que la nourriture traditionnelle chez certaines personnes représente la santé tandis que la nourriture des autres représente davantage la maladie, entre autres, pour des Inuit du Nunavik (Kral et al., 2011) ou pour des femmes immigrantes (Weerasinghe et Mitchell, 2007). De même, les pratiques de médecine ou de guérison traditionnelles sont aussi fortement valorisées par divers groupes culturels. Dans l’étude de Canales (2004) des femmes autochtones incorporent des pratiques ancestrales et remèdes traditionnels (par ex. : herbes traditionnelles ou séances de transpiration) aux traitements de la médecine occidentale autant pour se maintenir en santé que pour éviter les maladies. Il faut trouver une harmonie entre le corps et l’esprit en mariant la médecine occidentale à leur médecine ancestrale. L’attitude se veut « d’autoguérison » comme l’explique cette participante :

« oh, il y a environ quatre semaines, j’ai trouvé cette bosse sous mon aisselle, le médecin m’a mis sous antibiotiques, et elle a disparu. Peut-être que c’était les antibiotiques, que je n’ai jamais terminés en passant, mais je sens que ça relève beaucoup de moi, l’autoguérison. Je veux dire, ce que je bois, ce que je mange. La prière…. » (Canales, 2004, p. 428)

Parmi les pratiques de santé les plus citées dans les divers écrits recensés sont celles de consulter un médecin ou un autre professionnel de la santé ou celle de faire les examens nécessaires pour sa santé ou de suivre les traitements et prescriptions médicales, et ce, pour plusieurs personnes, entre autres, qu’elles soient âgées (Goins et al., 2011), de statut socioéconomique défavorisé (Bolam et al., 2003), Autochtones (Canales, 2004) immigrantes russes aux États-Unis (Benisovich et King, 2003). Un homme âgé d’une autre étude (Goins et al., 2011) précise le lien étroit qu'il établit entre sa santé et les soins médicaux ainsi que sur l’information pour se tenir en santé :

« la santé, ça signifie des examens physiques réguliers et prendre tes médicaments qui sont prescrits. Aussi, tu es plus inquiet concernant ce que tu peux avoir alors tu pratiques la médecine préventive en prenant des suppléments. Tu lis et tu sais ce qui est la dernière… » (p. 17).

Selon les analyses interprétatives de divers auteurs, plusieurs personnes auraient intégré le discours d’autoresponsabilisation face à leur santé. Pour Foucault (1983) d’ailleurs, les individus sont appelés à « devenir leur propre médecin » avec l’émergence du souci de soi au sein de la modernité. Le souci de soi s’observe en outre chez l’individu par sa recherche grandissante de signes de pathologies et par sa quête de connaissances scientifiques visant à prévenir et traiter les maladies (Skrabanek, 1994; Sointu, 2006). On note d’ailleurs qu’au sein de la médecine des dernières décennies, la personne à traiter n’est plus vue comme passive, mais davantage active dans les soins, puisqu’on exige dorénavant de celle-ci qu’elle participe à son traitement (Skrabanek, 1994). Prenant

davantage conscience d’un idéal de santé, certaines personnes, du même coup, se rendent compte que la médecine à elle seule n’est pas un moyen suffisant. La « nouvelle médecine » met aussi de l’avant l'autoresponsabilisation et l'autodétermination des personnes quant aux gestes posés pour leur santé. De ce fait, selon Sointu (2006), la montée des thérapies alternatives des traitements « auto-prescrits » se situe au sein d’une reconceptualisation de la santé et de la maladie et d’une insatisfaction des personnes qui ne se sentent pas prises en compte dans leur globalité par les dispositifs de la médecine traditionnelle.

2.2.2.3 L’environnement social est imbriqué dans la santé subjective

Des auteurs de disciplines variées voient l'environnement social de la personne comme étant imbriqué dans la santé subjective. Selon Foucault (1976), la santé consiste en une « problématisation constante et détaillée de l’entourage » (p. 123). Cet environnement géographique, géopolitique, social ou physique est ainsi appréhendé dans sa capacité d’induire des changements positifs ou négatifs de santé chez la personne et il est essentiel de prendre en compte l’agencement et l’interférence de plusieurs facteurs environnementaux. Ainsi, Pörn (1993, dans Giroux, 2010) définit la santé comme étant la capacité d’une personne à réaliser ses buts face à deux relations fondamentales, l’une étant l’environnement et l’autre la relation à soi. Selon Pörn (1993, dans Giroux, 2010), « La santé est alors un concept intrinsèquement relationnel et composé de trois éléments fondamentaux à l’agent (plus précisément, sa capacité à agir), ses buts et son environnement » (p. 112).

Alors que les modes de vie et les environnements sont aussi représentés comme étant potentiellement toxiques (Herzlich, 1969), des personnes développent certaines accoutumances et s’adaptent en conservant la santé ou l'équilibre et d’autres au contraire « s’intoxiquent » de leur environnement et deviennent malades. La notion « d'intoxication » chez Herzlich (1969) diffère de la notion de « contamination » par un microbe. « L’intoxication » par son environnement et les modes de vie consiste en un lent processus sommatif cumulatif. Il s’agit du cumul d’attaques et d’invasions subies par l’individu (corps et esprit) dans des environnements qui incluent la pollution, le stress, l’exposition à la violence ou encore aux informations relayées par les médias souvent catastrophiques provenant des quatre coins du monde qui finissent par miner le moral (Herzlich, 1969). Comme déjà mentionné, cette intoxication est largement vue comme provenant de l’extérieur.

Par ailleurs, la cohésion sociale, et plusieurs études l’ont démontré, contribue au maintien de la santé psychologique et sociale des communautés (Campbell, 1999 dans Bolam et al., 2003). Se sentir appartenir et participer activement à une communauté fait partie d’une conception large de la santé pour certains individus, dont des personnes âgées de l’étude d’Ebrahimi et al. (2012) ou des femmes immigrantes de l’étude de Weerasinghe et Mitchell (2007).

Des personnes se représentent aussi la santé comme étant de l’ordre de l'autocontrôle sur sa vie et du contrôle de leur environnement. La santé serait aussi de l’ordre d’un état au sein duquel la personne peut donner un sens à sa vie et à la vie en général à l'intérieur d'un environnement social cohérent (Thompson et Gifford, 2000). Selon une étude auprès d’Inuit du Nunavik, la santé et le bien- être sont liés à la perception d'une cohésion dans un univers culturel qui permet la possibilité de pouvoir parler à quelqu’un de confiance, d’être près de la famille, des amis, de pouvoir aller chasser ou pêcher ensemble, de visiter les personnes âgées qui possèdent des connaissances et de la sagesse et qui peuvent aider les membres de la communauté (Kral et al., 2011). Comme le soulignent Thompson et Gifford (2000), qui ont réalisé une étude auprès d’Autochtones d’Australie atteints de diabète, ces derniers croient que le fait de ne pas être en équilibre avec sa famille, sa terre, son passé et sa communauté peut rendre une personne particulièrement susceptible à la maladie. Ces Autochtones australiens voyaient leur santé comme menacée par l’extérieur (Thompson et Gifford, 2000), tout comme les personnes ayant participé à l'étude d'Herzlich en France (1969). Il a déjà été nommé en effet que le déséquilibre ressenti au sein de la communauté serait lié à l’acculturation avec la modernité, soit par la nourriture occidentale et la rupture avec leurs modes de vie et d'alimentation traditionnelle. À titre d’exemple, le diabète est socialement représenté comme une menace provenant de l'extérieur à la communauté (Thompson et Gifford, 2000).

“Le diabète est vécu comme une maladie qui résulte d’un manque d’équilibre ressenti par les personnes dans leur vie de tous les jours et ceci renforce davantage le sentiment d’avoir peu de contrôle sur leur futur [...] le sucre passé d’une génération à la prochaine, le sucre qui a été introduit de l’extérieur pour briser les liens et les affinités pour donner un manque d’interrelation à la famille et à l’héritage du passé » (Thompson et Gifford, 2000, p. 1463).

Enfin, une communauté toute entière, et non seulement des individus, peut être perçue comme malade et comme souffrante ainsi que comme ayant le potentiel de provoquer des maladies et du mal-être chez les individus qui la composent (Thompson et Gifford, 2000). Par exemple, des gens d’une communauté autochtones voient leur communauté comme souffrante et source de maladie lorsqu’elle a subi plusieurs ruptures au sein des traditions et des liens familiaux, par exemple de nombreuses modifications de ses habitudes de vie avec la consommation d’alcool et d’aliments transformés ou lorsqu’elle abrite de nouvelles formes d’exclusion sociale et de violence (Thompson et Gifford, 2000). Remettant en question les modèles de facteurs de risques individuels des maladies, Thompson et Gifford (2000) montrent que leurs participants à l’étude font sens de leurs maladies et de leur santé à partir de leurs réseaux et de leur communauté d'appartenance.