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Chapitre 2. RECENSION DES ÉCRITS

2.1 L’offre de services de santé et de services sociaux

2.1.1 L’approche de réduction des méfaits

Puisque l'approche de réduction des méfaits imprègne les programmes de santé publique qui s’adressent aux personnes qui s’injectent des drogues au Québec, il est primordial de développer un peu sur son histoire et sur les principes et valeurs qui la sous-tendent. Ainsi, l’approche de réduction des méfaits a vu le jour dès 1920 en Angleterre, alors que les premiers médecins décidèrent, de façon pragmatique, de prescrire des médicaments opioïdes pour certaines personnes qui en étaient devenues dépendantes (surtout à la morphine à l’époque) dont des vétérans de retour de la Première Guerre

mondiale. La Hollande fut l’un des principaux précurseurs de la philosophie de la réduction des méfaits qui émergea en 1981 et qui marqua l’abandon de l’abstinence comme unique but d’intervention avec les personnes toxicomanes. Puis, sous la menace du VIH et des hépatites B et C, sont apparus, dans des pays européens, les premiers services à exigence bas seuil10 de méthadone ainsi que les premiers programmes d’échange de seringues en 1984 (Fallu et Brisson, 2013; Hilton et al., 2001;). Il faut aussi souligner qu’au départ, ce sont les usagers eux-mêmes qui se sont mobilisés pour défendre leurs droits et intérêts, dont à Rotterdam, avec le mouvement spontané d’usagers de drogue, le Junkiebond (Toufik, 1997). Leurs revendications du début des années 1980 sont devenues le fondement des politiques de réduction des méfaits en Hollande puis en Europe.

« Les Junkiebond sont des groupes d’usagers de drogues autoorganisés pour combattre la répression policière, la stigmatisation sociale, modifier la législation sur les drogues et enfin améliorer la qualité des services sanitaires et sociaux destinés aux toxicomanes » (Toufik, 1997, p. 127).

Au Canada, c’est à Vancouver, en 1950, qu’est prescrite pour la première fois la méthadone en guise de thérapie de substitution aux opioïdes (Hilton et al., 2001) aussi nommée traitement de la dépendance aux opioïdes (TDO). Vers la fin des années 1980, le Québec prit conscience que les toxicomanes usagers de drogues par injection étaient à risque d’infection par le VIH et le VHC. Des programmes d’« échange de seringues » firent leur apparition. Le premier programme fût instauré à Cactus Montréal en 1989, avec une offre de vaccination contre l’hépatite B et le dépistage des ITSS. Peu de temps après, l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) mettait en place des cohortes longitudinales de surveillance des ITSS chez les PUDI considérées comme étant un groupe épidémiologiquement parlant à haut risque (MSSS, 2009). Depuis, le Québec a vu naître plusieurs services dont le TDO, notamment avec de la méthadone, des centres de distribution de matériel d’injection et des services de proximité afin de joindre les personnes toxicomanes (MSSS, 2007). À ce jour, les principales interventions promues dans le cadre de l’approche de réduction des méfaits auprès des PUDI sont l'éducation sur l'usage plus sécuritaire de substances psychoactives; la distribution et la récupération de matériel d’injection (avant « programmes d'échanges de seringues11 ») (par ex. : seringues, filtres, eau stérile, comprimés d'acide ascorbique, tampons d'alcool, garrots), les services d’injection supervisée, la prévention des surdoses mortelles liées aux

10 Les services à exigence bas seuil consistent en des horaires d’ouverture adaptés, des consultations sur un

mode sans-rendez-vous et la non-exigence d’abstinence.

11 À leurs débuts, ces programmes d’« échange de seringues » avaient pour but de prévenir l’abandon de

seringues souillées dans les endroits publics et il était commun de refuser des seringues stériles à ceux qui ne rapportaient pas leurs seringues utilisées, en plus de rationner le nombre de seringues données. Aujourd’hui, le terme « échange de seringues » a été remplacé par « distribution de matériel d’injections » (Lévesque et al., 2001).

opioïdes avec la naloxone, le TDO (par ex. : méthadone, buprénorphine/naloxone, diacétylmorphine ou autres opioïdes); la vaccination contre l’hépatite A et B, la pneumonie pneumococcique, l'influenza, le tétanos et la diphtérie; le dépistage et le traitement des ITSS et tout particulièrement du VIH et du VHC. (Buxton et al., 2008; CDC, 2012; Altice et al., 2003; Fischer et al., 2016; Perreault et al., 2003; Strike et al., 2015). Il est à noter que les premiers services d'injection supervisée12 au Québec ont été inaugurés en mai 2017 à Montréal.

Ces dernières décennies, la réduction des méfaits est largement préconisée comme paradigme d'intervention dans plusieurs pays dont le Canada et se veut pragmatique et humaniste vers la réduction des effets néfastes induits par la consommation de drogues, tout en visant à la fois des bénéfices coûts/efficacité pour la société (Brisson, 1998; Massé, 2013). Plus spécifiquement, l’approche ou la philosophie de la réduction des méfaits vise l’accompagnement de la personne là où elle se trouve au niveau de sa consommation de drogue et d'alcool et ne vise pas nécessairement l’abstinence (Brisson, 1998; Fallu et Brisson, 2013). Elle tend davantage à humaniser la réponse sociale apportée aux PUDI en composant avec leurs forces et limites tout en remettant en question les valeurs sociales préconçues sur les drogues en général qui mènent à la répression, la stigmatisation et la moralisation (Hilton et al., 2001). Cette approche ne fait cependant pas l'unanimité, autant pour des considérations morales, politiques et idéologiques que des préoccupations de coûts/efficacité. Ainsi, la réduction des méfaits a été retirée en 2008 des politiques fédérales par le gouvernement canadien conservateur (Fallu et Brisson, 2013; Fischer et al., 2016) qui auparavant faisait partie des quatre piliers de l’intervention dans le domaine de l’usage de drogues avec la prévention, le traitement et la répression. Par ailleurs, les politiques progressistes du gouvernement fédéral en place depuis 2015 sont plus favorables à la réduction des méfaits comme en témoignent de nouveaux budgets pour accroître les services d'injection supervisée au Canada. Ceci pourrait signer une volte-face importante pour le Canada qui avait surtout, au cours des années précédentes, misé sur le renforcement des mesures répressives en matière de drogues, notamment avec l'alourdissement des peines carcérales (Fischer et al., 2016).

Malgré l'absence de consensus essentiellement politique, l'approche de réduction des méfaits en matière d'interventions auprès des PUDI est largement préconisée par plusieurs instances internationales, dont le United Nations General Assembly Special Session on Drugs (UNGASS) et l’OMS, et de réputation internationale, dont le Centers for Disease Control and Prevention [CDC]

12 « La notion de services d'injection supervisée désigne des espaces où l’injection de drogues illégales est

autorisée et supervisée par du personnel médical (le plus souvent)…le concept de lieu permettant l’injection supervisée fait référence à une régulation des entrées des personnes utilisatrices de drogues, à la supervision des injections, à l’éducation à l’injection sécuritaire, à la distribution de matériel d’injection stérile et à l’intervention médicale en cas de surdose » (Noël et al., 2009, p. 7).

aux États-Unis. En s’appuyant sur les recherches scientifiques, plusieurs groupes d'experts et décideurs à différents paliers gouvernementaux soutiennent que la réduction des méfaits serait l’approche la plus susceptible de produire des gains pour l'accroissement de l’utilisation des services de santé par des PUDI, l’entrée en traitement des dépendances ou la diminution de l’incidence des infections par le VIH ou VHC, ainsi que pour la réinsertion sociale des PUDI, particulièrement les plus marginalisées (Strike et al., 2011; Strike et al., 2013). Au Québec, plusieurs acteurs appuient les programmes qui incorporent la philosophie de réduction des méfaits à leurs interventions soit des instances nationales, des ordres professionnels ainsi que des organismes communautaires qui militent pour la défense des droits des personnes toxicomanes dont le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS), l’Association des intervenants en dépendances du Québec (AIDQ), l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), le Collège des médecins du Québec (CMQ), l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), l’Association Québécoise pour la Promotion de la Santé des personnes Utilisatrices de Drogues (AQPSUD) pour ne nommer que ceux- ci.

Plusieurs études ont été réalisées sur les différentes approches liées aux interventions en prévention et traitement des ITSS. En outre, les services à exigence bas seuil et les approches de proximité auprès des PUDI contribuent davantage que les services plus conventionnels offerts pour la population générale, à l’adoption de comportements plus sécuritaires liés aux ITSS, à l’entrée en traitement en dépendance des PUDI, ainsi qu’à la réduction de la transmission du VIH et du VHC chez les PUDI (Andersen et al., 1998; Copenhaver et al., 2006; Coyle et al., 1998; OMS et al., 2004). Les interventions d'éducation, de sensibilisation et de proximité menées par les pairs, soit par des PUDI elles-mêmes envers d’autres PUDI, sont aussi reconnues comme étant efficaces pour joindre et mobiliser les personnes les plus désaffiliées (Aggleton et al., 2005) et pour réduire les risques d'infections par le VIH et le VHC chez les PUDI (Newland et Treloar, 2013; OMS et al., 2004). L’intervention « de proximité » aussi nommée « outreach communautaire » est une stratégie pour joindre les personnes présentant des conditions de vulnérabilité là où elles se trouvent dans un but d’interventions spécifiques, particulièrement de prévention des ITSS (Booth et al., 1998; OMS et al., 2004; Trotter et al., 1996). Ainsi, le travail de proximité peut se faire dans la rue ou dans un milieu spécifique dont un organisme communautaire afin d’entrer en contact avec des personnes qui, autrement, n’accèderaient pas aux services de santé conventionnels (Bastien et al., 2000; Fontaine, 2006; Mueser et al., 2001). Dans ce sens, des auteurs estiment qu’il est crucial pour les usagers de drogues marginalisés d'avoir accès à des services à exigence bas seuilselon des heures de rendez- vous flexibles et dans des lieux fréquentés et offerts par des professionnels de la santé et autres

intervenants incluant des pairs aidants avec qui un lien de confiance est établi (Bertrand et al., 2015; Noël et al., 2007; Rew, 2003).

Hilton et al., (2001) ont réalisé une recherche afin d’identifier le rôle des infirmières de proximité ou de rue dans le cadre d’un projet visant la réduction du VIH et des ITSS à Vancouver dans un espace urbain très défavorisé. Cinq thèmes ont été identifiés : 1) rejoindre la clientèle marginalisée à haut risque pour le VIH et les ITSS; 2) établir et entretenir la confiance, le respect et le lien thérapeutique; 3) initier et implanter des activités de prévention, de dépistage et de traitements précoces avec des actes délégués; 4) négocier avec le système de santé et accompagner la personne vers les soins; 5) adopter un rôle politique en agissant comme un leader auprès des collègues et du système dans le but de les responsabiliser face à la clientèle et de défendre leurs droits. La réduction des méfaits implique donc un engagement des acteurs dans le développement de partenariats politiques pour des changements structurels dans la société dans une perspective de défense des droits (Briggs et al., 2009; Hilton et al., 2001). Ceci est d’autant plus important que l’application des politiques, de l’approche et de la philosophie de la réduction des méfaits n’est pas uniforme dans tous les programmes qui se réclament de ce paradigme. L'une des principales critiques repérées dans les écrits recensés est celle de services de réduction des méfaits confinés au domaine biomédical avec peu d’accent sur les volets de défense de droits et d'insertion ou de réinsertion sociales, qui pourtant font partie intégrante de cette philosophie de réduction des méfaits (Bourgois, 2002; Harris et Rhodes, 2011; Massé, 2009).

En effet, des auteurs dénoncent que la prévention des infections, par le biais notamment de l’éducation à la santé et de la distribution de matériel d’injection stérile, pourtant essentielle, soit l’unique but visé par la santé publique, qui finance d’ailleurs les services en réduction des méfaits (Haller et al., 2004; Laperrière et al., 2004; Paone, 2002; Rogers et Ruefli, 2004). Or, une méta- analyse, soit une recension systématique de 18 recensions systématiques des preuves sur l'efficacité de la distribution du matériel d'injection à réduire l'incidence du VIH et VHC, confirme que cette mesure est insuffisante à elle seule pour infléchir significativement l’ampleur de ces épidémies (Plamateer et al., 2010). Les effets sont trop infimes pour le moment pour conclure à l'efficacité des programmes de distribution de matériel d'injection pour réduire l'incidence du VHC (Palmateer et al., 2010). Toutefois, il y a des preuves modestes que la distribution de matériel d'injection aurait un impact sur la réduction du VIH chez les PUDI. Ces auteurs concluent qu'il est nécessaire de maintenir la distribution de matériel d'injection tout en tentant de mieux identifier les interventions complémentaires susceptibles de contribuer à la lutte à ces épidémies (Palmateer et al, 2010).

Allant dans le même sens que cette méta-analyse de Palmateer et al., (2010), des études démontrent que c'est davantage la combinaison d'interventions de réduction des méfaits qui contribue

à diminuer les risques d'infection par le VIH et le VHC chez les PUDI et non uniquement l’offre de matériel stérile d'injection sans autres interventions. Un exemple de combinaison d’interventions efficaces serait le TDO combiné à l'accessibilité au matériel d'injection stérile (Strike et al., 2015; Turner et al., 2011) ainsi qu’à des actions sur les causes structurelles du risque dans l'environnement social et politique notamment sur les Lois et politiques en matière de drogues ainsi que sur les services de santé et sociaux (Degenhardt et al., 2010; Rhodes, 2008). Outre cette première limite qui est celle d’une stratégie incomplète de réduction des méfaits, d'autres lacunes sont identifiées dans l’articulation de la philosophie de réduction des méfaits avec le système de santé en place. Plus précisément, l’approche de réduction des méfaits ne serait pas suffisamment comprise par plusieurs acteurs, les services de santé et sociaux sont peu intégrés entre eux afin d’offrir des soins globaux aux PUDI et on dénote des lacunes importantes au niveau des programmes d’intégration sociale des usagers (Gagnon, 2008; Gustafson, 2008; Noël et al., 2007; Pauly, 2005). Entre autres, l'approche globale de soin en est une qui est largement préconisée dans les interventions en santé auprès des PUDI.