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Chapitre 2. RECENSION DES ÉCRITS

2.4 Significations du prendre soin de soi et pratiques proactives de santé pour des usagers de

2.4.1 Cadre théorique

Un élément central au prendre soin de soi selon Foucault (1983) est la nécessité de développer une attention médicale envers soi et d’être critique envers les injonctions sociales et les prescriptions médicales qui touchent aux comportements, mœurs et habitudes. Dans ce sens, pendre soin de soi implique de ne pas se laisser pénétrer par des commandes extérieures sans examen, soit sans « contrôle médical » de soi envers soi (Foucault, 1983). Aussi, se connaître soi-même fait partie intégrante de prendre soin de soi et implique du temps et une réflexion sur soi : « Un travail sur soi, d’expérience de soi, est nécessaire pour éprouver le sens du discours et le faire mien » (Hilfiger, 2011). Cette alchimie, c’est la pensée même, un mouvement de soi vers un autre soi, « subjectivé ». « Penser, c’est donc (se) soigner. » (Hilfiger, 2011, p. 27) Foucault (1976) a soulevé que le souci de soi permet de s’inscrire dans le collectif, de devenir un citoyen critique, autonome et qui participe à son développement personnel, mais aussi au développement de la société par les échanges, les enseignements et le souci des autres. Plus que des gestes visant la survie et le bonheur d'un individu, prendre soin de soi est un geste politique et social qui n'est pas détaché du prendre soin des autres. Voilà ainsi comment le prendre soin de soi est compris dans ces dimensions larges et comment cette recension des écrits sur la signification du prendre soin de soi pour des personnes qui font usage de drogue par injection a été abordée.

En résumé, la section précédente a présenté cinq dimensions associées au prendre soin de soi : 1) le prendre soin de soi et l’émergence de l’individualisme depuis la Grèce Antique; 2) les injonctions sociales et les règles sociales liées au prendre soin de soi; 3) l'indissociabilité du prendre soin de soi et du prendre soin des autres et de son environnement, 4) prendre soin de soi est une attention à l’âme et à l’esprit; 5) prendre soin de soi est une attention au corps. Ainsi, selon ces analyses, prendre soin de soi est l’une des conditions du développement des sociétés et du politique et non uniquement un fondement des sociétés dites individualistes.

En prenant appui sur ce cadre de référence théorique, des analyses ont été réalisées afin de dégager dans les écrits les connaissances entourant la signification du prendre soin de soi pour des PUDI. Cette recension des différents écrits de disciplines variées avait aussi pour but de dégager des thèmes principaux reliés à l’expérience du prendre soin de soi pour des PUDI. Cette synthèse des

écrits visait également à décrire la façon dont le prendre soin de soi et les autosoins ont été problématisés par ces différents chercheurs (Barnett-Page et Thomas, 2009). Pour ce faire, une recherche documentaire a été effectuée entre janvier 2015 et mai 2016, sans restriction quant à la date de parution, dans différentes bases de données électroniques en anglais et en français (CINAHL ERUDIT, Google, Google Scholar, Érudit, Medline, PSYCHINFO, FRANCIS, PASCAL, Sciences direct, SCOPUS, SocIndex with full text, Thèses et dissertations, Web of science) ainsi que dans différentes bibliothèques universitaires et municipales. Les mots clés suivants ont été utilisés avec leurs synonymes en anglais contrôlés selon le système d’indexation de bases de données standard (thesaurus terms of data bases indexing systems): (« Inj* drug users » OR «IDU» OR «People who inject drugs » OR «drug abuse») AND («health practices», «self-care» OR «caring for self» OR «self- management» OR «taking care of self»). Aussi, certaines revues spécialisées ont été fouillées une par une et des courriels ont été échangés avec des auteurs clés afin d’obtenir des sources documentaires additionnelles.

Les articles scientifiques sélectionnés rapportent la perspective de PUDI au regard du prendre soin de soi et des pratiques proactives de santé. À noter que, considérant le peu d’études qui se soient attardées uniquement à des PUDI, soit quatre études, des études dont uniquement une partie des participants sont des PUDI ont été retenues. Tous révisés par des pairs, ces articles proviennent d’auteurs de disciplines variées. Ont été exclus les articles qui ne documentaient pas la perspective des participants; qui ne rapportaient pas de résultats primaires tels que des éditoriaux ou des lettres d’opinion; qui visaient surtout l’adhésion à un traitement spécifique, tel que le VIH; ou qui visaient exclusivement les pratiques de réduction des risques liées par exemple à l’utilisation de seringues stériles.

Sept articles révisés par les pairs ont été retenus pour cette recension. Toutes les études recensées explorent les perspectives de PUDI quant aux pratiques de santé et au prendre soin de soi. Quatre de celles-ci se sont déroulées aux États-Unis : Drumm et al., (2005) qui se sont penchés sur les pratiques proactives de santé chez des utilisateurs de drogues associés au monde de la rue incluant des PUDI; Duterte et al., (2001) qui ont réalisé une étude sur les pratiques liées à la santé avec des utilisateurs de drogues comparant les consommateurs de marijuana et un autre groupe de consommateurs qui incluait des PUDI; celle de Hobbs Leenerts, (2003) sur la signification du prendre soin de soi auprès de femmes incarcérées et vivant avec le VIH et dont plusieurs ont déjà consommé par injection; et finalement celle de Meylakhs et al., (2015) qui a porté sur la perspective des participants, tous des PUDI, pour comprendre ce qui fait, selon elles, qu'elles soient demeurées séronégatives au VIH et au VHC.

Deux études ont été réalisées en Australie : celle de Holt et Treolar (2008) sur les autosoins chez des PUDI présentant un trouble concomitant de santé mentale et celle d’Olsen et al., (2010) portant sur bien-être et la santé ainsi que les pratiques de santé à partir de données secondaires d’une étude sur l’accès aux différents services de santé pour des femmes UDI atteintes du VHC. Finalement, une étude canadienne de Roy et al. (2007) s’est penchée sur les pratiques de santé proactives chez les jeunes de la rue qui s’injectent des drogues et qui ont déjà eu une sérologie positive au VHC. Trois de ces études ont opté pour une approche sociale inspirée de l'interactionnisme symbolique en présentant les résultats selon des typologies d’expérience au regard des pratiques de santé et stratégies d’autosoins (Hobbs Leenerts, 2003; Meylakhs et al., 2015; Roy et al., 2007). Plus particulièrement, des études qui ont visé une compréhension des pratiques de santé et du prendre soin de soi, se dégagent surtout la complexité des vécus de leurs participants. Outre la description des pratiques, elles ont permis de mieux comprendre comment s'articule le prendre soin de soi et la relation que des PUDI établissent face à elles-mêmes et à leur environnement (Hobbs Leenerts, 2003; Holt et Treolar, 2008; Roy et al., 2007). En outre, les luttes quotidiennes sont présentées comme étant enracinées depuis les traumatismes de l’enfance, tels que l’inceste, l’abus ou l’abandon et le rapport problématique avec leurs propres émotions (Holt et Treolar, 2008). À l'inverse, avoir une relation positive avec soi-même et avec les autres amène à davantage prendre soin de soi. Cependant, les études qui ont reposé sur des analyses secondaires notamment sur les pratiques de santé (Drumm et al., 2005; Duterte et al., 2001; Olsen et al., 2012) ont moins permis d’explorer la perspective des participants. Ces dernières sont néanmoins précieuses compte tenu de la rareté des recherches réalisées sur la signification du prendre soin de soi pour des PUDI.

Enfin, la plupart des études ont cherché à mieux comprendre les pratiques proactives de santé et le prendre soin de soi auprès de participants recrutés sur des bases de diagnostics spécifiques dont le VIH (Hobbs Leenerts), le VHC (Roy et al., 2007; Olsen et al., (2010) ou une maladie mentale (Holt et Treolar, 2008). Également l’absence de diagnostic VIH ou VHC a aussi été étudiée pour comprendre comment des personnes avaient réussi à ne pas contracter ni l’une ou l’autre de ces infections (Meylakhs et al., 2015). Plusieurs de ces études se sont intéressées à des stratégies préventives reliées à l'utilisation des services pour un problème spécifique de santé ou à la réduction des risques (Drumm et al., 2005; Duterte et al., 2001; Meylakhs et al., 2015; Roy et al., 2007).

À l’issue de cette recension des écrits, il se dégage que la santé est une préoccupation centrale pour la plupart des participants à ces sept études. De plus, trois principaux thèmes ont été dégagés et ceux-ci touchent à la prévention des maladies, la promotion de la santé et à l’entretien du « soi social ». Ainsi, prendre soin de soi est essentiellement une lutte quotidienne pour : 1) réduire les

méfaits et contrôler sa consommation de substances psychoactives; 2) promouvoir, maintenir et retrouver sa santé; et 3) maintenir des rôles sociaux et une image respectable de soi.