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Chapitre 2. RECENSION DES ÉCRITS

2.4 Significations du prendre soin de soi et pratiques proactives de santé pour des usagers de

2.4.4 Maintenir un état d’esprit, des rôles sociaux et une image respectable de soi

2.4.4.1 Prendre soin de soi est une lutte quotidienne au sein d'un contexte structurel et social plus large

Les préoccupations financières sont souvent omniprésentes et directement reliées au prendre soin de soi. Les études soulèvent que leurs participants s'inquiètent constamment de manquer d'argent pour payer leur consommation, leur loyer ou pour subvenir aux besoins de leurs enfants (Meylakhs et al., 2015; Olsen et al., 2012). Les participantes à l'étude d'Olsen et al., (2012) dont plusieurs reçoivent de l'aide sociale perçoivent leur pauvreté comme un « problème de santé » plus important que celui d'être atteintes du virus de l'hépatite C. Des problèmes d'argent et de conditions matérielles viennent

teinter le discours des participants sur la santé et le prendre soin de soi. En effet, leurs préoccupations s'inscrivent dans des contextes de défavorisations socioculturels et socioéconomiques associées au revenu et à l'emploi, au logement et à la disponibilité de ressources variées (Meylakhs et al., 2015; Olsen et al., 2012; Roy et al., 2007;). D’ailleurs, toutes les participantes à l'étude de Hobbs Leenerts (2003) considèrent que leur enfance dans des milieux dysfonctionnels, pauvres et socialement défavorisés a affecté négativement les habiletés à prendre soin d’elles-mêmes tout au cours de la vie). Aussi, se maintenir en santé est pour certains usagers de drogues une lutte perpétuelle dans des situations de pauvreté, de marginalité sociale dont l'itinérance et l'incarcération (Hobbs Leenerts, 2003; Duterte et al., 2001; Olsen et al., 2012; Roy et al., 2007). Devoir se battre tous les jours pour maintenir une certaine stabilité économique, matérielle et relationnelle implique, selon Meylakhs et al. (2015) de devoir jongler avec plusieurs priorités, dont celles de se maintenir en santé, d'assurer un revenu régulier et de préserver des relations interpersonnelles significatives. En effet, les relations interpersonnelles constituent un filet de sécurité financière en cas d’incapacité à payer leur consommation, notamment afin d’éviter le sevrage.

2.4.4.2 Prendre soin de soi implique un dialogue avec soi et une attention à sa disposition d'esprit

Entretenir une relation avec soi-même est le principal thème lié au prendre soin de soi pour les femmes interviewées par Hobbs Leenerts (2003). Le mérite qu’on s’accorde incite au prendre soin de soi et à l'inverse, se sentir indigne mène à la négligence de soi. De plus, il s'agit pour les participants de Holt et Treolar (2008) de prévenir des états dépressifs, l'anxiété et le stress en se parlant, en tentant de demeurer positifs face à la vie et appliquant des techniques apprises au cours des thérapies en réadaptation en dépendance, dans les guides de croissance personnelle ou encore par des personnes de leur entourage.

Porter attention à son état d'esprit (« mind set ») est un autre thème associé au prendre soin de soi qui a notamment pour but d'éviter de sombrer dans un désespoir, de chasser des pensées négatives et dépressives et aussi de rehausser l'estime de soi en se tenant occupé (Meylakhs et al., 2015). Aussi, « se geler » (« get high ») a été soulevé comme une façon de tenir son esprit occupé et d'éviter de penser (Meylakhs et al., 2015; Holt et Treolar, 2008; Duterte et al., 2001). D'autres activités sont réalisées dans le but de « s’occuper l'esprit » telles que lire, cuisiner, nettoyer la maison, faire de l'exercice, prendre soin des enfants, rendre visite à des amis, le travail rémunéré ou volontaire (Duterte et al., 2001; Hobbs Leenerts, 2003; Holt et Treolar, 2008) ainsi que la relaxation, la méditation et la pratique d'une religion (Hobbs Leenerts, 2003). Ces thèmes ne sont pas sans rappeler les impératifs faits aux personnes en période hellénistique de s’occuper avec elles-mêmes, de prendre

du temps pour entretenir une relation avec soi (Foucault, 1976). L'introspection, la réflexion, l'attention à l'esprit et diverses activités dont la lecture, l'écriture, la relecture de notes personnelles écrites étaient à l'époque stoïcienne et hellénistique fortement encouragées, ceci afin de se valoriser comme personne et ne pas se faire imposer des règles de conduite (Foucault, 1976). En revanche, le souligne Maillard (2011) « l’attitude de dévalorisation de soi conduit au contraire à une négation systématique de la valeur de nos qualités et croyances et mène à des conduites de soumission à l’égard de normes d’actions extérieures (au sens où nous ne nous reconnaissons pas) et de la volonté d’autrui » (p. 53).

2.4.4.3 Prendre soin de soi c’est donner un sens à sa vie en maintenant des rôles sociaux et une certaine image de soi

Être capable de remplir des rôles sociaux est associé à la santé et au bien-être (Duterte et al., 2001; Meylakhs et al., 2015). De plus, le rôle social d'usager de drogues a été présenté comme nécessitant un travail afin de maintenir des liens interpersonnels, de se faire connaître et d'obtenir ce qui est souhaité des différentes personnes côtoyées (Meylakhs et al., 2015). Ainsi, les participants à l'étude de Meylakhs et al. (2015) croient qu’ils sont demeurés doublement séronégatifs au VIH et VHC malgré une longue période consommation par injection parce qu’ils ont su, au cours de toutes ces années, maintenir de façon presque constante leur « rôle d'usager de drogues ». Maintenir son « rôle d’usager de drogues » consiste, entre autres, à conserver une attitude positive et des pratiques préventives de santé comme celle d'utiliser du matériel stérile d'injection à chaque fois même lors de moments de grande précarité, par exemple lors d'épisodes d'itinérance (Meylakhs et al. 2015). Selon l'étude d'Olsen et al. (2012), tenir des rôles sociaux fait appel à la performance sociale visant à attirer la reconnaissance et le respect des autres. Selon l’étude de Hofman et al., (2003), une préoccupation constante des personnes consommatrices de substances psychoactives est celle de conserver une certaine image et respectabilité sociale, ceci afin de pouvoir continuer de vivre et de remplir leurs rôles sociaux. Plus spécifiquement, leurs participantes cherchent à maintenir l'image de la bonne mère en portant attention à leur apparence, leurs vêtements, leurs comportements afin d'avoir l'air « normales » et surtout afin d'éviter la stigmatisation associée aux personnes qui s'injectent des drogues (Hofman et al., 2003). Certaines personnes mentionnent ne pas vouloir être étiquetées comme des « toxicomanes » et évitent ainsi de s'injecter en public tout en cherchant à garder le plus possible cette pratique secrète (Meylakhs et al., 2015).

Pour des jeunes de la rue, donner sens à leur vie autrement que par la consommation, en se fixant des buts ou en élaborant des projets comme avoir une famille, voyager ou développer des compétences occupationnelles permet de progressivement se désengager de la drogue et d'éviter l’

« expérience totale » de la drogue (Roy et al., 2007). Les objectifs de vie fixés par les femmes de l'étude de Hobbs Leenerts (2003) contribuent aussi à passer d’un stade de négligence de soi vers un stade de soin de soi (« self-care ») (Hobbs Leenerts, 2003). En effet, donner un sens à sa vie est au coeur de l'action humaine. Prendre soin de soi consiste ainsi à s’éprouver dans une série de tâches et d’épreuves pour s’accomplir, ce qui ne se fait pas sans préoccupations pour les autres ni de l’ordre social (Foucault, 1976). Plutôt, la cohésion sociale et les lignes communes de conduite, ou le « sens que les personnes donnent à leur vie » permettent le développement des sociétés et la poursuite de l'aventure humaine (Foucault, 1983).

2.4.4.4 Prendre soin des soi inclut prendre soin des autres

Chercher et entretenir des relations interpersonnelles significatives se rattache aux actions menées dans le but de prendre soin de soi (Holt et Treolar, 2008; Meylakhs et al., 2015; Olsen et al., 2012; Roy et al., 2007,). Hobbs Leenerts, (2003) identifie quatre types de liens essentiels au prendre soin de soi : avec soi, avec sa famille et sa communauté, avec les dispensateurs des services de santé et finalement avec le sens de la vie ou les dimensions davantage spirituelles. La relation avec soi est la principale relation. Celle-ci comprend les autosoins et le caring ou soin de soi (« nurturing ») dans les sphères biopsychosociales et spirituelles (Hobbs Leenerts 2003; Holt et Treolar, 2008). Le soutien social est précieux. Il importe de pouvoir compter sur quelqu'un, entre autres financièrement, d’avoir quelqu'un à qui parler ou simplement de pouvoir passer du temps avec une personne significative (par ex. : membre de la famille, amies, conjoints). Ces moments entourés d’autres personnes permettent aussi de se distraire de leurs soucis et problèmes psychologiques (Holt et Treolar, 2008). Quant au prendre soin des autres (par ex. : conjoint, conjointe, ami, famille) par exemple, en procurant un soutien financier, il fait partie intégrante du prendre soin de soi (Holt et Treolar, 2008; Meylakhs et al., 2015; Olsen et al. 2012). En outre, le souci des autres (« caring for others ») contribue à donner du sens à leur vie et procure le sentiment d'être utile (Meylakhs et al., 2015; Holt et Treolar, 2015; Olsen et al., 2012). Holt et Treolar (2008) rapportent que leurs participants désirent davantage s'occuper de leurs problèmes de santé mentale lorsque ces derniers se fixent également comme objectifs de prendre soin de personnes de leur entourage.

Les relations interpersonnelles favoriseraient l'acceptation de soi ainsi que l'élaboration de projets personnels (Hobbs Leenerts, 2003; Roy et al. 2007). Souvent, le conjoint ou la conjointe est la seule personne pouvant significativement influencer les choix de vie des femmes participantes à l'étude d'Olsen et al. (2012), comme celui d'entrer en cure de désintoxication. Enfin, le maintien de liens significatifs est aussi jugé primordial pour le soutien financier de proches permettant de

consommer et de maintenir des habitudes et conditions de vie favorables à leur santé (Meylakhs et al., 2015).

Ces résultats appuient l’idée de plusieurs penseurs, philosophes, sociologues, psychologues, psychanalystes et autres, selon laquelle l’être humain existe au sein de ses relations à autrui. Selon Maffessoli (1997) l'individu cherche avant tout à sortir de lui-même. Se soucier de soi se fait au sein de nos relations à l'autre. Les rôles tenus et des liens interpersonnels sont indissociables du prendre soin de soi et Foucault (2012) dans ses travaux sur les « techniques de soi » démontre que ces actions visent l'autorespectabilité et la reconnaissance sociale. Ainsi, afin d'être reconnues comme moralement méritantes, des personnes qui font usage de drogues doivent parfois effectuer une planification minutieuse de leurs activités et de leur performance sociale (Duff, 2004; Hofman et al., 2003).

2.4.5 Conclusion

À l’issue de cette recension d’écrits, trois principaux thèmes et dix sous-thèmes reliés au prendre soin de soi pour des usagers de drogues incluant des PUDI ont été dégagés. Ceux-ci dépassent largement les facteurs biologiques, les comportements individuels et les habitudes de vie. Cette synthèse suggère que les PUDI se soucient d'elles-mêmes et de leur santé et plusieurs thèmes sont similaires à ceux soulevés dans la recension des écrits générale sur le prendre soin de soi dont les préoccupations pour le corps et l'esprit, les rôles sociaux, les liens interpersonnels et l'environnement social.

Cette recension des écrits comporte néanmoins plusieurs limites. D'abord, les résultats sont limités compte tenu du peu de recherches recensées ayant visé une compréhension approfondie du prendre soin de soi auprès de PUDI. De plus, la plupart de ces recherches ont sélectionné leurs participants en fonction d'un problème de santé, soit parfois du VIH, du VHC ou d'un trouble mental. Trois sur sept de ces recherches incluent des usagers de drogues autres que par injection. Aussi, en raison de l’hétérogénéité des études recensées et du fait qu’elles se sont déroulées dans des pays et contextes différents, cette synthèse ne permet pas de transférabilité des résultats ni une analyse approfondie de la signification du prendre soin de soi. Cette synthèse demeure plutôt générale sur les autosoins, le prendre soin de soi et les pratiques de santé.

Malgré ces limites, il est tout de même intéressant de constater que des thèmes reliés au prendre soin de soi sont récurrents parmi ces études. Cette synthèse permet aussi d’approfondir ce que signifie prendre soin de soi pour des personnes qui consomment des drogues. Cette dernière met en lumière que les usagers de drogues incluant des PUDI font face à des défis particuliers lorsqu’il s’agit de prendre soin de soi, entre autres, liés à la réduction des méfaits. Ils doivent éviter de se contaminer avec du matériel souillé, éviter la surdose et éviter la perte de contrôle de leur

consommation de drogues et d'alcool afin que celle-ci n'envahisse pas toutes les sphères de leur vie. De plus, les personnes dépendantes aux opioïdes redoutent tout particulièrement le sevrage tout en tentant à la fois de préserver leur sécurité, leurs rôles sociaux et leurs liens de relations. D’autres auteurs rapportent que les PUDI adoptent des stratégies pour réduire leurs risques de contracter le VIH, le VHC ou de faire des surdoses (Bertrand et al., 2015; Harris et Treolar, 2011; Mateu-Gelabert et al., 2010). En ce sens, les pratiques proactives de santé des PUDI et leurs capacités d'autocontrôle et d'autodétermination auraient avantage à être connues des intervenants et professionnels de la santé afin de mieux guider leurs interventions auprès de celles-ci (Holt et Treolar, 2008).

Cette recension des écrits soulève également l’importance des déterminants sociaux de la santé tels que le revenu, le logement, l’inclusion sociale, et l'accès aux soins de santé comme conditions favorables au prendre soin de soi (Hobbs Leenerts, 2003; Holt et Treolar, 2008; Olsen et al., 2012). De plus, puisque les risques perçus à la santé par des PUDI dépassent ceux de nature biologique et incluent la perte de liens significatifs, la perte du revenu et la perte d'un logement, les programmes de santé et de réduction des méfaits devraient d’autant plus viser l'insertion sociale des individus (Harris et al., 2009; Olsen et al., 2012).

Enfin, cette recension des écrits confirme que très peu d'études ont porté sur la signification du prendre soin de soi pour des PUDI en consommation active qui sont souvent socialement, psychologiquement et physiquement précarisées. Ainsi, compte tenu de la complexité et de la multiplicité des problèmes de santé et sociaux vécus par les PUDI, des lacunes des services de santé leur étant offerts et par souci d’équité et de justice sociale, mieux comprendre leurs points de vue permettrait de développer des interventions et des approches adaptées à leurs besoins et tenant compte de leurs forces. De plus, une recherche contextualisée auprès de personnes qui font usage de drogue par injection s'avère d'autant plus pertinente que plusieurs facteurs sociaux structurels notamment la culture, la politique, le système de santé, les valeurs et injonctions sociales interagissent pour influencer les significations que les personnes donnent à leur santé et au prendre soin de soi.